Yves Ekoué Amaïzo
Vérité des urnes et neutralité coupable :
Le vote des Africains va devoir être compté !
Introduction : la Démocratie de l’autosatisfaction en Afrique
J’ai été un si bon dirigeant que pour « me récompenser » et « récompenser le peuple », je reste au pouvoir. Voici la phrase magique qui est à la base de toutes les entorses à la démocratie en Afrique. Il suffit de citer les pays comme le Zimbabwe, le Kenya ou le Libéria du côté des pays anglophones ou alors du côté francophone, le Gabon, le Togo, la Centrafrique, la Côte d’Ivoire, le Niger ou même la Guinée où des agents sous-traitants discrets parfois bien clairement identifiés tentent, de manière subtile et souvent avec succès, à modifier la vérité des urnes en Afrique. Le tout est régulièrement camouflé sous des manifestations et des heurts parfois violents qui créent la diversion et permet aux donneurs d’ordre de se donner une bonne conscience tout en rejetant les responsabilités sur une désorganisation technique bien orchestrée.
A y réfléchir de près, il s’agit bien de l’émergence de la démocratie de l’autosatisfaction unilatéralement décrétée par ceux qui sont au pouvoir ou ceux correspondant aux choix de certains pays occidentaux drapés dans les oripeaux d’une structure floue appelée « la communauté internationale ». Les dites recommandations étrangères y compris des Etats africains ne se font pas sans des soutiens directs, cimentant les réseaux multiformes. Néanmoins, personne n’est dupe du fait que les grandes puissances, prêtes à donner des leçons de démocratie à deux vitesses, ne sont intéressées fondamentalement que par les ressources stratégiques, les avantages économiques ou les positions géostratégiques. Heureusement, des pays comme le Mali ou le Ghana sauvent l’honneur des Africains et ont choisi, grâce à la qualité et l’intégrité de leurs dirigeants, au pouvoir comme dans l’opposition, de rendre réalité la Démocratie sans faire référence à des valeurs revues et des principes corrigés selon les intérêts bien compris des « en-haut-d’en-haut », de l’intérieur comme de l’extérieur.
1. La Démocratie au rabais pour l’Afrique: entre report de dates et annonces unilatérales
Lorsqu’on parle de Démocratie, il s’agit bien sûr d’une démocratie représentative héritée des pays occidentaux et appliquée dans des territoires découpés par les mêmes Occidentaux pour mieux favoriser un Etat-Nation suite aux indépendances juridiques et moins une Nation-Etat si l’intervention coloniale n’avait pas eu lieu. Mais la segmentation des ethnies et des peuples africains entre des frontières factices transforme la démocratie représentative en des luttes de promotion de chefs ethniques au point où il devient plus intéressant de défendre les intérêts des Occidentaux (ex-colonies) pour accéder au pouvoir et le conserver. C’est cette segmentation non sollicitée qui conduit souvent au vote ethnique, tant décrié par les mêmes Occidentaux qui ont pourtant tout fait pour que ce système fonctionne à leur avantage. Il s’agit donc d’une démocratie au rabais et en façade.
A partir de là, les mêmes Occidentaux, sur les recommandations expresses de certains dirigeants de l’Union africaine et d’institutions sous-régionales africaines, ont choisi de s’aligner sur ce qui semble dorénavant être le mot d’ordre unilatéralement imposé en matière électorale en Afrique : Toute mauvaise élection, à savoir non transparente, non libre, ne reflétant pas la vérité des urnes et parfois entachée de sang de citoyens qui luttent pour l’avènement d’une démocratie effective, est mieux que pas d’élection du tout. Pourtant, c’est bien une partie de cette communauté internationale qui a fait de l’ingérence en Côte d’Ivoire au point de conduire à une guerre absurde et coûteuse pour les membres de la communauté internationale les plus actifs sur place.
Le paradoxe de la situation est tel que à vouloir imposer une démocratie par télécommande sans prendre en compte les dynamiques locales, les intervenants extérieurs ont conduit la Côte d’Ivoire vers une situation inédite, celle de faire que ce pays ne connaît toujours pas d’élections présidentielles, même si des annonces vagues prévoient des élections présidentielles en octobre 2010. Il est donc possible de rester au pouvoir près de 10 ans sans élections en Afrique. Il s’agit d’une démocratie hors constitution. Les électeurs, eux, n’ont qu’à bien se tenir et attendre car ce n’est certainement pas ce qu’ils ont souhaité pour leur pays.
Pour le cas spécifique de la Côte d’Ivoire, il faut remarquer que les dates des élections n’arrivent plus à être déterminées par les forces extérieures au pays, ce qui ailleurs conduit à des élections précipitées, bafouées, facilitant les modifications informatiques des fichiers et des résultats qui n’ont plus qu’à paraître plausibles pour que les médias politiquement corrects et bien payés fassent le reste du travail de légitimation électorale, rarement contre les intérêts des mêmes pays occidentaux directement impliqués dans le pays. Il suffit d’ailleurs d’insister que les milices et soldats sécessionnistes désarment avant que les élections n’aient lieu, pour que les nouvelles dates d’élections présidentielles deviennent élastiques et la période choisie propice. Les dates exactes n’ont qu’à attendre. Le report des dates devient la règle et le respect des dates une exception.
Ailleurs et plus particulièrement dans les zones contrôlées par la Françafrique, la technique rôdée consiste à faire voter pacifiquement les électeurs dans la paix, et s’assurer auparavant que tous les protagonistes candidats aux élections ne contesteront pas les résultats qui seront annoncés… Mais c’est bien là le problème. Les résultats annoncés ne sont pas toujours les résultats des urnes, encore moins le choix des électeurs. Que s’est-il passé avec les comptages électroniques qui étaient censés empêcher les fraudes ? Que s’est-il passé avec les commissions et autres comités électoraux dits « indépendants » ? Ceux-ci n’arrivent plus à transmettre les vrais résultats sortis des urnes. Le pouvoir dominant estime qu’il faut les ajuster avant leur publication surtout lorsque de nombreux responsables des bureaux de vote font l’objet d’intimidations, voire de menaces de mort et finissent généralement par céder à l’appât du gain facile…
Des sommes d’argent ou d’arrangements divers sont souvent proposés en deux parties. La première partie permet d’obtenir l’accord des responsables des bureaux de vote pour annoncer ce que souhaite le pouvoir en place, généralement sous la menace d’une armée non républicaine. La seconde partie n’est souvent jamais payée car les menaces se sont élargies à la famille de celui ou celle qui, naïvement et par peur, n’a pas pu s’organiser avec d’autres pour faire éclater la vérité des urnes.
2. Le élections africaines : « qui perd gagne ! »
Mais là où la Communauté internationale et plus particulièrement l’Union européenne joue à « qui perd gagne » est lorsque cette dernière finance à coûts d’Euros, provenant des contribuables européens, des élections en Afrique où les souches des bulletins de vote ne correspondent pas avec le bulletin de vote lui-même. Il y a donc falsification de fait, ceci en amont et l’Union européenne ne procède à aucune vérification… La cour des comptes de l’Union européenne tomberait en syncope si ces mêmes méthodes devaient s’appliquer en Europe dans les 27 pays membres.
En réalité, il faudra réellement que la Cour des comptes procède à un audit sans complaisance et rigoureux. Pour cause, l’Union européenne a souvent sous-traité son budget d’aide, voire parfois l’ensemble des procédures d’allocation des fonds, soit au gouvernement local, soit à une structure bilatérale de développement, soit à des réseaux de bureaux spécialisés dont la transparence se confond avec l’obscurité de la forêt noire.
Quand pour l’honneur les observateurs de l’Union européenne en charge des élections en Afrique finissent par déclarer que rien ne va et amoncellent des listes impressionnantes et longues d’irrégularités graves et grossières, le donneur d’ordre, lui, se contente alors de la fameuse « Toute mauvaise élection, à savoir non transparente, non libre, ne reflétant pas la vérité des urnes, est mieux que pas d’élection du tout ». Alors, on légitime à tour de bras les élections africaines où « qui perd, gagne » ! Ceci est d’autant plus courant depuis que la crise financière de 2008 a mis en exergue les problèmes budgétaires en Europe suite au choix collectif d’aller sauver des banques et institutions financières au lieu de sauver l’emploi et les capacités productives en Europe et aux Etats-Unis [1].
3. Les contre-pouvoirs africains : une dynamique interne qui compte sur elle-même
Il n’est donc pas étonnant d’assister à la montée en puissance de contre-pouvoirs africains, tant au niveau national que dans la diaspora. Les électeurs africains, surtout ceux des pays de la Françafrique, veulent absolument avoir leur mot à dire. La naïveté, les promesses non tenues, les formes nouvelles de dynasties qui ne profitent pas aux populations dans leur grande majorité, et surtout les humiliations multiples et diverses assorties de mesures de vengeance qui prennent la forme de « chasses aux sorcières en période post-électorale » se multiplient et tendent à durcir les positions entre le pouvoir et les électeurs. Les organisations citoyennes font ce qu’elles peuvent mais si les chefs de syndicats, après avoir défendu leurs membres, se retrouvent ministres pour mieux oppresser ces derniers, on peut se demander comment peut-on trahir les valeurs et les populations défendues depuis tant d’années. Le rôle dévolu de certains chefs de structures de contre-pouvoirs dans des pays africains n’est plus seulement de façade mais est devenu anti-républicain.
Pourtant, c’est une volonté de rechercher la vérité des urnes et surtout le retour de la confiance et de la cohésion sociale qui auraient dû passionner et motiver tout un chacun. En fait, pas du tout ! Chacun mesure ses forces et ses appuis, s’en assure dans le cadre de réseaux ésotériques ou religieux. Si la légitimation occidentale des élections « qui perd gagne » est donnée, même parfois du bout des lèvres, alors tout est permis pour que l’on refasse toutes les prochaines élections comme celles d’avant. Entre le vote des électeurs africains dans leur grande majorité et la vérité des urnes, il y a un fossé abyssal. Le pouvoir africain veut conserver le pouvoir. Les puissances occidentales s’assurent que leurs intérêts resteront mieux préservés si le pouvoir en place reste maintenu mais est gêné dans son action par une opposition molle dont on peut phagocyter les meilleurs éléments, quand l’argent, la délation et la trahison n’ont pas déjà fait leur travail de déconstruction des partis d’opposition. Mais le comble est que l’on puisse parfois voir des responsables de partis politiques reconnus comme de l’opposition dite « radicale » finir par se ranger du côté de ceux qu’ils ont combattu pour des raisons d’argent. Il faut en effet parler de sommes autour de 9 milliards de $US pour réussir une telle opération de conversion aux valeurs non républicaines, en tous les cas, c’est ce qui semble s’être passé au Togo après les élections présidentielles de mars 2010.
Les partis d’opposition, parlons-en ! Mis à part quelques pays comme Maurice, l’Afrique du sud, quand est-ce que des élections démocratiques ont eu lieu au sein des partis politiques d’opposition africains pour en choisir les dirigeants et les délégués ? Quand est-ce que les positions de la base sont prises en considération, à moins qu’elles ne soient instrumentalisées ou imposées, du fait de considérations alimentaires et d’insécurité de l’emploi ? Bref, la pauvreté ambiante et les nombreux écueils à l’indépendance financière (salariale ou en termes de revenus) des électeurs africains, conduisent à des élections où la vérité des urnes relève souvent d’une décision unilatérale de l’Administration centrale, un simple décret du pouvoir en place quant il ne s’agit pas purement et simplement d’une annonce régularisée par la suite par des instances juridiques comme la Cour constitutionnelle.
4. L’armée africaine : un corps habillé par qui ? Et pour défendre qui ?
Alors, si l’armée n’était pas en embuscade quand elle n’est pas pour un temps convertie en police de répression juste avant, pendant et après les élections présidentielles ou législatives, alors oui la vérité des urnes pourrait transparaître. Mais que vaut la voix des sans voix en Afrique ?
Avec la Chine qui tend à transmettre en Afrique d’une part des formes nouvelles de pouvoir d’achat, qui reste à améliorer, et d’autre part, de l’infrastructure, pour réduire les coûts de transaction sans compter les accès à des financements sans les conditionnalités imposées par les institutions de Bretton Woods, alors oui d’ici une dizaine d’années, l’Afrique aura majoritairement un continent où les dirigeants élus reflèteront la vérité des urnes.
En attendant cette échéance, ce sont les votes ethniques, la compétition entre les intérêts bien compris de groupes d’arrivistes gourmands doublés par des bandes d’incompétents adeptes de la médiocrité et ne connaissant que la force et le viol, voire le meurtre pour survivre, qui construiront la démocratie palliative en Afrique. En effet, les pays occidentaux s’en contentent à coups de promotion coûteuse auprès des médias politiquement corrects devenus, au demeurant, des intermédiaires financiers qui ne font que collecter l’argent des Etats africains pour polir l’image de ces derniers. Ces adeptes de la falsification de la vérité de l’information et par extension de la vérité des urnes sont en train de priver les populations de leur droit le plus absolu d’exister : le droit de vote et le droit de voir la vérité des urnes s’exprimer sans interférence des partis au pouvoir.
Généralement, tout ceci ne se fait pas seul. L’absence de vérité des urnes s’accompagne d’une privation des libertés fondamentales, de la liberté de la presse, de l’absence de séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judicaire et plus globalement de l’absence d’un Etat de droit et de la transparence. Peut-on alors encore parler de démocratie représentative ? Peut-on parler d’une démocratie constitutionnelle lorsqu’il suffit de trouver le bon prix pour acheter les opposants de longue date ayant réussi, parfois, à se donner l’image d’opposants radicaux ?
Si l’aide au développement ne sert plus en Afrique qu’à faire des semblants d’observations pour aboutir à des semblants de démocratie, alors il y a non seulement deux poids deux mesures, mais un vrai malentendu qui finira par la révolte des citoyens, ceux, les en-bas-d’en-bas, qui se voient priver de la vérité des urnes. Si les pouvoirs qui ont usurpé, à plusieurs reprises, la vérité des urnes, estiment que le peuple restera muet jusqu’à la nausée, ils font fausse route. L’Internet, malgré les nombreuses coupures d’électricité, les coûts prohibitifs en Afrique et les écoutes systématiques des pouvoirs publics, arrive malgré tout à fédérer les populations. La Diaspora, par exemple, est de plus en plus présente dans les affaires nationales et les nationaux lui font appel. Cette diaspora, si elle ne se trahit pas, devrait servir de vecteur de la démocratie en Afrique. Malheureusement, les pays fournisseurs d’aide publique au développement évitent soigneusement de confier des dossiers et expertises à la Diaspora africaine tout en clamant une neutralité dans les affectations de fonds. Ces mêmes Occidentaux n’hésitent pas à fournir de l’argent et des équipements aux armées africaines devenues pour l’occasion des protecteurs de la contre-vérité des urnes. A croire que l’anti-républicanité est en émergence en Afrique au point de déboucher sur des dynasties non pas royales, mais familiales.
5. De la Françafrique à l’Obamafrique : la fin de la postcolonie ?
Il n’y a aucun mal à concéder une défaite électorale sauf en Afrique et plus particulièrement dans les pays de la Françafrique. Il est vrai que lorsque des réserves de minerais sont identifiées dans le pré-carré et de plus en plus en dehors du pré-carré, certains pays occidentaux ne passent plus par le canal de la voie officielle et diplomatique, mais par les entreprises étroitement liées à l’Etat ou parti politique au pouvoir. Ils en oublient les principes et valeurs qui conduisent à la manifestation de la vérité des urnes et font du « business comme d’habitude », sur le dos des populations africaines. L’intéressement au capital pour les pauvres ? Connais pas dans le monde de la Françafrique !
Mais ne serait-ce pas cela que l’on reproche aux pays émergents arrivant en force en Afrique tant par la porte du secteur public que du secteur privé ? Il suffit de rappeler le silence de la Chine, l’Inde, le Brésil, la Corée du Sud, et même l’Afrique du Sud sur la gouvernance démocratique et le respect de l’Etat de droit pour se rendre à l’évidence que le silence sur la vérité des urnes pourrait ne pas sortir des cercles restreints des mouvements citoyens et de quelques vrais humanistes et démocrates.
Comment comprendre les protestations molles de la communauté internationale, de l’Organisation des Nations Unies (ONU), de l’Union européenne lorsqu’en toute connaissance de cause, l’Union africaine et les organisations sous-régionales africaines comme la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), sans oublier certains médiateurs africains en mission de sous-traitance pour des puissances extérieures à l’Afrique quant il ne s’agit pas d’entreprises transnationales, choisissent la neutralité coupable[2] comme réponse à la contre-vérité des urnes. Taire la vérité des urnes, n’est-ce pas se faire complice de la contre-vérités des urnes ? A supposer alors que tout ce beau monde soit indifférent, le vote des Africains va devoir être compté ! A défaut, ce sont les citoyens qui risquent d’imposer cet élément fondamental d’un Etat de droit et d’une démocratie non palliative.
Le Président des Etats-Unis ne peut se permettre de créer un « fan club » avec la plupart des 17 chefs d’Etat africains qui commémorent le cinquantenaire des indépendances cette année. Pour se démarquer de l’ambigüe invitation française des armées non-républicaines au défilé du 14 juillet 2010, Barack Obama a choisi d’inviter le 4 août 2010 à Washington, à la Maison blanche, de jeunes Africains, 60 % ayant moins de 30 ans, des représentants de la Diaspora et des organisations de la société civile, le secteur privé et les officiels de son Gouvernement. Le repère commun repose sur « la bonne gouvernance et les opportunités économiques », ce qui d’ailleurs représente le thème principal du partenariat entre les Etats-Unis et les nations africaines [3]. Il faut d’ailleurs préciser que le partenariat au « biberon » fait partie des nouvelles stratégies américaines pour changer le monde, thème qui a été promu lors du la 9e session annuelle du forum de coopération économique entre les Etats-Unis et l’Afrique subsaharienne organisé autour de la loi pour la croissance et les opportunités en Afrique (AGOA, African Growth Opportunity Act) signé en 2000 et renouvelé jusqu’en 2015 pour soutenir les échanges commerciaux entre l’Afrique subsaharienne et les Etats-Unis, ceci sur une liste de produits déterminés par les Etats-Unis avec une prépondérance pour les hydrocarbures. Des sessions ont eu lieu sur l’Agribusiness dans la ville de Kansas, dans le Missouri avec les 38 pays éligibles à l’AGOA. Le Togo n’a rempli que 4 des conditions sur une trentaine et n’a pas été invité.
6. Alternance bloquée : absence de soutien aux partis démocratiques de l’opposition
Les mouvements citoyens africains, les partis d’opposition appliquant la démocratie en leur sein et le secteur privé africain qui ont introduit la responsabilité sociale et l’éthique dans leurs principes doivent convaincre le Président Barack Obama de poursuivre cette nouvelle stratégie de concertation avec l’Afrique de demain. Les Etats-Unis peuvent convaincre certains dirigeants européens de faire de même, sans hypocrisie. Barack Obama, en refusant de s’afficher avec les dirigeants africains dont certains médaillés de la contre-vérité des urnes, vient de poser un acte historique. Il faudra néanmoins que les invitations adressées aux jeunes responsables de la société civile se concrétisent aussi par des invitations de responsables de partis d’opposition africains dont les modalités de fonctionnement sont démocratiques.
Car c’est bien le refus de soutenir les oppositions démocratiques dans des pays comme l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan ou même en Arabie Saoudite qui a conduit les Etats-Unis à se lancer dans des guerres coûteuses en argent et en vies humaines pour accéder à des matières premières, que ce soit des hydrocarbures ou tous les minerais identifiés en Afghanistan.
C’est bien le refus des ex-pays coloniaux en Afrique de soutenir les partis démocratiques d’opposition en Afrique qui a conduit à une situation de blocage de l’alternance politique dans la plupart des pays et semble favoriser les dynasties familiales ou claniques dans l’espace francophone en Afrique. Assurément, le mot rupture doit avoir un sens à géométrie variable selon que l’on est en Afrique ou en France. Le vrai problème est que ces régimes ont cumulé des déficits budgétaires exorbitants au point d’être incapables de créer des richesses pour une grande majorité des citoyens. Face aux révoltes en émergence, le besoin pour les populations de sanctionner la mauvaise gestion devient un impératif. La seule manière de s’en sortir pacifiquement et démocratiquement est que les votes des Africains soient comptés en toute transparence sans intervention pour modifier les résultats des urnes. La vérité des urnes n’est plus un choix. C’est une nécessité avant que les Etats ne deviennent défaillants tant la vérité des comptes fait aussi défaut.
L’Administration Obama devrait revoir en profondeur sa politique étrangère et faire son mea culpa sur les choix stratégiques faits par le passé, choix qui ont sous-estimé, voire marginalisé, le soutien aux oppositions démocratiques dans les pays où sévit la contre-vérité des urnes. Cette erreur stratégique a permis à plusieurs dirigeants africains de bloquer les alternances normales à la tête de l’Etat. Le soutien à 115 jeunes responsables africains et leur vision de l’Afrique sur les 50 prochaines années ne peut devenir réalité que si Barack Obama n’oublie pas de rappeler à ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui les conséquences de leur mauvaise gouvernance. Ces derniers se contentent généralement souvent de parler des 50 prochaines années sans vision.
La vérité est qu’il y a besoin de préparer le futur africain par une diplomatie intelligente et régionale avec des partenariats ciblés préservant l’écologie, ceci dans le cadre d’une prévisibilité de l’environnement des affaires et des investissements massifs dans les infrastructures physiques de réduction des coûts de transaction. Sur ces derniers points, l’influence de la Françafrique est nettement en baisse. L’Afrique est donc en mutation avec peut-être le début de la fin de la postcolonie [‘]. Cependant attention qu’à force de voir le monde occidental, les pays industrialisés et riches repousser les frontières de l’application de la vérité des urnes aux calendres grecques, certains pays émergents ne viennent prendre leur place en perpétuant les pratiques malsaines de la postcolonie. Car jusqu’à nouvel ordre, il n’a jamais été entendu que la Chine, l’Inde ou le Brésil fondent leur partenariat sur la qualité de la vérité des urnes. Donc si l’on n’y prend garde, le vrai danger n’est pas l’arrivée des pays émergents en Afrique, mais la reconduction de pratiques postcoloniales repoussant dans le temps la fin de l’humiliation des populations africaines, comme le rappelle Aminata Traoré [5].
Conclusion : capacité dilatoire et neutralisation des contre-pouvoirs citoyens
Ceux qui croient à la démocratie aux Etats-Unis ou en Union européenne comme au demeurant en Afrique devraient refuser de transférer l’argent de leurs impôts pour réaliser en Afrique ou ailleurs des élections sans vérité des urnes, surtout quand les observateurs de l’Union européenne ont relevé une liste interminable d’irrégularités graves devant conduire à l’invalidation du scrutin et ouvrir la voie à de nouvelles élections. Mais, la neutralité coupable prend alors la relève et c’est le silence et l’indifférence. De quelle démocratie parlons-nous? Une démocratie falsifiée pour les Africains et une démocratie « pure et parfaite » pour les Occidentaux ? Les contribuables européens gagneraient à demander des comptes à l’Union européenne pour de telles incohérences et anomalies qui ne font pas honneur à cette illustre institution. Par ailleurs, entériner sans contrôler les affirmations sans preuves des institutions sous-régionales ou continentales africaines sur les résultats des élections dans certains pays africains conduit à s’illusionner sur la réalité de la démocratie en Afrique, avec les surprises explosives et incontrôlables dont seront responsables ceux-là mêmes qui ont laissé la contre-vérité des urnes faire son chemin contre l’avis des contre-pouvoirs des mouvements citoyens.
La pression des pairs qui est un mécanisme puissant pour faire avancer les valeurs ne marche pas en Afrique. En fait, cela marche à l’envers. La pression des pairs sert justement à justifier et légitimer la contre-vérité des urnes. Il est certain que l’on ne peut que trouver ces pays parmi les derniers du monde où il fait bon vivre, comme le constate le rapport d’un sondage de Gallup Wellbeing Surveys[6] qui classe le Togo au 155e rang sur 155 Etats en précisant que c’est le pays où l’on souffre le plus en comparaison au Danemark où l’on est le plus prospère et heureux.
Les mots démocraties, liberté, responsabilité devant les électeurs, vérité des urnes et surtout le principe sacré de rendre des comptes au citoyen n’existent plus -s’ils ont jamais existé- dans la langue que se parle certains politiciens locaux, ceux du pouvoir comme certains de l’opposition.
L’incapacité de faire émerger la vérité des urnes ne relève plus de la mauvaise gouvernance mais bien de la mauvaise foi, du dol et donc de l’usurpation. Il s’agit d’un délit et lorsqu’il y a viol, emprisonnement de citoyens et morts, de crimes. L’impunité légitimée par la communauté internationale et de l’Union européenne laisse perplexe sur les effets de manche dans les médias de cette dernière.
La démocratie des pays du centre est-elle différente de celle des pays de la périphérie ? Quelle civilisation [7] souhaite-t-on créer pour dans les années à venir, surtout après le bilan très peu glorieux des cinquantenaires qui ont suivi l’indépendance pour la plupart des pays africains ? Le bulletin de vote de l’Africain peut-il sans impunité faire l’objet d’usurpation et de contre-vérité alors que le bulletin de vote de l’Occidental ne souffre pas de contestations ?
Lors des prochaines échéances électorales, les institutions qui financent ces élections sans vérité des urnes devraient apprendre à écouter les populations et les expertises indépendantes disponibles tant au plan national que dans la Diaspora et dans les mouvements citoyens africains. Cela leur permettra au moins d’éviter de se faire berner par la capacité dilatoire des régimes militaro-civils africains qu’elles ont elles-mêmes contribué à perpétuer, parfois sous forme de dynastie sur le continent. A ne pas y prêter garde, cette indifférence intéressée pourrait à terme fonder les bases d’un système d’usurpation graduelle et légitimée de tous les contre-pouvoirs africains qui n’arrangent pas les pouvoirs locaux et internationaux.
05 août 2010
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO
Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology »
Site perso: http://www.amaizo.info
1. Yves Ekoué Amaïzo, Crise financière mondiale. Des réponses alternatives de l’Afrique, éditions Menaibuc, Paris 2010.
2. Yves Ekoué Amaïzo (sous la dir. de), La neutralité coupable. L’autocensure des Africains, un frein aux alternatives ?, avec une préface du feu Professeur Abel Goumba et une postface de Têtêvi Godwin Tété-Adjalogo, collection « Interdépendance africaine », éditions Menaibuc, Paris, 2008, 446p.
3. AllAfrica, ‘Obama celebrates 50 years of 17 African countries’ independence’, in Afronline, the voice of Africa, see <http://www.afronline.org/?p=6408>
4. Jean François Bayard, Les études postcoloniales. Un carnaval académique, éditions Karthala, Paris,2010
5. Aminata Traoré, Traoré, A., L’Afrique humiliée, éditions Casbah, Paris, 2010,
6. Global Wellbeing Surveys2010 (Washington D.C.) porte sur 155 pays et repose sur une large palette et diversifiée d’approches économiques permettant de trouver une solution au bien-être des populations dans leur ensemble. Si 82 % de la population Danoise est considérée comme prospère et vivant dans un bien-être, le rapport trouve qu’au Togo, ce chiffre est de 8 %, classant ce pays comme bon dernier dans le classement. Il s’agit d’un sondage d’opinion conduit entre 2005 et 2009 sur 155 pays. Il s’agissait de classer les pays en trois catégories avec une catégorie pour les pays où l’on souffre le plus, les pays où les difficultés sont importantes et les pays prospères. Les marges d’erreur s’élevant à 5,8 %, il y a lieu de considérer les résultats comme inquiétants pour les politiques de migration. voir < http://www.gallup.com/poll/126977/Global-WellBeing-Surveys-Find-Nations-Worlds-Apart.aspx > visité le 30 Juillet 2010.
7. Samir Amin Du capitalisme à la civilisation, éditions Syllepse, Paris, 2008.