Ekoué Amaïzo
OMC : Crise, commerce et emploi
Les pays faiblement industrialisés sont les perdants
Pascal Lamy, Directeur général de l’Organisation mondiale pour le commerce (OMC), a entamé officiellement son 2e et dernier mandat de 4 ans le 1er septembre 2009. Il a été choisi comme candidat par défaut. En l’absence d’autres candidatures, on aurait pu croire à un succès fulgurant tel que cela avait été annoncé lors de sa première prise de fonction. En réalité, les choix de candidats pour diriger les organisations internationales résultent souvent d’un partage en catimini entre les pays les plus influents et puissants de ce monde et fondent une forme d’équilibre mondial des influences. La couleur de peau, la nationalité et parfois la compétence peuvent devenir secondaires dès lors que le candidat accepte de s’aligner sur les positions des pays les plus influents au cours de son mandat.
La société civile est par définition marginalisée de ces postes d’influence de la gouvernance mondiale sauf en cas de fautes lourdes d’une précédente direction. Les pays les moins avancés (PMA) devraient d’ailleurs commencer à réfléchir à un candidat potentiel pour occuper la direction de l’OMC en 2013 s’ils souhaitent que la corrélation entre commerce et emploi repose sur la production afin que cela contribue à la création d’emplois décents chez eux. Cela suppose une approche collective et une volonté réelle de ne plus accepter d’être la variable d’ajustement du commerce mondial. La défense de valeurs communes au service des populations doit primer.
1. PMA : variables d’ajustement pour le commerce mondial
Pour avoir fermement cru à un plébiscite sur sa candidature dite « unique » et malgré un bilan controversé, le candidat DG, quelques mois avant la prise de fonction de son second mandat, a purement et simplement demandé une augmentation de 32 % de son salaire aux Etats membres. Avec tous les émoluments, le salaire d’un DG de l’OMC tournerait sur papier autour de 27 000 Euros par mois sans compter les avantages en nature. Alors demander une augmentation sur la base du 1er mandat alors que l’OMC n’a jamais soutenu le salaire minimum pour un travail décent est apparu un peu déplacé. La réponse ne s’est pas faite attendre. Les 153 États membres ont rejeté la proposition et un diplomate en langage diplomatique a parlé de « proposition naïve » en période de crise financière . En filigrane, c’est la reconduction-sanction qui semble faire jurisprudence. Cela s’explique par les résultats obtenus au cours du premier mandat. Ce n’est qu’en mesurant les progrès accomplis à l’aune de l’échelle des lilliputiens que certains arrivent à trouver le bilan positif. En réalité, les résultats tangibles sont à espérer au cours du second mandat, si les pays les moins avancés (PMA) et la plupart des pays faiblement industrialisés (PFI) ne servent pas de variables d’ajustement pour les pays riches dans le commerce mondial.
2. OMC 2005-2009 : bilan globalement mitigé
Le bilan du premier mandat de Pascal Lamy (2005-2009) est globalement très mitigé et clairement un échec confirmé en juillet 2008 pour ce qui est des négociations du cycle de Doha portant sur la libéralisation du commerce multilatéral. A vouloir promouvoir le commerce sans équité dans la régulation, l’équipe dirigeante a implicitement favorisé les rapports de force et directement les pays les plus influents au sein de l’OMC. Tout ceci s’est fait avec beaucoup de subtilité et d’intelligence puisque la notion de responsabilité individuelle et collective de l’OMC a soigneusement été occultée. La responsabilité première revient aux Etats-membres incapables de faire des concessions dans les négociations commerciales.
A vouloir promouvoir le commerce sans soutenir, ni asseoir aux préalables les capacités productives dans les pays faiblement industrialisés, l’OMC contribue à renfermer les exportateurs de produits non manufacturiers dans une logique de création de richesses à partir d’un système commercial qui ne promeut pas l’industrialisation. Indirectement, les pratiques de corruption dans les États où sévit la gouvernance patrimoniale sont ainsi de fait renforcées sans aucune responsabilité directe de l’OMC. De plus, ces mêmes États sont très vulnérables notamment face à la volatilité sur les marchés mondiaux et plus particulièrement par temps de crise économique, lorsque l’accès au crédit est asséché. C’est ce que la crise financière d’automne 2008, une crise des excès de dérégulation, a permis de vérifier. Alors que cette crise financière s’est commuée en crise économique, les statistiques commerciales ont réagi en faisant du yoyo. Alors que le commerce mondial de marchandises était florissant, les statistiques y référant, mesurées au deuxième trimestre de chaque année, sont passées de 3 378 milliards de $US en 2007 à 4 313 milliards de $US en 2008. Avec le déficit de la demande lié à la crise du crédit , ce commerce mondial de marchandises est tombé à 2 883 milliards de $US en 2009, soit au niveau du premier trimestre de 2006 (2 770 milliards de $US). Aussi, en changement annuel, les exportations mondiales de marchandises entre 2008 et 2009 mesurées au 2e trimestre ont subi une chute de 33 % en un an alors qu’entre 2006 et 2007 la hausse était de +27,7 .
Les résultats de la marchandisation de tous les secteurs et la promotion de l’orthodoxie de libéralisation sans une régulation équitable pour les pays pauvres sont contenus dans les résultats du premier mandat du DG de l’OMC. Ces choix stratégiques sont considérés de plus en plus comme un non sens pour et par les pays les moins influents, qui sont aussi les moins industrialisés. Il faut espérer que cet état de fait sera corrigé dans le cadre du second mandat afin que les pays pauvres ne servent plus de variables d’ajustement dans le commerce mondial régulé selon les intérêts des pays les plus riches et émergents. Les responsabilités sont donc partagées et ne concordent pas avec l’image de médiateur neutre que l’OMC promeut. Les PMA y sont marginalisés du fait même de leur faible capacité d’influence.
3. La reprise des échanges mondiaux n’est pas encore au rendez-vous
Les exportations mondiales sont en chute libre, passant de 27,7 % au 2e trimestre 2008 à 33,1 % au 2e trimestre 2009, reflétant celles de l’Union européenne qui sont passées de 25,4 % au 2e trimestre 2008 à 33,9 % au 2e trimestre 2009 . Les exportations des pays moins avancés et souvent les moins influents vers les pays industrialisés se sont aussi tassées. Le Nigeria offre une volatilité extrême, passant de 53,2 % au 2e trimestre 2008 à 50,4 % au 2e trimestre 2009. En parallèle, les importations de l’Union européenne (UE) sont passées d’une variation annuelle de 26,9 % au 2e trimestre 2008 à 35,7 % au 2e trimestre 2009, légèrement moins bien que la situation mondiale avec 26,6 % au 2e trimestre 2008 et 32,8 % au 2e trimestre 2009. En comparaison, avec des bons résultants comme les 43,9 % au 2e trimestre 2008 et 63 % au 3e trimestre 2008, le Nigeria donne une idée des conséquences collatérales de la crise financière sur les pays africains en affichant -29,4 % au 2e trimestre 2009 , Alors qu’au 2e trimestre, aucune des régions de monde n’a encore inversé la tendance baissière, l’Asie avec -26,5 % au 2e trimestre 2008 et -26,1 % au 2e trimestre 2009 a enrayé la chute et semble voir le bout du tunnel.
La relance du commerce mondial n’est pas vraiment au rendez-vous puisque les exportations n’arrivent pas à enrayer la chute (passant de -31,3 % au 2e trimestre 2008 à -33,1 % au 2e trimestre 2009) au même titre que les importations (passant de -30,0 % au 2e trimestre 2008 à -32,8 % au 2e trimestre 2009). Il faut donc bien se garder de prendre pour argent comptant les auto-satisfécits bruyants des politiciens lesquels souhaitent tellement une reprise qu’ils oublient d’aller vérifier les chiffres réels. L’avenir des échanges commerciaux des pays les moins avancés dépendra principalement des pays disposant d’excédents budgétaires et de réserves internationales consolidées. Si les mesures de relance économique du G20 sont effectives dans la durée, le commerce mondial devrait retrouver son niveau d’avant la crise d’ici à 2011. Toutefois, le recyclage discret des actifs toxiques sur les marchés devraient contribuer à retarder la sortie de crise économique.
4. Nécessité d’une vigilance des Pays faiblement industrialisés (PFI)
Avec l’augmentation importante des déficits publics des États riches, le défaut de paiement d’un État ne doit pas être négligé avec à terme des impacts sur des dévaluations monétaires en cascade. Aussi, même si les prix des matières premières ne subissent pas de volatilité négative, la sortie effective de la crise économique se fera en corrélation avec la reprise effective de l’activité industrielle dans les pays industrialisés. Mais les restructurations, l’endettement et les délocalisations des capacités productives à l’extérieur des pays riches tendent à concentrer l’essentiel de l’activité industrielle dans les pays émergents. Cela tend à augmenter le chômage de manière durable dans les pays industrialisés qui risquent de ne plus être en mesure de soutenir la croissance mondiale et par ricochets le commerce mondial, comme cela avait d’ailleurs commencé bien avant la crise financière d’automne 2008. Aussi, pour les pays faiblement industrialisés (PFI), la sortie de crise devrait se jouer, à court terme, sur l’accès ou non au crédit pour proposer des matières premières à l’exportation. Les PFI doivent être vigilants pour ne pas être payés dans des monnaies qui pourraient se dévaluer ou alors ne pas s’engager dans des contrats à terme dont la valeur risque d’être dépréciée unilatéralement par des États riches dont le risque de défaillance est en augmentation.
Le financement du commerce (notamment par les instruments tels que lettres de crédit, garanties, crédit fournisseur/acheteur, etc.) doit alors trouver une partie de la solution en Afrique. Cela ne devrait plus se faire uniquement en offrant des garanties d’État pour accéder à des prêts internationaux mais en s’organisant pour accéder directement aux marchés internationaux sans passer par les institutions financières internationales de tutelle qui s’opposent quasi-dogmatiquement au financement des capacités productives et à l’arrivée de nouvelles institutions financières d’appui, notamment en Afrique. En effet avec la crise économique glissante, les apports de ressources non génératrices d’endettement comme les flux d’investissement étrangers directs, les transferts de fonds de la Diaspora, l’aide au développement et les investissements en portefeuille vont diminuer ou stagner au moins sur 2 ans avant de reprendre une faible courbe ascendante d’ici 2011. Le choix stratégique vers la production devient un impératif si les PFI veulent s’attaquer aux causes structurelles du chômage.
5. PFI : la sortie de crise balbutiante n’équivaut pas à de la création d’emplois
Tout le secteur des services où les pays les moins avancés détiennent une part négligeable risque aussi de ne pas permettre de soutenir la sortie de crise. Le tourisme par exemple ne permettra pas véritablement de combler les conséquences de la crise en Afrique. Une baisse durable des fréquentations sur le continent doit être anticipée d’autant plus que les tendances à la baisse pour 2020, suggérées par l’Organisation mondiale du Tourisme déjà en 2001, restent désespérément exactes . De plus l’absence d’infrastructures adéquates (sanitaires et de communication) ne permet pas de multiplier les opportunités d’emplois et de distribution de salaires pour les populations africaines à partir d’un cycle régulier de touristes à pouvoir d’achat important, ce d’autant plus que l’essentiel des sites d’hébergements sont la propriété d’investisseurs étrangers obnubilés par le rapatriement de leurs capitaux. Dans cet environnement de compétition et de rapport de force profitant aux pays industrialisés, la grande bataille des PFI à l’OMC pour conserver les préférences commerciales est une bataille perdue d’avance si les décisions ne sont pas prises collectivement au niveau de l’ensemble des gouvernements de ces pays avec comme objectif de défendre les intérêts de leurs populations respectives.
De toute les façons, dans une logique de non-protectionnisme et de libéralisation des marchés, continuer à travailler en ordre dispersé ne peut que nuire aux intérêts des pays faiblement influents. Le besoin de conclure le cycle de Doha reste un objectif à atteindre. Seulement, il ne faudra pas que tout le bougisme du premier mandat de Pascal Lamy aboutisse à vider le cycle de Doha du volet développement ou pire à offrir un palliatif au cycle de Doha, palliatif qui sonnerait comme un piège dans lequel les pays les moins vigilants pourraient tomber. Ceci est d’autant plus probable que les fonds pour l’aide au commerce pourraient être subtilement utilisés plus comme un chantage à l’acceptation d’un consensus formel sur un Doha palliatif. Cela devrait permettre de sauver le processus sans trouver une solution favorable pour les PMA.
Selon l’Organisation internationale du travail et suite à la crise d’automne 2008, le nombre de millions de sans-emplois augmentera entre 39-59 millions sans compter les millions d’emplois précaires. Il n’est donc pas acceptable de considérer unilatéralement que l’augmentation du chômage aura des conséquences négatives sur le commerce mondial sans mentionner que l’origine même de ce chômage trouve ses sources dans le processus d’une régulation commerciale mondiale au service des pays influents. En fait, le système commercial orthodoxe prôné se retrouve face à ses responsabilités. Le paradoxe veut qu’après avoir contribué à valoriser la concurrence intégrale dans le monde du travail et de l’emploi, la mise en concurrence au même titre des travailleurs et des systèmes productifs sous-jacents aboutit à structurer vers le bas le salaire minimum d’un travailleur au plan mondial. Mais avec la crise, cette technique qui permettait d’organiser une réserve mondiale de travailleurs a eu des ratés et a produit des chômeurs en masse. Pour ces derniers, la sortie de crise est une vaste blague et cela devrait se ressentir sur le taux d’abstention et le revirement politique des électeurs dans les pays où le vote est libre et la démocratie fonctionne. Donc, c’est bien le dogme du commerce mondial régulé selon les règles de rapport de forces qui a conduit, avec la dérégulation financière, à une augmentation substantielle du chômage mondial. Sur ce plan particulier, de même que la reprise commerciale n’est pas encore l’ordre du jour, il ne semble pas encore que la reprise des créations d’emplois soit au rendez-vous. L’absence de création d’emplois nouveaux sur une longue durée pourrait créer à terme des phénomènes nouveaux de contestations difficilement maîtrisables.
Les perspectives de croissance des pays les moins avancés restent faibles sur les deux années à venir. On devrait assister à un fléchissement autour de 5 % en 2009 après des taux dépassant les 7 % de croissance économique en 2005. Les PMA sont donc bien tributaires des marchés mondiaux et retirent en contrepartie les effets collatéraux sur la partie de leur population condamnée à l’informalisation des emplois. Pour éviter cette volatilité, les PMA et les PFI devront absolument prendre conscience des enjeux et redonner une priorité au développement de leurs capacités productives avec ou sans le soutien des institutions internationales. Il y va de la création d’emplois décents. Il va de soi que les PMA exportateurs d’hydrocarbures ou de métaux rares ne sont pas concernés par ce tassement de la croissance économique mais la mauvaise répartition des fruits de la croissance dans certains de ces pays contribue à augmenter la souffrance des populations laissées sans défense.
6. Aide pour le commerce : Assistance ou chantage ?
En avril 2007, Pascal Lamy, DG de l’OMC, annonçait devant les grandes institutions financières du monde que l’on s’acheminait vers l’échec des négociations commerciales si des financements complémentaires n’étaient pas mis à disposition dans le cadre d’un fond appelé « aide pour le commerce » . Officiellement présentée comme un complément aux négociations commerciales de Doha, cette aide avait pour objectif de faciliter l’accès aux marchés pour les produits et services commerciaux des pays en développement, plus particulièrement les PMA. L’aide pour le commerce devait, en principe, permettre : 1) d’aider à atteindre les objectifs du millénaire pour le développement, 2) de faciliter un meilleur accès au marché et 3) de rééquilibrer les rapports de force en faveur des pays faiblement industrialisés afin de leurs permettre de profiter des opportunités du marché global. Paradoxalement, le DG de l’OMC n’a pas été suivi car le budget conséquent n’a pas été attribué malgré son plaidoyer récent au G20. En retour, cette stratégie manquée ne pourrait être commuée en approche palliative, ce qui brouillerait les pistes pour les spécialistes non avertis du commerce international.
Si les engagements sur l’aide pour le commerce portant principalement sur le développement des capacités commerciales ne sont pas tenus, alors l’appât que constitue cet instrument pour maintenir la fluidité de l’offre des pays faiblement industrialisés vers les pays industrialisés n’aura pas fonctionné. C’est cela aussi la flexibilité que tente d’introduire l’OMC dans son dernier rapport . L’orthodoxie dominante fonde ses conditionnalités sur le fait que les pays riches et influents de l’OCDE sont et demeureront les principales sources de financement pour les PMA. Avec les excédents disponibles dans les pays asiatiques notamment en Chine et dans les pays du Golfe et au Moyen-Orient, les alternatives financières sont de plus en plus multiples avec des nouvelles conditionnalités et parfois des règles du jeu sans conditionnalités. Mettre en concurrence les deux types d’approches dans le commerce mondial modifie en profondeur les jeux d’alliances. Le premier mandat de Pascal Lamy ne semble pas avoir suffisamment pris conscience de ce changement stratégique qui rigidifie la position des PMA et a conduit à l’échec des négociations de Doha. Les PMA sont de moins en moins pris dans les fourches caudines de la dépendance arbitraire du financement des pays de l’OCDE (organisation pour la coopération et le développement économiques) que constituent les pays riches.
Face à une nouvelle prise de conscience qu’exprime tout haut Evo Morales, chef d’État de la Bolivie, la résistance s’organise pour que les PMA ne servent plus de variables d’ajustement pour le commerce mondial. Le Président bolivien se propose de mettre en place une « politique commerciale qui profite d’abord aux peuples et après seulement aux entreprises transnationales » . Autrement dit, le système proposé par l’OMC consistant à mettre en concurrence les PMA avec tous les pays du monde défavorise, en définitive, l’émergence des industries locales et décourage les petits producteurs. Il en est de même pour ceux qui prônent la libéralisation totale des services entre pays souffrant de différentiel d’influence.
Le type de partenariat économique demandé par les pays faiblement industrialisés ne consiste pas à demander l’aumône ou à tendre la main. Il s’agit d’une approche alternative qui se fonde aussi sur une approche basée sur la migration circulaire. Les mesures judiciaires de sanctions fondées sur les reconduites manu-militari à la frontière et l’approche de l’immigration choisie ne résoudront en rien les problèmes d’immigration car ces mesures, dérivées des défaillances du système du commerce mondial, font l’impasse sur les causes structurelles des phénomènes économiques. C’est bien le refus de soutenir les capacités productives et la diffusion des contenus technologiques, conjugué avec une déresponsabilisation de certains dirigeants envers leurs peuples, l’usurpation des pouvoirs politiques qui ont conduit à la neutralisation de l’émergence de la structure productive dans les pays faiblement industrialisés . Le chômage massif et l’immigration ne sont en fait que des symptômes partiels de la défaillance de la méthodologie sous-jacente à la libéralisation règlementée de manière unilatérale du commerce mondial. Plusieurs donateurs et gouvernements de pays riches ne traitent le phénomène qu’avec des mesures palliatives. De nombreux dirigeants africains n’y voient que du feu et certains y contribuent parfois sans en comprendre la finalité ultime, pourvu que la ventrologie soit au rendez-vous.
A force de ne pas offrir des solutions concrètes aux PMA, l’OMC apparaît de plus en plus comme un système réservé à des pays dont l’influence et le poids économique et militaire sont équivalents. Vouloir appliquer ces règles entre des poids lourds du commerce mondial à des lilliputiens du commerce, c’est offrir la priorité première aux entreprises transnationales sur les Gouvernements et passer les intérêts des populations et des PMA en priorité seconde. Il arrive que cela se fasse avec la complicité de certains représentants des PMA. L’aide pour le commerce a indirectement pour objet de soutenir cette approche de division des pays en développement, des PMA en particulier. Le réussir constituerait un « jackpot », mais là aussi ce fut l’échec au cours du 1er mandat de Pascal Lamy.
7. Flexibilité pour assouplir les Engagements : qui sont les vrais gagnants ?
Le Rapport sur le commerce mondial 2009 a pour thème “Les engagements en matière de politique commerciale et les mesures contingentes”. L’OMC institutionnalise de la sorte la flexibilité dans les engagements pris. Cette flexibilité peut aller paradoxalement jusqu’à favoriser le protectionnisme, ce que l’OMC tente officiellement par tous les moyens de combattre, sans grand succès pour le moment. Les intérêts nationaux semblent primer.
Qu’est-ce que la flexibilité dans les engagements? Il s’agit entre autres des différentes mesures contingentes prévues dans les accords commerciaux qui profitent surtout aux pays les plus influents. On parle aussi de “clauses d’exemption” ou de “soupapes de sécurité”. Ces mesures de sauvegarde (droits de douane ou des contingents, ou imposition des droits antidumping sur les marchandises) peuvent ouvrir la possibilité à vendre à perte, soit procéder à un “dumping” des droits compensateurs pour justement neutraliser les mesures considérées comme gênantes par l’OMC, mais en réalité gênantes pour les pays les plus influents. Il s’agit essentiellement d’une attaque en règle contre :
• les subventions,
• la renégociation des engagements tarifaires,
• l’application de taxes à l’exportation, et
• le relèvement des droits de douane jusqu’à leur niveau maximal légal.
Ces mesures nouvelles de flexibilité sont censées assurer aux Gouvernements une certaine flexibilité dans le cadre de leurs engagements commerciaux. En réalité, cela permet de retarder voir rendre impossible la constatation d’infraction par rapport aux engagements pris. Dans la pratique, cette flexibilité est quasiment prohibée pour les pays pauvres et ce n’est pas un système d’Aide pour le Commerce biaisé qui pourrait modifier la donne.
Est-ce que les pays comme le Togo, le Bénin, le Burkina, le Mali qui produisent du coton peuvent se permettre de mettre en place des droits compensateurs pour neutraliser les subventions de l’Union européenne ou des États-unis à leur agriculteurs? C’est comme si une fois que l’on réussi à obtenir son permis de conduire et que l’on signe en fait un engagement de bonne conduite avec la collectivité, on annonce que l’on pourra brûler les feux rouges à volonté lorsqu’on est pressé. Il s’agit donc de la flexibilité dont parle l’OMC pour les PMA. Vous comprenez que seul un poids lourd peut se permettre ce genre d’exemptions sans trop de représailles de la police. Le poids lourd en l’occurrence représente les pays les plus influents. Avec ce système de flexibilité, l’OMC est en train de rendre plus difficile la capacité de porter, au niveau de l’organe des règlements des différends de l’OMC, les conflits commerciaux opposants les États membres. En effet, en jouant sur la flexibilité, il sera de plus en plus difficile de porter au contentieux un conflit, ce qui force à la négociation et donne un avantage à celui qui détient un rapport de force et un moyen de chantage commercial sur l’adversaire.
En fait, il s’agit discrètement d’avancer vers l’ouverture complète des marchés en faisant accepter l’accès aux marchés pour les produits non agricoles essentiellement des produits manufacturiers tout en autorisant un “mécanisme de sauvegarde spéciale” qui permet à un pays de protéger ses agriculteurs en cas de pics ou d’invasion des importations de produits venant d’un pays concurrent. Comment voulez-vous que les pays africains qui ne produisent pratiquement pas de biens manufacturiers puissent organiser leur production industrielle émergente sans subir le contrecoup des sanctions devant l’organe des règlements des conflits de l’OMC ? En réalité, les subventions pour les industries naissantes dans les pays pauvres sont sévèrement sanctionnées. C’est un système de double standard basé sur le rapport de force commercial et financier. C’est d’ailleurs cette politique de « deux poids, deux mesures » qui explique le refus des ministres des pays en développement (pays émergents et pays pauvres) de se faire « rouler dans la farine par un système » où ils ne trouvent pas leur compte. Aussi, ces représentants des pays en développement apprennent de mieux en mieux à défendre les intérêts collectifs de leur population et à ne pas céder sur du chantage des fonds de l’aide au commerce.
8. Les huit erreurs du premier mandat : correction indispensable
Voici au moins huit erreurs principales qui pourraient expliquer les résultats bien mitigés du 1er mandat de Pascal Lamy. Il convient toutefois de reconnaître que l’organe des règlements des différends de l’OMC, une sorte de tribunal de la règlementation commerciale mondiale, a fait du très bon travail tant en qualité, que sur le fond. Encore faut-il avoir les moyens financiers et l’équipe de juristes internationaux pour soutenir le pari.
8.1 Erreur stratégique : Toute l’approche de l’OMC consiste à se focaliser uniquement sur des négociations globales. Cette approche « mondiale », adoptée pour parvenir à des consensus entre 153 Etats sur la base de négociations du commerce mondial, revient à opter pour une approche frontale des négociations globales en comptant sur les rapports de force et le chantage commercial et sur l’aide pour le commerce pour faire avancer les dossiers. Cette approche n’a pas fonctionné. En optant pour des séries de négociations régionales et thématiques pour faire avancer les dossiers à petits pas, l’OMC ne se serait pas mis tout le monde à dos, ce qui a permis indirectement de renouveler l’échec de Cancun en 2003 et Seattle en 2001 avec comme résultat l’absence de décision aux différentes conférences ministérielles de l’OMC. En réalité, les pays en développement refusent de servir de variables d’ajustement pour les pays riches et les PMA refusent de l’être pour les pays riches et les émergents. C’est cette nouvelle complexité qu’il va falloir gérer au cours du nouveau mandat.
8.2 Erreur dogmatique : le néo-libéralisme, le libre-échange et le refus du protectionnisme furent érigés en dogme économique et, en fait, ne profitent principalement qu’aux pays industrialisés et certains pays émergents. La crise financière d’automne 2008 a battu tout ceci en brèche avec des chutes record du commerce mondial jamais égalées auparavant. Cette erreur dogmatique promeut un commerce sans le développement des capacités productives comme moteur de croissance économique et ne considère plus la création d’emplois avec des salaires décents comme une priorité. Ne défendre qu’une partie du système économique est une erreur dogmatique. L’approche de l’offre est incomplète et il faut absolument réintroduire l’approche par la demande.
8.3 Erreur de procédure : la recherche d’un consensus apparaît biaisé en faveur des pays les plus influents économiquement et pouvant faire du chantage sur l’aide au développement et l’aide au commerce. Mais ce sont les méthodes non transparentes, et parfois vexatoires, pour amener les pays à adhérer à un texte concocté au préalable au sein des pays influents, principalement les pays industrialisés (OCDE), qui continuent à poser problème. La neutralisation des pays les plus résistants à la position dominante proposée par les pays riches tend à se focaliser sur les pays comme l’Inde. Mais, il existe des moyens de pression autrement plus discrets comme traiter directement avec un ministre d’un PMA sans son conseiller ou l’intimider en marchandisant les promesses d’assistance technique ou d’aides financières directes dans le cadre des initiatives de capacités commerciales (promesses de suppression des fonds alloués par les pays riches). La menace peut prendre la forme d’un retrait alors que l’engagement d’affectation de ses fonds a déjà été attribué. En passant par le Chef d’Etat de certains pays des PMA, il est possible d’avoir la tête du ministre ou son adhésion . Souvent les personnes désignées pour les consultations par les pays pauvres sont des personnalités qui sont largement connues pour avoir épousé les vues des pays riches, non sans contreparties. C’est en fait en filigrane tout le problème de la légitimité des élections démocratiques en Afrique qui est posé. Il n’y a pas lieu de revenir sur tout un système de confusion organisé sur les différentes versions des textes ou des traductions lors des approbations… il n’est pas étonnant de voir un délégué des PMA se faire berner en adoptant un texte obsolète ou une traduction non fidèle, etc.
8.4 Erreur de communication : il arrive trop souvent que les positions des pays pauvres regroupés au niveau interrégional (ACP, Pays les moins avancés, etc.) sont souvent parfaitement ignorées. Mais il arrive que la direction de l’OMC leur demande, parfois sans ménagement, de s’adapter à la proposition provenant des pays de l’OCDE. Sur le dossier des subventions agricoles, il faut noter les conciliations de la direction de l’OMC sur les positions de la Commission de l’UE qui se propose de faire des efforts uniquement si les Etats-Unis font un effort similaire. En réalité, cela abouti à un statu quo aux dépens des PMA. La mise en cause de la neutralité du Directeur général de l’OMC est souvent invoquée. Cette erreur de communication pourra assez facilement être corrigée si la volonté y est.
8.5 Erreur consistant à oublier de réformer une institution non démocratique : l’actuel Directeur général de l’OMC n’a pas fait progresser dans les faits la réforme de l’OMC qui n’est pas considérée comme une institution démocratique mais un système organisant les rapports de force unilatéralement. Paradoxalement, alors que l’on évoque des règles commerciales, c’est justement le droit qui passe en priorité seconde, ce que la flexibilité déclinée dans le Rapport 2009 de l’OMC vient expliquer. Cette réforme est pourtant indispensable et semble avoir été repoussée aux calendres grecques.
8.6 Erreur consistant à promouvoir la justice censitaire : il suffit de prendre comme exemple les conflits sur les entorses aux règles de l’OMC dans le domaine de l’agriculture et des subventions agricoles. L’organe des règlements des différents n’est accessible qu’à ceux qui peuvent s’acquitter des frais de constitution et de suivi du dossier. L’accès est trop cher pour les pays faiblement industrialisés et en majorité constitués de PMA. Par ailleurs, l’organe des règlements des différends de l’OMC a condamné en appel les Etats-Unis le 2 juin 2008 suite à une plainte du Brésil. L’OMC a donc ainsi reconnu que les subventions accordées par le Gouvernement américain pour soutenir sa production de coton ont été faites sur une base déloyale. Entre les 4 milliards de $US par année de dédommagements demandés par le Brésil et les 147,4 millions de $US proposés en 2006 par l’OMC, il y aura encore de longues discussions pour oser « imposer » le respect des règles de l’OMC aux États-unis, même avec des nouvelles « règles mathématiques » qui signifient que personne n’est d’accord sur les montants proposés. Pourtant selon l’État brésilien, les Etats-Unis ont subventionné leurs producteurs de coton à hauteur de 89,5 % entre 1999 et 2002 soit 12 milliards de $US de subventions alors que la valeur des récoltes n’a pas atteint 13,9 milliards de $US . Mais le fait que les États-unis ne modifient pas leur position montre bien que l’OMC ne fonctionne que si les pays influents et puissants le souhaitent . Les États-unis préfèrent être condamnés que de se mettre à dos leur puissant lobby agricole et de supprimer les subventions américaines au coton. Par ailleurs, ces subventions américaines sont dirigées de plus en plus vers la production de biocarburant. Le montant que les États-unis décideront de payer sera en fait le montant que les pays influents accepteront de payer comme dédommagements pour ne pas respecter leur engagement de mettre fin à des subventions intervenant sur un marché dit libre.
8.7 Erreur liée à la déviation possible de l’aide pour le commerce : le renforcement des capacités commerciales (aide pour le commerce) sert plus comme un outil d’influence des pays pauvres les moins influents pour s’aligner sur les positions des pays riches… Une façon détournée de bloquer le développement des capacités productives approuvées par tous les chefs d’Etat africains y compris le Maroc en juillet 2004. Par ailleurs, la volonté d’un retrait progressif des subventions agricoles n’est que le signe annonciateur d’un retrait pur et simple de toutes les formes de subventions. Ce qui signifie que les pays faiblement industrialisés et plus particulièrement les PMA ne peuvent plus soutenir leurs industries naissantes. Autrement, l’OMC servirait la cause de ceux qui retardent ou s’opposent à l’industrialisation dans les pays pauvres. A l’opposé, les subventions européennes à leur agriculture n’ont pas été supprimées alors que l’Union européenne protège son agriculture productiviste et subventionnée et demande aux Africains de libérer et ne pas subventionner leurs petites exploitations. C’est cela aussi la politique des deux poids, deux mesures. En effet, ce ne sont pas les petites exploitations des pays européens qui profitent principalement de ses subventions. Il ne faut donc pas s’étonner que certains ministres des PMA affirment à huis clos que l’UE ne soutient pas l’Agenda pour le développement. Avec comme objectif de promouvoir une libération totale immédiate pour tous les Etats-membres de l’OMC, sans garantie que les groupes influents comme les Etats-Unis ou l’UE vont stopper leurs subventions aux grandes exploitations agricoles, l’OMC, avec le principe de flexibilité introduite dans les engagements, risque de brouiller les repères. L’aide pour le commerce pourrait devenir un piège pour les pays faiblement industrialisés.
8.8 Erreur sur le démantèlement des services publics : En filigrane des pratiques commerciales, il y a une volonté de retirer d’une gestion publique tout ce qui peut être assimilé de près ou de loin à un service à la collectivité (eau, électricité, travaux publics, etc.). Cela devrait se faire par le biais des privatisations mais cet état de fait a conduit dans certains pays africains à voir l’eau couter plus cher que le litre d’essence. Ce dogmatisme mérite d’être revisité au cas par cas et avec l’aval des autorités locales. Par ailleurs, il existe des entreprises publiques dans les pays pauvres qui fonctionnent lorsque les interférences politiques intempestives sont limitées au minimum. En effet la privatisation sans une contrepartie de service public dans les secteurs de l’éducation, la santé ou l’environnement pourrait conduire certains pays à perdre le peu de souveraineté qui leur reste. Dans la même veine, il faut être vigilant sur les droits de Propriété Intellectuelle en rapport avec le Commerce qui peuvent se révélés n’être qu’un nouveau droit de la propriété en contradiction avec le droit à la santé, le droit à la souveraineté sur les ressources naturelles dans les pays les moins influents. Il faut noter qu’il y a eu des avancées sur le droit aux médicaments essentiels afin de pouvoir lutter contre les épidémies et la santé publique… Les luttes mémorables sur la production de médicaments génériques dont les brevets ne sont pas tombés dans le domaine public avaient fait la « une » de plusieurs journaux. L’approche ne peut être dogmatique et doit se réaliser au cas par cas.
9. Conclusion : réinventer l’économie de la demande
Avec l’OMC, le lien entre le commerce et l’emploi devient flou… En fait, la croissance du commerce se fait souvent au détriment de l’emploi décent. De fait, l’humain n’était plus vraiment au centre des préoccupations de l’Organisation. Le premier mandat de Pascal Lamy n’a pas changé la donne.
En réalité, l’OMC ne sert principalement que les intérêts commerciaux des pays riches et émergents. Evo Morales et bien d’autres représentants courageux des PMA prônent sans le dire une forme de désobéissance civile internationale qui va bien au-delà des mesurettes que sont l’introduction de flexibilité ici et là, pourvu que le principe du système ne soit pas rediscuté. D’ailleurs, si les réformes de l’OMC n’ont pas été évoquées pendant le 1er mandat de Pascal Lamy, il ne faut pas s’en étonner et cela met en cause l’impartialité même du poste de Directeur général d’une telle organisation. A ce petit jeu, l’aide pour le commerce sert à la fois d’assistance et de chantage pour faire avancer en priorité les positions des pays les plus influents.
Outre l’incapacité de faire aboutir le cycle de négociations de Doha en prenant en compte les impératifs de développement des pays les moins avancés, la critique majeure à faire à l’OMC repose sur la mise en œuvre sans discernement de l’orthodoxie du néo-libéralisme avec des régulations profitant en priorité aux pays à influence forte. Au plan de la macro-économique stratégique, l’OMC a privilégié l’offre des biens et services aux dépens de la demande des biens et services. En effet, tout le système de réglementations commerciales consiste à promouvoir la compétition et la concurrence pour neutraliser au mieux tout ce qui viendrait gêner l’offre sur le marché mondial. C’est ainsi que tout est organisé pour :
a) promouvoir la rentabilité de l’actionnariat, et l’innovation financière dans des espaces dérégulés,
b) faire sauter la rigidité des marchés de l’emploi,
c) faire disparaître les protections sur le marché des matières premières non-transformées
d) enlever la priorité sur la création d’emplois décents et la valorisation du pouvoir d’achat dans les PMA,
e) limiter au maximum la fiscalité sur le capital en responsabilisant au maximum les Etats tout en protégeant les intérêts des entreprises transnationales,
f) favoriser le non-respect des engagements en introduisant la flexibilité qui n’est opérationnelle que pour les pays les plus influents,
g) faire de l’aide pour le commerce un instrument discret d’asservissement qui tend à empêcher le développement des capacités productives dans les pays faiblement industrialisés,
h) promouvoir des politiques structures palliatives qui tendent à marginaliser la demande comme facteur essentiel de développement pour les pays les moins influents, et
i) s’assurer de renverser la charge de la preuve sur les protagonistes du commerce mondial tout en se présentant comme l’interlocuteur indispensable à la formation de consensus flexibles.
Ayant ainsi muselé une grande partie des responsables des PMA qui n’osent, par souci de mesures de rétorsions, afficher leur vraie position et les dégâts causés par des règles du commerce mondial dans leur pays respectif, le candidat choisi par défaut pour un deuxième mandat de quatre ans se retrouve face à un conseil d’administration qui fonctionne mieux sur une base collective. Les PMA ont compris que dans ce jeu de rapports de force, il est préférable de tenir aussi longtemps que possible leur position commune. Les avancées sur le cycle de Doha ne pourront venir d’abord que des États-unis, de l’Union européenne et des pays émergents notamment l’Inde, la Chine, le Brésil et l’Afrique du Sud. En effet, l’économie de l’offre a montré ses limites avec la crise de 2008. Il faut réinventer l’économie de la demande avec les populations et réformer le mode de fonctionnement de l’OMC. C’est aussi cela l’approche « du bas vers le haut ». Ce n’est qu’à cette condition que les « en-bas d’en bas » seront pris en considération par les « en-haut d’en haut ». Les pays faiblement industrialisés gagneraient à exiger qu’un moratoire spécial leur soit appliqué pendant un délai restant à négocier. En effet, avec la crise dont ils ne sont pas responsables, il y a lieu de reconsidérer l’ouverture totale et immédiate de leurs marchés qui ne manqueront pas d’être envahis par les produits des pays industrialisés, lesquels ne se gênent pas pour aussi déverser les produits périmés et non homologués chez eux et souvent polluants dans les PMA.
Faut-il rappeler que l’Afrique et les PMA en particulier ne figurent pas au menu des thèmes principaux du groupe de réflexion de Pascal Lamy , une agence fondée en décembre 2005 pour rendre intelligible la communication des positions consensuelles obtenues par ses membres sur les sujets considérés comme prioritaires. Comme ce groupe de pression tend à influencer les positions de Pascal Lamy, l’OMC serait-elle en train de faire uniquement de l’idéologie partisane de manière contingente, à l’image de son rapport annuel 2009 ?
C’est en acceptant en toute humilité de répondre aux différents défis mentionnés plus haut que la reprise des négociations de Doha pourrait s’opérer dans des conditions de confiance retrouvée. Ceci devrait permettre éventuellement de parvenir à des conclusions partielles en 2010 qui ne pourront faire l’impasse sur un début de solutions effectives pour les pays les moins avancés. Les arrangements entre pays émergents et pays riches pourront toujours se terminer au niveau de l’organe des règlements des différents de l’OMC.
Dr. Yves Ekoué Amaïzo
Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology »
6 septembre 2009
1. Selon le diplomate qui a préféré garder l’anonymat, «… En tout, cela faisait une hausse de 32 %. Il n’y a pas eu – comment dire cela d’une manière diplomatique ? – d’enthousiasme pour revoir le paquet de ses émoluments, étant donné la crise financière et économique et en particulier dans la proportion demandée… La position était absolument unanime »; voir Nations Presse. Info, « Pascal Lamy, le patron de l’OMC, ne sera pas augmenté… le pauvre ! », in NP Info Rhône-Alpes, 17 juillet 2009,
< http://www.nationspresse.info/?p=51493>
2. ACICI (AITIC en anglais), « Quelles sont les répercussions de la crise du crédit sur les pays les moins avancés ? », Notes de synthèse, L’Agence de coopération et de l’information pour le commerce international (ACICI), Fondation pour des actions concrètes, mars 2009, voir <http://www.aitic.org/documentation/notes/note68_fr.htm>
3. WTO, Short-term merchandise trade statistics: Quarterly world merchandise export developments, 2005-09, voir Statistics Database, < http://www.wto.org/english/res_e/statis_e/statis_e.htm>.
4. WTO, op. cit.
5. Ibid
6. Organisation mondiale du Tourisme, Vision Tourisme 2020, OMT, 2001, p. 11:
voir < http://pub.unwto.org/epages/Store.sf/?ObjectPath=/Shops/Infoshop/Products/1179/SubProducts/1179-1>
7. Frances Williams, « Lamy says job losses will hit free trade », Financial Times, 1st September 2009, voir <http://www.ft.com/cms/s/0/aff7e2b2-9714-11de-83c5-00144feabdc0.html>
8. Pascal Lamy, « Lamy urges breakthrough in trade negotiations », Speech of Pascal Lamy, International Monetary and Financial Committee (IMFC) Meeting, Washington D.C., 15 April 2007, voir < http://www.wto.org/english/news_e/sppl_e/sppl59_e.htm> ; l’aide pour le commerce a été formellement proposée pour éviter l’échec des négociations commerciales.
9. WTO, World Trade Report 2009 : Trade Policy Commitments and Contingency Measures, WTO, Geneva, 2009, voir
< http://www.wto.org/english/res_e/publications_e/wtr09_e.htm>
10. Braulio Moro, « Bolivie, une autre politique commerciale », entretien avec Pablo Solon, in Risal Info, 14 décembre 2006, voir <http://risal.collectifs.net/spip.php?article1983> ; source originale : voir Inprecor (www.inprecor.org), n° 521-22, novembre 2006.
11. Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction), La neutralité coupable : l’autocensure des Africains. Un frein aux alternatives ? Editions Menaibuc, collection « interdépendance africaine », 2008.
12. Yves Ekoué Amaïzo, « OMC : Solidarité par défaut ou accalmie trompeuse », in Afrology Think Tank, 23 décembre 205, voir : < http://amaizo.info/2005/12/23/omc-solidarite-par-defaut-ou-accalmie-trompeuse/>
13. Les alternatives au poste ministériel dans les pays les moins avancés ne sont pas légions. Cela développe la déresponsabilisation et parfois la corruption.
14. AFP, « Coton : l’OMC impose aux USA des sanctions en faveur du Brésil », Le Parisien, 31 août 2009, voir : <http://www.leparisien.fr/flash-actualite-economie/coton-l-omc-impose-aux-usa-des-sanctions-en-faveur-du-bresil-31-08-2009-622222.php>
15. Atsutsè Kokouvi Agbobli, Le monde et le destin des Africains. Les enjeux mondiaux de puissance, éditions l’Harmattan, collection « interdépendance africaine », Paris, 2002.
16. Voir www.telos-eu.com, groupe de réflexion et d’influence de Pascal Lamy.