Réformer les institutions des républiques pour sortir de l’impasse
Mr Ouattara Alassane né autour de janvier 1942 à Dimbokro vient de s’aligner sur ses compères: un troisième mandat pour soi-disant tenter de faire enfin ce qui n’a pas pu être réalisé en dix ans: la construction de la nation. Toutes les contorsions sont alors permises: le pouvoir et ses affidés tentent de justifier la candidature inique en appelant en dernière minute le peuple à une mascarade de référendum pour ensuite invoquer le principe de la non-rétroactivité et la construction soudaine d’une nouvelle République.
La Côte d’Ivoire se dote d’une troisième République le 8 novembre 2016 , date de la promulgation par Alassane Ouattara de la constitution “approuvée” par le peuple lors du référendum du 30 octobre 2016. En 2025, Ouattara aura 83 ans à la fin de son nouveau mandat, et pourra prétendre à un dernier jusqu’à 88 ans si, dans l’intervalle, un nouveau référendum ne crée pas la quatrième république à quelques mois du terme de son 4ème mandat.
Avec Ouattara et Alpha Condé de la Guinée, la liste s’allonge donc après Faure Gnassingbé du Togo, Denis Sassou Nguesso du Congo, Paul Kagamé du Rwanda, Teodoro Obiang Nguema de la Guinée Equatoriale, Paul Biya du Cameroun, Bongo du Gabon ou Idris Deby Itno (nouveau maréchal du Tchad). La question qui nous occupe est de tenter de retrouver le point commun entre ces monarchies modernes: La dictature constitutionnelle.
L’ère des dictatures constitutionnelles
A priori contradictoire, ce régime d’un nouveau genre aussi appelé “démocrature” est apparu dans les années 90.
Après l’avènement du « renouveau démocratique » proclamé en Afrique par François Mitterand, les Etats africains se sont dotés d’une Constitution, inaugurant un système parlementaire moderne doté d’un gouvernement et d’une assemblée nationale, parfois un Sénat et limitent les mandats à 2 fois 5 ans. Les régimes militaires ont débarrassé le paysage pour faire alors place à des dirigeants portés par des élections dites pluralistes.
Les pays ont tourné la page des régimes militaires appuyés sur le parti unique pour un système parlementaire porté par des civils. Paradoxalement, il est apparu très vite que ces nouveaux dirigeants civils en fin de mandat, de deux fois les cinq ans, ont pris l’habitude de modifier leur Constitution pour se représenter. N’est-il pas courant d’entendre des présidents répéter que lorsqu’on organise un scrutin “on gagne ou on gagne” ? Un remake du “Qui perd, gagne” made in Africa.
Désormais, après les régimes militaires, les démocraties naissantes se sont muées en “dictatures dont le mode de fonctionnement est organisé par une Constitution flexible“. Cette mécanique initiée dès les années 2000 est aujourd’hui bien rodée… Est-il dès lors étonnant que les militaires reprennent les armes pour s’immiscer dans la vie politique ou que la société civile forme des alliances circonstancielles pour défier les régimes élus, mais illégitimes ?
L’absence d’éthique régionale et continentale
Malgré l’adhésion presque exclusive aux cultes et sectes importées d’occident, nous constatons que l’éthique humaniste peine à s’installer chez les hommes politiques du continent. Un ami, aujourd’hui devenu dirigeant, dira que “L’Afrique est malade de ses dirigeants” sic. Le vieux Ouattara, dans un discours digne de Bokassa, déclare en août 2020 se sacrifier pour un nouveau mandat parce qu’il n’avait pas de solution alternative à son dauphin décédé en juillet 2020. Sans nous attarder sur l’absence d’anticipation ou de stratégie, la logique africaine serait donc pour un président en exercice, de se préparer un successeur avant de quitter le pouvoir. Le pays serait donc devenu la propriété d’une famille; il aurait peut-être fallu donner le temps à Gbagbo lui aussi de préparer son successeur.
Dans une Afrique post-indépendances, la norme reste la très forte centralisation des pouvoirs avec une concentration des décisions au palais présidentiel. L’impunité est devenue une règle malgré toutes les tentatives régionales et continentales de construction d’une unité de droit. Les cours de justice de la CEDEAO et de l’Union Africaine restent de simples épouvantails au service des chefs d’Etats. Le résultat: Soixante années après de prétendues indépendances, Louis Michel (instituteur – linguiste et homme politique belge) a plus de poids dans la politique congolaise que toute l’Union Africaine; les conseillers et mercenaires français sont plus importants au Togo que la CEDEAO.
Dans les faits, nous constatons que toutes ces institutions sont devenues des coquilles vides au service exclusif des gouvernements en exercice et non des peuples; certains parleront de “Syndicats” de chefs d’Etat. Comme exemple de dérives il y a la question taboue des modifications de la constitution. Sur proposition des ministres des affaires étrangères de l’espace CEDEAO au cours du 47eme sommet ordinaire des chefs d’Etats et de Gouvernement de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest, l’institution a voulu imposer la limitation des mandats dans le but très noble d’harmoniser les constitutions, cultiver la “bonne gouvernance” et éviter la répétition des scénarii burkinabè ou burundais. Mais lors de la réunion des chefs d’Etats, Yaya Jammeh président gambien et son homologue Faure Gnassingbé du Togo se sont prononcé contre le projet en mai 2015. Le texte final reprendra en son point 35 un vague projet sans aucune consistance: “La Conférence réaffirme son attachement à l’enracinement de la culture démocratique et à la promotion de la bonne gouvernance en Afrique de l’Ouest. En particulier, la Conférence encourage le renforcement des principes de convergence constitutionnelle.” [Lire] Nous avons entendu quelques jours plus tard un ministre togolais en exercice depuis 15 ans déclarer sur les ondes de RFI que “l’alternance ne se décrète pas” [sic]. Aucune réaction de la CEDEAO.
Quelques années plus tard (en 2017), Yayah Jameh est contraint à un exil forcé et nous assistons dès lors à une nouvelle forme de justice et à une poursuite des anciens autocrates pour la récupération des sommes détournées (Gambie – Angola). Les apprentis dictateurs encore en exercice découvrent alors la peur…
L’arroseur arrosé
Les présidents mal élus et peu conseillés ont donc construit des alliances régionales pour leur propre intérêt, oubliant très souvent de l’utilité des textes et l’insoutenable légèreté de la vie. Ils se retrouvent alors isolés au moment d’imposer les décisions de ces mêmes organisations de plus en plus décrédibilisées. Très récemment, une délégation de la CEDEAO (experte en médiations ratées) est congédiée du Mali par un peuple avide d’alternance. Les populations africaines n’ont plus aucune confiance dans des clubs mis en place pour les intérêts bien compris de leurs dirigeants.
Le dirigeant ne dispose plus d’aucun espace de négociation ou de dialogue. Il n’a pas compris qu’il a, de ce fait, scié l’arbre sur lequel il était perché. Malgré toutes ses vaines tentatives pour s’imposer, la CEDEAO ne peut plus aujourd’hui prendre la défense d’un président déchu, face à la vindicte populaire. Blaise Compaoré en fait l’amère expérience en devenant Ivoirien pour se chercher un exil doré en dehors du pays qu’il a dirigé d’une main de fer pendant 27 années. Avec les troubles actuels en Côte d’Ivoire, il envisagerait un nouvel exil au le Togo (nouvelle naturalisation?). Yayah Jameh de son côté, n’ose même plus sortir de sa villa en Guinée Equatoriale; il devient de plus en plus probable que le sort de IBK du Mali ressemble à celui de ses compères.
Nous osons parler d’incompétence lorsque tous ces dirigeants vont déléguer leur pouvoir (celui usurpé au peuple) à la métropole, en échange d’une illusion d’ordre (CFA – AFD – Armée étrangère – Francophonie…). Les textes qui s’appliquent dès lors à ces nations sont ceux des organisations internationales comme l’ONU, l’OMC ou la CPI. Comme résultat direct, Sarkozy peut décider de bombarder la Lybie ou la Côte d’Ivoire sans aucune réaction des organisations africaines amorphes. Un président africain en exercice peut être déporté à la CPI pour répondre de crimes contre sa propre population; les organisations du continent restent muettes. Pour mieux illustrer l’impasse dans laquelle ils se sont placés, ces chefs d’Etat qui n’ont même pas réussi à construire en 60 ans un seul pôle autonome de communication doivent aller s’épancher sur les médias de la métropole pour faire porter leur voix (RFI – BBC – VOA…), oubliant le renard en dessous de l’arbre (relire La Fontaine).
Il nous étonne d’entendre certaines institutions et gouvernements crier sur ces médias au “retour à l’ordre constitutionnel” comme dans le cas du Mali. Mais de quelle Constitution parle-t-on? Celle maintes fois foulée par ces mêmes dirigeants jamais sanctionnés?
La solution: construire des institutions africaines fortes
Le débat sur l’autonomie monétaire est très important mais il occulte celui, plus large, de la construction des institutions africaines. La CEMAC, la CEDEAO, le G5 Sahel, la BAD, la BOAD et même l’UA sont devenus de simples sigles et des coquilles vides sans projet ni vision sur le développement social, culturel et politique des Etats ou du Continent qu’ils sont sensés porter… Il faut avoir le courage de repartir avec des bases saines.
Aujourd’hui les présidents du Togo, du Congo, de la Guinée, du Gabon et de la Côte d’Ivoire veulent se maintenir à tous les prix parce qu’ils ont peur. N’ayant créé aucun espace crédible, aucun texte fondateur, aucun statut pour les anciens présidents, ils craignent les poursuites et la vengeance de la part de populations exsangues. Il est peut-être encore temps de réagir; il importe de négocier pour la mise en place d’institutions et de structures fortes. La discussion du 19 Mai 2015, Accra, en République du Ghana représente selon nous une occasion manquée. Dans leur étroitesse d’esprit les présidents gambien et togolais n’ont pas su saisir l’occasion offerte de négocier leur fin de mandat et imposer leurs acquis en échange de l’ouverture.
Le développement reste une utopie sans institutions fortes; une indépendance monétaire reste illusoire sans institutions stables. Nous savons tous que les Etats africains sont fragiles du fait même de l’absence de logique dans leur construction géographique. La réconciliation nationale est donc une pieuse utopie dans la plupart de ces pays. Afin d’éviter qu’un groupe prenne demain les armes au nom d’un club “ethnique” ou une famille, il faut des structures supra-nationales fortes. Dans une approche maintenant consensuelle, le président en exercice doit accepter de céder une partie de son pouvoir à ces structures en échange de la paix sociale et comme garantie pour son avenir propre. Ce rôle de régulation, longtemps joué par les armées nationales, est par exemple délégué aux Mourides dans un pays comme le Senegal; mais il faut aller plus loin.
Ouattara, Sassou et Gnassingbé peuvent donc encore sauver la mise et sortir la tête haute de cette impasse; il reste simplement à définir la méthode et s’accorder sur les conditions minimales. C’est la seule solution pour une sortie honorable pour les dirigeants, leur descendance et leur cour. A défaut, il se prépare encore quelques bains de sang dans des rebellions populaires ou des soulèvements militaires comme actuellement au Mali.
” (…) You can fool some people some times, but you can’t fool all the people all the time! (…)” BOB MARLEY – en souvenir de mon frère Midagbodji Messan Ablam
Bruxelles, le 18 août 2020
Ablam Ahadji