Source : Noel Kodia
Dominique Mfouilou
De l’Histoire au romanesque dans la littérature
Dans quelques mois, le Congo va rentrer dans la zone de turbulence de ses souvenirs historiques, plus précisément ceux des Trois Glorieuses. Une occasion de rappeler à la jeune génération les tenants et aboutissants de nos échecs pour qu’elle puisse être à l’origine d’une nouvelle société où les Congolais de toutes les régions pourraient vivre en symbiose. Et pour cela, les romans de Dominique Mfouilou, que l’on peut considérer sans contexte comme l’un des meilleurs romanciers-historiens de notre époque, se présentent comme des textes didactiques pour élever la conscience de certains Congolais qui n’arrivent pas encore à s’approprier le « nous » commun..
Le roman, dit Stendhal, est un miroir que l’on promène le long de la route. Balzac se disait secrétaire de la société de son temps. Au Congo, s’il y a un écrivain qui peut répondre à ces deux assertions, c’est bien Dominique Mfouilou dont l’histoire du Maswaniste et celle de la Révolution des 13, 14 et 14 août 1963 trouvent le reflet parfait dans ses œuvres. Et cela prouve un travail de recherche dont les historiens ne peuvent nier les faits romancés avec justesse.
Si les historiens congolais ont souvent peur d’écrire l’Histoire contemporaine du peuple congolais, surtout que celle-ci rappelle le sang, il y a des romanciers qui ont osé briser le tabou mais en se cachant derrière la fiction qui permet aux lecteurs de « croire » à tout ce qu’on leur raconte. L’œuvre de Dominique Mfouilou relègue la fiction au second plan pour se définir comme un film documentaire sur les réalités congolaises de son époque et même celui de ses parents. Son œuvre romanesque se présente comme un diptyque dont le Maswanisme et la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963 semblent être les thématiques centrales.
« La Soumission » et « Les Corbeaux » : deux récits fondés sur le Maswanisme
Ces deux livres situent leurs événements dans la période coloniale avec toutes les brutalités que les Français imposent aux Congolais, particulièrement aux populations de la région du Pool et Brazzaville. A travers les aventures rapportées par le héros-narrateur de « La Soumission », le lecteur découvre les supplices et les travaux forcés qui ont désorganisé la société congolaise en général et la région du Pool en particulier : les cultures vivrières seront délaissées au profit de l’exploitation du « nkuezo ». Et apparaissent les premiers miliciens au Congo qui vont aussi occuper une grande place dans la littérature congolaise à cause de leur impact négatif sur les populations. Aussi, « La Soumission » aura sa suite logique dans « Les Corbeaux », deuxième roman de l’auteur qui met en exergue les véritables héros du Maswanisme appelé encore « corbeaux ». Leur chef André Maswa est le héros central du livre qui mène, avec ses adeptes tels le vieux Sita, Mbemba et Nganga, une lutte contre l’administration coloniale. Ils sont persécutés et Maswa est jugé par l’administration coloniale pour ses idées anticoloniales.
Les Maswanistes sont arrêtés et conduits aux travaux forcés de la construction du CFCO (Chemin de fer Congo Océan). Arrêté, Maswa meurt et les Congolais du Pool qui ne veulent pas payer l’impôt de capitation subissent la loi bestiale des « mbulu mbulu » au service des Français. Et le roman de s’achever en enjambant le temps colonial par l’évocation de la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963. « La Soumission « et « Les Corbeaux », deux romans qui révèlent le héros Maswa qui est en avance sur le temps quand il demande ouvertement la liberté des Congolais en s’opposant à l’administration coloniale.
Du « Vent d’espoir » au « Mythe d’Ange » : l’histoire de la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963 romancée avec justesse
Après l’indépendance qui annonce déjà la Françafrique de De Gaulle, la véritable histoire post coloniale commence en 1963 avec la Révolution congolaise. Et Dominique Mfouilou est âgé de 21 ans, et déjà un grand garçon scolarisé et patriote qui ne peut rester indifférent devant ce grand bouleversement sociopolitique qui se passe devant lui, mouvement sociopolitique qui révèle certains acteurs qui ont son âge. « Vent d’espoir » devient en quelque sorte le « commencement de l’espoir » qui va malheureusement se transformer quelques années plus tard en « commencement des douleurs » avec la stalinisation du pouvoir politique. « Vent d’espoir » retrace le déroulement de la Révolution qui va emporter le premier président congolais Fulbert Youlou. Celui-ci, ne voulant pas se conformer au désir du peuple par le biais des syndicalistes, se trouve confronté à la colère de ce même peuple qui demande sa démission le 15 août 1963 après plusieurs incidents dans Brazzaville qui provoquent la mort de trois manifestants. Aussi ce « vent d’espoir » va donner naissance quelques années après au « Quidam » qui rappelle le mouvement du 22 février 1972 qui va bousculer la classe politique congolaise issue de la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963.
Dans ce roman, la réalité dépasse la fiction et se lit comme un film dont l’acteur principal fait penser au grand musicien Franklin Boukaka emporté par l’intolérance « révolutionnaire d’une société qu’il voulait paradoxalement conscientiser par la chanson. Et la mort du quidam annonce celle des innocentes victimes d’une machination politique dans le cinquième roman intitulé « La Salve des innocents ». Ce roman se lit comme une page sanglante de la Révolution congolaise après la mort mystérieuse et mystique du président Marien Ngouabi. Dominique Mfouilou nous rappelle un certain 7 février 1978 quand, à l’aube dans la brousse sur la nationale 2, appelé encore Route du Nord, l’exécution sommaire de dix Congolais innocents, tous de la même ethnie, après une parodie de procès. Le Procureur a joué son rôle dans ce procès sur l’énigmatique assassinat de Marien Ngouabi. Et le roman de Dominique Mfouilou de nous rappeler une fois de plus l’histoire du Congo des années 70 marquée par le passage lugubre d’un Général-président au pouvoir qui n’accorda aucune mesure de clémence aux innocents condamnés à mort même quand leur culpabilité s’était avérée aléatoire.
Avec « L’Inconnu de la rue Mongo », l’auteur laisse un peu de côté les méandres de la vie politique congolaise pour nous développer une chronique brazzavilloise dans le quartier Poto-Poto Alcool et bagarre dans une buvette vont accompagner le « Grand costaud » et l’inconnu de la rue Mongo tout au long du récit. Le Brazzaville de ce roman fait écho à un grand monument de la capitale qui fait revivre la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963, le célèbre « Ondongo Très Fâché ».
Le récit d’ »Ondongo » est comme le rappel de l’enfance d’un jeune Congolais après un long séjour à l’étranger. Et quand il revient en vacances à Brazzaville, il redécouvre la statue d’Ondongo à la place de la gare. Commencent alors à défiler en lui les souvenirs du soulèvement du peuple de Brazzaville qui avait commencé en ces lieux avant de provoquer la chute de Fulbert Youlou. Aussi, par sa thématique, « Ondongo » se présente comme une réécriture de « Vent d’espoir ». Et avec la milice populaire nommée « Défense civile » qui naît après la Révolution, se révèle une figure charismatique de la jeunesse congolaise nommé Ange Diawara qui va inspirer l’auteur pour son huitième intitulé « Le Mythe d’Ange ». Dans ce roman, l’auteur se focalise sur les turpitudes que connaît la Révolution congolaise, surtout au niveau de la jeunesse où des noms tels Ange Diawara, Claude Ernest Ndalla Graille, Ambroise Noumazalaye, José Maboungou, Lécas Atondi Momondjo… vont jouer de grands rôles. Mais des antagonismes, au sein de cette même jeunesse, provoquent l’insurrection du 22 février 1972 dirigée par Ange Diawara. Et comme l’affirme lui-même l’auteur dans son avant propos, « la génération de Diawara (…) a marqué son époque et [que ce dernier] a tenté de conduire à la victoire, restera assimilé à la JMNR (Jeunesse du Mouvement National de la Révolution) et à son aile militaire, la Défense civile, dont l’organe suprême était le parti : le MNR (Mouvement National de la Révolution). Elle appartient à l’Histoire du Congo, pour ce qu’elle y présente et ce qu’elle explique ».
Le Congolais révolté dans les romans de Dominique Mfouilou
Dans presque tous les récits de Dominique Mfouilou, le Congolais se montre révolté dans sa propre société où il ne semble pas jouir de sa liberté. Le premier roman de l’auteur a pour titre révélateur « La Soumission » où le Congolais révolté est représenté par les Maswanistes qui ne veulent pas se soumettre à l’administration coloniale Et cela se vérifie aussi dans « Les Corbeaux » qui traite peu ou prou la même thématique. Et même après l’indépendance, le Congolais révolté est toujours présent dans la société quand la lutte des classes y est dénoncée. Les Congolais se révoltent contre la politique aléatoire de Fulbert Youlou. Mais après le désenchantement que crée la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963, le Congolais continue à se révolter. Dans « Le Quidam », le héros-narrateur n’accepte pas l’assassinat de Franklin Boukaka. Dans « La Salve des innocents », le Congolais révolté ne comprend pas ce sadisme qui caractérise le Général-président en 1978 qui ferme les yeux devant l’innocence de dix malheureux compatriotes victimes d’un procès bidon. Se réalise aussi la révolte intérieure de l’inconnu de la rue Mongo devant l’attitude pugiliste de « Grand costaud ». Cette révolte le pousse de le défier jusqu’au bout, à la grande surprise de celui-ci. Dans son ensemble, l’œuvre de Dominique Mfouilou est une somme de livres d’une certaine jeunesse révolutionnaire des années 60 et 70 avec ses éclats ambitieux d’un enthousiasme qui, parfois, a conduit à des erreurs politiques. Les romans de Mfouilou font vivre en général, dans l’intérieur des Congolais, l’angoisse et la torpeur auxquels ils se sont confrontés depuis la montée du tribalisme, du népotisme que pourtant Youlou et Opangault avaient essayé d’effacer à leur époque.
Dominique Mfouilou : un écrivain qui a réussi le mariage roman-histoire
Toute son œuvre se fonde sur l’histoire du Congo. Aucun univers étranger ne vient perturber la réalité congolaise de ses romans en dehors de l’expérience française du héros de « Ondongo ». L’œuvre de Dominique Mfouilou annonce des personnages, pour la plupart politiques, qui rappellent des grandes figures ayant réellement existé. E la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963, fondement de la majorité de ses romans, est une étape primordiale de l’histoire congolaise du XXè siècle.
Si Dominique Mfouilou se découvre comme l’un des meilleurs romanciers-historiens, on peut aussi citer Guy Menga avec « La Palabre stérile « et « Case de Gaulle », Antoine Letembet Ambily (1) (plus connu comme dramaturge par son célèbre « L’Europe inculpée »), avec « La Femme d’espoir » et Bernard Zoniaba (2) avec « Les Rescapés de Mbirou ». On découvre dans les romans d’Antoine Letembet Ambily et Bernard Zoniaba comment les peuples du Nord Congo ont lutté contre la présence des Blancs dans les régions de la Cuvette et de la Sangha.
Conclusion
Au moment où l’Afrique commence à récrire son histoire longtemps falsifiée par les Africanistes eurocentristes, il serait intéressant de revaloriser les œuvres littéraires qui retracent avec objectivité quelques pans de notre histoire. Et les livres de Dominique Mfouilou sont bien placés pour relire une page de l’Histoire congolaise, principalement celle qui a été marquée par la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963. Dominique Mfouilou romancier ou historien ? Peut-être les deux à la fois, lorsque l’on se réfère à sa formation universitaire en sciences sociales.
Bibliographie de l’auteur (3)
« La Soumission », L’Harmattan, 1971
« Les Corbeaux », Akpagnon, 1980
« Vent d’espoir », L’Harmattan, 1991
« Le Quidam », L’Harmattan, 1994
« La Salve des innocents », L’Harmattan, 1997
« L’Inconnu de la rue Mongo », L’Harmattan, 1999
« Ondongo », L’Harmattan, 2000
« Le Mythe d’Ange », L’Harmattan, 2006
Noël KODIA
Notes
(1) Antoine Letembet Ambily (1929-2003) est plus connu comme dramaturge avec sa célèbre pièce « L’Europe inculpée » primée en 1969 par l’ORTF. Il a publié son seul roman « La Femme d’espoir » en 1994 aux Editions de l’Imprimerie Nationale du Congo.
(2) Ancien homme politique du Congo, Bernard Zoniaba (1929-2001) est venu tard à la littérature avec deux excellents ouvrages : le roman « Les Rescapés de Mbirou » publié en Roumanie en 1966 et un recueil de nouvelles « Hier et maintenant » aux éditions Nouvelles du Sud à Paris, 1993.
(3) En dehors du roman, Dominique Mfouilou est aussi dramaturge. On lui doit la pièce « Fuir l’enfer de Brazzaville » publiée aux éditions Paari en 2006. Se fondant sur le vécu du cardinal Emile Biayenda, il s’apprête à publier un livre sur la vie de cet homme d’église aux éditions Paari à Paris.