Kokou R. Hounnou
Immigration clandestine
ce que l’on refuse de voir…
Introduction
S’il nous arrivait de croiser au détour d’une rue une licorne tirant une charrette, ou dans un parc apercevoir un ours polaire en train de brouter des herbes, on prendrait un temps d’arrêt pour se dessaisir de sa stupeur, le phénomène étant singulier, témoignant d’un dérèglement dans l’ordre naturel des choses. Ces scènes atypiques qui n’interpellent malheureusement qu’aux premiers instants où nous les découvrons, finissent par s’insérer au final dans notre quotidien, devenant même banals en fin de comptes. Cela n’a peut-être rien d’étonnant certes, c’est ainsi que fonctionne entre autres notre univers mental !
Si ces licornes et ces ours devenaient gênants d’un point de vue quantitatif ou perturbateur de l’écologie, il faudrait bien trouver une solution pour préserver la cité. Dans le cas de figure des ours polaires, faudrait-il fermer les parcs pour préserver nos jardins et espaces verts aménagés à grands frais et abattre les ours pour leur dangerosité, ou les capturer pour les remettre dans leur habitat naturel en pleine déconfiture ? Le bon sens proscrit la radicalité de la première solution, et met à nu la légèreté de la seconde. On s’accorderait tous à reconnaître que la solution passe par une étude visant à comprendre le dérèglement dont la nature est l’objet, et prendre les mesures nécessaires pour préserver notre intégrité en protégeant les ours dans leur milieu naturel. Moralité : la civilisation est une accumulation de puissance qui exige des responsabilités, lesquelles exigent la préservation d’un équilibre dialectique entre l’artifice culturel et la nature, et aussi un fait non moins important, le respect de certaines réalités intrinsèques, propre à la nature, que notre agir ne doit pas perdre de vue.
Dans le cas du vivant, la dialectique devrait tendre à préserver la dimension biologique de certains faits liés à son intériorité, bref le respect d’une nature biologique essentielle à la survie des espèces. Cela nous amène au dossier épineux de l’immigration clandestine. Bien évidement il s’agit des hommes. Mais les solutions les plus utilisées à l’encontre de ce fléau du monde contemporain rejoignent malheureusement la stupidité des solutions les plus faciles et fait l’économie de la responsabilité qui accompagne l’exercice de la puissance et fatalement un désintérêt quant à la compréhension de la causalité à l’œuvre des ces déplacements collectifs où la mort et la dénégation sont quotidiennes. Et si l’immigration répondait à une pulsion beaucoup plus biologique que culturelle chez l’espèce humaine ?
1 Biologie du vivant
La sédentarisation qui constitue le haut fait de l’homme depuis le néolithique, et qui a permis par la suite l’érection des grandes civilisations, est un phénomène singulier dans l’histoire de notre espèce. Elle a été rendue possible à partir de la découverte de l’agriculture et de la capacité de stockage qui a amené nos ancêtres à mettre fin au nomadisme qui caractérisait les mouvements humains attirés par les points d’eau, les attroupements d’animaux et un environnement moins hostile à leur survie.
L’homme a donc cessé de bouger d’un point à l’autre quand il a compris qu’il pouvait anticiper les cycles saisonniers où le gibier devenait rare en faisant l’élevage ou en stockant de la nourriture, anticiper la rareté des denrées agricoles en pratiquant l’agriculture et en stockant ses récoltes, et s’installer aux abords des points d’eau. L’objectif essentiel auquel répondait ce déplacement de population dans le temps est, loin s’en faut, la satisfaction d’une pulsion aventureuse, politique ou esthétique mais fondamentalement l’acquiescement au principe d’approbation de la nature, l’instinct de conservation, le fait que la vie acquiesce à elle-même, que la vie se dise oui en rentrant en ségrégation s’il le faut avec le milieu naturel de sa genèse. L’immigration n’est que le pendant lointain d’une pulsion biologique propre au vivant qu’est la migration. Et il est encore repérable aujourd’hui dans la saga des espèces, cette propension à se déplacer d’un point à l’autre entre des zones distinctes de façon quotidienne ou saisonnière pour répondre à des besoins pulsionnels (instinctifs) ou biologiques. C’est le fait des saumons qui remontent le cours de la rivière pour aller pondre leurs œufs, les pingouins dans l’antarctique bravant le froid mortel, les oiseaux migrateurs qui parcourent des distances incroyables, les animaux dans les plaines du Sérengueti entre le Kenya et la Tanzanie et pourquoi pas l’homme.
La définition que donne la science de la migration larvaire, assez explicite, est l’intrusion d’un parasite dans le corps d’un hôte afin d’y retrouver les conditions optimales à son développement. Encore une fois, cela témoigne du principe d’approbation de la nature et peut bien s’appliquer à l’homme. Notre inclination à nous considérer au sommet de l’évolution phylogénétique nous pousse le plus souvent à perdre de vue ce que nous avons de plus intime en partage avec les organismes vivants. Aujourd’hui l’avancée de l’éthologie et certaines disciplines scientifiques nous poussent à une révision déchirante de ce que nous tenons pour nos certitudes les plus irréductibles. Les exigences du biologique sont sourdes et demandent à être satisfaites vaille que vaille. Un penseur contemporain spécialiste de la biologie philosophique faisait la remarque ci-après : « L’existentialisme contemporain, obsédé par l’homme seulement, à l’habitude d’attribuer à celui-ci comme son privilège et sa situation uniques une bonne part de ce qui s’enracine dans l’existence organique comme telle : ce faisant, il refuse au monde organique la pénétration de vue qu’est censée enseigner la prise de conscience de soi » 1 . Ce qu’il y a d’intéressant dans cette pensée est l’apparentement des comportements ou pulsions humaines à l’ensemble des organismes vivants dans toute la phylogenèse. Même s’il faut faire l’économie de cette comparaison qui distille la mêmeté de certains comportements et tendances de l’homme aux organismes vivants, on ne peut pas refuser la similitude de l’odyssée des africains risquant leur vie pour mourir aux portes de l’Europe à ces manchots de l’antarctique dont le froid aura raison, ou ces gnous des plaines africaines emporté par le courant ou attrapé par les dents affutées des crocodiles dans les eaux qu’ils traversent pour rejoindre le lieu de rassemblement. D’ailleurs la biologie parle d’intrusion dans un corps étranger poussé par les exigences de recherches des conditions propices au développement. Cela n’exprime t-il pas assez le dessein de ses pauvres gens en quête d’une condition de vie plus digne de leur qualité de personne qui viole les frontières des états européens sans possession de visa entraînant des externalités négatives dans l’économie des états et que savions nous encore ? Des gens qui laissent derrière eux leur environnement de base où s’exprime un déficit criard pour leur développement pour venir vivre en parasite en Europe ! On nous objectera peut-être que la similitude ou la coïncidence de l’instinct migratoire chez l’homme et les animaux ne réduit pas l’homme au rang des animaux et qu’il faut insister sur le côté culturel, une objection que nous partageons malheureusement d’ailleurs. Malheureusement non pas parce qu’elle infirme notre analyse, mais au contraire qu’elle lui donne force et portée.
2 Les signes évidents d’une involution morale et culturelle.
Il est vrai que la culture est l’expression radicale de la différence anthropologique quand on considère l’homme d’un point de vue biologique comme espèce parmi les autres. Ce mélange dual du naturel et du culturel fait de nous des espèces d’exceptions au sommet de la phylogenèse avec toutes les conséquences qui en découlent. Nous avons pris une distance vis-à-vis de la nature depuis notre capacité de sédentarisation par l’entremise de l’artefact technique. Cette ligne de fracture, ou cette ségrégation de nous même avec le milieu naturel de notre genèse témoigne d’une indigence intrinsèque au vivant que l’homme comble par le fait culturel. De ce point de vue les inventions humaines quelle qu’elles soient témoignent de l’expression d’une forme d’intelligence absente dans la donation immédiate du monde. Cela implique alors une définition de l’homme non plus seulement à partir de ses instincts ou par le fait exclusif de sa nature biologique, mais essentiellement sous un mode dual qui subsume la double dimension nature/culture ? Que peut donc entraîner comme lisibilité, le cas de figure ou après plusieurs millénaires, l’homme en vient à se faire distinguer quantitativement et qualitativement du fait de sa nature humaine ? Parlera-t-on d’évolution ou d’involution dans nos mœurs civilisés ? Manifestement il y a malaise dans le fait culturel, un hôte est à nos portes- que dis-je il est déjà renter dans notre demeure et étale le dénuement à l’encontre d’une lutte plusieurs fois millénaire, pour sortir l’homme de l’indigence. La sédentarisation est et demeure la solution contre l’expression des pulsions primales en nous. Elle réunissait et concentrait en un seul point les multiples exigences que demandait la vie pour continuer l’aventure mondaine. Si, à un moment historique, une civilisation ou une certaine peuplade ne retrouve plus dans l’organisation de ces structures, les réponses à sa survie et son développement, elle a recours aux techniques basiques, à l’instinct, au biologique. Que des personnes quittent familles, femmes et enfants, parents et amis pour poursuivre une odyssée qu’ils savent payer peut-être de leur vie, nonobstant les dangers à encourir, préférant un voyage incertain ou la rencontre avec la mort est très probable à une situation de misère insoutenable, alors il y a un problème. Un problème inquiétant qui traduit une involution morale et éthique.
La réception des problèmes liés aux migrations massives des peuples du tiers-monde est biaisée par une myopie volontaire des causes réelles du problème, préconisant donc fatalement des solutions fâcheuses et inadaptées. Jusqu’ici les mesures ne sont que répressives et coercitives. S’il faut se référer à notre exemple de l’ours polaire dans les parcs en ville, on est encore dans la logique de l’abattement ou de la capture dans le meilleure des cas, suivi par une réinsertion dans un milieu dit « naturel » qui ne l’est plus- car ce naturel demande dans le cas de l’homme la présence des éléments qui inhibent la pulsion migratoire et qui favorisent le développement et la réalisation de la nature projective en l’homme- en occultant bien évidement la solution de l’enquête sur la causalité à l’œuvre dans le dérèglement du naturel des chose. Où bien l’humanité ne va plus de soi, on ne peut plus se baser sur le naturel pour déterminer qui est humain ou pas, cela se mériterait et se déterminerait par la capacité de certain à organiser et inventer les artefacts techniques propices à leur réalisation en tant que personne, où bien il y a un déclin qui ne dérange pas les plus nantis, une involution de nos valeurs les plus cardinales, une démission de l’exercice de la responsabilité dans un contexte d’exercice de puissance sans partage.
L’économie triomphante induit des rapports disproportionnelles dans l’accès aux ressources vitales pour continuer l’aventure mondaine, se gaussant des pauvres avec son allure Malthusien ; « tout le monde n’est pas invité au grand banquet de la vie ». La compétitivité est à sens unique et ne profite qu’à ceux qui déjà au départ jouissait d’une certaine suprématie. Contre les voix qui s’élèvent pour dénoncer le malaise s’oppose le froid et l’indifférence des puissances nantis. Nous sommes de ces civilisations qui malheureusement arrivent au meilleur des choix qu’après avoir essayé ou être passé par les plus immondes et les plus abjects. Les valeurs d’aujourd’hui prennent corps sur les déboires et les erreurs du passé et encore faut-il qu’on prenne conscience qu’on a fauté. Depuis quelques temps nous assistons au déclin de l’intelligibilité des formes de vie et des valeurs que nous avons élus. Le vivre-ensemble, l’humanisme et la solidarité humaine, le développement, l’industrialisation, le système capitaliste secrètent de l’inhumain. Des OPA sauvages aux licenciements abusifs, pendant que les actionnaires se remplissent les poches et se sucrent de l’effort de la masse ouvrière, le dérèglement climatique dû aux activités industrielles en contradiction avec l’indifférence ignominieuse de certaines puissances, le repli identitaire dû aux échecs répétés des politiques sociales, la misère déshumanisante et avilissante qui réduit l’homme à l’expression la plus basique de ses instincts. Quand la nature à sonné le glas de notre indifférence vis-à-vis d’elle, les réactions n’ont pas tardé. Pourquoi opposer encore longtemps cette surdité à l’appel inquiétant de l’humain en dissolution ? C’est un autre penseur de la biologie philosophique qui nous explique : « l’invention des mythes et des religions, la construction de vastes systèmes philosophiques sont le prix que l’homme a dû payer pour survivre en tant qu’animal social sans se plier à un automatisme ». La sécularisation a ensuite réduit ses constructions aux valeurs politiques et sociales. Que devient-il si à leurs tours ses systèmes dont l’objectif est de pérenniser son humanité en viennent à le nier et le contraindre au dénuement ? Ne rentre-t-il pas dans une phase de régression ?
Conclusion
Le problème que nous venons de soulever n’est pas inconnu des grandes puissances ni des grands acteurs mondiaux. La solution la plus adéquate demande trop d’investissement et s’avère plus coûteuse que la coercition et la répression banale des personnes. Il serait aussi malsain d’indexer la somme des pays nantis comme entraînant la dissolution de la nature projective de l’homme au profit de ses instincts les plus basiques. Tous les pays du nord n’entretiennent pas le développement du sous-développement comme idéal de société.
L’Afrique subsaharienne, d’où est issue la majeure partie des immigrés clandestins, souffre encore de la politique des réseaux occultes France-Afrique. Ces individualités occultes qui font la pluie et le beau temps dans certains pays membre de la très tristement célèbre francophonie. Contrôle des richesses et des ressources énergétiques, choix des dirigeants politiques du pays, distillation de rebellions dans les pays lucides, prédilection pour des systèmes de répression, etc., les maux sont assez costauds pour faire éclater la polymérisation des facteurs culturels à la base de nos civilisations déjà durement éprouvé pour réduire l’homme à sa dimension biologique. Et la réaction la plus logique et la plus propre qui soit n’est que l’immigration. Quand le rêve devient impossible dans un environnement donné et que deviennent absents les conditions matérielles pouvant y conduire, l’homme se déplace pour se préserver. Le dépit peut prendre un ton lui plutôt aphone qui verse dans la violence en cherchant hélas à supprimer l’auteur de nos maux ou soi-même avec lui. Dans notre histoire contemporaine, des exemples font légions. Nous faisons l’économie de leurs citations. Que le bourreau se pose en victime, c’est le comble de la farce.
Le seul moyen d’arrêter l’hémorragie c’est de laisser l’Afrique noire s’occuper d’elle-même, de ses richesses de son peuple et de son avenir. Et que dans ce relâchement, ceux qui ont le bénéfice de l’exercice de la puissance prennent leur responsabilité.
Pour Afrology, Kokou Roger Hounnou dixit Korh.
1. Hans Jonas, Le phénomène de la vie. Vers une biologie philosophique, trad. D.Lories, Bruxelles, De Boeck Université, 2001. p. 9.
2. Jacques Monod. Le hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne. Paris, Editions du Seuil, 1970. p. 211.