« Chaque fois que la dignité et la liberté de l’homme sont en question, nous sommes concernés, Blancs, Noirs ou Jaunes, et chaque fois qu’elles seront menacées en quelque lieu que ce soit, je m’engagerai sans retour », Frantz Fanon
Afrique, le dépotoir oublié
La stratégie de l’aumône pour masquer les inégalités.
Le réchauffement climatique menace des milliards de personnes et des mesures doivent être prises d’urgence pour prévenir une catastrophe, a déclaré le ministre kenyan de l’Environnement en ouvrant la 12e conférence internationale sur le climat. Quelques année plus tard, 195 Etats Parties à la négociation se sont engagés à formuler des stratégies de développement à faible émission de gaz à effet de serre sur le long terme [1].
C’est bien la première fois qu’un accord universel est conclu en matière de lutte contre le dérèglement climatique. L’accord sera ouvert à la signature des États le 22 avril 2016 à New York pour une entrée en vigueur en 2020. La décision de la COP 21 qui accompagne l’accord fixe plusieurs étapes pour accompagner et préparer sa mise en œuvre : réexamen des contributions en 2018, mobilisation des financements pour atteindre un plancher de 100 milliards de dollars par an en 2020. Et pourtant…
Pendant ce temps en Afrique
Un rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) intitulé « l’Avenir de l’environnement en Afrique », élaboré pour le compte de la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement (CMAE) en juillet 2002, dressait déjà un bilan catastrophique des problèmes environnementaux qui assaillent le continent.
Sécheresses récurrentes, diminution du rendement des cultures, plusieurs villes du continent pourraient être partiellement englouties par les eaux : « L’Afrique est probablement le continent le plus vulnérable à tous les effets négatifs du changement climatique et celui qui est confronté aux plus grands défis d’adaptation », avance Oxfam, Organisation internationale non gouvernementale consacrée à la lutte contre la pauvreté, dans un document paru en octobre 2006. « La pauvreté et le changement de climat sont inextricablement liés. Ce sont les pauvres du monde qui souffrent déjà de façon disproportionnée des effets du réchauffement climatique », fait valoir l’organisation Christian Aid dans un rapport publié en mai 2006.
L’Afrique, continent le plus pauvre, est aussi le plus vulnérable au réchauffement de la Terre, une situation causée par les grands industriels et entretenue par les politiques occidentales. Pour financer cette pauvreté, on y va des propositions les plus originales dont celle de Chirac imposant une taxe sur les billets d’avion… C’est que l’africain aime les cadeaux, à l’instar du togolais Faure Gnassingbé qui s’est appliqué à vanter à la COP21 [2] les financements de la Banque Mondiale pour la lutte contre les inondations dans son pays. Nous attendons donc certainement d’autres dons pour nous sauver de l’érosion côtière. Pendant ce temps, on importe toujours les vieilles guimbardes d’Europe sans aucune politique de recyclage. Sur le plan politique, reconnait un rapport du PNUD en 2012 [3], « outre les engagements de L’État togolais dans les conventions internationales (notamment les OMD, CULCD, CBD, CCNUCC) et les lois ou politiques élaborées et promulguées, il existe une lenteur dans l’élaboration des textes d’application et s’ils sont disponibles, peu de gens sont informés de leur existence ou nombreux sont ceux qui ignorent leur contenu ».
Raréfaction des terres agricoles
70 % de la population africaine vit de l’agriculture, dont les rendements dépendent à plus de 95 % des eaux de pluies, selon les Nations Unies. Le réchauffement de la Terre a déjà de multiples conséquences sur le continent noir. Comme dans le centre du Kenya, à Mtitoandei: cette région fertile s’est largement asséchée en dix ans en raison de la raréfaction des pluies. Le nombre d’agriculteurs y est passé de 300 à 2 en une décennie. « Le réchauffement va au-delà des variations attendues par les processus naturels, ce qui renforce l’idée que les gaz à effet de serre (essentiellement liés à la combustion des énergies fossiles, comme le gaz, le pétrole et le charbon) sont impliqués », explique l’organisation humanitaire Oxfam.
Et les conséquences du changement climatique pourraient être bien plus catastrophiques à l’avenir pour l’Afrique.
« Le rendement des cultures céréalières baissera de 5 % (…) d’ici aux années 2080», estime un rapport des Nations Unies. «Le nombre de personnes menacées par des inondations côtières passera de 1 million en 1990 à 70 millions en 2080″, ajoute ce document publié à l’occasion de la 12e conférence internationale sur le climat qui se tient à Nairobi du 6 au 17 novembre.
Dans les régions semi-arides et soudano-sahéliennes qui ont une population plus dense, les terres perdent entre 60 et 100 kilogrammes d’azote, phosphore et potassium (APK) par hectare chaque année. Les terres de ses régions sont peu profondes, souffrent de très mauvaises conditions météorologiques et sont soumises à des cultures intensives mais avec peu d’application d’engrais selon un rapport de lIFDC (International Fertilizer Development Center).
Aucun de ces pays victimes n’intègrent malheureusement la gestion des ressources naturelles aux politiques économiques et sectorielles. Il n’existe pas de programme réaliste de préservation des ressources naturelles dans les politiques des différents gouvernements en place sur le continent africain.
Maladies et déchets toxiques
« L’Europe intoxique l’Afrique ». Ce slogan a été peint par les militants de Greenpeace en grandes lettres jaunes sur la coque noire du Probo Koala. Greenpeace ne s’est pas contenté, le 25 septembre, de bloquer avec l’un de ses navires le Probo Koala dans le port de Paldinski, en Estonie. L’association de défense de la nature a aussi porté plainte aux Pays-Bas, le 26 septembre, contre Trafigura, la société néerlandaise de trading qui a affrété le « bateau-poison ». Objectif : « obtenir une enquête qui soit vraiment fouillée et qui ne permette pas au Probo Koala de continuer à naviguer », explique Loes Visser, porte-parole de Greenpeace à Amsterdam.
« Quelques 185 millions de personnes en Afrique sud-saharienne seulement pourraient mourir de maladies directement attribuables au changement de climat d’ici la fin du siècle », comme le paludisme ou la malnutrition, selon Christian Aid. La liste pourrait s’allonger avec les déchets toxiques difficiles à stocker.
Plusieurs centaines de tonnes de déchets toxiques ont été déversés à Abidjan (en Côte d’Ivoire) dans la nuit du 19 au 20 août par une mystérieuse société ivoirienne, Tommy, qui les avait déchargés du cargo grec Probo Koala, affrété par la multinationale Trafigura enregistrée aux Pays-Bas. Les conséquences dans la ville d’Abidjan: 6 morts et 9000 personnes malades des émanations toxiques, 18 personnes inculpées, 450 porcs abattus. La Côte d’Ivoire ne disposant pas des installations spécifiques qui permettraient de traiter les 6000 tonnes de déchets hautement toxiques, ceux-ci seront exportés vers Paris à bord de plusieurs bateaux. Ceci annonce certainement la clôture du dossier.
Pendant ce temps les plages africaines se raréfient avec l’avancée des océans dans certaines régions (le cas du golfe du bénin par exemple) et les dégazages sauvages et difficiles à contrôler.
Au-delà des constats, les emplâtres
Devant ce tableau alarmant, des voix se sont élevées à la conférence de Nairobi pour réclamer des mesures en faveur des pays en développement. L’Afrique manque notamment de stations météorologiques pour élaborer des scénarios climatiques et des stratégies d’adaptation. Elle ne dispose pas d’outil de traitement des déchets, ni même des instruments de mesure moderne pour la pollution ou la radioactivité. Le paradoxe est que l’Afrique est touchée de plein fouet par les effets de la pollution alors qu’elle est le continent habité qui produit le moins de gaz à effet de serre (GES).
De son côté, l’Union européenne propose d’encourager une distribution plus équitable des projets destinés à réduire les émissions de GES en vertu du Mécanisme de développement propre (MDP). Le MDP, prévu dans le protocole de Kyoto, permet aux gros pollueurs de financer des projets de développement propre – comme l’utilisation de l’énergie éolienne – dans les pays du Sud pour compenser leurs émissions de GES, et permet ainsi d’injecter de l’argent dans l’économie locale.
Aujourd’hui, seuls 9 des quelques 400 projets MDP enregistrés jusqu’à présent se trouvent en Afrique, regrette l’UE.
Pendant ce temps, les taxes vertes se multiplient au Nord. Une taxe de mise en circulation supplémentaire automobile dite Eco-malus s’applique en région wallonne dans le cas où le véhicule rejette plus de 145 g de CO2/km. Son montant varie entre 100€ et 2.500€. A partir de Novembre 2006 le prix de tous les produits électriques et électroniques est majoré de 0,01 à 13 € afin de financer leur collecte et leur recyclage. On les appelle les DEEE : déchets d’équipements électriques et électroniques. Ils ressemblent à un inventaire à la Prévert, englobant les petits appareils ménagers (sèche-cheveux, cafetière) et les grands (réfrigérateur, lave-linge), en passant par les ordinateurs, les téléphones et même les jouets et les lampes. Ils représentent chaque année, pour le cas de la France, 1,7 million de tonnes. Un chiffre en croissance annuelle de 3 à 5 %, selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Et dorénavant, l’Europe veut mieux organiser leur collecte et leur traitement. Une directive impose aux industriels de mettre au point et de financer la collecte, le recyclage et la valorisation des appareils électriques et électroniques en fin de vie. Mais ce surcoût sera inévitablement répercuté sur le prix de vente des produits. Au final, ce sont donc les consommateurs qui financeront le système.
Depuis quelques années le matériel encombrant est taxé dans des pays d’Europe comme la Belgique. On peut compter jusque 1000€ de provision pour frais de recyclage sur un véhicule neuf. Une grande partie des biens taxés terminent leur vie dans les villes du Sud, sans aucune prise en charge, nous pensons ici aux véhicules d’occasion, réfrigérateurs, pneus usagés. Aucune procédure de transfert ou de récupération de ces écotaxes n’est prévue au programme. Tout se passe comme si le continent africain était sur une autre planète et pouvait être tranquillement pollué. Il faut un certain courage politique et une bonne dose d’audace pour oser demander (exiger) des compensations, des réparations pour:
– le matériel usagé (pnes, frigos, ordinateurs…)
– les véhicules importés
– les plastiques polluants
– les angrais toxiques (interdits en Occident)
La politique néolibérale de l’Occident, politique imposée à des Etats africains sans aucune autorité, suscite des contradictions de plus en plus exacerbées en entravant le développement humain, en ignorant l’environnement, en gaspillant les ressources. De l’échange inégal aux dettes qui étranglent, il est clair qu’il ne peut exister de démocratie viable et durable en Afrique tant que l’ordre politico-financier continue à asphyxier la volonté des peuples d’Afrique, tant que les pays du Nord continuent à protéger les dictatures et à préserver leurs espaces verts aux dépends de ceux du Sud.
Changer les approches
Pendant que l’africain tend la main, sans aucune pudeur, on réussit déjà en Occident à développer une économie de l’écologie. En dehors des taxes mentionnés plus haut, le déchet devient une richesse. On arrive ainsi, à travers le recyclage, à réintroduire des objets autrefois polluants dans le circuit de la consommation.
L’Afrique, en marge de toute innovation, va bientôt devoir revendre ses déchets à la Chine.
Dans la pratique, l’Occident s’oriente de plus en plus vers la production d’énergies dites « vertes » (solaire, biogaz…) pendant que l’Afrique renforce sa consommation en centrales thermiques, achetées en Occident, consommatrices de Gasoil et de fuel lourd importé d’Occident.
Une énergie verte ou renouvelable est une énergie produite à l’aide de ressources renouvelables. Ces ressources peuvent être « tirées » du soleil, du vent, de l’eau, de la chaleur du sous-sol …
Les sources d’énergie:
- énergie solaire photovoltaïque
- énergie éolienne
- énergie hydraulique
- énergie géothermique
- biomasse (déchets organiques)
- chaleur sous-sol
Conclusion
En finalité, pour ce qui concerne la protection de l’environnement, on constate que le système mis en place est incomplet. Le consommateur occidental paye un surcoût pour le traitement des biens en fin de vie. La partie qui termine son existence dans les nombreux dépotoirs à ciel ouvert en Afrique n’est pas ici prise en considération dans le calcul.
Il y a lieu de dénoncer l’hypocrisie des dirigeants occidentaux qui s’agitent sur les médias avec des solutions alambiquées pour accorder des prêts et venir en aide aux pauvres populations du Sud. La taxe sur les billets d’avion est un exemple de subterfuge pour saigner les populations du Nord ; il aurait été bien plus simple de prendre l’argent là où il est. Les industriels européens vont répercuter les écotaxes sur les prix du bien manufacturé mais n’auront pas la responsabilité de leur reprise. Nous proposons la mise en place d’une « caisse verte » gérée par une commission indépendante, laquelle récupère les écotaxes, étudie les destinations finales de ces biens et répartit la manne excédentaire.
Afin de préserver de manière durable la planète, il conviendrait aussi de mettre en place des canaux de prévention. Il est aujourd’hui courant de voir débarquer dans les ports africains des véhicules d’un autre temps qui roulent sous un épais nuage noir. Nous savons que la mauvaise gouvernance et la corruption généralisée nous empêchent de compter sur les autorités locales pour un contrôle à l’entrée. Pourquoi ne pas mettre en place dans les pays exportateurs des canaux de vérification obligatoire pour ces engins de la mort, aux fins de délivrance d’un certificat d’exportabilité ? En Belgique, il existe une nouvelle institution pour le contrôle des véhicules d’occasion avant changement de propriétaire qui a pour rôle d’établir une carte d’identité du bien cédé sur le territoire national ; ceci ne s’applique pas aux véhicules exportés.
Plus au Sud, les dirigeants autoproclamés ont très peu de hâte à mettre en place des système efficace de contrôle et de protection de l’environnement. Les ministères les plus dispendieux sont, comme en pleine guerre d’Irak aux Etats-Unis, ceux liés de près ou de loin à la défense du territoire et des clans au pouvoir.
Les systèmes de protection de la nature n’ont de justification que s’ils s’appliquent à l’ensemble du système solaire. En dehors de ce cadre, toute initiative locale s’apparente à une énorme blague.
Bruxelles, le 16 novembre 2006
revu le 10 juillet 2016
Ablam Ahadji
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1. Voir http://www.cop21.gouv.fr/
2. http://www.republicoftogo.com/Toutes-les-rubriques/Environnement/Les-discours-ca-suffit.-Nous-avons-besoin-d-action-!
3. http://www.undp.org/content/dam/togo/docs/programme/Rapports/TGO_PNSET_18012012.pdf = P20 #3