LES DOSSIERS

Côte d’ivoire : élections et relance économique

Yves Ekoué Amaïzo

Côte d’ivoire : élections et relance économique 
L’art du « coupé-décalé « 

La tenue des élections présidentielles et législatives, prévue en octobre 2007, vient d’être repoussée pour la cinquième fois avec de nouvelles dates butoir comme le 30 novembre 2008, reportée au 15 décembre 2008, et de nouveau pour 2009 par le comité électoral. Le Président Laurent Gbagbo a pourtant affirmé récemment : « je ne veux pas qu’on arrive en 2009 sans élections « . Pour respecter les critères juridiques du processus électoral choisi, la liste électorale doit être publiée trois mois avant la tenue des élections.

Pour le moment, le risque est grand que cette clause ne soit pas respectée. Aussi, il faut se rendre à l’évidence que le Président comme les députés, membres du parlement de ce pays, opèrent sans mandat. Le risque électoral ivoirien a simplement été « coupé et décalé ». Les responsabilités officielles demeurent inconnues et le statu quo arrange les adeptes de la « démocratie à l’africaine ». Cela renforce l’impression selon laquelle les alternances politiques en Afrique se font difficilement à l’amiable car plusieurs rallonges officieuses au mandat électoral officiel finissent par être considérées comme un sport national. Pour beaucoup d’élus, l’alternance politique signifie souvent la fin de salaires et autres avantages liés au poste électoral. C’est la période privilégiée pour assister à des transfuges politiques opportunistes.

Il ne faut pas s’étonner que les dépenses discrétionnaires de l’État ivoirien soient en augmentation. La relance économique risque de subir le même retard bien que les principaux fondamentaux économiques de la Côte d’Ivoire sont en amélioration. Faut-il trouver là des corrélations entre l’arrangement spécial entre l’État et l’entreprise multinationale Trafigura, qui a, entre autres, pour métier de vendre des déchets toxiques ? Les négociations ont été menées par Eric de Turckeim, co-fondateur de Trafigura et la signature a été effectuée par Roald Goethe, représentant officiel de la compagnie hollandaise . Cet arrangement a abouti à un versement de 100 milliards (Mds) de FCFA pour dédommager les victimes d’un crime écologique et sanitaire. Pourtant, de nombreuses victimes n’ont pas été identifiées, ni indemnisées. Un tel oubli laisse rêveur !

1. Déchets toxiques et dépenses discrétionnaires

En août 2006, les responsables du cargo Probo Koala avec la complicité ou le silence de toute une chaîne de dirigeants locaux et internationaux, ont réussi à déverser plus de 500 tonnes de déchets chimiques et toxiques à Abidjan et dans plusieurs décharges officielles ou officieuses en Côte d’Ivoire. Au moins 9 morts et plus de 100 000 personnes contaminées selon le ministère de la Santé ont été dénombrés sur Abidjan. Du fait des lacunes dans le respect des procédures de salubrité publique, des insuffisances dans la protection de l’environnement et de l’indiscipline dans l’organisation de la sécurité sanitaire des citoyens ivoiriens, un crime écologique et sanitaire s’est transformé en un crime économique. La responsabilité première se retrouve au niveau du laxisme des autorités portuaires, des sous-traitants locaux et d’une règlementation poreuse qui ne met pas l’humain au centre de ses préoccupations. A ce titre, le laxisme promeut l’injustice entre les citoyens face à la pollution par déchets toxiques. Ce laxisme facilite les transferts de déchets dangereux à partir des pays de l’Organisation de la Coopération et de Développement Economiques (OCDE) vers les pays africains. Cela se pratique dans l’indifférence et l’impunité générales tant que les effets collatéraux imprévus sur les populations ne sont pas perceptibles.

L’ampleur des effets collatéraux sur la population et la rapidité avec laquelle le principal responsable de l’entreprise multinationale (hollandaise) Trafigura Beheer BV a pu faire avaliser, le 13 février 2007, une sorte de solde de tous comptes à l’État pose le problème de l’impunité en Côte d’Ivoire. En effet, l’État ivoirien en acceptant, en guise d’indemnisation, le versement d’une somme de 100 Mds de FCFA (152 millions d’euros) des dirigeants de Trafigura, a, en fait, scellé la fin des poursuites judiciaires à l’encontre des dirigeants de la multinationale. Il faut d’ailleurs s’étonner de la présence de nombreux avocats de l’État ivoirien qui se sont constitués partie civile dans le procès du bateau-cargo Probo Koala ayant transporté les déchets toxiques. Bien que Trafigura continue à se réfugier derrière l’argumentaire de « l’accident », il pourrait se retrouver devant les tribunaux car une procédure est en cours au Royaume-Uni. Il ne faut néanmoins pas désespérer de la justice ivoirienne, si les interférences politiques sont circonscrites. Mais, parvenir à condamner le menu-frottin ne constitue jamais qu’une justice incomplète.

Malgré un rapport accablant qui les mettait en cause dans le déversement des déchets toxiques dans les décharges de la capitale et dès la signature de l’arrangement entre l’État ivoirien et Trafigura, trois responsables de cette entreprise multinationale dont deux Français qui étaient en prison depuis 3 mois au moment du scandale ont été relâchés. Des personnalités proches du Président Gbagbo ont pu reprendre leur poste après trois mois de suspension .

De très nombreuses victimes estiment ne pas avoir été considérées comme des victimes à part entière et de ne peuvent prétendre bénéficier de l’indemnisation. D’après les victimes, moins de 1/100e de cette somme aurait servi à l’indemnisation. Où est partie la différence ? Corruption ? Soupape de sécurité pour boucher les trous de l’endettement du pays ? La réponse partielle se trouve dans un rapport du Fonds monétaire international, avalisé par le Gouvernement ivoirien . Le Gouvernement ivoirien a utilisé les « recettes obtenues au titre du dédommagement des déchets toxiques (0,3 % du PIB, soit 27,8 Mds de FCFA) pour indemniser les victimes et mettre en œuvre les projets de prévention, et a conservé le reste pour les dépenses prévues dans ce cadre en 2008 et 2009 ».

En réalité, il faut savoir que la Côte d’Ivoire tire des revenus du traitement des déchets toxiques avec près de 13,6 Mds de FCFA en 2007 et une programmation de 35 Mds de FCFA pour 2008. Paradoxalement, si l’on cumule les dépenses courantes programmées de l’administration centrale qui se rapportent aux dépenses toxiques de 2006 avec 15,7 Mds de FCFA, de 2007 avec 49,3 Mds de FCFA et de 2008 avec 20 Mds de FCFA, on aboutit à une somme cumulée de 85 Mds de FCFA . Ainsi, il est possible de croire que l’utilisation des 100 Mds de FCFA de Trafigura mériterait plus de transparence quant à l’utilisation effective qu’en fait l’État ivoirien, surtout si l’évolution des dépenses discrétionnaires par les plus hautes institutions de l’État témoigne d’un dépassement en 2007, ceci aux dépens de certains programmes d’infrastructure, certaines initiatives de sortie de crise et de l’indemnisation des Ivoiriens sans voix.

Sur demande du Gouvernement ivoirien, l’ONU a dépêché en août 2008 un Nigérian, M. Okechukwu Ibeanu, comme Rapporteur spécial sur les conséquences néfastes des mouvements et déversements illicites de produits et déchets toxiques sur les populations. Le rapport est attendu pour 2009 et sera présenté au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU . Il faut rappeler que le directeur de la société Tommy est nigérian. Il est le sous-traitant local de Trafigura qui l’accuse d’avoir procédé au déversement des déchets en dehors des normes requises. Ainsi, quatre responsables ivoiriens et un responsable nigérian sont les principaux accusés du procès en cours alors que les deux cadres français et des personnalités proches du pouvoir ont été relâchés. Deux mois après la crise écologique, le gouvernement ivoirien a fait dépolluer 17 sites rien que sur Abidjan où près de 5 000 Tonnes ont été retirées. Entre septembre et octobre 2006, une grande partie des déchets toxiques fut renvoyée en France .

En septembre 2008, les ministres africains de l’environnement ont rappelé que les besoins humains doivent être satisfaits de manière durable dans le cadre de la protection de l’environnement. Ils ont aussi fait mention du cas ivoirien et ont rappelé que ce sont les Africains, il y a plus de 20 ans, qui sont à l’origine de la création de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières et le stockage des produits dangereux et toxiques et que les bailleurs de fonds sont restés bien discrets sur les financements dans ce secteur . Il faut donc croire que c’est au sein des budgets des États africains, si possible en croissance régulière, qu’il va falloir réaliser les bons arbitrages au profit de la protection de l’environnement y compris les conséquences des déchets toxiques sur les populations pauvres et désarmées. L’économie ivoirienne est-elle capable dans un avenir proche d’y répondre ? Vraisemblablement si la priorité est donnée à la sécurité écologique des populations et si la croissance économique est au rendez-vous.

2. Élections décalées

La confiance des investisseurs et la reprise économique effective risquent d’être décalées à l’après élection présidentielle, laquelle vient d’être repoussée au 15 décembre 2008. La Côte d’ivoire est bien en train d’exporter la musique « coupé-décalé » vers le champ politique. Le risque de dérapage devrait s’amoindrir si les élections présidentielles sont transparentes et équitables et déclarées comme telles par tous les candidats, y compris Mr. Alassane Ouattara, Président du Rassemblement des Républicains (RDR), candidat empêché lors du précédent scrutin. Le 4 octobre 2008, ce dernier vient de lancer sa campagne à Yamoussoukro, la capitale ivoirienne .

D’après « Transparency international », la Côte d’Ivoire est classée 151e sur 180 pays en termes de perception de la corruption en 2008 . L’indice de Mo Ibrahim 2008 publié le 6 octobre 2008 et qui porte sur l’état de la gouvernance classe la Côte d’Ivoire au 46e rang sur 48 pays en Afrique subsaharienne. Avec le Gabon en 8e position, de nombreux spécialistes mettent en doute les pondérations affectés aux cinq critères retenus . Ces indicateurs de performance se proposent de donner une interprétation africaine même si paradoxalement, une grande partie des calculs et évaluations est sous-traitée à l’Université Harvard aux États Unis. Le risque Côte d’Ivoire reste lié au degré de corruption et de respect des engagements pris. Le conseil de sécurité des Nations Unies en renouvelant le mandat de l’ONUCI, forces de la paix pour 6 mois, jusqu’au 31 janvier 2009, témoigne d’une situation non encore pacifiée en Côte d’Ivoire malgré les avancées sur les accords de retour à la paix. L’ONUCI couvre aussi la force française Licorne qui a certainement permis de stabiliser le pays.

Ce sont pourtant les fraudes électorales, les violences postélectorales et les conséquences de la déstabilisation qui s’en suivront qui génèreront un risque incalculable. On peut comprendre alors le décalage à répétition des élections. Prudence ? Meilleure préparation ? Certainement si la transparence suit. Le fait que l’actuel premier ministre, Guillaume Soro soit âgé de 35 ans et que l’éligibilité pour se présenter au poste de Président de la République soit de 40 ans l’élimine d’office, ce qui n’empêche pas son parti les Forces nouvelles (FR) de prendre part au prochain gouvernement de « large » participation. La lutte pour le partage du pouvoir se fera principalement entre l’actuel Président de la République, Mr. Gbagbo pour le parti FPI (Front populaire ivoirien), l’ex-Premier ministre, Alassane Ouattara (RDR) et l’ex-Président Henry Konan Bédié, du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Avec la crise financière actuelle, les options économiques de ces différents partis sont difficiles à distinguer. Les nuances entre la social-démocratie socialisante du FPI et un libéralisme qui tient compte des populations des partis RDR et du PDCI sont bien difficiles à distinguer sur le fond pour les électeurs. Les vrais choix pourraient se faire sur des bases ethniques et en fonction des liens personnels et des multiples réseaux religieux et opaques très influents et peu démocratiques.

3. Relance économique décalée

Le produit intérieur brut (PIB) des quatre dernières années (2004-2008) sous la Présidence Gbagbo est en amélioration. Avec une croissance économique au-dessus de la croissance de la population mais qui peine à se stabiliser au dessus du taux de croissance de l’inflation, les effets bénéfiques sur la population restent très mitigés. Les accords de partage de pouvoir signés en mars 2007 entre M. Gbagbo et M. Soro ont renforcé les chances de durabilité de cette situation. Toutefois si les reports de la date de tenue des élections continuent et que les élections ne se tiennent pas avant mi-juin 2009, la crédibilité du Président Gbagbo risque d’être sérieusement remise en cause. Mais il faut mettre au crédit de ce gouvernement que le solde primaire de base des finances publiques reste durablement positif (voir tableau 1).

Tableau 1: Côte d’Ivoire: scénario à moyen terme 2007-2010

Tableau 1: Côte d’Ivoire: scénario à moyen terme 2007-2010
Données économiques choisies***
Moyenne 1999-2003 Moyenne 2004-2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012
Croissance réelle du PIB (en %) -1,6 1 1,6 3,5 2,9 5,6 6,2 6,3
Croissance de la population (en %) 1,9 1,6 1,5 1,5 1,5 1,5 1,5 1,5
Inflation* (en%) 2,8 2,6 2,0 3,0 2,7 2,7 2,7 2,7
Solde primaire de base** (en % du PIB) 2,7 0,6 1,0 1,3 1,2 1,4 1,6 1,5
Solde global**** -1,3 -1,7 0,3 0,2 -0,7 -0,9 -1,2 -2,0
* Indice des prix à la consommation (moyenne annuelle)
** Solde des finances publiques (recettes moins dépenses totales) sans intérêts et dépenses d’investissement financées sur ressources extérieures.
*** A partir de 2007, il s’agit de données programmées dans le budget et entre 2008-2012, de projections.
**** Y compris les dons (comptabilisés dans la base d’ordonnancement)Source: Autorités ivoiriennes et estimations et prévisions du FMI, Côte d’Ivoire: Demande d’Assistance d’urgence Post-Conflit, Rapport 08/142, juin 2008, p. 35.

Avec la légère détérioration des termes de l’échange passant annuellement de 5,8 % en 2006 à -1,3 % en 2007 (-1,1 % programmé pour 2008 ), la Côte d’Ivoire a bénéficié d’une bonne tenue des prix des principales matières premières notamment la fève cacao qui passe en moyenne de 1,3 $US par kg en 1999-2003 à 1,56 $US par kg en 2004-2006 et 1,60 $ US par kg en 2007 avec des projections autour de 2,00 $ US en fin 2009 . On assiste à une légère chute de la production de cacao passant de 1 363 milliers de tonnes en moyenne entre 2004-2006 à environ 1 225,6 milliers de tonnes en 2007. Toute déstabilisation sociale risque de remettre en cause les prévisions optimistes autour de 1 353,6 milliers en 2009 de tonnes .

Depuis 2004, les exportations arrivent à couvrir les importations. En 2008, les exportations étaient estimées à 4 557,7 Mds de FCFA contre des importations autour de 3 107,8 Mds de FCFA. Il faut rappeler que 29,4 % des exportations sont composées de cacao et 34,5 % de pétrole brut, rendant les exportations sensibles aux fluctuations des devises, du climat et de la production. La balance commerciale reste positive avec 15 % en 2007 et devrait se stabiliser autour de 14,4 % en 2008. Toutefois, le solde global de la balance des paiements reste structurellement déficitaire, quoiqu’en amélioration constante passant graduellement de -297,5 Mds de FCFA (-3,6 % du PIB) en 2004, avec un pic de -347 Mds de FCFA en 2005 (-4 % du PIB), à une estimation autour – 95,6 Mds de FCFA en 2007 (-2,1% du PIB) et de -83,8 Mds de FCFA en 2008 , soit -0,8% du PIB alors que la programmation des autorités ivoiriennes était de 0,2 % du PIB (voir tableau 1).

La crise alimentaire est passée par là avec comme conséquences des revendications sociales nombreuses. Celles-ci pouvant entraîner des nouvelles déstabilisations, des mesures ponctuelles ont été prises ici et là avec des effets de dérapages sur la programmation initiale budgétaire de l’État. Aussi la dégradation du solde global risque de s’accentuer avec d’une part, les dépenses discrétionnaires liées à la sortie de crise notamment la réunification du territoire et d’autre part, les préparatifs électoraux lesquels, semble-t-il, sont soumis à des revendications délocalisées. Sans le respect des paiements de soldes aux activistes de bases prévus dans l’Accord politique de Ouagadougou entre le Président de la République, Laurent Gbagbo, et le Secrétaire général des Forces Nouvelles et actuel premier ministre, Guillaume Soro, le démarrage des audiences foraines, le budget d’installation des autorités préfectorales dans les zones de conflit (centre, nord et ouest) et les divers programmes de réinsertion et de réhabilitation communautaires, l’unification de l’armée et en définitive, les élections risquent d’être repoussés et dépendre des négociations au cas par cas sur le terrain.

C’est certainement pour réviser à la baisse les inscriptions budgétaires surdimensionnées dans l’Accord politique de Ouagadougou que Madame Simone Gbagbo, l’épouse du Président et surtout 2e vice-président du Front patriotique ivoirien (FPI) est allée faire une tournée de deux semaines dans la Vallée du Bandaman, le fief de l’ex-rébellion. Avec son franc-parler, elle a affirmé: “Il faut revisiter l’Accord de Ouagadougou pour trouver des solutions qui soient plus à la dimension de nos poches, de notre budget” (voir encadré 1). Elle a souhaité une révision à la baisse des budgets inscrits dans cet accord car le budget actuel de l’État et les contraintes du FMI ne permettent pas d’honorer budgétairement l’Accord politique de Ouagadougou. Si les bailleurs de fonds font la sourde oreille à cette revendication de fond, les élections risquent non seulement d’être repoussées, mais de se dérouler dans des conditions de suspicion mutuelle avec les risques importants de déstabilisation dans les ex-zones rebelles du pays.

Il n’est donc pas étonnant que le gouvernement ivoirien ait sollicité auprès du Fond monétaire international (FMI) dès le 20 mars 2008 une demande d’assistance d’urgence post-conflit au travers d’une lettre d’intention signée par le Premier ministre Guillaume Soro et le Ministre de l’Économie et des Finances Charles Koffi Diby. Cela a permis à la Côte d’Ivoire d’être à jour dans ses remboursements au FMI . Le poids du service de la dette est en train de se réduire passant de 510 Mds de FCFA en 2004 à 368,5 Mds de FCFA en 2007 et une projection autour de 359,4 Mds de FCFA pour 2008. La répartition du service de la dette reste équilibrée entre les créanciers multilatéraux, bilatéraux et privés (voir encadré 2). Le décalage du paiement du service de la dette n’est pas possible. C’est ainsi que la moitié de la dette envers la Banque mondiale a été soldée partiellement sous forme d’un don en appui d’un programme de Gouvernance et de Relance économique (EGRG) et d’un crédit relais. Mais on enregistre un retard dans la finalisation du Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DRSP) avec la Banque mondiale qui aurait dû être terminé pour septembre 2008. Les ressources sont en train d’être mobilisées auprès de bailleurs de fonds qui semblent ne vouloir avancer que si la situation s’éclaircit sur le terrain de la planification effective des élections présidentielles et législatives.

Les relations avec l’Union européenne sont plutôt bonnes puisque la Côte d’Ivoire, contre l’avis de la CEDEAO qui souhaite une position commune régionale, a signé l’accord intérimaire bilatéral portant sur les Accords de partenariat économique (APE ). La signature hypothétique des APE reste décalée dans le temps et pourrait faire l’objet d’un découpage régional pour faciliter des avancées notables. Il reste encore à trouver un accord avec la Banque européenne d’investissement (BEI) qui risque d’être différé puisque des reports d’arriérés vont se multiplier sur les prêts financés par l’UE jusqu’à ce qu’une partie importante soit couverte par un don effectué dans le cadre du 10e Fond européen de développement (FED). Bref, avec les créanciers multilatéraux, la situation est en passe d’être maîtrisée d’autant plus que dans le cadre de sa facilité pour les États fragiles (FEF), la Banque africaine de développement (BAD) a offert un don de 520 millions de $US en mars 2008 .

Avec les créanciers bilatéraux notamment ceux du Club de Paris (dette publique) et ceux du Club de Londres (dette commerciale), il est prévu un décalage dans le temps, ce qui est diplomatiquement dénommé une réconciliation de la dette. Une fois que l’analyse de viabilité de la dette (AVD) aura été exécutée par la Banque mondiale et le FMI, une double restructuration de ces dettes se fera, mais sera décalée dans le temps avec d’une part, l’initiative plus globale des pays pauvres très endettés (PPTE) renforcée et d’autre part, l’initiative d’allégement de la dette multilatérale (IADM). Pour les autres besoins et avec la confiance restaurée dans la sous-région, la Côte d’Ivoire peut, en principe et sans difficulté, se faire refinancer sur le marché financier de l’Union économique monétaire ouest-africain (UEMOA). Il faut rappeler que le Gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), Mr. Philippe-Henri Dacoury-Tabley est ivoirien.

Aussi, le risque de la Côte d’Ivoire semble être lié d’une part, à la capacité du gouvernement à faire face rapidement à des besoins urgents de paiements des anciens protagonistes de la guerre et d’autre part, aux conséquences de la crise alimentaire sur les populations. La corrélation entre ces paiements et la volonté de faire avancer les préparatifs électoraux conduisent à une impasse que ne peut résoudre ni le budget de l’État ivoirien malgré les recettes pétrolières et celles des principales matières premières. L’assistance des bailleurs de fonds, sous forme de crédit relais, reste de mise. Mais les conditions posées par les bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux ainsi que les créanciers privés risquent de décaler les dividendes de la paix à la période postélectorale. Encore faut-il que les élections puissent se tenir rapidement.

Il faut néanmoins reconnaître une amélioration de la stabilité politique au cours de la période pré-électorale ainsi qu’une amélioration de la transparence dans la gestion des secteurs clés. Le taux réel de croissance économique estimé autour de 2,5 % en fin 2008 devrait pourvoir être respecté alors qu’il n’était que de 1,4 % en 2007 . Mais c’est faire abstraction de la crise financière en Occident qui risque de quitter l’économie immatérielle pour atteindre l’économie réelle et « chicoter  » de plein fouet l’Afrique avec décalage au début 2009, notamment les pays exportateurs de matières premières non transformées.

En réalité, la viabilité financière du secteur bancaire est en train d’être remise en cause avec plus de 33% des banques disposant d’un niveau insuffisant de fonds propres. La Côte d’Ivoire devrait s’atteler à la recapitalisation de ses institutions financières dont les fonds propres ne permettent pas le respect des règles prudentielles (7 banques privées sur 21 établissements financiers) et restructurer la dette de certains établissements financiers publics comme la Caisse nationale des caisses d’épargne (CNCE), la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) et la Caisse d’épargne postale (CEP). En filigrane, c’est à la dette intérieure qu’il va falloir accorder autant (sinon plus) d’importance que celle accordée aux créanciers extérieurs. Pour sortir de la crise, la Côte d’Ivoire a adopté une méthode qui apparaît comme une forme politique de la musique « coupé-décalé » sauf qu’elle s’exécute au ralenti.

ENCADRE 1: Accord politique de Ouagadougou :
Mme Simone Gbagbo demande un recadrage

1. Financer à la baisse une fin de sortie de crise

Le recadrage de l’Accord politique de Ouagadougou porte surtout sur les questions militaires notamment les grades militaires attribués par Guillaume Soro et acquis par les soldats déserteurs dans la rébellion, le quota des ex-combattants dans la nouvelle armée, les arriérés de solde…
Pour la démobilisation, ce sont 90 000 FCFA par mois qu’il faut payer, pendant trois mois, à chacun des 36 000 ex-combattants, soit 3,240 Mds de FCFA par mois pour les allocations forfaitaires.
Aux mercenaires qu’il faut désintéresser pour qu’ils regagnent leur pays, s’ajoutent d’autres volets. Il s’agit notamment des arriérés de solde à verser, à partir d’avril dernier, aux éléments des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN), qui ont appartenu régulièrement aux Forces armées nationales (FANCI), à la Gendarmerie et aux corps paramilitaires, et de l’intégration, dans l’armée nouvelle, de 10 000 éléments FAFN, soit 55,55 % de l’effectif actuel des Forces de défense et de sécurité de Côte d’Ivoire (FDS-CI) estimé à 18 000 soldats.

2. Financement partiel des préparatifs des élections sans appel d’offres

Sans compter que, pour l’identification et le recensement électoral, l’État doit payer 60 Mds de FCFA à l’opérateur technique français retenu, Sagem Sécurité, là où l’Institut national de la statistique (INS) ne demandait que… 20 Mds de FCFA.

3. Justification des difficultés budgétaires de l’État ivoirien

“Il faut revisiter l’Accord de Ouagadougou pour trouver des solutions qui soient plus à la dimension de nos poches, de notre budget”, a proposé Mme Gbagbo. La Côte d’Ivoire connaît, en effet, de sérieuses difficultés de trésorerie, au point que des institutions comme le Conseil économique et social sont payées en retard et que jusqu’à hier, des retraités n’avaient pas encore perçu leur pension. Sans compter les primes alimentaires appelées “Haut-les-cœurs” et l’entretien des soldats (riz, boîtes de sardine, pain, etc.) qui ont coûté 342 Mds de FCFA à l’État en six ans de conflit, les énormes sommes englouties pour équiper une armée en panne de matériels militaires et d’armements. Et aujourd’hui, d’autres rendez-vous aussi onéreux que budgétivores attendent l’État. Les difficultés qu’il rencontre pour honorer cet engagement suscitent des manifestations de rue qui paralysent de temps à autre certaines villes dont Bouaké…

Source: Extraits recomposés à partir des articles de Issa T.Yéo, « Recadrage de l’accord de Ouaga : Simone Gbagbo explique sa position », 16 septembre 2008, voir http://ci.telediaspora.net/fr/texte.asp?idinfo=12264 et Ferro M. Barry, « Recadrage de l’accord de Ouaga : Simone Gbagbo explique sa position », in Fraternité Matin, vu sur Abidjan.net le 10 octobre 2008, voir http://news.abidjan.net/article/?n=304280

ENCADRE 2 : Répartition du service de la dette extérieure 2008*

(en milliards de FCFA et en pourcentage)

 

Les créanciers bilatéraux sont les premiers créanciers de la Côte d’Ivoire. Il ne faut pas s’étonner du rôle prépondérant du FMI et de la Banque mondiale sur les orientations politiques du pays lorsque les créanciers bilatéraux et privés (dette commerciale) s’accordent pour demander aux institutions de Bretton Wood de proposer les bonnes pratiques de gouvernance. L’absence de la comptabilisation de la Banque centrale des États de l’Afrique Occidentale (BCEAO) ne doit pas étonner puisque la zone franc par l’opération du compte d’opération est enregistrée auprès du Trésor français.

En réalité, dès que la confiance sera de retour en Côte d’Ivoire, on devrait assister à une augmentation rapide et durable des créanciers privés (dette commerciale). Mais la crise financière actuelle devrait pousser les banques commerciales à la prudence, voire à la restriction du crédit. Il appartient donc aux autorités ivoiriennes de restaurer la confiance en trouvant les moyens de réaliser les élections présidentielles et législatives dans des conditions de crédibilité acceptables selon les normes internationales. A défaut, c’est l’ingérence économique, cette forme de conditionnalité liée aux prêts publics qui risque d’avoir des impacts sur les choix de politique économique dans ce pays. Les critères de performance et de bonne gouvernance pourraient s’analyser en dehors des intérêts de populations locales.

 

Créanciers Principal Intérêts Total
en Mds de FCFA
Total en %
Service de la dette (prévisionnel) 262,5 96,9 359,4 100
En % du PIB 2,6 1,0 3,6
         
Multilatéraux (sans BCEAO) 98,0 16 114,1 31,74
FMI 24,2 0,4 24,6 6,84
Banque mondiale 40,9 8,5 49,4 13,74
BAD 26,7 5,4 32,2 8,95
Autres multilatéraux 6,2 1,7 7,9 2,19
Bilatéraux 76,9 56,0 133,0 37,00
Club de Paris 76,0 55,7 131,7 36,64
Avant date butoir 2,4 0,4 2,9 0,80
Rééchelonnée 18,8 45,4 64,2 17,86
Après date butoir 54,8 9,9 64,7 18,00
Hors Club de Paris 0,9 0,3 1,3 0,36
Dette commerciale 87,5 24,9 112,4 31,27
Club de Londres 44,0 20,2 64,2 17,86
Autres privés 43,5 4,6 48,2 13,41
Source : Les pourcentages déterminés à partir de  FMI, Côte d’Ivoire: Demande d’Assistance d’urgence Post-Conflit, Rapport 08/142, juin 2008, p. 35.

Dr. Yves Ekoué Amaïzo
Directeur du groupe de réflexion, d’action, l’influence « Afrology »
17 octobre 2008

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1. Article partiellement paru dans Risques Internationaux, numéro 107, 15 octobre 2008, pp. 11 et 12.

2. Yacouba Sangaré, Côte d’Ivoire/Présidentielle: La symphonie du doute », in Le Continental, octobre 2008, n. 74, pp. 16-17.

3. Habibou Bangré, « Déchets toxiques : Trafigura indemnise la Côte d’Ivoire », in Afrik.com, 14 février 2007, voir http://www.afrik.com/article11203.html

4. Il s’agirait d’un mélange de produits de distillation du pétrole, de sulfure d’hydrogène, de mercaptans, de composés phénoliques et d’hydroxyde de sodium. On parle plus communément de « boues issues du raffinage du pétrole », ce qui n’exclut pas que ces déchets soient assimilés à des « eaux usées » alors qu’il pourrait s’agir de « résidus de raffinage ».

5. Habibou Bangré, op. cit.

6. FMI, « Côte d’Ivoire : Demande d’Assistance d’urgence Post-conflit », Rapport du FMI 08.142, juin 2008, p. 42.

7. Ibid, pp. 24 et 4.

8. Nations Unies, « Le Rapporteur spécial sur les déchets toxiques des droits de l’homme visitera la Côte d’Ivoire », UNHCR Press release 31 août 2008, voir : http://www.unhchr.ch/huricane/huricane.nsf/view01/D0442EDA67771FB0C12574970058BC7C?opendocument

9. Ifrance Info, Abidjan, Côte d’Ivoire, 28 octobre 2006, voir http://web.ifrance.com/actu/monde/44128

10. Objectif Terre, « 12e session de la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement », in MediaTerre, 7 septembre 2008, voir http://www.mediaterre.org/afrique/actu,20080907114521.html

11. La Convention de Bâle régit le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et interdit l’exportation des déchets toxiques en direction des pays en développement.

12. UNEP, Report of the ministerial segment held from 10 to 12 June 2008, African Ministerial Conference on the Environment, 12e session, Johannesburg, 10-12 juin 2008

13. Convention nationale du Rassemblement des Républicains, 4 octobre 2008, voir http://www.rdrci.org/actu.asp

14. Transparency International 2008, La Côte d’Ivoire était classée 150e sur 179 pays en 2007 ; voir http://www.transparency.org/news_room/in_focus/2008/cpi2008/cpi_2008_table.

15. Les cinq critères de Mo Ibrahim sont: 1. Sécurité et protection, 2. Respect de la loi, transparence et corruption; 3. Participation et droits de l’homme; 4. Développement économique durable ; 5. Développement humain; voir http://www.moibrahimfoundation.org/index

16. FMI, Côte d’Ivoire: Demande d’Assistance d’urgence Post-Conflit, Rapport 08/142, juin 2008, p. 21.

17. Le prix du cacao à l’exportation (f. à b.) a subi les variations suivantes: 802 FCFA/kg en 2004, 785 FCFA/kg en 2005, 804 FCFA/kg en 2006, 898 FCFA/kg en 2007 et 976 FCFA/kg en 2008.

18. FMI, op.cit., p. 35.

19. Ibid, p. 28.

20. A la fin de février 2008, la Côte d’Ivoire n’a utilisé que 33,76 % de sa quote-part auprès du FMI, soit 109,77 millions de Droits de tirage spéciaux, Ibid, p. 1

21. Yves Ekoué Amaïzo, « ACP/UE: un partenariat en mouvement ? », in Continental, n. 74, octobre 2008, p. 44.

22. FMI, op.cit., p. 15 et 17.

23. Economic intelligence Unit, Côte d’Ivoire: Country Report, septembre 2008, p. 7.

24. Yves Ekoué Amaïzo, « La crise financière « chicote » l’Afrique », Afrology Think Tank, 3 octobre 2008, voir https://www.afrology.com/eco/pdf/amaizo_crise2008.pdf