Au sommet UE-UA en 2022, l’UE veut être l’ami de l’Afrique dans le besoin… tout un programme. Quelques mois plus tard, la guerre en Ukraine aidant, les bonnes résolutions seraient-elles tombées? La réalité est dure à accepter pour certains, mais il faut reconnaître que l’Afrique est loin d’être aujourd’hui une priorité pour l’UE. Les provisions pour le développement vont aller financer les chars légers et les armes lourdes… [ndlr]
Relations UE-Afrique : le coût de la guerre russe en Ukraine
Le dernier sommet UE-Union africaine (UA), qui s’est tenu à Bruxelles en février dernier après avoir été retardé d’un an à cause de la pandémie de Covid-19, était censé marquer le début d’un nouvel élan pour un « partenariat d’égal à égal » entre les deux organisations. Cependant, le sommet a été rapidement éclipsé par l’invasion russe en Ukraine, qui a compliqué davantage les relations entre l’UE et l’Afrique et dont les conséquences continueront de dominer les relations entre les deux unions dans les prochains mois.
De plus, aucun sommet de ce type n’est prévu pour 2023.
En novembre, lors d’une réunion de suivi entre la Commission européenne et l’UA, les deux parties ont convenu que l’UE commencerait à allouer des fonds pour des investissements dans les infrastructures, prévus par sa stratégie «Global Gateway», et apporterait son soutien à une agence africaine des médicaments. En outre, les deux unions lanceront un « dialogue au sommet sur l’intégration économique en vue de renforcer les relations commerciales et les investissements durables ».
Ces promesses laissent entrevoir des ambitions bien moindres. La stratégie Global Gateway, qui se veut la réponse de l’UE à l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie, devrait commencer à verser 750 millions d’euros au cours de l’année à venir. Néanmoins, comparé aux dizaines de milliards offerts par Pékin, c’est n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan.
Parallèlement, les conséquences de la guerre en Ukraine continueront de se répercuter sur les relations entre l’UE et l’Afrique.
Les États africains ont fait les frais de l’interruption des importations de blé et de céréales et des principaux intrants agricoles, tels que les engrais, qui en ont résulté. Associés à une inflation déchaînée, un autre effet de la guerre, ces facteurs ont poussé des pays comme le Ghana, l’Égypte et le Kenya à conclure des accords de renflouement avec le Fonds monétaire international (FMI) au cours des derniers mois.
Le lobbying russe en Afrique, quant à lui, s’intensifie. Andrey Melnichenko, fondateur du géant des engrais Eurochem, a notamment courtisé des responsables de l’African National Congress en Afrique du Sud dans le but d’assouplir les régimes de sanctions. Les tensions qui en résultent ne feront qu’empirer dans les mois à venir si la guerre se poursuit. En début de semaine, le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell, s’est rendu au Maroc pour son premier voyage de 2023.
Cet État d’Afrique du Nord est l’un des partenaires les plus importants de l’UE sur le continent, notamment en matière de migration, de sécurité et de commerce. Toutefois, comme de nombreux pays africains, le Maroc a cherché à conserver de bonnes relations diplomatiques avec la Russie et a refusé de condamner son invasion de l’Ukraine.
L’ombre de l’influence russe plane également sur l’agenda diplomatique et sécuritaire de l’UE au Sahel.
Le chef de la diplomatie européenne, M. Borrell, a déclaré l’année dernière que l’UE « n’abandonnait pas le Sahel » mais qu’elle « restructurait sa présence » dans la région. Cependant, l’annonce du retrait des troupes par la France et l’Allemagne l’année dernière et au cours des douze prochains mois laisse présager des mois difficiles.
L’année dernière, le gouvernement allemand a déclaré qu’il commencerait à rappeler progressivement ses troupes à la mi-2023 jusqu’à un retrait total en mai 2024.
La montée du sentiment anti-français et, plus largement, anti-occidental, dans la région du Sahel a été soulignée par l’expulsion de l’ambassadeur de France, Luc Hallade, par la junte militaire du Burkina Faso en début de semaine, quelques mois après que son pays voisin, le Mali, ait fait de même.
Cette décision intervient également moins de deux semaines après que la coordinatrice humanitaire des Nations unies au Burkina Faso, Barbara Manzi, a été déclarée persona non grata.
Les régimes militaires du Mali et du Burkina Faso ont tous deux intensifié leurs relations diplomatiques avec la Russie, et l’influence du groupe Wagner, une organisation russe de mercenaires, ne cesse de croître. Il est probable que le Tchad, le Niger et d’autres pays du Sahel et des régions voisines seront également ciblés par le Kremlin.
L’Union européenne a récemment lancé des initiatives pour lutter contre ce que la Commission européenne appelle la « désinformation » russe sur les réseaux sociaux au Sahel. Les fonctionnaires de Bruxelles sont en outre parfaitement conscients que Moscou souhaite étendre sa présence dans la région via le groupe Wagner. Reste à savoir s’ils pourront faire quelque chose pour l’arrêter.
L’automne dernier, M. Borrell a passé un savon aux émissaires de l’UE en Afrique pour ne pas avoir réussi à établir de meilleures relations. Pourtant, le mauvais choix de mots qu’il a fait dans un discours quelques semaines plus tard, décrivant l’Europe comme un jardin et le monde extérieur comme « une jungle », a été accueilli avec une certaine perplexité dans les capitales africaines.
Les priorités de l’UE concernant l’Afrique pour l’année à venir resteront largement inchangées. La présidence suédoise du Conseil a promis un dialogue renouvelé avec les dirigeants africains sur la migration, le développement, le commerce, la sécurité et le changement climatique. Un groupe d’États membres fera également pression pour augmenter les importations de gaz en provenance d’Algérie et d’ailleurs.
Parallèlement, le contrôle des flux migratoires restera un enjeu politique important dans les capitales européennes, même si le nombre de migrants clandestins arrivant en Espagne en provenance d’Afrique a chuté de plus de 20 % en 2022, signe que le nombre de personnes traversant la Méditerranée est en baisse.
Il sera intéressant de voir si la Hongrie renoncera enfin à bloquer la ratification par l’UE de l’accord post-Cotonou, qui couvre les liens politiques et économiques avec les 88 États membres de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).
Les fonctionnaires hongrois ont en effet critiqué la Commission pour ne pas avoir exigé des dispositions plus sévères quant au renvoi des migrants dans le traité. Il n’est pas clair si Budapest utilise son blocage comme levier dans sa propre bataille avec l’exécutif européen sur le déblocage des fonds de relance post-pandémie, ou comme une question de principe politique.
Il sera également intéressant d’observer les répercussions du scandale du Qatargate, qui a déjà donné lieu à des poursuites pénales à l’encontre d’eurodéputés, anciens ou encore en fonction, qui auraient reçu des pots-de-vin de la part de responsables qataris. Ce scandale devrait entraîner une réécriture des règles relatives au lobbying étranger dans les institutions européennes.
Selon certaines rumeurs à Bruxelles, le Maroc aurait cherché à obtenir un traitement de faveur de la part des fonctionnaires de l’UE. Tout comme le Qatar, Rabat a démenti ces rumeurs.
Jan 9, 2023
Par : Benjamin Fox | EURACTIV.com | translated by Anna Martino