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Europe – Afrique : Sortir du Désert de Shour

Usure annoncée des relations avec des méthodes obsolètes:

Comment sortir de Shour?[1]

À la fin des années 90, nous écrivions à Louis Michel[2], alors perçu comme l’évangéliste de la politique africaine de l’Europe, pour l’alerter sur le glissement progressif et la chute annoncée de l’institution en Afrique. Son secrétariat nous a poliment répondu de passer par le bureau de recrutement du Selor[3] pour postuler à une position au sein de son cabinet ; on supposait alors que le migrant (certainement au chômage) avait simplement besoin d’assistance et d’appui. Près de 30 ans plus tard, Michel reste une référence, ses méthodes étant toujours perçues comme des évangiles pour l’Union européenne, tout comme St Foccart pour la France.

Pendant ce temps, l’Europe, autrefois partenaire stratégique et influent en Afrique, perd progressivement son attrait. Cette érosion est due à une confluence de facteurs économiques, politiques et culturels, marquant une transition géopolitique majeure. Les implications sont profondes pour les deux continents. Nous nous attarderons ici sur un aspect particulier : l’usure de la méthode.

L’Europe en 2024 – Le livre de l’Exode

En juillet 2024, nous lisons sur Twitter une invitation à un formulaire Google, de la part de l’ambassadeur de l’UE auprès de la République togolaise : « Êtes-vous une organisation de la société civile togolaise ? L’Équipe Europe a lancé une cartographie des OSC du Togo afin de renforcer les dialogues sectoriels et mieux cibler ses appuis. Toutes les OSC togolaises sont invitées à participer… ». Le Twiteur, avec une fin de carrière proche, est un digne représentant de la confrérie de Saint Michel.

Nous sommes vraiment curieux de la qualité des réponses à un tel appel. Sur la forme, nous lisons déjà des observations sur la question de la protection des données privées dans le recours à un outil externe comme Google. Concernant le fond, le mot clef reste (toujours le même) : L’APPUI. L’abordage suppose encore et toujours un besoin d’assistance. Les associations seront nombreuses, celles qui verront dans cet appel une distribution de cailles et de pain. Lire Exode 16, 9-15[4] lorsque Moïse dit à Aaron : « Ordonne à toute la communauté des fils d’Israël : “Présentez-vous devant le Seigneur, car il a entendu vos murmures. »

En approchant sur le sujet des OSC regroupant des universitaires au Togo, nous avons reçu chez Afrology la réponse suivante : « Demandez-lui de nous envoyer d’abord la cartographie des OSC européennes pour envisager un partenariat direct avec ces dernières »… Le mendiant d’hier est fatigué de croquer la pomme par le serpent tendue.

Europe – Afrique : La longue traversée du désert

Les mécanismes de coopération entre l’Europe et l’Afrique sont basés sur des modèles hérités de l’époque coloniale, où les relations étaient asymétriques. Ces modèles mettent en avant une aide conditionnelle, souvent assortie de normes dictées par les priorités européennes plutôt que par les besoins locaux, créant une dynamique de dépendance et réduisant la capacité des pays africains à élaborer leurs propres stratégies de développement.

Les OSC africaines ont quant à elles souvent souffert de l’absence de réaction et du déficit de compassion de la part de l’Europe. Cette dernière a, en retour, encouragé, en période de crise, des alliances contre nature entre des acteurs politiques pour un apaisement de façade. St Michel et l’UE ont imposé à l’Afrique des concepts tels que le « Gouvernement d’Union Nationale »[5] (GUN). Les OSC africaines ont tellement reçu de gifles qu’elles en ont perdu des dents. Hier à l’Afrique on recommandait ces mariages contre nature après des élections trafiquées ; aujourd’hui, la France peine à former un gouvernement après des élections à peine moins claires. Et pourquoi pas un gouvernement d’Union Nationale avec tous les extrêmes et ultra ?

Si l’Afrique doit s’aligner sur des normes spécifiques (GUN ou autre), pourquoi les soumettre d’un autre côté à la lourdeur bureaucratique et aux normes, conditions et procédures européennes ?

St Mathieu : Faites ce que je dis, pas ce que je fais…

L’Europe applique des méthodes très différentes en Afrique et en Europe, soutenant le rapatriement de la production sur son sol (surtout depuis la crise COVID), tout en poussant l’Afrique à signer des accords bilatéraux bancals.

En France, il semble impossible de dialoguer avec les partis qualifiés d’ultra. En Ukraine, l’Europe refuse de tendre l’autre joue et d’accepter un gouvernement d’Union avec les extrêmes. Pourquoi continue-t-on à se battre en Palestine ou en Ukraine avec des armes européennes si la technique de la seconde joue était la meilleure ?

Concernant l’Afrique, les procédures européennes sont marquées par une bureaucratie lourde, retardant la mise en œuvre des initiatives et décourageant l’innovation ; Louis Michel mettra en place son évangile obscur appelé APE[6] (Accords de Partenariats Economiques) resté une sorte de négociation interne à l’UE avec certains gouvernements du Sud. Politiquement, l’Europe est alors perçue comme un soutien des potentats locaux, ce qui complique encore sa position. St Michel vient négocier des accords imparfaits et des partenariats avec des Etats (contestés) pour ensuite faire appel à une collaboration avec des OSC (contestataires).

Mais pendant qu’elle impose et conditionne son aide vers le Sud, elle  assouplit les mesures, pour cause de guerre, nous dira-t-on. A coup de suppression de frais de douanes et d’allègement des conditions, on importe en masse depuis les pays en crise [7]. Fermant les yeux sur les normes et procédures, on exporte et on envoie des aides sans devoir identifier des OSC, sans APE. Et tout se passe comme si le Soudan et le Congo n’étaient pas en guerre…

Les Racines du Mal : Livre de la Genèse 1:28

« Dieu les bénit, et IL leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre ». Tout le monde sait que le Noir est un animal.

La relation Europe-Afrique est marquée par l’esclavage et la colonisation, suivie par une période de décolonisation non achevée. Les politiques de coopération européenne, souvent perçues comme paternalistes, ont suscité des ressentiments. L’absence de renouvellement des procédures de coopération freine les progrès et perturbe les équilibres historiques. Les mêmes acteurs usés continuent de suivre un ancien testament légèrement revisité.

Certains gourous illuminés vont reprocher à l’Afrique de trop pleurer sur son passé ; on nous dira qu’il faut tourner la page de l’esclavage et de la colonisation pendant que des Etats comme Haïti payent encore le prix de leur libération et lorsque les pays africains ont toujours mal dans leurs frontières artificielles.

L’Europe n’assume pas ses erreurs et les abus du passé; ses promesses de développement et d’aide sont trop souvent entachées par une exécution inefficace, des convictions basées sur une histoire passée et parfois biaisée ainsi que cette certitude d’être le dominant dans un rapport constant de maître/esclave. Il ne manque pourtant pas d’alternatives :

  1. Dans une relation ordinaire de coopération, l’Europe aurait renforcé sa collaboration avec les organisations occidentales pour les financer dans leur travail avec les OSC du partenaire africain.
  2. Si la collaboration était franche et honnête, l’Europe aurait, par la voix de son représentant, sollicité des autorités locales, avec lesquelles elle commerce, la fameuse cartographie des OSC.
  3. Pour une approche plus scientifique, on aurait pu faire appel à un institut de recherche ou un cabinet partenaire pour une étude sur la question.

 

Les 7 plaies de l’Europe et la montée en puissance de nouveaux acteurs

Jusque dans les années 1990, l’Europe a toujours fait face, seule, à deux acteurs sur le terrain : un groupe de dirigeants corrompus (Le pouvoir – La bourgeoisie) et une population exploitée (Les Opposants – Le prolétariat). On collabore avec ce pouvoir pour dominer la scène locale ; on utilise la population comme contrepoids quand l’Europe commence à perdre pied ; le pouvoir plie[8]. Après les années 2000, on a fait évoluer le modèle avec un troisième acteur : la société civile (un nouveau syndicat est né).

Mais la scène africaine se transforme aujourd’hui en un théâtre de compétition encore plus complexe. La Chine[9], en particulier, a gagné en influence avec ses prêts sans conditions politiques et ses investissements dans les infrastructures. La Russie, l’Inde, la Turquie et les pays du Golfe ont également accru leur présence, offrant des alternatives aux partenariats européens. L’Afrique commence à envisager une coopération régionale (hors APE).

Cet affaiblissement progressif de l’influence européenne en Afrique a plusieurs conséquences. Économiquement, l’Europe risque de perdre des opportunités commerciales et d’investissement. Politiquement, une Afrique moins alignée sur les positions européennes pourrait réduire l’influence de l’Europe dans les instances internationales et compliquer la coopération en matière de sécurité.

Conclusion : Rédiger un nouveau testament

Pour inverser cette tendance, l’Europe doit repenser sa stratégie avec l’Afrique, passant d’un modèle d’aide conditionnelle à un partenariat véritablement équitable. Cela implique des investissements mutuellement bénéfiques, le renforcement des capacités locales et un respect accru des aspirations africaines.

La perte d’influence de l’Europe en Afrique est un signal d’alarme ; St Michel et St Foccart ne font plus recette. L’Europe devrait intensifier ses efforts en matière de diplomatie économique et culturelle, en engageant particulièrement la jeunesse et la diaspora africaines. En adoptant une approche collaborative et respectueuse, l’Europe peut encore regagner du terrain et construire un avenir commun basé sur des valeurs partagées et des intérêts réciproques. L’heure est à l’action et à l’innovation diplomatique pour transformer ce défi en une opportunité de renouveau.

Il est un fait constant dans ce mépris de l’Europe et de l’Occident envers les populations du Sud : il existe aujourd’hui des OSC d’africains basées sur le sol européen ; ces dernières sont rarement associées auxdits projets d’APPUI. Imaginons un instant une institution régionale en Afrique [La CEDEAO -lol-] écrire sur Twitter un appel aux OSC allemandes, sans passer par leurs représentations locales.

Selon certains chercheurs, il se serait écoulé 13 ou 15 siècles entre Moïse et Jésus. La Bible ne parle pas de cette période floue entre les deux révolutions. Le champs reste donc libre ; la loi du talion d’application ; le temps peut-être pour l’Afrique de rédiger elle aussi SA Bible avec les évangiles selon St Sankara, St Lumumba,  St N’Krumah. Mais ne faut-il pas commencer à se trouver un nouveau messie ? Владимир Путин? Et pourquoi pas alors une bible orthodoxe ?

Bruxelles, le 28 juillet 2024

Ablam Ahadji

Notes

[1] Sortie de l’Egypte : Moïse fit partir les fils d’Israël de la mer des Roseaux, et ils sortirent en direction du désert de Shour.

[2] Louis Michel est un homme d’État belge francophone membre du Mouvement réformateur (MR), né le 2 septembre 1947 à Tirlemont (province de Brabant). Il est ministre des Affaires étrangères entre 1999 et 2004, puis commissaire européen jusqu’en 2009.

[3] Bureau de recrutement du gouvernement fédéral belge.

[4] Exode 16, 9-15 – Ancien Testament : Distribution de manne et de cailles

[5] Un gouvernement d’union nationale, ou gouvernement d’unité nationale, est un gouvernement constitué de tous les principaux partis politiques ou coalitions politiques représentées dans un parlement, sur la base d’un projet politique promettant un compromis entre les leurs.

[6] Les accords de partenariat économique (APE) sont des accords commerciaux et de développement négociés entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). [Lien]

[7] Les Etats de l’UE et les eurodéputés se sont accordés le 8 avril 2024 pour reconduire l’exemption de droits de douane sur les importations agricoles. L’accord a été approuvé formellement dans la soirée par les ambassadeurs des Vingt-Sept. Il reconduit à partir du 6 juin, pour un an, cette exemption tarifaire accordée au pays en guerre, depuis le 24 février 2022.

[8] Discours (chantage) de la Baule : Les passages clé du discours relient l’aide publique importante en pleine crise de la dette à une « démocratisation » par un passage au « multipartisme ».

[9] Les projets tels que l’Initiative de la Ceinture et de la Route (Belt and Road Initiative) ont permis à la Chine de s’installer comme un partenaire indispensable pour de nombreux pays africains, apportant des ressources financières considérables et une expertise en développement infrastructurel que l’Europe peine à égaler.