LES DOSSIERS

Aimé Césaire : La dignité Nègre en mouvement

Source : Noel Kodia

25 juin 1913 – 17 avril 2008, Aimé Césaire, l’un des piliers de la littérature négro-africaine n’est plus. Condisciple de Léopold Sédar Senghor et de Léon-Gontran Damas, il peut être considéré comme l’un des précurseurs de la Négritude. Ecrivain célèbre, il nous laisse un héritage qui nous pousse à réfléchir sur le devenir de l’homme nègre ainsi que sa place dans l’histoire culturelle et politique au moment où les Noirs ont décidé de réviser l’historiographie de leur continent longtemps réalisée par les africanistes européens avec quelques maladresses qui souvent dépassent l’entendement africain.

Après avoir découvert les lettres en Martinique au lycée de Fort de France et à Louis-le-Grand à Paris, il fonde avec Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas en 1939 « L’Etudiant noir » qui se présente comme une suite logique d’une autre revue de l’époque intitulée « Légitime défense ». A la même année apparaît son « Cahier d’un retour au pays natal » comme pour annoncer son retour au bercail dans une langue volcanique et pleine d’agressivité et qui va s’approfondir avec une colère légitime dans « Discours sur le colonialisme ». Le texte met en relief l’itinéraire du poète nègre devant son destin de colonisé dont la thématique sera le nerf directeur de l’emblématique « Discours sur le colonialisme ». Dans ce cri de douleur, il ne se voit pas fils de certains royaumes africains comme le Dahomey et le Ghana. Il se veut enfant de ce pays calme et merveilleux qui était l’Afrique : « Non, nous n’avons jamais été amazones du roi du Dahomey, ni princes de Ghana (…) ni docteurs de Tombouctou (…). Nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux (…) et ce pays l’Afrique était calme, disant que l’esprit de Dieu était dans ses actes ». Et Jacques Chevrier de faire la remarque suivante sur l’auteur en relation avec son œuvre : « A la différence de l’Africain également victime de la colonisation occidentale, mais dont la culture submergée n’a jamais totalement cessé d’exister, l’Antillais a été coupé de ses racines et sonné d’adhérer à la politique pratiquée par le maître blanc qui prétendait pouvoir l’assimiler dans le temps même il refusait l’égalité la plus élémentaire. Aussi privé de contre de gravité puisque voulant être Nègre, il constate qu’il est Blanc. L’Antillais fait-il figure de bâtard de l’Europe et de l’Afrique partagé entre le père qui le renie et cette mère qu’il a reniée ».

Une œuvre engagée et engageante

Déjà dans ses textes qui apparaissent comme un mélange de l’expression personnelle du poète avec le déchirement de la symbiose de plusieurs cultures, s’élabore une poétique de la Négritude sur fond d’une revendication de l’identité noire. Et dans ces textes revendicatifs, se dégage un surréalisme qui empêche le message de s’ouvrir sans difficulté comme les poètes classiques. Ce qui a poussé certains critiques à dire que les textes de Césaire sont hermétiques et difficiles à « soutenir ». Mais il faut plutôt voir dans ce langage fermé du poète sa capacité de jouer avec les mots dans l’univers des images qui rappellent le monde noir : « Sang Sang ! tout notre sang ému par le cœur mâle du soleil / ceux qui savent la féminité de la lune au corps d’huile / l’exaltation réconciliée de l’antilope et de l’étoile / ceux dont la survie chemine en la germination de l’herbe ». Aussi dans un poème dédié à Césaire, le Congolais Théophile Obenga remarque à juste titre que « les mots sont les leurs / mais le chant est nôtre ». La révolte poétique de Césaire définit le futur homme politique de la Martinique. Elu député de Fort-de-France, il se fait, d’après Henri Lemaître, « porte-parole de la revendication d’indépendance avec un extrémisme qui trouve son expression la plus complète dans « Discours sur le colonialisme ». Ses idées politiques le poussent à frapper à la porte du parti communiste auquel il adhère. Dans l’effervescence des idées de la Négritude et du Communisme qui se télescopent, il se sépare du parti communiste en justifiant sa décision dans sa « Lettre à Maurice Torez ». Ayant compris que le langage poétique n’est pas accessible à la masse populaire, il embrasse le théâtre pour divulguer ses idées de « libéralisation et d’indépendance » du peuple noir.

En 1961, il écrit « La Tragédie du roi Christophe » inspirée par l’aventure historique d’un roi noir d’Haïti. Cinq après, il récidive dans la relation politique/théâtre avec « Une saison au Congo » qui se présente comme l’une des grandes fresques de l’histoire post-coloniale de l’Afrique. La trame de la pièce se situe en République démocratique du Congo, une année après son indépendance, et met en relief la disparition tragique de Patrice Emery Lumumba. On peut dire, qu’après analyse de sa dramaturgie, Césaire révèle une multitude de thèmes telle la révolte sur fond de cri de douleur qui fait penser à la revendication de la Négritude pour la libération du peuple noir. Une œuvre fournie, souvent « gardée dans l’ombre » à cause de sa violence et son agressivité fondée sur une colère légitime vis-à-vis du pouvoir (néo)colonial qu’elle a traversé. En poésie on peut citer « Cahier d’un retour au pays natal » (1939), « Les Armes miraculeuses » (1946), « Soleil cou coupé » (1950), « Ferrements » (1960), « Cadastre » (1961), « Moi, laminaire » (1982). Son théâtre se définit par quatre pièces : « Et les chiens se taisaient » (1956), « La Tragédie du roi Christophe » (1963), « Une Saison au Congo » (1967), « Une Tempête » (1969). Il a aussi élucidé sa pensée politique avec « Discours sur le colonialisme », (1956), « Lettre à Maurice Thorez » (1956), lettre dans laquelle il explique sa rupture avec le Parti communiste avant de fonder le Parti progressiste martiniquais en adoptant le programme aux besoins de ses militants, « Toussaint Louverture : la Révolution française et le problème colonial » (1960). On peut remarquer que son œuvre couvre la période (néo)coloniale, d’où son « rejet » de la part des Eurocentristes malgré sa richesse esthétique et la véracité de ses idées. Des textes qui anticipent la décolonisation de l’Afrique par la puissance de leur dimension politique. En 1981, il pense trouver l’acceptation de ses idées quand la gauche revient au pouvoir en France avec François Mitterrand. Peine perdue ! Il n’aura pas gain de cause, d’où son dernier recueil de poésie « Moi, laminaire » publié en 1982. Comme le souligne Henri Lemaître ; « Césaire apparaît non seulement comme un de grands porte-parole de la Négritude, mais aussi et peut-être surtout comme l’un de ceux qui ont su situer l’expression de l’âme noire dans des perspectives non point particularistes, mais largement humanistes ».

Un héritage à fructifier

Jusqu’à la fin de sa vie, Aimé Césaire n’a pas trahi son esprit combatif pour la liberté et le respect du peuple noir. Fidèle à ses idées avant-gardistes, il a eu même à s’opposer à l’aspect positif de la colonisation que voulait « faire valoir » la France et la conception migratoire du président Nicolas Sarkozy dont la maîtrise de l’historiographie du peuple noir laisse malheureusement à désirer.
Après la disparition de tous les précurseurs de la Négritude, se ferme une page qui n’a pas séduit beaucoup d’écrivains négro-africains du XXè siècle. De la Négritude, sommes-nous peut-être passés à la Tigritude du Nobel Wolé Soyinka quand on remarque les contre-vérités ainsi que la falsification de certaines pages de l’histoire des peuples noirs par des africanistes eurocentristes. Longtemps allergiques à l’œuvre de Césaire car agressive et attaquant l’immoralité du Blanc vis-à-vis du Noir, certains Eurocentristes se dévoilent maintenant tolérants et conciliants alors qu’ils n’osaient accepter, il y a quelques années, les vérités du « Discours sur le colonialisme ». Les Noirs doivent garder en eux un point positif de la Négritude, même si elle fut décriée par certains intellectuels, celui d’avoir lancé le débat sur la véritable indépendance de l’homme noir. Et Aimé Césaire est de ceux qui ont participé au mouvement malgré la connaissance on ne peut aléatoire qu’il avait sur la terre de ses ancêtres, comme il l’affirmait à Lilyan Kesteloot : « Ma connaissance de l’Afrique était livresque ; j’étais tributaire de ce qu’écrivaient les Blancs ; (…) la littérature[ sur l’Afrique] n’était pas fort abondante, et même quand elle existait, elle était certainement partiale » (Cf. Lilyan Kesteloot, Bernard Kotchy, « Aimé Césaire, l’homme et l’œuvre », Présence africaine, 1993).

Pour conclure

Aimé Césaire est un chantre de la « dignité nègre » que l’élite intellectuelle et politique du continent doit immortaliser en récrivant notre histoire longtemps déformée et falsifiée à des fins impérialistes ; et cela pour décourager les Africains dans la prise de conscience d’une partie de la responsabilité du Blanc dans leurs souffrances actuelles à travers la traite négrière qui écuma une grande partie du continent. Aimé Césaire, un alchimiste de la langue française qui devrait rappeler les tenants de la Francophonie que l’agressivité et la colère qui se traduisent en langue française du côté des Noirs n’est autre qu’une façon d’assumer leur identité longtemps malmenée et falsifiée par le (néo)colonialisme. Aussi « Cahier d’un retour au pays natal » et « Discours sur le colonialisme » peuvent être considérés comme deux armes miraculeuses qui doivent être des livres de chevet pour la jeunesse africain qui se cherchent encore. Une jeunesse qui doit les brandir comme des boucliers et des lances au moment où l’on constate l’émergence de certains réflexes néocoloniaux du côté de certains Blancs. « Anti raciste, anticolonial, altermondialiste avant l’heure, Aimé Césaire est le témoin téméraire du XXIè siècle » constate agréablement Yves Ekoué Amaïzo dans son éditorial sur www.afrology.com. Aujourd’hui la Négritude césairienne est un héritage qui n’appartient plus à la seule Martinique mais à tous les Nègres quel que soit le lieu où ils se trouvent en se confrontant paradoxalement à l’inhumanisme de la mondialisation prônée par les Eurocentristes. Aimé Césaire, un prototype de la dignité humaine qui doit servir d’exemple à la nouvelle classe politique africaine qui lutte contre la « désinvolture » eurocentriste.

Noël KODIA