par Maximin Emagna
Sur les événements africains,
ayons un peu plus de rigueur dans nos analyses !
(Lettre ouverte à Madame CROS, spécialiste de l’Afrique au journal la Libre Belgique)
Madame M. F. CROS,
Je lis régulièrement la Libre Belgique, particulièrement vos articles sur l’Afrique et je me permets pour une fois de réagir.
Le spectacle donné au monde dans la gestion de la crise ivoirienne est affligeant. Les comptes rendus de bon nombre de médias, et vous en êtes, est effarant : on nous dépeint la plupart du temps, un monde de méchants au Sud avec le président Gbabgo comme chef de gangs, et au Nord des gentils petits rebelles. La situation est très complexe.
Il est inacceptable que l’on s’attaque à une personne ou une partie de la population du fait de son origine, de sa race, de sa couleur… On ne transige pas avec ces principes fondamentaux. Il faudrait également que lorsqu’il s’agit de l’Afrique, que l’on condamne fermement la prise de pouvoir par les armes et le renversement des gouvernements élus ou « mal » élus démocratiquement. Mettons-nous également d’accord sur le fait que les pays africains souffrent, outre les problèmes de malgouvernance, d’ingérences de toutes sortes et de conflits désastreux et calamiteux pour leur développement.
On se demande si nos dirigeants ont le souci des gens qu’ils sont censés protéger. Pour le cas de la Côte d’Ivoire, je ne comprends pas comment un dirigeant européen de la carrure de M. Chirac, peut-il se laisser emporter et prendre autant de risques dans un pays déjà sous haute tension, et dans lequel la France compte un si grand nombre de personnes qui y vivent de longues dates, sans envisager des mesures préalables permettant de sécuriser le terrain. Les bombardements de l’armée française à la vitesse à laquelle elles ont été décidées étaient irresponsables, puisque l’on mettait en danger la vie de milliers de français et d’étrangers vivant en Côte d’Ivoire. Le bilan aurait pu être plus lourd.
Ces préalables étant posés, je vous prierais, Madame CROS, de bien vouloir faire preuve d’un peu plus de curiosité, d’indépendance dans la recherche de vos informations et d’objectivité dans la présentation des faits.
Si je ne me réfère qu’à votre article du 17 novembre 2004. S’agissant des victimes, vous écrivez « l’armée française assure que des miliciens armés qui noyautaient la foule de manifestants anti-français réunie devant les militaires de l’Hexagone ont tiré vers ces derniers ». Par cette phrase, contestez vous le nombre de victimes dénombrées (je vais y revenir), ou alors disculpez vous l’armée française d’avoir tiré sur des manifestants à Abidjan.
Si c’est la seconde réponse, vous êtes contredite par un récent reportage de la RTBF qui indiquait bien que l’armée française a tiré sur des manifestants au départ de l’Hotel Ivoir, parce que ces militaires se sentaient menacés. A aucun moment vous ne semblez avoir fait mention dans vos articles des pièces d’identité de tireurs d’élite qu’auraient retrouvé les autorités ivoiriennes au 6e étage de l’Hotel Ivoir d’où seraient partis les tirs. Si tel est le cas, ces tireurs d’élite auraient pu viser les milices armées pour nous en donner la preuve de leur existence au milieu des manifestants. Nous avons visionné comme vous de nombreuses images sur les manifestants en Côte d’ivoire. A aucun moment on ne voit des milices armées pro-Gbabgo. Même les reportages sur les chaînes françaises ne nous en apportent pas la preuve (Journal Télévisé 12/14 sur FR 3 du 16 novembre 2004 : « l’armée française face aux ivoiriens ».
Sur le nombre des blessés, les nombres varient. Vous semblez contester le décompte de chefs des patriotes : « 64 morts et 1400 blessés ». Vous auriez également pu citer le chiffre venu de la présidence ivoirienne : 62 victimes, dont, 17 tués par balles recensés dans les morgues d’Abidjan.
Le Monde du 16.11.04 à 14h04).
Vous ne manifestez pas non plus un doute sur le fait que les manifestants puissent également être infiltrés par des milices ou des agents opposés au gouvernement en place qui auraient intérêt à envenimer la situation u à faire portée la responsabilité des violences sur des « patriotes » qui se disent manifester à mains nues… Une rapatriée française en a fait cas de ses doutes sur les ondes françaises et sur Euronews il y a quelques jours. Bon nombre de vos lecteurs l’ont certainement entendue.
Vous ne faites également pas allusion aux 4000 prisonniers qui se seraient évadés des prisons d’Abidjan dans des conditions suspectes selon les autorités ivoiriennes. Ces prisonniers peuvent s’être également mêlés aux manifestants…
Sur la dernière partie de votre article vous écrivez « une enquête de notre confrère français le Monde (16.11) assure de son côté que les manifestations anti-françaises des miliciens gouvernementaux ont commencé à se regrouper avant que soient connus le bombardement ivoirien du camp français et la réplique destructrice de Paris ». Dans l’article du Monde, il est question de « patriotes » -les partisans du président Gbagbo-(sic) » et non de miliciens. Car les « patriotes » ne sont pas tous des miliciens. Lorsque vous parlez de miliciens, vous faites certainement référence aux « escadrons de la mort » que l’on attribue au régime ivoirien. Ce qui n’est pas la même chose.
Madame CROS, en tant que journaliste, faites un effort d’information. La vertu professionnelle doit guider vos enquêtes. Le parti pris exprimé grossièrement dans la plupart des médias européens est aussi dangereux que celui adopté en Côte d’ivoire, par ceux que l’on nomme les médias de la haine. Evitons de créer des sentiments anti-européens en Afrique. Car les Africains et les Européens ont besoin les uns des autres. Du côté africain, pour nous qui faisons le terrain, les Africains ont besoin d’Europe, mais d’une autre Europe, qui comprend leur misère et les aide à s’en débarrasser durablement; une Europe dynamique, généreuse, humaine.
La Côte d’Ivoire doit recouvrer la paix dans l’intérêt de l’intégration régionale soutenue justement par l’Union européenne en prévision de la libéralisation totale des économies africaines au 1er janvier 2008. La lutte contre la pauvreté en Afrique doit se faire dans un cadre et un environnement économiques pacifiés. L’Europe doit davantage s’engager aux côtés de l’ONU, de l’Union africaine, et de la France.
par Dr. Maximin EMAGNA Docteur en science politique CURAPP-CNRS, Amiens France
emagna_curapp2@yahoo.com