Pour une approche holistique de l’exercice du pouvoir au Togo
Contexte : Adoptée par référendum et promulguée le 14 octobre 1992, la Constitution de la IVe République a connu plusieurs modifications en 2002, 2007 et 2019 à l’initiative et suivant les volontés du parti présidentiel en place depuis 1967. Elle n’a donc pas été très longtemps appliquée dans sa version originale. En pleine période électorale, des députés en affaires courantes, renforcés par des ministres en fonction ou repéchés pour la cause, décident de changer la loi fondamentale pour basculer dans une nouvelle République. Si la proposition de révision constitutionnelle qui est sur la table était adoptée, le Togo passerait d’un régime semi-présidentiel à un régime parlementaire.
En mai 2019, les députés adoptent un projet de loi sur les réformes institutionnelles et constitutionnelles. L’élément central est la limitation du mandat présidentiel. A partir de 2020, le chef de l’Etat sera élu pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois. De ce fait Faure Gnassingbé, fort de ses 4 mandats ne pouvait plus être candidat après son très prévisible cinquième en 2025.
La nuit du 25 mars 2024, quelques parlementaires se sont alors retrouvés pour voter en secret un texte que beaucoup d’entre eux n’ont même pas lu. Le régime togolais décide ainsi en catimini de changer de mécanisme de gestion du pays pour se tourner vers un modèle parlementaire. Un mois après le vote, le texte signé n’est toujours pas rendu public, et le gouvernement a lancé une consultation publique très expéditive avec des personnalités sélectionnées, sur instruction de Faure Gnassingbé. Le 19 avril, 87 députés sont à nouveau réunis pour adopter un texte légèrement corrigé. Si la signature est communiquée officiellement, le projet n’est toujours pas rendu public…
Le souci réside dans l’impréparation et la précipitation à créer une nouvelle république sur les cendres d’une constitution qui n’a jamais été appliquée dans sa globalité.
Dans les modes de gouvernance standards, le « régime parlementaire » [1] est un des modèles de leadership étatique les plus prisés par les démocraties politiques. La question que nous nous posons à travers cette analyse : si la démocratie est un préalable à l’instauration d’un système parlementaire, pouvons nous avancer que le Togo a une organisation sociale et politique prête et préparée pour ce basculement ? Le Togo est-il suffisamment démocratisé pour cette nouvelle aventure parlementaire?
A. La démocratie de l’illusion
1. La théorie
Le modèle parlementaire, est un régime structuré autour d’une séparation souple des pouvoirs – législatifs, judiciaires et exécutifs.
- Le pouvoir législatif crée les lois. Il est exercé par les différents parlements de l’État, des régions et des communautés. Les parlementaires sont les représentants des citoyens, élus par ceux-ci lors des élections. Le pouvoir législatif est censé contrôler le pouvoir exécutif.
- Le pouvoir exécutif est exercé par le gouvernement et ses ministres. Il exécute les lois, c’est-à-dire qu’il prend des arrêtés qui complètent les lois en les respectant et qu’il adopte les décisions nécessaires pour que les citoyens puissent respecter ces lois, les appliquer dans le quotidien.
- Le pouvoir judiciaire, exercé par les juges, rend la justice. Il a deux rôles : il intervient quand un citoyen désobéit aux lois et il tranche les conflits entre citoyens en appliquant les lois.
Ainsi, dans un modèle de séparation de pouvoir, le régime parlementaire est un système dans lequel le gouvernement est responsable devant le parlement et le peuple.
2. Le cas du Togo
Le régime semi-présidentiel en cours est un système mixte qui combine certains traits des régimes parlementaire et présidentiel. Au Togo, depuis la révision constitutionnelle de 2002, il y a un président élu au suffrage universel qui dispose de pouvoirs plus ou moins importants aux côtés d’un premier ministre, nommé par le premier, chef du gouvernement (composé par le premier), et en théorie responsable devant le Parlement qui prête serment et allégeance au premier.
On peut donc affirmer sans aucun risque de démenti que le président du Togo est le chef de l’exécutif, du judiciaire et du législatif. Il fait et défait les ministres, il nomme les magistrats et promulgue les lois et les décrets. Dans l’histoire récente du pays, aucun parlementaire, aucun juge ou magistrat n’a osé demander des comptes ou mettre directement en cause le chef de l’Etat.
2.1 Concentration des pouvoirs
En 2002 la constitution togolaise (votée par référendum en 1992) est modifiée dans le but de permettre à Gnassingbé Eyadema, au pouvoir depuis 1967, de se représenter pour un troisième mandat de cinq ans car la constitution, dans sa version originale, en limitait le nombre à deux. On assiste alors à un renforcement des pouvoirs du président au détriment du Premier ministre qui se retrouve dans un rôle de simple exécutant de la volonté du président.
Le texte, dans sa version d’origine accordait la détermination et la conduite de la politique de la nation au Premier ministre. La nouvelle constitution dont le fils Gnassingbé va hériter à la mort du père en 2005 va instituer un Président de la République disposant de l’intégralité du pouvoir exécutif ; elle lui accorde aussi le droit de dissoudre un parlement devant lequel il est par ailleurs responsable (absurdité).
La Constitution togolaise précise que le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et exécutif. Le premier est incarné par les juges, le second par les députés au Parlement alors que le président et son gouvernement détiennent le troisième. La constitution de 1992 prévoyait également la création d’un Sénat en plus de l’Assemblée nationale. Cette disposition n’a jamais été appliquée ni expérimentée.
« Dans un système de concentration administrative des pouvoirs, seul l’organe situé au sommet de la hiérarchie, essentiellement le chef de l’exécutif et les ministres, dispose du pouvoir de décision. Les échelons hiérarchiquement subordonnés n’ont qu’un rôle de transmission : saisis d’une question concrète, ils adressent au ministre les dossiers à trancher puis, une fois la décision prise, ils exécutent les ordres ministériels. »[2]
Togo : Seuls les présidents d’institution et les présidents des groupes parlementaires sont autorisés à saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité de la procédure suivie pour faire ce changement. Sachant qu’ils sont tous payés par le chef de l’Etat, y en aura-t-il un seul pour avoir le sens du devoir et le courage de saisir la Cour constitutionnelle ? La première « Constitution Secrète » au monde a été votée à l’unanimité par les députés le 19 avril 2024, au grand désarroi du peuple. Les Togolais ne découvriront cette Constitution qu’après sa promulgation. Ainsi en a décidé l’architecte de cette aventure ambiguë, le chef de l’Etat.
2.2 Centralisation administrative
Le principe : La centralisation administrative est un mode d’organisation administrative dans lequel le pouvoir de gestion et de décision est maintenu au sein de l’autorité centrale. Des administrations aux pouvoirs limités peuvent cependant être déconcentrées géographiquement tout en restant centralisées d’un point de vue juridique.
Selon Yves Marguerat, « L’analyse de la structure territoriale d’un Etat est très révélatrice du fonctionnement concret d’un pouvoir politique. Dans le cas du Togo, le flou des unités de base (villages, cantons), la faiblesse des moyens (humains et financiers) des préfectures et des communes, l’absence de pouvoirs réels à la tête des régions, comme à celle des villes principales, montrent que I ‘État s’est plus préoccupé de son autorité sur les hommes que de la gestion des choses et, plus encore, des unités territoriales » [3].
Le Togo a mis en place un découpage complexe du pays en régions, préfectures, cantons et villages ; des administrations locales créées pour une illusion d’ouverture. Mais ces entités sont toutes dépendantes et financées par le parti central. Nous avons pu voir des décisions du maire élu remises en question par des préfets encore plus locaux et nommés par le président. Dans certains cas, le ministre de l’administration territoriale peut même décider de sortir de l’administration de la mairie des zones ou activités jugées trop « juteuses » pour sa sécurité. C’est ainsi que le maire du Golfe 4 n’aura pas son mot à dire sur la gestion du grand marché de Lomé et que ses propositions de rebaptiser certaines rues resteront lettre morte.
2.3 Une autorité judiciaire nommée
Dans la forme, la Constitution togolaise précise que le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et exécutif. Le premier est incarné par les juges, le second par les députés au Parlement alors que le président et son gouvernement détiennent le troisième. Dans son Article 53, la constitution togolaise prescrit : La cour suprême est la plus haute juridiction de la République togolaise en matière judiciaire et administrative. Mais dans la réalité, la composition de cette institution est laissée à la discrétion du président de la République devant lequel elle prête serment.
Quant au fond, le système juridique appartient à un modèle mixte mélangeant droit civil et droit coutumier. Selon ce système, les lois et règlements sont transcrits dans les codes et le droit coutumier joue un rôle important pour le droit des successions, droit de la famille et droit de la propriété.
Le fameux droit coutumier : longtemps confié au roi (ou chef traditionnel) et sa cour, le tribunal local est doucement repris par la machine de l’Etat depuis la suppression, en 1975, de la taxe civique personnelle et la soumission de fait du roi et sa désignation par le pouvoir central. Sans plus aucune autonomie financière, ni coutumière, les chefs n’ont plus de légitimité dans un environnement de plus en plus verrouillée.
B. Les pouvoirs alternatifs
L’Afrique n’est pas prête pour la démocratie ; nous n’avons pas laissé Chirac aller au bout de son analyse. L’occident a traversé plusieurs cycles au cours desquels certaines forces se sont naturellement diluées, certaines pouvoirs étouffés du fait de la structuration ou la mise en compétition. L’Afrique n’est pas structurée pour une démocratie à l’occidentale parce qu’il existe d’autres pouvoirs forts et « occultes » en dehors des 3 cités plus haut. Une démocratie « à l’africaine » devrait tenir compte des structures suivantes :
- Les forces armées
- Les structures de financement
- La chefferie traditionnelle
- Le pouvoir mystique ou religieux
Dans une discussion avec feu C. Debasch dans son salon privé de Lomé, nous découvrions, il y a quelques années, que le régime togolais s’est longtemps appuyé sur cette absence d’analyse et la naïveté de la population togolaise et ses leaders politiques. La faiblesse de la constitution votée en 1992, c’est de ne pas avoir tenu compte de ces pouvoirs alternatifs. Pourquoi aucun chef de l’opposition politique ne s’est attardé sur les conditions de l’entrée du Français C. Debasch en plein blocage des frontières en 2005 alors que le président de l’assemblée était détourné et séquestré au Bénin voisin ?
On a vu au Gabon un président élevé Grand Maître de loge sans soulever de contestation. Au Togo, pendant ce temps, le président fait les Grands Maîtres, les Evêques, les chefs traditionnels et les patrons d’entreprise.
1. Le pouvoir militaire
Pendant les trois décennies qui ont suivi l’indépendance, entre les années 1960 et 1990, la quasi-totalité des régimes africains ont reposé sur une confusion des sphères politiques et militaires, à des degrés divers.
Au Togo, le chef de l’Etat est le chef des armées. Depuis son arrivée au pouvoir, Faure Gnassingbé cumule le poste de chef des armées et de ministre de la Défense. C’est l’armée qui décide de fermer les frontières au décès de l’ancien président ; c’est l’armée qui fait rentrer Debasch pour adapter la constitution et placer Faure Eyadèma sur le trône.
L’armée, dans nos pays faillis, est la source véritable du pouvoir politique. Elle sert de force d’appui et de dissuasion contre les velléités de contestation de la population. Le premier pouvoir, comme on peut le voir aujourd’hui dans les Etats du Sahel est l’armée et les forces dites de sécurité.
Aucun TITRE, dans la constitution adoptée par référendum en 1992, n’ose aborder ni traiter la question de l’armée…
Qui, en effet, oserait se mêler de l’organisation interne de cette grande silencieuse, devenue dans certains pays, la famille, la propriété privée, la milice et le domicile du chef de l’Etat ? Quand on met ce point en parallèle avec la forte dépendance militaire de nos Etats, on comprend que la messe est dite.
2. Le pouvoir financier
Art. 107 : La Cour des Comptes juge les comptes des comptables publics. Elle assure la vérification des comptes et de la gestion des établissements publics et des entreprises publiques.
La constitution togolaise s’est timidement limitée dans son approche aux comptes publics. Il est inutile ici de nous attarder sur les conditions de nomination ou de désignation du Président de ladite Cour. Nous parlions il y a quelques temps de western financier [Lire] pour dénoncer le gangstérisme de certains Etats qui utilisent les instruments du fisc pour fragiliser des entreprises supposées hostiles ou pas suffisamment proches du pouvoir. Au Togo, des marchés ont pris feu, dans des circonstances restées inexpliquées à ce jour.
L’OTR [Office Togolais des Recettes] est présenté comme un instrument de torture par de nombreux compatriotes togolais. Certaines entreprises ont dû mettre la clef sous le paillasson ou quitter des pays comme le Togo ou le Rwanda. Les entreprises qui prospèrent au Togo sont pour la plupart étrangères ou inféodées.
3. Les médias et la communication
Art.130 : La Haute Autorité de l’Audio-visuel et de la Communication a pour mission de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse et des autres moyens de communication de masse.
Elle veille au respect de la déontologie en matière d’information, de communication et à l’accès équitable des partis politiques et des associations aux moyens officiels d’information et de communication.
Des informations circulent depuis quelques années sur une surveillance mise en place au travers de l’utilisation du réseau israélien Pegasus[4] sans aucune réaction des structures censées contrôler l’action de l’Etat ou des sociétés de communication. L’ARCEP [Autorité de régulation des communications électroniques et des postes] ou la HAAC [Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication] restent complètement silencieuses sur les écarts du gouvernement en matière d’abus dans le bridage de la liberté de parole. Lors des élections, aucun contrôle n’est réalisé par ces institutions sur les écarts au sein des structures de communication publiques au profit d’un parti fort.
La loi sur les élections dispose ceci : « Les dépenses engagées par les partis, les regroupements de partis politiques et les candidats indépendants durant la campagne électorale sont à leur charge ». Les dépenses pour tout candidat est plafonnée à trois millions (3.000.000) de franc CFA pour les élections législatives et cinquante millions (50.000.000) de francs CFA pour les élections présidentielles. La réalité explose sur le terrain ; il est fait obligation aux candidats d’établir des comptes de campagne ; le régime ferme les yeux sur ces dispositions et on assiste à des débordements graves sous le couvert de la démocratie. Il n’y a déjà aucun respect de l’obligation de déclaration des biens. pour un haut fonctionnaire
4. La religion, les cultes et les groupes d’influences
Le piège de la laïcité : « Article premier : La République Togolaise est un Etat de droit, laïc, démocratique et social. Elle est une et indivisible. »
Si nous sommes tous enfants de dieu, et, à ce titre, égaux devant Lui, pourquoi le président et le ministre bénéficient-ils de traitements de faveur dans le couvent vaudou, à l’église, au temple ou à la mosquée ?
Au Togo, le président peut « convoquer » un archevêque et lui ordonner de présider une commission civile. Le prélat se place ainsi sous l’autorité directe du gouvernement ; il peut être rémunéré pour services rendus. Le pouvoir peut « exiler » un évêque perçu comme un non aligné. L’Etat se réserve le droit d’autoriser le clergé à suivre le bon déroulement des élections dans le même pays.
Il faut noter, dans le cadre du changement de constitution, la fin de non-recevoir au clergé qui implorait une entrevue avec le président pour comprendre le processus et demander un report de la promulgation. Ici, on a recours au fameux article précité pour renvoyer le prêtre dans son église : l’Etat est laïc.
Dans les pays ou la démocratie commence à s’amorcer, on constate pendant ce temps une certaine forme d’autonomisation du religieux. Exemple : Les mourides au Sénégal – Les chefs Vaudou au Bénin. Parmi les premières personnalités auxquelles le nouveau président du Sénégal a demandé une audience, il y a le chef Mouride et l’archevêque du pays. Au Togo, dans le même temps, la pierre sacrée devient bleue, aux couleurs du parti dominant, la grande loge du pays laïc se retrouve en difficulté et affublée de deux GMs. On attend certainement une intervention du petit architecte suprême pour une solution à la crise.
5. La chefferie traditionnelle
« Art.143 : L’Etat togolais reconnaît la chefferie traditionnelle, gardienne des us et coutumes. La désignation et l’intronisation du chef traditionnel obéissent aux us et coutumes de la localité. »
Voici un bon exemple d’article qui n’a jamais été appliqué. Dans les faits, la désignation ou la nomination d’un roi ou d’un chef traditionnel est une prérogative du chef de l’Etat.
A l’instar du chef religieux, le président du Togo peut convoquer un roi qu’il a par ailleurs nommé dans un chapitre précèdent. Fait extrêmement rare en Afrique, sauf Rwanda, un roi est mis en prison, ou exilé sans problème au Togo. Le président peut déchoir un roi ou un chef traditionnel de son trône. Depuis que la féminisation du pouvoir est devenue une règle, le chef traditionnel au Togo a fini de perdre tous ses attributs.
Dans les pays voisins comme le Ghana ou le Bénin, la démocratie semble un peu mieux fonctionner avec un respect et une plus grande place accordée à ces représentants des coutumes locales.
C. L’Impasse du régime parlementaire
Une citation largement attribuée à l’ancien président congolais Pascal Lissouba témoigne d’un état d’esprit permanent sur le continent : « on n’organise pas les élections en Afrique pour les perdre ». La question que nous nous posons dès lors est de savoir si le régime, dit parlementaire, peut conduire à une alternance politique lorsqu’un ministre déclare au Togo que ladite alternance « ne se décrète pas ».
1. Instabilité potentielle
Dans un pays comme le Togo, où coexiste une centaine de partis politiques, il est possible d’arriver à une totale dilution des voix ou des votes. La stabilité du régime parlementaire pourrait alors être compromise, sujette à des crises politiques si la coalition au pouvoir se désintègre ou si aucun parti n’obtient une majorité claire.
L’expérience de la démocratie et l’histoire récente des partis politiques ne leur a pas encore permis de consolider leurs bases pour une expérience parlementaire. Certains partis représentés au parlement actuel se résument à des individus entourés de leurs familles. Dans leur grande majorité ces organisations sont dirigées par la famille ou le fondateur depuis la création.
Le cas le plus flagrant est celui du parti de la majorité, dominé depuis la création par le père [anciennement RPT[5]] par la famille Gnassingbé. Un des premiers parti d’opposition, l’UFC[6], est toujours dirigé, depuis les années 90 par son fondateur et principal sponsor Gilchrist Olympio. Au décès de ces gourous, les partis connaissent souvent des difficultés (exemple du CAR[7]).
2. Domination du pouvoir exécutif
Le pouvoir exécutif, représenté par le Président du conseil et son cabinet, peut devenir trop puissant par rapport au pouvoir législatif. Cela peut entraîner un déséquilibre dans le système politique. Dans le nouveau texte, que nous n’avons toujours pas lu, on ne précise certainement pas la position des pouvoirs alternatifs ci-dessus listés. On le voit déjà dans le débat en cours avec la sortie de l’exécutif sur les plateaux de télévision pour défendre l’action du parlement. Il n’y a aucune honte à sortie des ministres et les conseillers repéchés comme nouveaux prophètes de la 5ème République.
Il est évident, vu le schéma proposé, que le pouvoir actuel se positionne pour la présidence du conseil, un rôle qui ne prévoit pas de limitation dans la durée. Si, dans le texte, le ministère de la défense lui échet comme on peut le deviner, la conduite du pays se renforce sous une appellation nouvelle : la dictature militaro-parlementaire.
3. Coalitions fragiles
Si les partis politiques au Togo avaient pu communiquer et se regrouper ; nous n’aurions certainement pas une telle pléthore d’associations et de tendances. En cas de ballotage ou d’absence de majorité, que prévoit le texte invisible ? Nous attendons de l’avoir sous les yeux pour nous prononcer.
Normalement, dans les régimes parlementaires où aucun parti n’a une majorité absolue, la formation de coalitions peut être nécessaire pour gouverner. Cela peut conduire à des compromis politiques et à une gouvernance moins efficace. Les membres du parlement ne sont pas des techniciens ou des spécialistes de toutes les matières ; la compromission peut donc être préjudiciable à la qualité des décisions.
Avec une population au chômage et affamée par des décennies de disette politique, il est évident que les billets de banque feront vite la différence. Les consciences sont à vendre contre un peu de pain ou une position professionnelle.
4. Manque de stabilité à long terme
Les changements fréquents de gouvernement peuvent entraîner une certaine instabilité, ce qui peut affecter la mise en œuvre cohérente des politiques à long terme. Dans un pays où la Cour des Comptes n’a pas de comptes à rendre, il pourrait alors s’avérer difficile de suivre des plans et programmes sur plusieurs législatures, chaque coalition remettant en question les actions des prédécesseurs. On oublie, dans le projet togolais, que certains Etats en sont revenus, de leur passage par le régime parlementaire.
En France, sous la IVe République, la vie politique était caractérisée par une longue période d’instabilités. On compte 24 gouvernements entre 1947 et 1958. Ces perturbations s’expliquent par la prédominance du Parlement dans le système institutionnel. Celui-ci est censé contrôler le gouvernement, intervenant dans sa composition par le biais de l’investiture. Cette situation politique conduit à de longues et paralysantes crises ministérielles favorisées par le mode de scrutin proportionnel, qui contribue à l’émiettement de la représentation politique et l’absence de majorités politiques stables.
Au Togo, dans un environnement politique déjà très disparate, avec des régions sans aucune autonomie réelle, on se prépare à un désordre complet.
5. L’insulte faite aux populations et aux élus
Nous avons effectué l’exercice avec des parties de déclarations et des bribes éparses dans les médias du pouvoir. Il est un fait extraordinaire que le peuple entend parler d’une constitution signée en son nom, mais non rendue disponible plusieurs semaines après le vote par un parlement illégal. Il faut aussi noter que le texte n’est toujours pas promulgué alors que le parlement qui l’a voté doit rendre son tablier dans les prochains jours.
L’aberration suprême réside dans le fait que l’opération se déroule en pleines campagnes électorales. Nous avons donc de futurs élus qui s’engagent dans une course sans en connaître le règlement. C’est comme un candidat à un poste qui se présenterait sans avoir la description de fonction. Dans ce cafouillage organisé, la CENI[8], l’Etat togolais et le parti UNIR refusent au clergé l’envoi d’observateurs dans les bureaux de vote au motif absurde qu’il n’a pas été démontré le mode de financement des « bénévoles » [sic].
Pour remettre une couche dans ce désordre, un ministre togolais en fonction (l’Orateur de service) répond à une opposition qui exige une consultation publique, de faire de ces élections législatives leur référendum. Et il n’y a personne pour le rappeler à l’ordre.
Epilogue : délestage de la pensée au Togo
Les mouvements politiques des années 90 n’ont pas tout de suite mesuré l’importance des pouvoirs alternatifs. On s’est aligné sur un modèle occidental mur et éprouvé, en négligeant un certain nombre de mécanismes de contrôle indispensables au maintien de l’équilibre. En absence de tribunal militaire, on peut éliminer en toute tranquillité un ministre de la Défense, un colonel ou un général sans crainte de poursuites.
La recherche de compromis lors de la conférence nationale de 1990 a mis sous cloche un ensemble de mécanismes de verrouillage ou de contrôle. A l’instar de l’Afrique du Sud de Mandela, les compromis salvateurs d’hier ont semé les graines d’une profonde déception chez beaucoup de Togolais. Aujourd’hui, les inégalités socio-économiques sont importantes, avec une grande partie de la population marginalisée, sans accès aux ressources de première nécessité ; tous les observateurs s’accordent sur un partage inéquitable des ressources du pays. Les citoyens ont le droit de voter avec un choix théorique entre une centaine de partis, mais ils vivent dans une très grande pauvreté et n’ont aucune capacité de contrôle ou de défense de leurs votes.
Le vrai pouvoir est ailleurs au Togo, et certainement pas entre les mains de sa population.
Si la constitution actuelle était le problème pour un développement socio-économique, nous nous demandons :
- Comment les pays voisins (Bénin – Ghana) ont-ils réussi à l’expérimenter avec succès ?
- Pourquoi ne pas tenter d’appliquer dans son esprit la Constitution de 1992 (la seule passée au référendum) pour en tester les limites ?
- Pourquoi ne pas ouvrir le débat avec l’ensemble des acteurs politiques ?
- Si on veut vraiment changer, pourquoi ne pas envisager une rupture plus radicale, en optant pour un Etat fédéral avec 5 régions autonomes et un gouvernement central tournant ?
Nous assistons ici à un vrai délestage de la pensée dans un pays où certains maîtres estiment, seuls, détenir la lumière et pouvoir l’imposer aux autres. L’Université de Lomé, hier un haut lieu de la réflexion critique, est devenu un sanctuaire de la pensée unique. Cela rappelle étrangement l’histoire tragique du mythe de la caverne chez Platon[9].
Y’a-t-il encore de la lumière dans le temple togolais ?
Bruxelles le 29 avril 2024
[jour de vote – jour de tristesse au Togo]
Ablam AHADJI
[1] Concepts : Nous utiliserons mot « régime » pour nous référer à l’ensemble des dispositions qui caractérisent un mode d’organisation de l’État.
[2] Louis-Jérôme CHAPUISAT, « CONCENTRATION & DÉCONCENTRATION DES POUVOIRS Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 13 avril 2024
[3] In « L’Etat et l’organisation territoriale du Togo » par Yves MARGUERAT
[4] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/01/23/au-togo-deux-journalistes-cibles-par-le-logiciel-espion-pegasus-selon-reporters-sans-frontieres_6212482_3212.html [Consulté le 24 avril 2024]
[5] RPT : Rassemblement du Peuple Togolais : le parti unique créé par Eyadèma Gnassingbé
[6] UFC : Union des forces du changement.
[7] CAR : Comité d’Action pour le Renouveau de Me Y. Agboyibor
[8] CENI : Commission Electorale Nationale Indépendante
[9] https://www.geo.fr/histoire/que-signifie-allegorie-de-la-caverne-selon-platon-la-republique-illusion-verite-218101