Yves Ekoué Amaïzo
Guinée : renégocier les contrats
Mais pour le compte de qui ?
Après une longue maladie (leucémie et diabète), le chef d’État guinéen, Lansana Conté s’en est allé le 22 décembre 2008 à 74 ans. Il avait à plusieurs reprises indiqué que la question de la transition n’était pas à l’ordre du jour de son vivant. Une dictature africaine vient de se terminer. Avec le Capitaine Camara, nouveau Président autoproclamé, une autre est-elle en émergence ?
1. Bilan négatif pour Lansana Conté
Au lieu que l’Assemblée nationale annonce la procédure à suivre fondée sur une constitution qui prévoyait des élections dans les 60 jours après le décès du chef d’État, ce fut un groupe d’officiers de l’armée avec à sa tête le Capitaine Moussa Dadis Camara, Chef du Conseil national de démocratie et de développement (CNDD), qui forma une junte, procéda à un coup d’État sans violence et est devenu le 3e chef d’État du pays depuis l’indépendance de 1958. En 24 ans, le feu président Conté s’est illustré par des pratiques de non respect des droits humains, d’un mépris des pratiques démocratiques et l’organisation de la prédation. Ce mode de gouvernance n’a pas permis à ce dernier de se démarquer fondamentalement du premier Président de la Guinée, Sékou Touré. La pauvreté a augmenté passant de 40 % en 2002 à une estimation autour de 60 % sans le secteur informel. L’insécurité et la corruption se sont banalisées. Bref, les richesses du sous-sol guinéen font que l’essentiel des arbitrages économiques oscillent autour des affectations dans les contrats liés à l’exploitation du sous-sol et les licences commerciales d’importation sans compter les préemptions d’usage liées à l’abus du pouvoir fondé sur la proximité avec le premier despote du pays.
Dans cet environnement, le non-respect de la constitution guinéenne ne peut se comprendre que si l’on saisit que l’objectif principal et non-avoué pour les nouveaux dirigeants du pays est de s’assurer, contre vents et marées, de la remise en cause des anciens contrats d’exploitation des richesses de la Guinée et du contrôle des nouveaux. Aussi, les anciennes revendications liées à des ruptures de paiements des soldes des militaires et des mécontentements qui se terminent en coup d’État relèvent de l’histoire ancienne. Aujourd’hui, l’armée africaine en général comporte des agents bien formés et qui savent contourner l’éthique et le service à la population. Il est vrai qu’en mettant de côté les anciens généraux dont certains sont aux arrêts ou mis à la retraite forcée, les jeunes militaires ont réussi à régler le conflit de générations tout en bloquant la continuité du service public mettant fin au contrat de 33 préfets et de 8 gouverneurs de régions administratives…
2. Renégocier les contrats d’affaires à tous prix
Mais les intérêts des puissances extérieures sont tels que le renouvellement des contrats d’affaires et d’exploitation des richesses du pays, souvent sans appel d’offres, semble devenir un point de consensus. De nombreuses sociétés multinationales, agissant comme des relais, font des pressions discrètes sur leur gouvernement respectif pour influencer le nouveau régime militaire guinéen afin d’accéder à des contrats au gré à gré. Ce coup d’État devrait permettre de défendre d’abord les intérêts bien compris. Mais, dans ce nouveau jeu de gagnant-gagnant, les contrats en cause nécessitent de 18 à 24 mois pour se mettre en place et pour ne pas être remis en cause. Par ailleurs, il est préférable de stopper toutes les références à des contre-pouvoirs afin de gérer sans contraintes cette phase de transition où la prédation prend de nouvelles formes qui peuvent s’inscrire dans des contrats léonins se faisant aux dépens des populations. On comprend mieux qu’il n’est pas question de faire des élections dans les trois mois comme le prévoit la Constitution guinéenne ou dans les 12 mois comme le souhaitent les partis d’opposition. Ce coup d’État permet de faire des promesses qui n’engagent que ceux qui veulent bien y croire tout en bloquant la prévisibilité du processus électoral. Afin de gagner du temps au pouvoir, les putschistes proposent un nouveau processus électoral qui risque de comprendre des reports et des défaillances dans les préparatifs. Ces élections pourraient d’ailleurs ne pas commencer par des élections présidentielles.
3. Les États-unis condamnent le coup d’État, l’UA et la CEDEAO exclue la Guinée
Il n’est donc pas question de légitimer et de banaliser les coups d’État et l’Union africaine (UA) de Jean Ping et la CEDEAO en ont profité pour exclure la Guinée des institutions suprarégionales. Les États-unis de Barack Obama semblent avoir déjà pris position en ne reconnaissant pas le nouveau régime militaire et ont stoppé toutes aides bilatérales à la Guinée tant que le retour à une démocratie selon les normes internationales ne sera pas reconnu. Ce début d’isolation pourrait bien faire boule de neige en Afrique surtout lorsque l’exemplarité du Ghana, où le processus électoral fut transparent et libre tout étant très disputé, a bien mis hors-la-loi le syndrome de l’usurpation des urnes, le refus de laisser les peuples africains s’exprimer et de se doter de dirigeants à leur service.
En comparaison, la Guinée passe pour une République bananière. Ce n’est pas la nomination d’un premier ministre technocrate par des militaires non élus qui pourra refonder la confiance entre le Gouvernement et le peuple guinéen. La légitimation du coup d’État par la communauté internationale est mitigée car derrière les condamnations d’usage, certains pays sont bien actifs tout en restant bien silencieux sur la monétisation d’un appui international contre des accès facilités aux matières premières guinéennes. En effet la remise en cause suivie de la signature de contrats de long terme permettrait de mettre les faiseurs de coup d’État à l’abri du besoin, longtemps après la remise du pouvoir à des civils. Aussi, est-il permis de douter des affirmations du Capitaine Camara qui souhaite mettre fin à la corruption sans rappeler celle du Président Conté et organiser des élections seulement en 2010, le temps nécessaire pour consolider son pouvoir, de banaliser la situation et de réviser des contrats long terme d’exploitation et d’octroi de licences d’importation.
En évinçant plus de 22 généraux qui soutenaient le feu Président Conté, cela fait autant d’exclus dans les affectations des surplus obtenus lors des négociations des nouveaux contrats miniers notamment dans l’or, le bauxite, l’alumine, le fer, le diamant et l’uranium…. Le paradoxe vient du fait que pour la Guinée les mines constituent plus de 60 % de ses revenus à l’export mais l’État ne récupère que 20 % de taxes . La différence est volatilisée et le capitaine Camara ne semble pas pressé de corriger cet état de chose et d’ailleurs n’a pas encore dit mot à ce sujet. S’agit-il simplement de remplacer les noms des anciens bénéficiaires du système par des nouveaux ? La position du Sénégal de Abdoulaye Wade reste incompréhensible d’autant plus qu’elle semble faciliter celle de la France laquelle ne condamne pas vraiment alors que l’Union africaine exclut la Guinée de l’UA jusqu’à ce que le pays « retourne à l’ordre constitutionnel ». En rappelant que le feu président Conté est venu au pouvoir dans les conditions similaires à celles du Capitaine Camara, il faut s’attendre à ce qu’un autre coup d’État mette fin à cette situation d’alternance au pouvoir par le non-respect de la constitution et la mise en parenthèse des institutions républicaines. L’incertitude politique risque maintenant d’ouvrir le champ aux incertitudes économiques et des risques de mise en cause des engagements précédents incluant ceux du Capitaine Camara dans le futur. C’est donc l’armée qui reste la force organisée dans ce pays et qui peut, grâce à la maîtrise de quelques blindés, réduire au silence le jeu politique au point de faire oublier que la situation actuelle n’est que la conséquence d’une solution bâclée et avortée remontant à l’instauration d’un premier ministre soutenu par la communauté économique des États de l’Afrique occidentale (CEDEAO) non sans un rôle actif indirect du Nigeria et de la France.
En refusant là encore que les partis politiques d’opposition puissent avoir un rôle, les solutions inventées par les institutions régionales et continentales africaines et la communauté internationale pour la Guinée ont systématiquement évincé les partis politiques d’opposition de l’accès à une quelconque parcelle du pouvoir dans le cadre d’une alternance. Tout est organisé pour forcer à la concession sous contrôle. En résultante, c’est le statu quo et le « wait and see » qui a permis au feu Président de reprendre le contrôle de l’État que la Providence a finalement terminé. Le Capitaine Camara ne semble pas déroger à cette situation pour le moment malgré une volonté farouche d’y mettre les formes et d’associer, sous les fourches caudines des baïonnettes, l’ensemble des partis politiques. Non, la Guinée n’a pas encore évolué vers une société ouverte, transparente et démocratique !
4. Le bien-être de la population guinéenne suspendu
Selon le Fonds monétaire international (FMI), le produit intérieur brut (PIB) réel de la Guinée a chuté et est passé de 4,2 % entre 1997-2002 à 1,8 % en 2007. La moyenne du PIB de l’Afrique subsaharienne est passée pour la même période de 4,1 % à 6,7 % . Le PIB par habitant a accusé le coup et la gouvernance du régime Conté a simplement réduit les opportunités offertes à sa population avec une croissance du PIB réel par habitant qui est tombée de 1 % de moyenne entre 1997-2002 à -1,4 % en 2007 . Au cours de la même période, l’inflation a flambé passant de 4,4 % de moyenne entre 1997-2002 à 34,7 % en 2006 avant de retomber à 22,9 % en 2007 alors que la moyenne de l’Afrique subsaharienne était de 7,1 % en 2007. La balance commerciale s’est contractée passant de 6,8 % en 2003 à 2,8 % en 2007 avec une progression négative du compte courant externe comprenant les dons qui atteint -2 % du PIB en 2007. Il faut malgré tout admettre que les termes de l’échange n’étaient pas favorables passant de 118,9 en 2003 à 89,6 en 2007 sur une base de 100 en 2000 .
Le 2e jour de sa prise de pouvoir, le Capitaine et nouveau chef d’État avait affirmé à Noël, le 25 décembre 2008 : « Nous n’avons aucune intention de nous éterniser au pouvoir » . Avec les pressions des États-unis, de l’Union africaine et des forces démocratiques du pays et en nommant par ordonnance Mr. Kabiné Komara comme premier ministre, un ex-fonctionnaire de la Banque africaine d’Import-Export , le nouveau Président guinéen vient de faire un geste en nommant une personnalité choisie par les syndicats déjà lors de la crise sociale d’il y a deux ans. Mais il ne s’agit là que d’un déni de la démocratie et un report de fait des élections présidentielles prévues par la Constitution dans les trois mois suivant la mort d’un chef d’État en Guinée. En effet, le premier ministre ne peut diriger que par délégation du nouveau Président de la République, lui-même non démocratiquement élu. La France vient de confirmer que la rupture est un concept à géométrie variable qu’il convient d’adapter selon les intérêts à défendre. L’Administration américaine sur ce plan est plus claire et ne négocie pas sa condamnation.
5. Une opposition discrète et non-unie
L’opposition guinéenne organisée en parti politique ne peut que prendre note de la situation. Ainsi, la grève générale et la crise sociale du début 2007, réprimées dans le sang, n’ont pas permis aux partis politiques d’opposition d’organiser une alternance construite. Il est vrai que le refus d’organiser des stratégies unitaires a affaibli leur capacité à offrir des solutions d’alternances claires et structurées. Les personnalités de l’alternance politique dont Alpha Condé, chef du Rassemblement du Peuple de Guinée considéré comme le principal parti d’opposition du pays, Sydia Touré, ancien premier ministre et Président de l’Union des Forces Républicaines (UFR) ou même le leader syndicaliste Rabiatou Serah Diallo-Bah qui a souvent rappelé que le peuple n’a plus confiance dans le parti politique se retrouvent bien démunis face à cette nouvelle donne. Leur résistance se résume à insister que le pouvoir retourne au civil dans le cadre d’élections libres et transparentes avant 12 mois. La résistance face aux militaires ne peut être que verbale surtout que les militaires viennent de mettre en route un gouvernement avec des technocrates qui se caractérisent par leur non-appartenance à des partis politiques. Il n’est pas impossible dans ces conditions que le temps nécessaires pour revoir les contrats soient bien plus long que les 12 mois proposés par la société civile.
La communauté internationale ne peut se contenter de ses condamnations non suivies d’effets à mois qu’il s’agisse surtout et principalement de s’assurer que les contrats signés avec les opérateurs chinois, tous liés au Gouvernement chinois, ne soient remis en cause. Il s’agit surtout des secteurs de l’énergie (centrale hydro-électrique et des barrages) et des mines notamment l’or et le bauxite. En contrepartie, des remises de dettes, des constructions ici et là et des arrangements de placements de fonds en Chine pourraient conduire à une renégociation qui favorisent ceux qui ont le pouvoir. Aussi, la défense des intérêts bien compris par ces temps de crises financières et de récession économique pourrait donner du répit aux putschistes.
Un autre coup d’État vient d’être avalisé par défaut sauf si les États-unis sous la houlette de Barack Obama changent la donne et pousse plus loin l’arrêt de leur soutien bilatéral. Le premier discours du nouveau président autoproclamé Moussa Camara mentionnait explicitement un châtiment pour toute personne coupable de détournement et la renégociation des contrats. Le seul vrai risque se résume dans l’impossibilité effective de mettre en application ses affirmations populistes. En demandant de stopper l’extraction des zones aurifères, la nouvelle équipe n’a pas intégré les conséquences effectives sur le gel des entrées de ressources conjoncturelles pour son propre gouvernement. Tout ceci relève plus de l’improvisation.
L’improvisation en politique et en économie finit toujours par coûter cher surtout s’il s’agit en priorité de renégocier des contrats sans préciser que cela se fera, en priorité, au bénéfice des populations guinéennes. Le risque de non-respect de ces contrats sur la durée demeure très important.
Dr. Yves Ekoué Amaïzo
Directeur du Think Tank « Afrology »
Groupe de réflexion, d’action et d’influence
17 janvier 2009
Internet: www.afrology.com
1. Voir aussi Risques internationaux, n. 112.
2. World Bank, World Development Indicators 2008, p. 64.
3. The Economist, « After the dictator, the deluge », 30 décembre 2008
4. IMF, Regional Economic Outlook, October 2008, p. 55.
5. Ibid, p. 57.
6. Ibid, pp. 72 and 78.
7. Franck Berruyer, envoyé spécial France 24 à Conakry, Guinée, 26 décembre 2008, 16h.
8. Ismaël Kabiné Camara, « Kabiné Komara, nouveau Premier ministre de Guinée », in Afrik.com, 30 décembre 2008