Source : Noel Kodja
Littérature congolaise Tchichellé Tchivéla
Un modèle de la nouvelle
Parmi les nouvellistes confirmés au Congo, Tchichellé Tchivéla est sans doute l’un des écrivains qui a une particularité dans l’art de construire la nouvelle. Deux recueils, « Longue est la nuit » et « L’Exil ou la tombe », définissent l’écriture de Tchichellé Tchivéla.
Si dans le premier livre, on sent encore du populaire et du banal à travers le comportement de certains personnages, l’écriture de l’auteur se confirme dans le deuxième recueil par un style qui se caractérise par une technique narrative propre à lui. Après un « sommeil de travail », l’auteur s’apprête à revenir sur la place de la littérature. En attendant, redécouvrons ce vieux « modèle » de la nouvelle congolaise.
Prise dans sa globalité, la nouvelle de Tchichellé Tchivéla définit un univers ouvert d’un texte à un autre où les personnages et le monde qui le constituent font penser à un macro-texte. On constate par exemple le retour obsédant de plusieurs personnages dans la plupart des récits. Motungisi présent dans Longue est la nuit par l’intermédiaire de quelques textes tels « La pierre et les noyaux » (p.24), « Futurs souvenirs » (p.117) réapparaît dans L’Exil ou la tombe où il occupe une position stratégique dans « Terre des anges »(p.91) et « Un fait quotidien (p.102).L’homogénéité qui marque l’œuvre de Tchichellé Tchivéla se traduit aussi dans l’espace où évoluent ses personnages. Les lieux comme Tongwétani et Côte Kanu appartiennent à l’univers diégétique de plusieurs nouvelles des deux recueils comme on peut le remarquer dans « Longue est la nuit » : « A Matiti, Faubourg de Côte Kanu il pleuvait » (p.27) et « L’Exil ou la tombe » : « Jénie avait treize ans quand son cadet Gaby mourut à Côte Kanu » (p.149). D’autres espaces tels Mabaya, Mbokabato appartiennent aussi aux deux livres. Dans son ensemble, les textes de Tchichellé Tchivéla mettent en relief les tractations socio-politique d’une Afrique qui se cherche encore : lutte contre certaines notions rétrogrades comme le mariage forcé dans « Parasitose mentale » (L’Exil ou la tombe) p.135, et le burlesque qui caractérise les hommes politiques africains dans l’exercice de leur fonction, dégradation des mœurs, lutte de libération, coup d’État et d’amateurisme, tels sont les faits que l’on remarque dans le socio-politique des textes de Tchichellé Tchivéla. Contrairement à la plupart des nouvellistes qui font évoluer leurs textes par rupture de la trajectoire spatio-temporelle, on remarque dans chaque livre de Tchichellé Tchivéla une constante macrotextuelle : certains personnages et lieux apparaissent dans plusieurs textes. Yéli Boso que nous fait découvrir Longue est la nuit : « 13 heures. La radio nationale diffusa l’allocution du président Yéli Boso le tout puissant Dynaste Yéli Boso » (p.111) apparaît de nouveau dans L’Exil ou la tombe : « Le soir, on apprit que dans le palais du tout puissant dynaste, le président Yéli Boso (…) le docteur Tandi K K s’était suicidé » (p.45)
La spécificité de la nouvelle de Tchichellé Tchivéla prend source dans l’écriture en tant que matériau. Si dans Longue est la nuit l’auteur se cherche encore car sa plume est simple, directe et trop populaire à certains moments, il se découvre comme grand nouvelliste dans son deuxième livre. Avec L’Exil ou la tombe, Tchichellé Tchivéla divorce avec le linéaire qui, jusque là est la caractéristique d’autres nouvellistes tels Henri Lopes, J.B. Tati-Loutard et d’autres dont les textes sont écrits à la Balzacienne. Dans son deuxième recueil, l’auteur s’insurge contre les principes élémentaires de la syntaxe qu’il bouscule. Les mots deviennent dans certains textes, des « personnages » qui marquent le récit du côté de la littéralité. Dans la nouvelle intitulée « Un fait quotidien », le mariage entre les pronoms personnels « tu » et « vous » dans un récit conduit principalement par la troisième personne (il) étonne le lecteur habitué aux récits traditionnels commandés en générale soit par la première personne (je), soit par la troisième personne (il) : « Voilà ce que tu t’es demandé, l’œil dilaté en entendant toquer à la porte. Tu as alors saisi votre bras pour vous retenir, je t’en prie (…) ne bouge pas, mais vous avez repoussé ta main et votre réaction t’a convaincue (…) » p.102.
Un autre fait caractérise l’œuvre de Tchichellé Tchivéla : le travail au niveau du texte qui joue avec une catégorie de lecteurs (les compatriotes de l’auteur). En effet chez Tchichellé Tchivéla ; les noms de certains personnages comme Yéli Boso, Mayaka Mba, Motungisi et des pays imaginaires tel Tongwétani rappellent des réalités linguistiques congolaises (ces noms ont des significations en langues du terroir). Une autre originalité de l’auteur : parfois ses textes avancent sans aiguillages temporels ; dans L’Exil ou la tombe, se remarque un divorce entre le temps du récit et celui de la narration dans la majorité des nouvelles. Ces textes demandent au lecteur de reconstruire l’ossature temporelle de la diégèse. On peut dire que dans ce livre la construction des textes au niveau de leur matérialité apparaît comme l’élément pertinent de l’écriture tchichellienne. Dans un entretien avec Alain Brezault et Gérard Clavreuil, Tchichellé Tchivéla se découvrait partisan de la rigueur scripturale quand il affirmait : « En travaillant sur la conception et la structure du récit, je souhaite contribuer à l’avènement d’un genre littéraire d’une beauté formelle propre à l’Afrique ». Et l’auteur d’utiliser quelques africanismes dans ses textes (sans pourtant entacher leur littéralité) tels « cet homme qui autrefois la chicotait » (…) ; « comme des poulets entassés dans une moutête » (Longue est la nuit, pp.30 et 94) et « Daminga, combien en possèdes-tu de deuxièmes bureaux ? » (…) « Ah ! si elle n’avait pas fétiché… » (L’Exil ou la tombe, pp. 135 et 176).
Son premier roman « Les Fleurs de lantanas », publié en 1997 confirme la volonté de l’auteur de « bien écrire » car ce livre qui est en quelque sorte la suite de ses deux recueils de nouvelles au niveau de la thématique, se distingue de ces derniers par un travail fourni au niveau de la littéralité du texte. Si entre temps, le Congo avait ses poètes (Tchicaya U’Tam’Si, Jean Baptiste Tati Loutard, Maxime Ndébéka), ses dramaturges (Sylvain Bemba, Antoine Letembet Ambily), ses romanciers (Sony Labou Tansi, Emmanuel Dongala), on peut affirmer, qu’en dehors de Lopes et Tati Loutard, Tchichellé Tchivéla est un nom qui rappelle une autre façon d’écrire la nouvelle. Et s’il y a des adeptes qui ont plus ou moins épousé la technique d’écriture de Tchichellé Tchivéla sur fond de retour obsédant de certains personnages, c’est bien son cadet Auguy Makey. Celui-ci apparaît comme le nouvelliste congolais le plus fécond de notre époque. Ses textes, à l’instar de Longue est la nuit et L’Exil ou la tombe, apparaissent comme un macro-texte où les principaux personnages tels Toumba, Songolo, Polopino et sa mère, vont d’une nouvelle à une autre comme le font Yéli Boso, Mayaka Mba et Motunguisi dans les textes de Tchichellé Tchivéla.
Noël KODIA