INTRODUCTION
« Il est plus juste que la loi gouverne n’importe lequel des citoyens ». Cette assertion du philosophe grec Aristote traduit l’idée selon laquelle aucun individu ne devait être au-dessus des lois, et qu’il appartient à la loi de réglementer aussi bien les actions des citoyens que celles du gouvernement et des gouvernants. Le pouvoir politique, pouvoir suprême, reste soumis aux lois (Droit)[1]. On parle alors d’État de droit. Cette notion poursuivie de nos jours par la majorité des États du monde, surtout ceux dits démocratiques, est intimement liée à d’autres concepts en cours comme la paix et le développement. C’est dans cette lucarne que s’inscrit le sujet objet de notre étude intitulé : « État de droit, paix et développement ».
L’État de droit est employé pour caractériser un pays dont l’ensemble des autorités politiques et administratives, centrales et locales, agit en se conformant effectivement aux règles de droit en vigueur et dans lequel tous les individus bénéficient également de garanties procédurales et de libertés fondamentales[2]. L’État de droit est un concept polysémique, polymorphe et polyvalent. Selon le dictionnaire de droit international public, « l’État de droit est un État dont l’organisation interne est régie par le droit et la justice »[3]. Selon le professeur CHEVALIER Jacques, « trois versions instrumentale, formelle, substantielle dessinent d’emblée plusieurs figures possibles de l’État de droit, à savoir: l’État qui agit au moyen du droit, l’État qui est assujetti au droit, l’État dont le droit comporte certains attributs intrinsèques »[4].
La notion d’État de droit à été forgée à la fin du XIXe siècle dans la doctrine juridique allemande sous le terme de Reechtsstaat puis française avec certains auteurs comme Duguit, Hauriou puis Malberg pour répondre à l’exigence de fondation du droit public, mais aussi pour marquer le passage que connaissait les régimes libéraux dans leur passage à la démocratie. En France comme dans la majeure partie des États africains, la théorie de l’État de droit, s’est construite sur le principe de la souveraineté nationale, selon lequel l’État est l’émanation de la nation et sa personnification juridique.
Malgré l’absence d’une définition internationalement reconnue, on peut d’ores et déjà admettre que la notion d’État de droit repose sur un certain nombre de principes promus dans la plupart des constitutions occidentales comme africaines. Ces principes tiennent à la non-discrimination et l’égalité devant la loi ; la primauté de la constitution ; la hiérarchie des normes et la cohérence du système juridique ; la séparation des pouvoirs entre les autorités législatives exécutives, le respect des droits humains etc.
Devant le phénomène que certains constitutionnalistes[5] appelle « la crise de l’État », qui frappe les nations de l’intérieur et qui trouve sa manifestation la plus flagrante dans les pays africains avec les nombreuses crises et coups d’États, la recherche de la paix et le développement devient une quête impérieuse pour tous. Cette recherche nous amène à nous poser la question suivante : L’État de droit favorise-t-il la paix et le développement ? Autrement dit la paix et le développement d’un État doivent ils reposer sur la soumission de celui-ci au droit ?
Une telle préoccupation qui repose sur la théorie de l’État de droit tant chantée et les concepts de paix et de développement présente des intérêts d’ordre pratique et théorique. Du point de vue pratique, ce sujet permettra aux citoyens de ne plus voir leur désir en une légitime démocratie, un État bienfaisant et pour tous susceptible de freiner leurs réalités quotidiennes que sont : la faim, le manque d’emploi, la pauvreté, et la violence comme une réalité. Pour les gouvernants, un tel sujet pourra permettre d’analyser l’impact du respect des principes d’un État sur la paix et le développement. Du point de vue théorique, cette étude accordera plus de valeur à la notion d’État de droit, qui, loin d’être une simple invention doctrinale, pourrait garantir la paix et le développement d’une Nation soucieuse des valeurs démocratiques.
En d’autres termes, l’étude permettra de voir si les principes et valeurs de tout État de droit peuvent assurer la paix et le développement. En guise de réponse anticipée à notre problématique, il sied de reconnaitre que l’État de droit peut être un outil au service de la paix (I) mais aussi de développement (II).
I – L’ETAT DE DROIT, UN OUTIL AU SERVICE DE LA PAIX
Comme le fait remarquer le professeur CHEVALIER jacques, « L’État de droit repose sur le fétichisme de la règle »[6]. Cette citation, explique que l’État de droit, est un concept qui implique une confiance totale dans la norme juridique. Ce normativisme fait qu’aucune activité du champ social ne saurait échapper au droit. L’État de droit est donc comme le pense les auteurs normativistes[7] , la simple soumission de l’État au droit.
Il va s’en dire que la finalité du droit est la justice et c’est en assurant la justice que l’État peut être un outil réel au service de la paix (A). Cette conception de la soumission de l’État au droit ne rend pas totalement compte du contenu actuel de la notion, qui semble reposer aujourd’hui sur la garantie du respect des droits[8] des citoyens. Ceci nous conduit à considérer qu’un État de droit ne saurait être au service de la paix qu’en garantissant le respect des libertés fondamentales et la sécurité des citoyens (B).
A. La garantie de la paix par l’Etat de droit à travers la justice
L’État de droit se caractérise par une pluralité de fonctions à savoir la fonction législative d’élaboration des règles, la fonction exécutive d’élaboration des ordres et la fonction juridictionnelle de contrôle de la conformité des ordres et des comportements des sujets de droit aux règles[9]. Ce tripartisme de fonction dévolue à tout État de droit, trouve son fondement dans la théorie traditionnelle de la séparation des pouvoirs telle qu’envisagée par le philosophe français Montesquieu dans son célèbre ouvrage De l’esprit des lois. Le pouvoir judiciaire qui est celui qui consiste à rendre la justice entre les citoyens se doit d’être indépendant, pour que règne la paix. En effet, une justice aux ordres ou encore une justice jointe à la puissance exécutrice pourrait avoir la force d’un oppresseur et compromettre le droit de certains justiciables. Surtout lorsque ceux-ci sont des contre-pouvoirs ou des opposants au gouvernement en place. Le juge, en tant que détenteur du pouvoir judiciaire, doit être impartial, neutre et n’obéir qu’à la loi. L’État de droit ne saurait exister si l’on fait face à une justice aux ordres; une telle configuration est non seulement dangereuse pour les citoyens mais ne traduit pas l’idée véritable de l’État de droit.
La paix ainsi recherchée ne saurait se manifester puisque, un tel Etat ferait face toujours à des montées en puissance des populations et à des révoltes. Chaque Nation doit donc, pour éviter un tel chaos, respecter certains standards minimaux pour l’organe judiciaire; par exemple: le fait pour tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale d’être traduit devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi et doit être jugé dans un délai raisonnable ou mis en liberté. Le constituant Ivoirien, soucieux de la place que peut jouer la justice au sein d’un État de droit, a pu prévoir dans les articles 6[10]et 7[11] de la constitution du 8 novembre 2016 un certain nombre de principes tels que :
- le principe de la libre et accès à la justice pour tous,
- le principe d’un procès équitable
- et surtout le principe de la légalité criminelle.
Selon un rapport du secrétaire général de l’ONU, « (..) il n’est possible de consolider la paix dans la période qui suit immédiatement la fin d’un conflit, et de la préserver durablement, que si la population est assurée d’obtenir réparation à travers un système légitime de règlement des différends et d’administration équitable à la justice (…) »[12]. Ce rapport explique clairement que l’État de droit ne peut assurer la paix s’il laisse impuni des faits et violences subies par les populations en temps de crise. Il appartient donc aux organisations de maintien de la paix de désigner les coupables ou de les rechercher après les conflits afin de les sanctionner conformément à la loi.
En plus du fait que c’est par la justice qu’un État de droit peut favoriser la paix, il faut ajouter que l’implication de la justice dans la recherche de la paix doit être contrôlée par des institutions fortes et indépendantes. Autrement dit, le contrôle de la hiérarchie des normes et de la généralisation des règles par un des pouvoirs distincts et indépendants du pouvoir normatif s’avère capital pour parler réellement d’un État de droit. Ce contrôle est assuré généralement par certains organes du pouvoir judiciaire. En droit Ivoirien, cet organe est le conseil constitutionnel. Au sens de l’article 126 de la constitution de 08 novembre, le conseil constitutionnel est impartial et indépendant et constitue l’organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics dont la mission est de vérifier la conformité de la loi à la constitution. A l’instar de la Côte d’ivoire, le Sénégal a aussi un conseil constitutionnel, qui connait exclusivement des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la cour suprême, dans le cas où la solution à un litige est subordonnée à l’appréciation de la conformité des dispositions d’une loi ou d’une stipulation d’un accord international à la constitution[13].
D’autres États préfèrent parler de Cour constitutionnelle (Tchad, Bénin, Mali etc.). Quoiqu’’il en soit, il convient de constater que ce contrôle des règles de droit interne s’est de nos jours internationalisé avec la mise en place de juridictions communautaires comme la CCJA[14], la Cour de justice de l’UEMOA[15], la Cour de justice de la CEDEAO[16], dont l’objectif est d’assurer entre les États membres une justice efficace.
Il existe chez la plupart des magistrats un état d’esprit, fait de crainte et de soumission qui les pousse à anticiper les désirs du chef de l’État et à prendre la décision qu’ils croient être celle qu’attend la présidence. Cette pratique est déplorable et compromet l’idée de l’État de droit qui ne peut, dans ces conditions, assurer efficacement la paix. Plus de trois décennies après les indépendances, on remarque que « l’introduction en Afrique de normes juridiques et d’institutions judiciaires modernes d’inspiration européenne a occasionné une diminution sensible de l’accès à la justice pour la grande majorité des justiciables »[17]. Les causes d’une telle situation tiennent en l’absence d’institutionnalisation du pouvoir et de la différence au niveau de la signification du procès en Europe et en Afrique[18] . en effet, tandis que le demandeur européen se sent heureux d’appuyer sa prétention sur une réglementation préétablie et se satisfait de voir succomber son adversaire, le procès en Afrique est moins l’occasion d’un affrontement entre deux parties qu’un moment de réconciliation. Cependant l’État de droit peut être un outil au service de la paix s’il respecte les libertés fondamentales des citoyens et assure leur sécurité (B).
B. La garantie de la paix par le respect des libertés fondamentales et la sécurité
« Une société connait un État de droit lorsque les rapports entre ses membres sont organisés selon des règles qui définissent les droits de chacun et assurent les garanties nécessaires au respect de ces droits »[19] . C’est sans ambages cette idée qui rend le mieux compte du contenu actuel de la notion, puisqu’elle est enrichie par une autre dimension qui est celle du respect des libertés fondamentales des citoyens.
On ne peut parler de paix si les libertés fondamentales des citoyens sont bafouées par l’État et ne sont pas suffisamment assurées et protégées par la règle de droit.
Le citoyen, considéré comme membre d’un groupement politique que constitue l’État au sens moderne ou démocratique du terme, bénéficie à ce titre de droits dont la protection est garantie par la loi de l’État, dont la norme constitutionnelle est la clé de voûte[20]. Cette idée de protection et de garantie des droits des citoyens se retrouve dans le préambule de maintes constitutions africaines. A cet effet, le constituant ivoirien affirme que : « Nous, peuple de Côte d’ivoire :[…] réaffirmons notre détermination à bâtir un Etat de droit dans lequel les droits de l’homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine […] tels que définis dans les instruments juridiques internationaux auxquels la Côte d’Ivoire est partie […] sont promus, protégés et garantis ».
Dans le même registre, le constituant Béninois, accorde au frontispice de sa constitution le respect des droits fondamentaux. Il affirme aussi solennellement la détermination du peuple par la présente constitution à créer un État de droit et une démocratie pluraliste, dans laquelle les droits fondamentaux de l’homme, la liberté publique, la dignité de la personne humaine etc. sont garantis. A la suite des prescriptions, faites à partir du préambule de la constitution, certains constituants donnent un fondement juridique directement dans le corpus de la constitution[21].
La paix est nécessairement assurée lorsque tous les citoyens sont égaux dans les droits et qu’aucune personne n’est privilégiée ou discriminée en raison de sa race, son ethnie, son clan, sa tribu, de sa couleur de peau, de son sexe, de sa région, de son statut social etc.
En outre, la paix peut régner lorsque toutes les personnes ont droit à des conditions de travail décent et à une rémunération équitable. En effet, un employé mal payé ou exploité ne peut être en paix avec lui même ni avec les autres car toujours tenté à faire des revendications. Les libertés fondamentales des citoyens doivent être exercées dans le respect des lois et des règlements et ne doivent pas porter atteinte ni à l’honneur ou à la considération d’autrui, ni à l’ordre public.
La paix en tant qu’absence de conflit et de guerre, passe par la mise en œuvre d’une politique de sécurité efficace. L’État de droit garantit que la force nationale est utilisée dans l’intérêt du public et que la sécurité individuelle est définie par la loi, ce qui évitera de se faire justice. Toujours sur le plan sécuritaire, il faut noter que certains pays africains, après avoir connus de nombreuses crise post-électorale, se sont engagés dans un processus de réconciliation dans le but d’apaiser les tensions autour de l’accès aux ressources naturelles et aux terres agricoles.
La règle de droit doit défendre la liberté du citoyen, le protéger contre l’administration, respecter l’équilibre entre les intérêts et de ne pas mettre en cause la sauvegarde de l’ordre public[22]. Sur le plan pratique, la question de la garantie des droits ne saurait se limiter au juge[23]. La véritable préoccupation est en réalité celle des institutions et mécanismes qui protègent réellement ces droits. Dans plusieurs Nations africaines, des institutions ont été mises en place pour garantir le respect les libertés fondamentales. Il est fait mention des organisations non gouvernementales, internationales ou non, des autorités administratives indépendantes. C’est le cas de la commission nationale des droits de l’homme[24], des différentes commissions en matière de libertés des presses.
L’État de droit au-delà de la paix qu’elle est censée garantir peut et doit assurer le développement de l’État (II).
II – L’ETAT DE DROIT, UN INSTRUMENT AU SERVICE DU DEVELOPPEMENT
Selon le dictionnaire des noms communs, le développement peut s’entendre comme l’ensemble des différents stades par lesquels passe un organisme, un être pour atteindre la maturité[25]. Rattaché au domaine juridique, le développement doit s’entendre comme l’amélioration qualitative durable d’un État et de son fonctionnement. L’État de droit peut favoriser le développement économique (A) et politique (B) d’un Etat.
A. L’Etat de droit, un instrument de développement économique
Il convient de souligner de prime abord que le développement économique possède plusieurs dimensions et nécessite plusieurs indicateurs de mesure. Les plus usuels sont:
- le PIB par habitant,
- l’indicateur de développement humain
- et l’indicateur de pauvreté humaine.
Le premier (PIB par habitant) permet de mesurer la richesse produite par la nation et par l’individu. Le second quant à lui (indicateur de développement IDH) prend en compte le niveau de vie, l’espérance de vie à la naissance, l’alphabétisation des adultes. Le troisième mesure les privations ou exclusions fondamentales que peuvent supporter une partie de la population.
Le développement économique d’un État se traduit par la hausse du taux d’alphabétisation, du développement du système de santé, la construction d’infrastructures etc.
Les recherches sur le développement économique ont montré que l’État de droit entraine une meilleure croissance économique, une vie publique pacifiée, la réduction des inégalités et de meilleurs résultats en matière de santé et d’éducation. C’est ce qui ressort d’une étude des rapports d’ONG tels que le world justice project (WJP) et vision of humanity et transparency international et du democracy index de the economist intelligence unit. Les institutions financières internationales ainsi que les investisseurs internationaux examinent les normes démocratiques d’un pays avant d’y effectuer des investissements. Dès l’instant où le pays s’écarte de ces normes démocratiques libérales, il est directement sanctionné par une diminution des investissements et du soutien financier accordé à ses entreprises[26].
L’État de droit peut favoriser le développement économique d’une nation par la mise en place de règles juridiques susceptibles de protéger les transactions marchandes, préserver les droits de propriétés intellectuelles et lutter contre la pauvreté. La plupart des États africains ont compris cela et se sont, de ce fait, réunis dans des organisations à caractère économique dans le but de pouvoir trouver des solutions à la pauvreté endémique à laquelle leurs nations font face. Les principes de l’État de droit tels que la lutte contre la corruption, la bonne gouvernance, le droit à l’éducation, le droit à la santé et aux ressources (eau, électricité, terre) peuvent permettre de créer l’égalité des citoyens devant les services publics.
Un État de droit doit être capable de permettre aux populations d’exercer librement leur commerce en conformité aux bonnes mœurs et à l’ordre public. L’État doit veiller à la sécurité de l’épargne, des capitaux et des investissements. Les libertés économiques protègent le droit de propriété et développent la concurrence sur le marché, qui sont des prérequis pour promouvoir la croissance[27].
Dans de nombreux pays, le principe de l’égalité des citoyens constitue une base nécessaire pour aider les pauvres à s’affranchir du cercle vicieux de la pauvreté. La misère pouvant constituer une entrave au développement économique d’un État, il devient impérieux pour tout État de droit de lutter contre elle. Deux moyens selon nous peuvent permettre de lutter contre la pauvreté dans des pays qui disent être des États de droit.
Le premier moyen repose sur la redistribution de la richesse. Cette redistribution qui passe par le prélèvement des impôts et des cotisations permettra à l’État de couvrir les risques sociaux comme la maladie, le chômage et la vieillesse et d’agir sur les inégalités et la pauvreté au nom de la justice sociale.
Le second moyen passe par l’allocation des ressources avec une utilisation raisonnable. L’État de droit doit effectuer des dépenses pour financer ses fonctions régaliennes dans le maintien de l’ordre au plan interne et externe. Il doit produire les biens et services qui sont nécessaire pour la collectivité et hors du champs du secteur privé.
Le développement économique recherché par un État de droit, loin de favoriser la croissance économique, peut engendrer en parallèle d’autres problèmes auxquels devront faire face les États démocratiques. Au titre d’exemples on peut citer:
- la pollution,
- la nuisance,
- la réduction de la biodiversité,
- la déforestation,
- la volonté de produire et de consommer toujours plus.
Ceci peut amener l’humanité dans une impasse. La résolution de ces différents problèmes a conduit à ce qu’on appelle aujourd’hui le développement durable. Cette dernière notion se définit comme un développement qui doit répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Il comporte trois dimensions:
- économique: lutte contre la pauvreté, réduction des déséquilibres régionaux,
- social (protection des droits fondamentaux, promotion de la parité entre les hommes et les femmes)
- et écologique (protection de la biodiversité, promotion des énergies renouvelables).
La Côte d’ivoire qui se veut un État de droit émergent ambitionne être à l’horizon 2040 une puissance technologique par l’accès à l’énergie nucléaire civile et aux énergies renouvelables[28]. Elle deviendra une puissance en matière d’infrastructure par la mise en place de grands projets dans les secteurs ferroviaire, routier, fluvial, portuaire et aéroportuaire, notamment par la couverture du territoire en routes bitumées praticables en toute saison et en routes internationales reliant e pays à sa sous-région.
L’État de droit, en plus d’être un outil au service du développement économique, peut être un moteur du développement politique (B).
B. L’Etat de droit, un instrument de développement politique
Traiter de l’État de droit en tant qu’instrument pouvant entrainer un développement politique, consiste pour nous à y retrouver un moyen de réaliser la démocratie. Du côté des occidentaux, l’État de droit constitue la pierre angulaire du discours politique et même de l’action politique. Depuis les années 1990 l’aide accordée aux pays en voie de développement est liée aux efforts de démocratisation.
Jusqu’à une époque récente, la tyrannie de certains dirigeants sur le continent africain suscitaient des contestations avec de nombreux cas de récupération. Certains intellectuels africains opposés à l’autoritarisme militèrent pour l’instauration de l’État de droit. Parmi les fervents élites, on peut citer le professeur Maurice KANTO pour qui il était nécessaire que « l’on puisse passer de l’État postcolonial de nature néo patrimoniale, c’est à dire autoritaire voire absolutiste, clientéliste, à l’État de droit moderne, républicain et démocratique »[29]. La notion d’État de droit semble aujourd’hui s’accommoder avec le système de la démocratie dont la plupart des constituants africains font un élément fondamental [30]. L’État de droit fait partie du discours programmatique et officiel des dirigeants africains. La raison est que l’aide budgétaire de l’occident, souvent vitale pour la survie du régime est étroitement liée à sa progression.
Pour favoriser le développement de la politique, surtout dans nos pays africains, il est important que certaines valeurs comme la bonne gouvernance, la transparence du gouvernement soient observées et que des comportements comme la corruption et le tripatouillage des constitutions soient bannis. Cette dernière constitue l’une des entraves à la mise en œuvre effective de l’État de droit au sein de nos pays. En effet, il est prévu dans les constitutions des États africains la limitation des mandats. Force est malheureusement de constater que la plupart des dirigeants refusent une fois au pouvoir de passer leur tour. A quelques exceptions près, la durée du mandat présidentiel ne peut excéder 5 ans, suivant une tendance générale. Au surplus le nombre de mandat est limité à deux dans plusieurs constitutions[31]. Il y a quelques exceptions en Afrique avec quelques chefs d’États qui se sont volontairement retirés du pouvoir. Il en est ainsi du président JOHN KUFOR en décembre 2008, du Nigérian OLESEGUN OBASANDJO en 2007, du malien ALPHAR OMAR KONARE en 2000. Ces transitions démocratiques du pouvoir politique ont permis de ranger aux oubliettes des régimes autrefois autoritaires et solides pour laisser place à un système multi partisan.
Si l’attitude de ces personnalités devait inspirer ceux actuellement au pouvoir, la réalité est bien souvent différente, puisque certains chefs d’État, pour conforter leur soif et leur avidité du pouvoir, n’hésitent pas à fustiger les opposants politiques et les contre-pouvoirs (la société civile). Or, il est tout à fait évident que l’une des vertus cardinales de la démocratie réside dans l’admission et le respect de l’opposition. Le jeu de la liberté et de la souveraineté conférée aux peuples dans une démocratie doit conduire à la diversité des opinions à propos de la gestion des affaires publiques. L’opposition offre aux citoyens une alternative à la politique définie et appliquée par le régime politique en place[32]. Certains constituants ont bien compris cela au point de reconnaitre à l’opposition, un statut formel[33] ce qui a pour avantage d’assurer la représentation et l’expression de l’opposition dans les instances.
La société civile peut alors jouer le rôle de sentinelle de la démocratie dans une société de droit. Elle a pour objectif de contribuer à la promotion de tous les tissus de la société et au renforcement de la démocratie. Le constituant ivoirien semble bien traduire cette idée lorsqu’il dispose à l’article 26 de la constitution que : « la société civile est une des composantes de l’expression de la démocratie. Elle contribue au développement économique, social et culturel de la nation ».
L’encadrement juridique du pouvoir dans le but de parvenir à un État de droit réel suppose le rejet de la violence comme mode de gouvernement et le bannissement des coups d’État comme mode de dévolution du pouvoir.
L’esprit démocratique fait appel à un sens accru de la responsabilité politique[34]. Ce faisant, les organes ne sont constitués que par une élection et ne saurait relever d’un privilège individuel. Les conceptions ancestrales du pouvoir ne sauraient être admises même si cela est visible encore aujourd’hui dans certains pays. Citons le cas du Cameroun, où depuis 40 ans, règne le président Paul Biya ; la Guinée équatorial où règne depuis 1979, soit 44 ans le président OBIANG Theodoro. Une telle attitude de certains dirigeants qui n’a rien de démocratique est ce qui conduit certaines juntes à envisager un coup d’Etat militaire. En témoigne, le cas du colonel Wanké au Niger en 1997, du général Toumani Touré au Mali en 1991, du général Aboubakar au Nigéria en 1999.
De telle situation peuvent être évitée si l’on s’en tient aux textes de lois et en particulier la constitution considérée comme la « suprême Law », c’est à dire la loi des lois. Certains États africains en ont montré l’exemple. Pour preuve, nous pouvons évoquer le cas du Niger avec la succession au pouvoir de Ali Saibou par Mahamane Ousmane en 1993 : le cas du Ghana en 2009, John Atta Mills, candidat de l’opposition politique, a remporté le scrutin démocratiquement face au candidat du parti au pouvoir, Nana Akufo ADDO ; Au Cap vert, Aristide Perreira a été battu par MASCARENS en 1989, mettant fin à seize années de monopole politique du GAIGC qui avait arraché l’indépendance en 1975 au colonisateur portugais par la lutte armée. Devant tout cela, l’on doit reconnaitre tout de même qu’exclure un pays d’un régime dictatorial et autoritaire ne signifie pas bannir l’autoritarisme pour de bon dans le pays.
CONCLUSION
Au regard de ce qui précède, il convient de retenir que notre analyse portant sur l’État de droit, paix et développement a permis de mettre en lumière la manière dont ce concept peut et doit favoriser la paix et le développement en général, mais surtout dans nos pays africains.
Le concept d’État de droit, aujourd’hui devenu le leitmotiv de tous les États qui se veulent démocratiques trouve un écho favorable dans les Nations au sein desquelles le processus d’institutionnalisation du pouvoir est pratiquement achevé. Apparu dans les États européens à une époque où les gouvernants n’étaient plus des propriétaires du pouvoir mais tout simplement les titulaires d’une fonction, la notion d’État de droit en tant qu’instrument intellectuel est revendiquée par les pays en voie de développement et surtout en Afrique, qui se doivent, avec cette ambition, de respecter les valeurs de paix et de développement contenu dans le projet. Pour y parvenir nous pensons qu’un certain nombre de principes doivent être pris en compte.
Dans un premier temps, les africains doivent veiller à l’instauration d’une culture de débat, de réflexion sur l’État de droit, l’éthique et la bonne gouvernance. En effet, un leadership visionnaire et des institutions fortes sont les moyens les plus sûrs pour parvenir à la croissance économique et un développement véritable. Ce faisant, ils doivent doter nos institutions judiciaires, souvent source de différend entre les acteurs politiques, de véritables pouvoir d’indépendance et non d’une indépendance purement théorique. La justice représente un maillon essentiel dans le processus de pacification et de développement de tout État; l’absence de séparation de pouvoir engendre une sorte d’arbitraire dans lequel seul le chef de l’État concentre tous les pouvoirs et décide du sort de chaque citoyen. Les constitutions africaines doivent veiller à l’assouplissement ou à la réduction des pouvoirs des chefs d’États qui, pour la plupart, apparaissent comme des « super-hommes ». Ces dix dernières années, le déclin de l’État de droit s’est manifesté par des prises de pouvoir militaire récurrentes. Ces coups d’État sont généralement expliqués par la mauvaise gestion de l’économie, la corruption et le faible niveau de développement des pays touchés. Les retournements démocratiques mettent ainsi en évidence la fragilité des États africains. La société civile doit elle aussi jouer son rôle dans la prise de décision collective. À leur côté, l’on doit confirmer les pouvoirs des autorités traditionnelles qui passent dans l’oubli dans la prise de décisions importantes. L’on doit à ce niveau féliciter la côte d’ivoire qui a mis en place au titre des institutions de l’État, la chambre des rois et chefs traditionnels dont le rôle est d’être les garants des us et coutumes et de valoriser des idéaux de paix et de développement.
Dans un second temps, chaque dirigeant africain doit, dans son programme de développement, lutter contre le tribalisme et éviter des attitudes de haine. Malheureusement nous constatons que les nombreuses crises que connait l’Afrique ont souvent des origines tribales, ethniques, traduisant ainsi la fragilité de nos États. Fort de cette fragilité, nous pensons que chaque africain, quel que soit la place ou la fonction qu’il occupe dans son pays, doit s’auto-discipliner en ayant à l’esprit les valeurs de solidarité, de patriotisme et de respect des différences. De ce fait, il serait plus aisé pour l’Afrique d’accéder au concept d’État-nation.
Enfin, il est important d’éviter l’instrumentalisation de la nationalité et de l’identité dans la construction de la nation. Dans certains pays comme la côte d’ivoire ayant connu des crises fondées sur la nationalité, les tribus, l’ethnie, nous recommandons que l’on fasse la promotion d’une vision inclusive afin de faire de ce pays un véritable État de droit.
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Notes
[1] MELEDJE DJEDJERO (F.), Droit constitutionnel, Côte d’Ivoire, les éditions ABC, 2017, p. 72.
[2] GUINCHARD (S.) et DEBARD (T.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 2014, p.398.
[3] SALMON (J.), Dictionnaire de droit international public, Paris, Bruylant, 2001.
[4] CHEVALIER (J.) cité par E. David, « conclusions générales », l’Etat de droit en droit international, colloque SFDI de Bruxelles, 2009, ed., Pédone, p.436.
[5] Voir en ce sens, TURPIN (D.), Droit constitutionnel, Paris, PUF, 2007, p.34. V. aussi MELEDJE DJEDJERO, op.cit., p. 103 et 105.
[6] CHEVALIER (J.), « L’Etat de droit », RDP, 1988, p.393.
[7] L’un des auteurs phares de la pensée normativiste est le juriste austro-américain HANS KELSEN (1881-1973). Pour celui ci dès qu’il existe un ordre juridique bien structuré, on est en présence d’un Etat de droit, dans la relation Etat-droit, le dernier prime sur le premier car il lui préexiste. C’est le droit qui codifie la création des Etats, les dote de la personnalité juridique et leur donne le moyen de fonctionner.
[8] LUISIN (B.), « Le mythe de l’Etat de droit », civitas Europa, 2016/2, n°37, pp. 155 à 182.
[9] GODEFRIDI DRIEU, « Etat de droit, liberté et démocratie », politique et société, 2004, p. 154
[10] Selon l’article 6 de la constitution ivoirienne de 2016 « le droit de toute personne à un libre et égal accès à la justice est protégé et garanti. Toute personne à droit à un procès équitable et à un jugement rendu dans un délai raisonnable déterminé par la loi. L’Etat favorise le développement d’une justice de proximité ».
[11] Selon l’article 7 al. 1 de la constitution Ivoirienne « Nul ne peut être poursuivi, arrêté, gardé à vue, inculpé qu’en vertu d’une loi promulguée antérieurement aux faits qui lui sont reprochés ».
[12] Rapport du secrétaire général de l’ONU, rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, 23 août 2004, S/2004/616, p.5.
[13] MAMADOU BADIO, « L’Etat de droit au Sénégal », allocution organisée par WORLDS JUSTICE PROJECT à Dakar du 10 au 12 mars 2015, p.3.
[14] Ce sigle désigne la cour commune de justice et d’arbitrage, son siège est à Abidjan en Côte d’ivoire
[15] Ce sigle signifie union économique et monétaire Ouest africaine. Le siège de la Cour de justice de l’UEMOA est à Ouagadougou au Burkina Faso.
[16] La CEDEAO signifie communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, le siège de la cour de justice est à ABUJA au Nigéria.
[17] REYNTJENS (F.), « le gacaca ou la justice du gazon au Rwanda », in Politique africaine, 1990, p.40.
[18] MOYRAND (A.), « Réflexion sur l’introduction de l’Etat de droit en Afrique noire francophone », revue internationale de droit comparé, 1991, p.875.
[19] STIRN (B.), Les sources constitutionnelles du droit administratif, LGDJ, 1995, 2éd., p.13.
[20] ZOKO NKADA, « le nouveau constitutionnalisme africain et la garantie des droits socioculturels des citoyens : cas du Cameroun et du Sénégal », revue française de droit constitutionnel, 2012/4, n°92, pp. 1 à 17.
[21] C’est le cas de la constitution de la Côte d’ivoire qui consacre le titre 1 aux droits, libertés et des devoirs ; voir aussi le titre 1 de la loi n°002/97/DDF du 27 janvier 1997 portant constitution du Burkina Faso.
[22] MAMADOU BADIO, op.cit., p.8
[23] KEUDJEU DE KEUDJEU, « l’effectivité de la protection des droits fondamentaux en Afrique subsaharienne francophone », sciences juridiques et politiques, 2016, p. 109
[24] Au Cameroun avec la loi n°2004/016 du 22 juillet 2004 portant création, organisation et fonctionnement des droits de l’homme et des libertés ; V. aussi le titre XV, constitution de la IVe république du Togo (31 décembre 2002)
[25] Le Larousse des noms communs, 2008, p. 985.
[26] EVA Assouline, Analyse : L’Etat de droit est vital pour le développement économique du pays !, https://www.i4news.tc/fr/actu/analyse/1674486285-L-etat-de-droit-est-vital-pour-le-developpement-economique-du-pays, consulté le 11 février 2023 à 15hr 54 .
[27] Makrem Ben Doudou, « Démocratie, stabilité politique et croissance économique : Estimation à partir d’un modèle en panel dynamique », l’actualité économique, 2018, vol.94, p.57.
[28] V. le cadre de coopération des nations unies pour le développement durable, octobre 2020, p.1.
[29] KANTO (M.), pouvoir et droit en Afrique : Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats d’Afrique noire francophone, LGDJ, 1987, p.499 et 500.
[30] Dans le préambule de certains Etats africains, ceux-ci rappellent leur adhésion à être des Etats de droit et affirme dans le corpus de leur constitution être des Etats démocratiques. Voir en ce sens l’article 49 de la constitution Ivoirienne.
[31] Voir article 55 constitution ivoirienne du 8 novembre 2016.
[32] BABACAR GUEYE, « la démocratie en Afrique : succès et résistances », pouvoirs, 2009/2, n°129, pp. 5 à 26.
[33] Article 58 de la constitution du Sénégal ; v. aussi la loi 07/008 du 4 décembre 2007 portant statut de l’opposition ; ordonnance 99-60 du 20 décembre 1999 portant statut de l’opposition au Niger.
[34] LOSSENI CISSE, La problématique de l’Etat de Droit en Afrique de l’Ouest : Analyse comparée de la situation de la Côte d’Ivoire, de la Mauritanie, du Libéria et de la Sierra Leonne, thèse, droit, université de Paris XII VAL DE MARNE, 2009, p.32.