LES DOSSIERS

La pluralité des normes et leurs dynamiques en Afrique

Les contributions rassemblées dans ce chapitre traitent de la pluralité des normes de comportement dans les contextes africains et de ses implications, tant sur les dynamiques socio-économiques que sur les politiques publiques qui sont censées les piloter, à partir d’Cléments empiriques issus de domaines fort différents : administration publique, domaine judiciaire, interventions de développement, régulations foncières, agricultures périphériques, aménagement des lotissements urbains, secteur informel.

Nous proposons ici quelques réflexions sur cette question. On rappellera d’abord que le phénomène de pluralité des normes est lui-même l’objet de points de vue normatifs, véhiculés à travers les modes successives qui ont caractérisé les théories‘ du développement et les politiques publiques depuis un demi-siècle, et que la coexistence de normes différentes n’est ni un phénomène particulier à l’Afrique, ni un phénomène spécifiquement contemporain.

On précisera ensuite l’avantage analytique de la notion de pluralité des normes ainsi que les moyens de le valoriser.

On tentera, pour terminer, de tracer quelques lignes de réflexion afin de tirer parti de cette approche, dans la perspective du renouvellement des politiques publiques en Afrique.

La pluralité des normes suscite des points de vue… normatifs

 

Pour y voir un peu plus clair, sans doute convient-il de « faire le ménage » au sein de ce fourre-tout que constitue le « pluralisme des normes ». Cet effort de clarification s’impose d’autant plus que l’énoncé du phénomène s’accompagne généralement d’une évaluation implicite, d’un jugement de valeur. C’est particulièrement vrai aujourd’hui avec les consignes des institutions internationales en matière, par exemple, de bonne gouvernance, de renforcement institutionnel et de démocratisation.

De quels types de normes parle-t-on ? Divers registres d’interprétation sont mobilisés dans les débats qui cherchent à rendre compte de la «  spécificité africaine ».

Parfois, on se réfère aux normes légales ou réglementaires en vigueur. En ce cas, on analyse le degré auquel celles-ci sont respectées : il s’agit alors d’une problématique de l’écart entre le droit et les pratiques usuelles, écart dont on sait l’importance en Afrique.

Parfois, on s’intéresse aux normes professionnelles ou déontologiques censées régler le comportement des acteurs (les fonctionnaires et l’éthique du service public, ‘les médecins et le respect du serment d’Hippocrate, les enseignants et la mise en oeuvre de la vocation pédagogique).

C’est toujours une problématique de l’écart qui régit les analyses en ce domaine : pourquoi les professionnels, formés selon des normes occidentales, sont-ils loin de toujours les respecter dans leur activité professionnelle ?

Dans ces deux cas, l’écart est souvent imputé à une contradiction entre les systèmes de référence normatifs des agents, associée en général à l’opposition entre normes « traditionnelles » et « modernes », et à une problématique normative de 1 ’évolution sociale, renvoyant à l’idée d’une différenciation inachevée des rôles sociaux et des institutions (économiques, sociales, religieuses, etc.) dans les sociétés africaines.

Les modes successives qui ont caractérisé les théories du développement et les politiques publiques ont généralement privilégié ces points de vue évaluatifs, depuis les politiques centralisées de « modernisation » des années 1950 et 1960, jusqu’aux politiques libérales contemporaines de « renforcement institutionnel ».

Parfois cependant, on se réfère simplement à la variété des normes de légitimité ou de légitimation qui règlent les diverses sources de pouvoir et d’autorité, dans une situation de « polycentrisme » dominant. En dépit de l’apparente hégémonie de l’État, le pouvoir étatique est fondé sur bien d’autres sources que le monopole de la contrainte légitime. Malgré l’apparente unité de l’autorité villageoise vis-à-vis de l’extérieur, le «  pouvoir villageois » résulte de compromis entre des foyers d’autorité multiples. En l’occurrence, il s’agit d’une problématique de l’empilement et de la coexistence plus ou moins pacifique de sources variées de légitimité (traditionnelles, néo-traditionnelles, patrimoniales, charismatiques, bureaucratiques, clientélistes, militantes, démocratiques, etc.).

C’est cette dernière acception de la pluralité des normes que nous privilégions. Elle se veut empirique, centrée sur les significations que les acteurs eux-mêmes donnent au phénomène de pluralité des normes, sans préjuger d’un modèle général d’interprétation.

La pluralité des normes est normale

 

L’existence d’une pluralité des normes a souvent été évoquée comme une particularité de l’Afrique contemporaine. Il faut cependant rappeler que, si cette pluralité prend aujourd’hui en Afrique des formes particulières, parfois paroxystiques, la coexistence de normes différentes n’est ni un phénomène spécifiquement africain ni, en Afrique, un phénomène spécifiquement contemporain.

Il reste néanmoins que les sociétés africaines postcoloniales semblent à l’évidence caractérisées par un pluralisme accentué ou particulier, une sorte de « sur-pluralisme »  des normes, où l’on peut sans difficulté reconnaître diverses traces ou divers effets de l’histoire récente du continent. À l’immense variété des situations précoloniales, s’est surajouté un système juridique, administratif et politique très spécifique de la colonisation, puis un État postcolonial modelé, pour partie, sur le système occidental et pour partie sur le système soviétique. Ces États, qui ont successivement connu en quarante ans, partis uniques, régimes militaires et conférences nationales, sont aujourd’hui en crise profonde et en réforme permanente, contrôlant peu ou mal des sociétés au fonctionnement fort éloigné des normes officielles, où de multiples «  normes Informelles »  semblent régler les comportements et, entre autres, permettre la survie.

On ne saurait, cependant, imputer à une prétendue « exception africaine » la coexistence d’une pluralité de normes. C’est un phénomène sociologique à la fois présent dans toute société, mais aussi résultant de trajectoires historiques nationales qui sont toujours particulières.

Portée analytique de la notion de pluralisme des normes

 

Le terme de norme nous semble avoir une qualité principale, il permet d’éviter l’usage des termes « valeur » d’un côté, et « intérêt » de l’autre, autrement dit, il permet de se situer à mi-chemin entre deux points de vue extrêmes, et donc inappropriés, sur le social. Parler en termes de « valeurs », c’est verser dans le culturalisme, qui assigne à un groupe ou à une société un système spécifique de valeurs censé régler les comportements des acteurs. Parler en termes « d’intérêt », c’est opter pour l’individualisme méthodologique et rapporter les comportements des acteurs à une pure rationalité calculatrice individuelle. « Norme », par contre, permet de renvoyer les comportements à des modes de régulation partagés, fortement dépendants des formes locales de la reconnaissance sociale, sans leur imputer une « essence »  particulière.

Mettre en œuvre la notion de pluralisme des normes consiste d’abord à cerner les conditions, qui seraient spécifiques aux sociétés africaines, du phénomène général de pluralité de normes. La notion de pluralité de normes permet aussi de mieux identifier les Situations et de préciser, de manière non normative, les comportements des différents acteurs impliqués dans des situations de coexistence et de confrontation de normes. Cette approche a enfin l’avantage de souligner l’importance des phénomènes de médiation et de considérer d’un point de vue plus pragmatique et réaliste la question de la dynamique des institutions.

Mais pour être validée, la portée analytique de la notion de pluralisme des normes nécessite une bonne connaissance empirique des situations, des contextes, des acteurs et de leurs logiques d’action, des procédures et organisations informelles qui « redoublent » les institutions officielles, ainsi que des aspects différents que recouvre, pour les divers groupes d’acteurs, un même enjeu de politique publique. Dans la mesure où les normes sont largement « informelles », et donc non « lisibles » directement, c’est l’observateur qui doit déduire l’existence de telles ou telles normes : ne risque-t-il pas d’abuser de ce pouvoir et de reproduire des stéréotypes ou verser dans la surinterprétation ? Le principal garde-fou consiste à rester au plus près de la sémiologie populaire des normes, c’est-à-dire des discours et représentations des acteurs à caractère normatif. Il convient de garder à l’esprit cette évidence : la mise en rapport des pratiques avec ces discours et représentations est sans doute le principal outil analytique du pluralisme des normes à notre disposition.

Quelques facteurs généraux de pluralisme des normes en Afrique

 

Le contexte contemporain des sociétés africaines contribue au pluralisme de normes et à la prolifération d’institutions qui ne sont pas « conformes » à la logique « développementaliste »  mais qui régulent, néanmoins, l’essentiel des relations ordinaires entre les agents.

Quatre éléments de ce contexte, au moins, agissent en ce sens :

  • la forte instabilité de 1 ‘environnement économique, social, politique(on pourrait ajouter écologique) : d’où le clientélisme généralisé qui peut être un moyen de réduire l’insécurité et l’instabilité en même temps qu’il contribue à augmenter l’écart entre normes officielles et normes pratiques ;
  • le manque d’alternative à la croissance fondée sur l’exploitation des matières premières : la pluriactivité et la mobilité qui en résultent peuvent jouer dans le sens d’une diversification des normes ;
  • l’accroissement des inégalités et la nécessité, y compris pour les plus défavorisés, de recourir à l’environnement marchand pour accéder au seuil de subsistance (la stratégie de « retrait du marché » s’avérant de plus en plus difficile pour subvenir aux nécessités sociales et économiques) : ainsi devient-il fréquent que, dans les logiques d’action économique, soient combinées une logique de subsistance et une logique marchande ;
  • la très forte implication des institutions internationales et des bailleurs de fonds du Nord dans les politiques publiques, qui leur permet d‘imposer des conditionnalités en matière de politique publique mais aussi de «  développement institutionnel ». Cette ingérence du système international dans les formes nationales d’organisation sociale et politique et dans les enjeux politiques nationaux se traduit par l’injection de consignes, imposées sous contrainte financière, qui ajoute une strate supplémentaire de normes, de règles et d’institutions à la pluralité des normes préexistantes, sans les faire disparaître. Cette situation explique, en particulier, l’existence « d’agendas cachés » de la part des gouvernements, qui doivent en même temps répondre aux conditionnalités externes (en matière de gouvernance, de décentralisation, de démocratisation, de déréglementation) et gérer les conditions de reproduction de leur pouvoir et de leur autorité selon des normes politiques fort différentes.

 

Les formes du pluralisme des normes en Afrique

 

Les études rassemblées dans ce chapitre évoquent toutes, à des degrés divers, un ou plusieurs des trois aspects suivants : l’informalité des normes, leur négociabilité et une « porosité » de la sphère publique liée à la « surpolitisation » des sociétés.

L’informalité

L’importance des normes « non-officielles » va de pair avec la faible capacité de 1’État à produire des règles du jeu acceptées par tous et à les faire respecter. De nombreux espaces sociaux sont ainsi « abandonnés » : soit le système de normes officielles en est absent, soit il n’y a aucune valeur, laissant ainsi la place non à l’anomie mais à d’autres systèmes de normes « de fait? », plus ou moins concurrents, et toujours « informels », au sens qu’a habituellement ce terme. Une conséquence en est cette sorte de schizophrénie de beaucoup d’acteurs, qui naviguent entre d’un côté un système de règles officielles non appliquées ou non applicables, mais censées au moins être la référence dans les rapports avec l’extérieur et les « bailleurs »  et, de l’autre côté, des règles « de fait », elles-mêmes diverses.

La négociabilité

Les normes officielles ou officieuses sont fortement instables, non cristallisées, non stabilisées, malléables. I1 en résulte une importante marge de négociation, et ceci à tous les niveaux, à l’échelle domestique comme à l’échelle villageoise ou à l’échelle des rapports avec l’administration. Que l’on pense à une « institution » d’apparence traditionnelle comme le mariage : tout mariage en Afrique est non seulement une négociation sur le montant des prestations, mais aussi sur les règles et « coutumes » à suivre entre deux familles qui n’ont pas forcément les mêmes référents en ce domaine. En milieu rural, le cas de la transmission des biens, à la suite du décès d’un chef-de famille, est encore plus parlant, en dépit de l’existence de règles « traditionnelles » en apparence très strictes, que l’observateur non averti (ou l’informateur intéressé) présente volontiers comme incontournables.

La « porosité » de la sphère publique et la « surpolitisation[1] » des sociétés

L’informalité et la négociabilité des normes jouent en particulier au sein de la sphère publique et dans les relations entre celle-ci et les multiples sphères d’action qui relèvent de l’initiative des agents privés, qu’ils soient individuels (par exemple les entrepreneurs ou les individus exerçant leurs droits de citoyens) ou collectifs (par exemple les ménages, les communautés villageoises ou les groupements de producteurs). La gestion des affaires publiques, comme le cadre même de l’action publique, est affectée d’un « flou » qui nécessite des ajustements permanents de la part des acteurs. On a ainsi pu parler de la « privatisation de l’État », mais on peut aussi constater une imbrication quotidienne du politique[2] dans les formes d’action privées[3]. À cet égard, on peut prendre au pied de la lettre l’expression populaire, courante en Afrique : « Chacun fait sa politique. »

Au niveau de I’État et de ses agents locaux, on constate l’existence d’un État « à plusieurs vitesses », si l’on peut dire, et à plusieurs normes, avec un double secteur étatique de fait, lui-même associé à une double échelle des salaires. En schématisant, on trouve, d’un côté, un

État officiel, sous-équipé, peu efficace, employant et promouvant, sur des bases clientélistes et sans critère de compétence, des fonctionnaires non motivés et sous-payés, qui complètent leurs revenus par une corruption devenue généralisée. Cet État connaît un écart maximum entre « projets » ou les cellules de ministères en rapport direct avec les institutions « mondialisées ». Ces cellules remplissent de fait diverses fonctions étatiques tout en étant directement dépendantes d’organisations internationales et de bailleurs étrangers, dans des conditions d’équipement abondant ou surabondant, avec une efficience au moins améliorée, des recrutements locaux intégrant un critère de compétence, et des salaires plus en rapport avec les normes internationales (supérieurs de 5 à 10 fois aux salaires de l’État officiel). Dans ces îlots, l’écart entre normes officielles et normes pratiques est plus réduit.

Au niveau des rapports entre les services de l’État et ses usagers locaux, l’ambivalence est également de règle. Aux normes et politiques officielles se superposent d’autres normes et consignes informelles, une « politique publique informelle » en quelque sorte. Cette ambivalence permet à l’État de compenser son faible ancrage dans la société en jouant sur les réseaux clientélistes au sein des arènes politiques locales, mais elle permet aussi aux notables locaux de tirer parti de leur proximité avec les services et agents de l’État pour asseoir leur position dans ces arènes politiques. Un exemple bien connu concerne la politique foncière. La politique officielle, fondée sur le droit positif ou des réformes de la législation, se double de consignes et d’arrangements basés sur des considérations économiques et politiques moins explicites qui peuvent se trouver en contradiction avec la lettre et l’esprit de la loi (d’un côté, « la terre appartient à celui qui la met en valeur », de l’autre, au contraire, circule la consigne de restituer à leurs propriétaires coutumiers les droits fonciers concédés à des « étrangers » aux communautés locales).

Ces différents pluralismes sont à l’origine d’une situation paradoxale de la sphère publique. D’un côté, ils participent d’un cercle vicieux qui contribue au délabrement de l’État officiel. L’incapacité de l’État à impulser, contrôler, organiser, prévoir, distribuer, prélever est particulièrement flagrante au niveau local (un niveau peu connu des experts en administration publique qui circulent en Afrique), et n’est pas sans lien avec la floraison des « projets » en tout genre qui, non seulement contournent I’État, mais concourent à sa perte de légitimité. Le discrédit et l’inefficacité de l’État alimentent la recherche de plus en plus fébrile de projets décentralisés, lesquels à leur tour contribuent encore au discrédit de l’État.

D’un autre côté, l’État ou certains de ses agents ne restent pas inactifs vis-à-vis des consignes internationales qui promeuvent son retrait. En dépit de sa faiblesse, l’État et ses agents demeurent un centre de distribution de pouvoirs et de ressources ; il est en mesure de « récupérer » indirectement certaines politiques qui tendent à l’affaiblir (par exemple dans la mise en Oeuvre des programmes de décentralisation ou de privatisation). En outre, certains fonctionnaires cumulent une position dans l’appareil d’État, dans les systèmes de pouvoir locaux et même dans des projets d’aide extérieure (en tant que « cadres ressortissants » de telle région par exemple). Il en résulte une imbrication bien plus grande qu’on ne l’imagine souvent entre le dispositif étatique et la « société civile » (dont les leaders sont souvent des fonctionnaires ou tiennent leur position grâce à leur proximité avec les services de l’État).

En définitive, la porosité de la sphère publique vis-à-vis des sphères d’activités privées (individuelles ou collectives) n’aboutit pas nécessairement à la dilution de l’État, mais plutôt à la «  surpolitisation des sociétés ». L’affaiblissement de l’État ouvre de multiples champs de compétition où des individus et des acteurs collectifs entrent en concurrence pour investir l’État ou prendre en charge des fonctions auparavant assurées par les pouvoirs publics.

N. Bako-Arifari et P.-Y. Le Meur en donnent plusieurs exemples à l’échelle des interventions de développement. La gestion des friches urbaines qu’analyse A. Yapi-Diahou est également un bon exemple de cette multiplication des « arènes» où l’on peut occuper un rôle susceptible d’être transformé en capital politique. Ces développements ne signifient cependant pas la multiplication de ceux qui tirent profit des compétitions. C’est en effet la capacité à jouer sur plusieurs registres de normes qui donne le plus de chance de réussir dans chaque registre. On ne peut assimiler la prolifération des scènes politiques à une forme d’ouverture indifférenciée des chances.

La perte de légitimité de l’action publique ne correspond pas, en un autre sens, à une simple dilution de l’État. Elle vient aussi de ce que, dans de nombreux pays, les acteurs sociaux ont su développer certaines capacités de délégitimation efficace et définir de nouvelles sources de légitimité sociale ou politique, tandis que, simultanément, les PAS introduisaient une sorte de révolution normative dans les procédures de l’action publique. La délégitimation est à l’œuvre, par exemple (selon Y.Konate), avec les femmes et les jeunes dans la rue au Mali contre le général Moussa Traoré. Des collectifs provisoirement mobilisés ont développé un pouvoir de critique, et parviennent parfois à stabiliser de nouvelles formes de légitimation de l’action. Il s’agit de processus où une capacité critique se transforme parfois en capacité de s’affirmer en quelque sorte comme nouvelle puissance publique relative, légitime dans une sphère de la vie sociale – l’émergence et l’affirmation des ONG et des associations en sont des exemples. Mais la délégitimation renvoie aussi aux violences collectives qu’évoque Y. Konate, qui, dans certains pays, ont même parfois conduit à l’effondrement des normes de vie en commun.

Dans le cas de la sphère publique, les innombrables dysfonctionnements de l’État africain et de ses services sont sans cesse évoqués comme autant d’exemples, voire de causes, du pluralisme des normes. Mais peu d’analyses empiriques s’attaquent véritablement au problème. Les cercles vicieux qui affectent l’action et la légitimité de l’État ne sont pas Véritablement pris en compte par les politiques en quête de « bonne gouvernance », qui semblent se contenter de vouloir prêcher la modification des comportements des agents, en leur demandant de se conformer enfin à des normes officielles, pourtant depuis longtemps déconsidérées. Plus que de rhétorique de la « bonne gouvernance », on a besoin aujourd’hui d’analyses des formes concrètes, à tous les niveaux, de la « gouvernance réelle ».

 

Essai de typologie compréhensive des situations et des médiations

 

Le recours à la notion de pluralisme des normes est utile pour conduire une analyse fine des situations sur lesquelles prétendent intervenir les politiques publiques. cette perspective permet un diagnostic empirique par une approche typologique compréhensive des situations, elle permet aussi d’identifier les procédures et organisations informelles de médiation qui jouent un rôle effectif dans la régulation pratique et non officielle des comportements d’acteurs.

Malgré les particularités des cas et des domaines sectoriels évoqués dans les contributions, les interactions entre systèmes de normes que ces études présentent ne relèvent pas de pures histoires singulières. Elles permettent de différencier des types de situation caractérisés par diverses logiques de confrontation et de négociation entre normes multiples. Ces types ne sont pas exclusifs les uns des autres, et il peut y avoir passage d’un type à l’autre.

Logique d’ignorance

La situation de coexistence de systèmes de normes étrangers l’un à l’autre peut conduire à une logique d’ignorance ou d’évitement réciproques entre ce qu’on pourrait appeler des « niches normatives »  relativement cloisonnées. Les principes déclarés n’ont pas de prise sur les réalités qu’ils prétendent façonner, réguler.

On peut se trouver dans le cas déjà evoqué où les comportements suivent des normes de facto, officieuses, non dites, loin des normes officielles qui sont tout simplement non respectées : l’aménagement urbain (A. Yapi-Diahou), le cas des tribunaux d’association à Abidjan qui se développent à l’kart des tribunaux officiels (Cl. Vidal) ou le phénomène abidjanais des taxis WOYO-WOYO à ses débuts, en totale clandestinité (Y. Konate), sont de cet ordre … Mais on peut aussi évoquer ici, à un tout autre niveau, la non-prise en compte du dispositif étatique national dans la répartition de l’aide décentralisée au développement par les bailleurs de fonds (N. Bako-Arifari et P.-Y. Le Meur).

Une telle situation peut provenir du fait que les dispositifs pratiques permettant de faire appliquer les normes publiques sont inexistants, délabrés ou ne sont pas mobilisés. Ce point est traité dans toutes les communications. Ainsi, A.Yapi-Diahou, dans le cas de la Côte d’Ivoire, montre que la législation foncière urbaine et les normes publiques d’aménagement des lotissements urbains ne sont pas respectées parce que les autorités municipales ne disposent pas des moyens nécessaires au contrôle de leur application, et parce qu’en outre les autorités élues, n’étant pas en mesure de proposer des solutions légales à l’occupation des lotissements, n’ont parfois pas intérêt à affronter les contrevenants. Mais le cas de figure le plus achevé est celui des activités du secteur informel, qui ne visent pas forcément et délibérément à se soustraire aux obligations légales, mais qui sont tout simplement non enregistrées (J. Charmes).

Logique de détournement

Les engagements et obligations suscités par les rapports sociaux priment en intensité et en légitimité sur les fonctions définies par les postes ou les rôles officiels. Ainsi, N. Bako Arifari et P.-Y. Le Meur évoquent l’illusion communautaire de nombre d’ONG (« Les stéréotypes communautaires sont loin d’avoir disparu des esprits des opérateurs du développement »), ils décrivent comment cette illusion, lorsqu’elle guide l’action, s’insère dans les rapports entre les acteurs locaux engagés dans les projets et comment ceux-ci utilisent cette illusion dans le sens des dynamiques préexistantes aux projets. Ils mettent ainsi en évidence la présence fréquente, dans des opérations de développement, d’un « système d’ignorance » excluant les informations qui contrediraient les présupposés des modèles.

Logique de manipulation et d ’instrumentalisation réciproques

Cette logique s’inscrit dans la continuité des deux premières, car les systèmes de normes « officiels » et « officieux » peuvent difficilement demeurer longtemps étanches l’un vis-à-vis de l’autre.

Elle peut se traduire par la banalisation de normes illicites mais bien réelles (production illicite, corruption) comme le rapportent E. Léonard à propos de la culture du cannabis et Y. Konate à propos des taxis woro-woro, lorsque les autorités sont bien obligées de prendre en compte leur présence. Mais cette logique peut aussi se manifester par l’importation volontariste des normes officielles dans des sphères d’activités qui les ignoraient jusque-là, comme le rapporte J. Charmes à propos des tentatives d’enregistrement et de contrôle du secteur informel, au risque évident de briser son dynamisme antérieur.

Cette logique peut aussi aboutir à des dispositifs informels qui combinent, sans forcément les opposer, les différents systèmes de normes. C. Lund montre ainsi que le règlement des litiges fonciers peut s’opérer en recourant à des lieux d’arbitrages variés, chacun doté d’un système de légitimité, d’un système de décision et d’un système de jurisprudence particulier (juge, cadi, chef, sous-préfet, responsable de parti, etc. ). D’autres exemples d’instrumentalisations réciproques, mises en oeuvre par les acteurs eux-mêmes, entre des règles différentes, voire contradictoires, sont présentés dans les contributions : au Cameroun, le recours de certaines populations villageoises à la législation officielle pour combattre les personnes réputées sorcières (CI. Vidal) ; la captation de l’aide des projets par certains acteurs locaux selon des logiques socioéconomiques étrangères aux normes des projets, mais que ces mêmes projets sont obligés de tolérer sous peine de disparaître (N. Bako-Arifari et P.-Y. Le Meur) ; la collusion de fait entre les autorités administratives, les collectivités locales et les entrepreneurs privés ou les usagers pour admettre le non-respect de la législation en matière de gestion urbaine afin de pallier le manque de moyens tout en renforçant les relations clientélistes locales (A. Yapi-Diahou). C’est aussi le cas, au  niveau des normes de production, du phénomène décrit par E. Léonard à propos de la culture du cannabis dans l’Ouest ivoirien. Les relations économiques nécessaires à la production et à la commercialisation du cannabis s’insèrent dans les relations et le système de normes qui régulent la production du cacao. La culture illicite contribue à renforcer un système de normes qui était menacé par l’épuisement de cette zone agricole frontière.

Logique de compétition et d’exclusion

On est alors dans des situations de confrontation conflictuelle entre systèmes de normes, qui peut dégénérer en violence. La diversité des normes fait place à un processus de compétition entre normes, et d’exclusion de groupes sociaux entiers. C’est la situation évoquée par Y. Konate, dans les milieux urbains marginalisés, par C. Lund à propos de certains conflits fonciers au Sahel, et par CI. Vidal dans le cas de la récupération des arbitrages de proximité par un pouvoir politique répressif au Rwanda. L’exclusion d’un système de normes par un autre n’aboutit pas pour autant à l’avènement d’un type stabilisé de régulation de l’accès aux ressources (sociales, foncières, judiciaires.. .), faute de mécanismes négociés et reconnus.

Logique de convergence

Cette situation est aussi intéressante pour notre propos car elle peut tempérer le pessimisme ambiant. Les cas suivants sont particulièrement significatifs :

  • les recours aux tribunaux d’État au Cameroun pour traiter des affaires de sorcellerie, mais, d’une certaine manière aussi, le cas des tribunaux d’association à Abidjan témoignent d’une demande de sécurisation juridique : que soient prises en compte, avec ou sans l’État, des exigences nouvelles de sécurisation dans les rapports sociaux que les normes locales « traditionnelles » ne sont pas en mesure d’assurer (Cl. Vidal) ;
  • l’émergence de (( courtiers en développement )) qui interviennent comme « médiateurs » entre les groupes d’acteurs locaux et les projets de développement, et comme « traducteurs » de normes différentes entre eux – ce qui pose la question de la reconnaissance de leur rôle dans l’élaboration et la mise en oeuvre de ces projets (N. Bako-Arifari et -Y. Le Meur) ;
  • le recours, sinon à la législation officielle, du moins aux agents locaux de 1’État dans les pratiques locales de régulation de conflits ; par exemple l’appel aux services de l’agriculture pour appuyer le règlement d’un différend foncier en dehors des procédures officielles ;
  • inversement, le recours par des instances officielles à des « arrangements », à des normes officieuses, suite à des négociations directes entre groupes en conflit. C’est souvent le cas des sous-préfets, qui doivent assurer localement la « paix sociale » en usant de procédures informelles, faute de procédures officielles adéquates ou C. Lund relate, au Niger, le cas d’un litige foncier traité par le sous-préfet en contradiction avec l’avis d’un chef auquel la loi reconnaît également un pouvoir de juridiction ; des décisions légales sont prises, mais elles ne sont pas pour autant définitives, car au départ du sous-préfet la décision risque d’être remise en cause. C. Lund montre aussi comment un préfet, au Burkina Faso, se sert de la menace d’appliquer la loi foncière officielle pour inciter à un arrangement officieux des propriétaires et des éleveurs en conflit.

Ces exemples montrent que, plus souvent qu’on ne le croit, on constate un recouvrement positif et des médiations opératoires entre dispositif public et stratégies privées. Les pratiques des acteurs instituent alors une « zone intermédiaire » de règles et d’organisations qui correspond

souvent à des « espaces sociaux de proximité » (Cl. Vidal) ou à ce que l’on pourrait appeler des « dispositifs collectifs privés », qui assurent une régulation minimale des comportements et garantissent un minimum de prévisibilité et de durabilité dans les interactions entre acteurs. Les

initiatives, les formules, les normes suscitées par ces dispositifs apportent souvent de meilleures solutions à des problèmes collectifs que les dispositifs publics existants, ou bien elles permettent de trouver des solutions à des problèmes collectifs que les services publics ne traitent pas. CI. Vidal, dans le domaine de la justice, notamment en Côte d’Ivoire, observe des tribunaux d’association fonctionnant de manière entièrement privée : ils jugent d’affaires qui auraient, autrefois en France, relevé de la justice de paix. Y. Konate relate l’histoire des WOYO-WOTO à Abidjan. Ce système illégal de taxis urbains de quartiers a enfreint les règles et les méthodes des transports collectifs urbains, jusqu’alors en vigueur ; il a connu et connaît un succès général car il a donné des moyens adéquats aux besoins de mobilité que crée la vie à Abidjan.

C’est cette zone « intermédiaire » et informelle de régulation qu’il s’agit d’explorer en évitant une interprétation dichotomique de la pluralité des normes, tant entre ce qui relève du « traditionnel » et du « moderne », qu’entre ce qui relève du « public » et du « privé ».

 

Implications pour les politiques publiques

 

On peut dégager des contributions au moins deux sortes d’enseignements pour les politiques publiques : d’une part, l’esquisse d’une méthode, fondée sur des données empiriques intensives, pour identifier et diagnostiquer les processus d’interaction entre actions publiques et acteurs locaux ou privés-; d’autre part, des implications concernant un cadre renouvelé d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques.

La pluralité des nomes comme outil de diagnostic et d’action

La typologie précédente, à condition d’être empiriquement documentée, peut constituer un outil de diagnostic des situations sur lesquelles se proposent d’intervenir les politiques publiques. Ces types de situations à l’interface de systèmes normatifs différents ne sont pas exclusifs les uns de autres et peuvent s’enchaîner dans le cours de l’évolution des contextes et des situations, selon une logique générale « d’empilement » des règles et des institutions. Par ailleurs, les situations de concurrence, de complémentarité et de médiation entre normes ne relèvent pas d’un diagnostic qui s’appliquerait de manière générale. En l’occurrence, ce qui s’impose, ce sont des diagnostics, au pluriel.

Un tel outil peut néanmoins permettre d’identifier des leviers privilégiés d’action :

  • les organisations informelles intermédiaires et les ‘acteurs collectifs émergents qui agissent à des échelles diverses. Ils peuvent différer les uns des autres par leur degré de cohésion et de stabilité, par leur finalité, mais, dans tous les cas, ils produisent et mettent en œuvre des normes dont ils affirment la légitimité collective, parfois même dans la sphère publique (associations, coopératives, amicales, ONG nationales et internationales, organisations religieuses, partis, syndicats, groupes socioprofessionnels, collectivités locales.. .) ;
  • les personnages clés qui jouent le rôle de médiateurs ou de « courtiers » entre des systèmes de normes différents. En général, les groupes d’acteurs qui sont en mesure de contrôler les organisations intermédiaires ont pour particularité de combiner des appartenances multiples : appartenances communautaires locales, fonctions administratives ou politiques, fonctions entrepreneuriales.

On peut alors apprécier la nature et la dynamique de ces organisations et de ces médiateurs.

  • il ne s’agit pas de se contenter « d’être à l’écoute » de la prétendue « société civile » ; les organisations intermédiaires informelles, comme les médiateurs entre les différents systèmes de normes, se situent au contraire sur un continuum entre sphère publique et sphère privée.

En outre, les organisations correspondant à la mise en œuvre de zones intermédiaires de règles et de normes ne doivent pas être confondues avec une action collective de défense d’intérêts communs. Les rapports de force y sont aussi très présents et les « arrangements institutionnels » qui en résultent sont fortement indexés socialement. Ils peuvent conforter et même accentuer les inégalités et les processus d’appauvrissement économiques, mais aussi les inégalités d’accès au capital social et symbolique. Ces arrangements peuvent par exemple refléter le poids prépondérant de catégories sociales particulières, comme les nouveaux notables dans les tribunaux de proximité (Cl. Vidal), les chefs traditionnels ou les politiciens locaux dans les conflits fonciers (C. Lund), les groupes locaux dominants et les « courtiers en développement » dans la vie des projets (N. Bako-Arifari et P.-Y. Le Meur), ou les intérêts électoraux et néo-patrimoniaux des maires de communes urbaines (A. Yapi-Diahou). Les catégories sociales les moins favorisées du point de vue de leur accès au capital social ne bénéficient pas nécessairement des services des organisations intermédiaires ou, au pire, peuvent en être exclues ou n’en tirer que des désavantages (Cl. Vidal, Y. Konate). L’innovation organisationnelle peut donc aussi recouvrir un processus d’exclusion.

Enfin, toutes les organisations intermédiaires locales n’ont pas cette dimension supra-locale qu’il est important d’identifier, au-delà de leur fonction officielle d’être les porte-parole légitimes (ou auto-légitimés) d’intérêts locaux.

Selon l’appréciation de la nature et de la dynamique des organisations intermédiaires, les autorités publiques peuvent faire jouer pleinement le principe de subsidiarité au profit de ces organisations, ou poser des conditions à leur fonctionnement sans pour autant utiliser un arsenal législatif lourd.

Il convient de souligner que la nature, le rôle et la capacité de mobilisation des organisations intermédiaires dépendent des situations nationales, particulièrement du processus de construction de 1’État. La configuration de l’interface entre les dispositifs de règles officielles et les pratiques locales est par exemple bien différente, dans le domaine de la régulation foncière, au Burkina Faso et au Niger (C. Lund) ou, dans le domaine du règlement des conflits de voisinage, en Côte d’Ivoire, au Cameroun et au Rwanda (Cl. Vidal).

L’action publique est une notion générale et abstraite qui prend place traditionnellement dans le cadre étatique national. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, du fait de l’intervention des institutions internationales, de la mondialisation des relations économiques et des lobbies des firmes transnationales. Il reste que le cadre national résiste. Il convient de ne pas négliger, dans le diagnostic des capacités mobilisatrices des organisations intermédiaires, la réactivation des normes nationales, voire nationalitaires ou nationalistes, qui ne sont d’ailleurs pas exclusives des « patriotismes primaires » (régionalistes, ethniques.. .). Les contributions sur les tribunaux d’association et sur les juridictions foncières montrent par exemple la diversité des styles de traitement des conflits locaux ou des interactions entre normes officielles et normes locales selon les pays et les régimes politiques.

Orientations pour l’élaboration d’un cadre cognitif renouvelé de mise en œuvre des politiques publiques

Comme le soulignent N. Bako-Arifari et P.-Y. Le Meur, la question de « l’insécurité institutionnelle » générée par la prolifération de normes pratiques ne concerne pas seulement les agents visés par les politiques publiques mais aussi les « décideurs » de ces politiques. Trois enseignements peuvent être tirés concernant les moyens de gérer l’insécurité institutionnelle sans pour autant tomber dans le réformisme du « développement institutionnel » élevé au rang de consigne générale et abstraite.

  • Façonner à la marge le préexistant plutôt qu’injecter de nouvelles règles ou de nouvelles organisations. Cette approche implique de privilégier l’ancrage des politiques publiques sur les processus et les dispositifs de médiation effectifs avec pour conséquence de ne surestimer ni l’impact de normes universalistes décrétées « par en haut » ni celui de normes particularistes qui entérinent les rapports de force locaux (C. Lund). Dans cette perspective, les contributions appellent reconsidérer les effets tant des « circuits courts » du financement de l’aide décentralisée, qui maintiennent le contrôle des bailleurs de fonds sur toutes les étapes des projets, que les procédures dites participatives qui induisent une prolifération de bureaucraties villageoises qui sont autant d’enjeux incontrôlables dans les arènes politiques locales (N. Bako-Arifari et P.-Y. Le Meur). J. Charmes appelle à la même prudence dans l’intervention sur le secteur informel : toute décision doit prendre en compte simultanément les avantages que ce secteur tire de sa situation de non-enregistrement, et les inconvénients que lui fait subir sa mise à l’écart des avantages consentis au secteur moderne.
  • Reconnaître la dimension politique inhérente aux actions publiques. Plusieurs contributions soulignent l’écart entre l’apparente dépolitisation des projets de développement et des politiques économiques et leurs effets réels en termes de conflits de répartition générés par ces projets et ces politiques (N. Bako-Arifari et P.-Y. Le Meur). Ne pas reconnaître cette dimension conduit à conforter chez les décideurs un « système d’ignorance » (N. Bako-Arifari et P.-Y. Le Meur). Reconnaître la dimension politique peut, par contre, faciliter la « discutabilité » des règles et des normes (Y. Konate) et susciter l’accord sur des « règles secondaires » afin de renégocier les « règles primaires » sur lesquelles se fondent les comportements stratégiques des acteurs (C. Lund).
  • Un dernier point concerne plus particulièrement la contribution de la recherche en sciences sociales à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques. N. Bako-Arifari et P.-Y. Le Meur en rappellent les principaux aspects à propos des implications de la pluralité des normes pour les politiques publiques. Un premier aspect, bien connu, est la mauvaise diffusion auprès des décideurs des résultats de la recherche portant sur ce sujet, notamment sur la connaissance des comportements stratégiques des acteurs individuels et collectifs dans des contextes concrets. Un deuxième aspect, moins souvent souligné, est la faible implication de la recherche sur ces questions dans le suivi et le suivi-évaluation des politiques. Le troisième aspect, rarement explicité mais tout aussi important, est l’insuffisante prise en compte par les décideurs eux-mêmes des difficultés à gérer « l’insécurité institutionnelle »  inhérente à leur propre environnement. A cet égard, la recherche peut contribuer à rendre plus évidentes les limites des politiques qui, prônant la « participation des populations » et le «  renforcement institutionnel local », n’en  continuent pas moins à penser que le développement est affaire de règlement unique, de législation uniforme et de principes universalistes.

Jean-Pierre Chauveau, Marc Le Pape
et Jean-Pierre Olivier de Sardan

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[1] Ce terme est repris de la contribution de N. Bako-Arifari et P.-Y. Le Meur.

[2] Au sens de « compétition pour le pouvoir et l’accès aux ressources stratégiques Rares » qui peuvent être simplement les ressources vitales ou encore les ressources symboliques dont la mobilisation conditionne l’accès aux ressources matérielles.

[3] La libéralisation et le multipartisme, loin de canaliser la compétition politique dans la sphère du débat public, semblent avoir plutôt contribué à diffuser les enjeux partisans dans la sphère de l’action privée. En outre, la culture du parti unique garde de la vigueur et du pouvoir même dans des pays où règne le pluripartisme, comme l’indique Y. Konate dans sa contribution.