LES DOSSIERS

Cesaria Evora

La voix d’or du Cap-Vert s’est éteinte ( 1941- 2011)

Repousa en pax querida diva
Repose en paix chère Diva!

Cesaria Evora, la célèbre chanteuse capverdienne connue dans le monde entier a tiré sa dernière révérence, ce samedi 17 décembre 2011. Hospitalisée vendredi à la clinique Baptista de Sousa, la voix d’or de la musique capverdienne est décédée à l’âge de 70 ans dans sa ville natale, Mindelo, île de São Vicente. Selon le directeur de la clinique, Alcides Goncalves, elle se serait éteinte des suites d’une tension cardiaque élevée, d’un affaiblissement du cœur et d’une insuffisance respiratoire.

Très affaiblie ces derniers mois, Cesaria Evora avait été contrainte de mettre fin à sa carrière au mois de septembre. Elle a fait ses adieux au public en ces termes:
« Je n’ai pas de force, pas d’énergie. Je veux que vous disiez à mes fans: excusez-moi, mais maintenant, je dois me reposer. Je regrette infiniment de devoir m’absenter pour cause de maladie, j’aurais voulu donner encore du plaisir à ceux qui m’ont suivie depuis si longtemps ».

Cesaria avait subi auparavant plusieurs interventions chirurgicales ces dernières années, dont une opération à cœur ouvert, en mai 2010. Son décès a été officiellement annoncé à Praia par le ministre de la culture du Cap-Vert, Mario Lucio Sousa. La nouvelle de son décès a provoqué une vague de sympathie à travers le monde. L’artiste avait su toucher le cœur de ses nombreux fans avec sa voix chaude, rauque et ensorcelante.

Biographie

Cesaria Evora est née le 27 août 1941 à Mindelo. Issue d’une famille de musiciens, elle chante avec ses cinq frères et sœurs. Son père est joueur de « cavaquinhos » (petite guitare) et sa mère est cuisinière. Elle est âgée de sept ans quand son père meurt. Sa mère, a du mal à élever ses enfants et elle envoie Césaria d’abord chez sa grand-mère et ensuite elle la place dans un orphelinat de religieuses. C’est là qu’elle découvre sa passion pour le chant en étant membre de la chorale. A 16 ans, elle chante dans les bars et dans les rues de sa ville pour quelques escudos. L’ancien président du Cap-Vert, Mario Soares, l’invite souvent durant cette période à chanter dans les locaux de son ong Alternatives (1986) et à la radio Barlavento.

1984 est l’année où l’organisation de femmes du gouvernement marxiste (OMCV) lui fait enregistrer son tout premier album. Elle acquiert une certaine notoriété dans tout l’Archipel du Cap-Vert (1975-1984) En 1988, son destin va basculer et les portes d’un avenir radieux s’entrouvent. Au cours d’une tournée au Portugal, Cesaria Evora rencontre José Da Silva qui va devenir son producteur. Il l’emmène à Paris enregistrer son premier album « La Diva Aux Pieds Nus » en 1988. Ainsi née sa légende. Le disque connaît un succès mitigé au sein de la communauté capverdienne. Cesaria Evora continue de gagner sa vie en chantant dans les bars de Mindelo d’autant plus qu’elle a à sa charge ses deux enfants et sa mère presqu’aveugle. En 1990, son producteur persuadé de son talent lui fait enregistrer son second album « Distino di Belita » qui attirera l’attention de Christian Mousset, directeur du Festival Musiques Métisses d’Angoulême.

En 1991, Cesaria Evora est l’invitée d’honneur de l’université de Rennes 2 lors de la célébration du 20ème anniversaire de l’enseignement du portugais dans cette institution et la remise du titre de docteur honoris causa au président du Cap –Vert, Mario Soares.

Césaria avait été reçue par le maire de la ville et elle avait chanté au théâtre de la Parcheminerie à Rennes. C’était la première fois qu’elle passe à la télévision française. * Le journal Ouest France en a assuré la couverture médiatique. “Miss Perfumado” marque la consécration de sa carrière en 1992. C’est l’un de ses plus grands succès, « Laisse-moi mourir en rêvant / Comme la colombe dans son nid » va maintenant pouvoir se reposer.

La diva aux ”pieds nus”: un grande senhora

Ce surnom qu’ elle portait avec fierté, par solidarité aux pauvres et aux femmes de son pays, ce petit état insulaire en développement et à ses origines de femme qui avait grandi dans la précarité. Par ailleurs, elle fait ainsi un clin d’oeil à la politique discriminatoire du colonisateur qui interdisait aux Capverdiens qui ne portaient pas de chaussures de marcher sur les trottoirs de St Vicente. C’est donc un symbole trés fort qu’elle reprend et non une lubie d’artistes. Ce sobriquet mettait également en exergue un proverbe bien du terroir „badiu pe rachade“.(le badiu: nom du groupe ethnique essentiellement noir aux pieds fendillés) synonyme de la condition simple d’une frange de la population à l’époque coloniale.

Dans toutes ses chansons Cesaria Evora évoque son amour pour son pays, auquel elle est restée profondément attachée, comme dans « Petit Pays. » C’est ainsi que lors d’une de ses dernières interviews au journal le Monde qui lui demandait si elle allait retourner au Cap Vert. Elle a répondu: »Evidemment, où voudriez-vous que j’aille? Je dois maintenant réunir la famille… »

La reine de la « Morna »: Ses chansons“

Le grand public s’est épris de cette ambassadrice de la morna, chanson mélancolique et poétique du Cap-Vert. Accompagnée au violon, à la guitare, à l’accordéon, à la clarinette et à la « cavaquinho », Cesaria Evora chante de sa voix langoureuse et douce, la tristesse, la nostalgie, la douleur et l’espoir de tout un peuple marqué par l’esclavage, par 500 ans de colonisation et une forte émigration. Le thème de l’exil et ses conséquences inéluctables telles l’oubli reviennent comme un leitvmotiv lancinant, ainsi que celui de la mer, le lointain, l’amour pour sa terre natale.

Dans “Sodade”, Cesaria Evora critique le travail forcé imposé par la puissance coloniale portugaise, les famines et la sécheresse qui obligent les Capverdiens à s’exiler pour travailler dans les plantations de cacao de St Tomé et Principe, et en Angola, soit dans les autres colonies lusophones. Cette chanson politique évoque également les effets de la séparation sur une relation sentimentale entre deux êtres qui s’aiment.

On retiendra ce passage : « Qu’il est long le chemin de São Nicolau, notre terre à Sao Tomé. Si tu m’écris, je t’écrirai, si tu m’oublies je t’oublierai jusqu’à ton retour. »
• “Quem mostra’ bo Ess caminho longe? Quem mostra’ bo Ess caminho longe? Ess caminho Pa São Tomé Sodade sodade Sodade Dess nha terra Sao Nicolau Si bô ‘screvê’ me ‘M ta ‘screvê be Si bô ‘squecê me ‘M ta ‘squecê be Até dia Qui bô voltà Sodade sodade Sodade Dess nha terra São Nicolau”

La musique de Cesaria Evora s’articule autour des thèmes comme la mélancolie, la nostalgie et l’exil. La tristesse qu’elle chante avec sa voix rauque et cassée sur des notes africaines et cubaines font de l’album « Miss Parfumado » un succès de musique créole. Avec les mornas, blues capverdiens et coladeras, chants festifs, Cesaria Evora, chante ses douleurs et ses joies; celles aussi de tout un peuple marqué par un passé douloureux.

Cesaria Evora à Sorano à Dakar

Les mots peuvent á peine exprimer notre chagrin en apprenant le décès de la diva aux pieds nus. Pour nous qui l’avons connue lors de son passage au théâtre national Daniel Sorano de Dakar, c’est avec émotion que nous évoquons cette grande figure de la musique créole. La communauté capverdienne de Dakar avait tenu à rendre hommage à la diva en assistant à son concert. D’une humour massacrante, Cize (nom affectueux comme l’appelle ses compatriotes) ponctuait ses chansons d’anecdotes en criolou et faisait de cette soirée un véritable délice. La bouteille de whisky sur une table, elle prenait une gorgée de temps à autre, affirmant que cela rendait sa voix encore plus mielleuse. Au cours d’une interview, Césaria a confessé ses péchés mignons. Ils ont pour noms: les chips, l’alcool et les cigarettes. Son amour pour les “batathinas”, chips capverdiens auraient favorisé une poussée du cholesterol. Elle avait renoncé définitivement à l’alcool dès 1996.

Les hommages sont unanimes dans la presse internationale en faveur de la diva « aux pieds nus » qui a consacré près de 50 ans de sa vie à la musique. Dès l’annonce de son décès, le président du Cap-Vert, Jorge Carlos Fonseca a déclaré deux jours de deuil national et s’est exprimé ainsi:
« Cette mort nous attriste et nous désole, parce qu’elle était l’une des références majeures de la culture du Cap Vert », [..],. « Quand on parle du Cap Vert dans le monde, le nom de Cesaria vient toujours en premier, ce qui montre le poids symbolique que la chanteuse et sa voix étaient pour le pays « , a-t-il ajouté.

Le chanteur allemand Peter Maffay l’admirait beaucoup. Il lui avait rendu visite à plusieurs reprises au Cap-Vert. Il avait également chanté en arrière-plan dans sa chorale “Sodade” pour un album de musique dédié aux enfants du monde. Il a notamment déclaré:
« C’était une grande dame, une star internationale et une femme formidable avec une musique merveilleuse. Pour le monde de la musique, son décès est une grande perte. »

L’UNESCO s’est incliné respectueusement devant cette diva de la chanson en ces termes.:
« Avec Cesaria Evora disparaît une très grande dame de la chanson, porte voix douce et passionnée de l’Afrique et du rapprochement des cultures. Elle avait foulé une dernière fois de ses pieds nus la scène de l’UNESCO en 2009, pour les 20 ans du prix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix », a déclaré la chef de l’UNESCO. « Son décès en 2011, Année internationale des Nations Unies des personnes d’ascendance africaine, est aussi un appel à transmettre son message », a-t-elle ajouté.

Au Sénégal où la communauté capverdienne est l’une des minorités les plus fortes, les chanteurs lui ont rendu hommage. Daniel Gomes, de l’orchestre Oréazul de Dakar, estime que c’est « une grande perte pour la musique africaine ». Cette icône de la musique était ‘l’emblème même du Cap-vert’, car elle a fait connaître son pays à travers le monde. Né au Sénégal, Daniel Gomes, d’origine Capverdienne, soutient que les Capverdiens de la diaspora doivent beaucoup à Césaria. Cette grande interprète « leur a permis d’écouter les chansons de leurs grands-parents”. La saudade (La nostalgie) et la mort revenaient souvent dans ses titres. Elle a valorisé le répertoire traditionnel capverdien, selon le chanteur Philippe Monteiro. Pour lui, ‘c’est l’Afrique qui a perdu’. Cesaria Evora restera immortelle à ses yeux parce que ‘sa musique est mondialement reconnue avec de nombreuses distinctions:Légion d’honneur de la France, disques de platine, d’or, etc., ses nombreuses vidéos clips et prix internationaux. Un concert officiel devait être rendu à la chanteuse aux pieds nus le 26 décembre à Dakar à la place de l’Obélisque; selon Philippe Monteiro, directeur artistique de cette commémoration décidée samedi après l’annonce du décès de la chanteuse. Tous les chanteurs capverdiens et sénégalais devaient être conviés à cette manifestation. Tous interprèteront à tour de rôle les titres de la chanteuse. Le lead vocal du Super étoile avait promis de mettre à la disposition des artistes la sonorisation et le podium nécessaire.

« Muito obrigada, Dona Cesaria” (merci beaucoup, Madame Cesaria Evora )

Avec Cesaria Evora, c’est l’une des grandes figures de la chanson qui s’en est allée de l’autre bord. Une femme simple au grand cœur, digne dans son parcours, une « Senhora » qui a fait découvrir, aimer et connaitre son pays et la culture capverdienne dans le monde entier. Son nom rayonnera à jamais dans le monde de la musique. La reine de la morna laisse une discographique riche composée d’œuvres immortelles où toute la diversité créole transparaît. A travers ses mornas, teintées de mélancolie et de nostalgie, elle incarne l’âme capverdienne. Césaria Evora demeurera à jamais dans nos cœurs; celle qui continue à bercer de sa voix mélodieuse tous ses fans à travers le monde, la diva à la voix d’or.

Qu’elle repose en paix et que le Tout Puissant l’accueille en son paradis!
Pax a su alma!

07 janvier 2012
Pierrette Herzberger-Fofana
drpherzbergerfofana@hotmail.com

Remarques
*Communication personnelle du Professeur Michel Massat de l’université de Rennes et de son épouse ainsi que de M. Nelson Eurico Cabral, ancien représentant du Cap-Vert à l’UNESCO et auteur du livre « Le Moulin et le Pilon. Les îles du Cap-Vert. » Thèse de doctorat sur le Cap-Vert. Paris: Harmattan 2000, 186p.
Pierrette Herzberger-Fofana, Le Cap-Vert, invité d’honneur du « Gorée Diaspora Festival »In : http://www.forainfo.com/contrib2.php;
Pierrette Herzberger-Fofana, Maman, femmes des Iles du Cap-Vert.www.pressafrik.com, www.thiesvision.com août 2011
Discographie de Cesaria Evora
1988 – La Diva aux pieds nus ; 1990 -, Distino di Belita ;1991 – Mar Azul , 1992 – Miss Perfumado ;1993 – Cesaria Evora à l’ Olympia, 1994 – Sodade, Les plus belles mornas de Cesaria, 1995 – Cesaria ; 1997 – Cabo Verde ;1998 – Nova Sintra ;1999 – Cafe Atlantico , 2001 – São Vicente di Longe;2002 – Cesaria Evora Anthology ;2003 – Voz d’amor ,2003 – Club Sodade – Cesaria Evora by… (remix) ;2006 – Rogamar, sur lequel figurent Cali et Ismaël Lô , 2008 Cize 2009 – Nha Sentimento.
Filmographie 2002 – Live in Paris (DVD) , 2004 – Live d’Amor (DVD); Dpa. Mort de la chanteuse Cesaria Evora.