LES DOSSIERS

Islamisme et judeo-christianisme

Kokou Roger Hounnou

Islamisme et judeo-christianisme
les monothéismes a l’heure du nihilisme postmoderne

Introduction

Il y a quelque mois, nous avons assisté effarés et perplexes à l’hystérie collective du monde arabo-musulman en réaction à la caricature du défunt prophète d’Allah dans un journal danois (relayée ensuite par d’autres journaux européens). Il y a quelques semaines, la date anniversaire de cet événement qui allait entraîner quelques mois plus tard le soulèvement planétaire du monde arabo-musulman coïncidait avec une autre manifestation hystérique elle aussi teintée de violence, mais à moindre échelle, à la suite d’une boutade du Pape, citant un autre successeur de Pierre, un Pape du Moyen-âge interrogeant un érudit Persan sur l’apport qualitatif de l’islam en matière de spiritualité et de religiosité à la suite du christianisme. Si les regards sont cristallisés sur les relations interconfessionnelles entre le monde arabo-musulman et l’Occident chrétien, c’est que l’islam nous aura accoutumé depuis le 11 septembre 2001 à une théâtralisation de la violence au travers d’une forme de terrorisme inédite qui à fini par amener les libres penseurs à associer l’islam et la violence comme ayant une unité consubstantielle ou à tout le moins un regard sur l’islam comme drainant une violence rampante qui serait au fondement même de son idéologie. Même si l’on faisait l’économie de la boutade du Pape, il est clair que l’islam diffuse donc des spasmes et des ondes de choc qui perturbent l’équilibre planétaire, fondamentalement à partir d’une impulsion théocratique qui voudrait assimiler le vivre ensemble, c’est-à-dire la question du juste sous le joug de la question de la vie bonne, et particulièrement au travers de l’activisme intégriste, cette tâche de l’islam qui à fait de la violence son mode d’action en lui donnant une légitimité et une généalogie ontologique.

C’est donc à juste titre que le citoyen du monde séculier, nihiliste et foncièrement athée peut se poser des questions ou même incriminer une tendance véhiculant délibérément l’opacité et la violence là où sont exigés la lumière et la liberté de l’homme. Mais venant, du Pape, on aurait dit de la confession dont il est la plus grande figure, le catholicisme, et par extension le christianisme, que cette dernière serait exempte de toute forme de violence elle, et traduirait peut-être un christianisme sécularisé n’ayant aucun mal à se conserver dans l’ambiance nihiliste des civilisations postmodernes. Et pourtant, rien n’est moins sûr, toutes les religions monothéistes ont du plomb dans l’aile et gigotent quotidiennement pour préserver leurs fondements idéologiques qui chancellent et tendent à suivre la voie létale empruntée jadis par leurs avatars devenus macchabées, dans un monde de plus en plus nihiliste. Le christianisme au travers de l’Eglise aura fait plus de tort aux âmes que du bien et après quatre siècles, le Vatican ne démord pas de l’exercice de la violence, une violence plus subtile et douce certes, qui épouse des traits comme l’éviction des femmes du clergé et la condamnation de la théologie de la libération par exemple, etc.,.

La différence d’un monothéisme à l’autre, donc celle du judéo-christianisme à l’islam, exception faite de leur coïncidence fondamentale qui est l’emprise et l’empire sur l’esprit, est la forme d’activisme barbare et non contemporain entretenu par les intégristes musulmans qui font de la violence le nid des stratégies d’usures de l’ « ennemi ». Sinon imposer aux hommes leur comportement, leur façon de penser etc., participe aussi de la violence. Les figures du religieux sont tellement variées, les cultes complexes et frisant le ridicule pour l’adepte d’une autre confession que l’idée de régenter la vie publique à partir de ces monothéismes en perte de vitesse et dont les généalogies sont douteuses, est une pure chimère. C’est fort de ces constats que s’impose, l’accompagnement progressif du procès historique de la sortie hors de la religion, du moins l’éviction de la théocratie comme modèle politique et socioculturel. Qu’on ne s’y méprenne pas ; la prégnance du religieux sur le modèle culturel et sociopolitique colore encore la question du juste à certains égards même dans l’Occident séculier. De la justice à la politique jusqu’aux comités bioéthiques, la pensée religieuse est on ne peut plus nucléaire. Elle a une assise de deux milles ans qu’il ne faut pas négliger et prendre à la légère. Mais sur ce chemin dont l’Occident détient une expérience plusieurs fois centenaire, un dialogue, et même un accompagnement de l’Islam s’avère incontournable. Le vivre ensemble exige aujourd’hui une distinction radicale de la vie privée où le libre exercice et la libre adhésion à des croyances trouvent son ancrage, et l’espace public où est discuté ce qui au-delà de nos différences et des contenus substantiels régentant notre conception d’une vie bonne, nous met tous d’accord et nous permet de vivre ensemble. Mais comment s’y prendra t-on si la langue de bois s’installe par hypocrisie ou par peur de heurter une sensibilité religieuse à fleur de peau des musulmans, et la psychose de s’attirer la foudre des islamistes – meurtre ou fatwas – aux yeux desquels ce qui existe semble n’être qu’une falsification de l’autorité divine et une errance menant droit dans la pérennité de l’enfer ? Comment y parvenir si la démocratie s’étiole et fait l’erreur de substituer le consensus politique à l’autorité de la loi ?

I Des monothéismes : ressemblances et dissemblances

Que le judaïsme, l’islam ou le christianisme ait chacun sa configuration spécifique, ils sont tous des proches parents et partagent davantage de caractéristiques que la revendication d’un dieu unique dont chacun proclame la supériorité par rapport aux autres. Religions du Livre sacré, la Torah, le Coran et la Bible sont tous d’inspiration divine nous dit-on, ou plus précisément le fait de Dieu lui-même. Un Dieu unique qui semble souffrir de solitude après avoir rangé au placard les dieux polythéistes qui peuplaient l’économie psychologique de l’homme. Apparu avec le culte d’Aton en Egypte antique et exporté hors de la terre des khemits par le peuple juif , ce dieu sent le besoin d’envoyer son fils après une succession de prophètes- ses hommes de mains- dont Mahomet sera désigné dans l’islam comme leur sceau, c’est-à-dire, le plus grand et le plus illustre. Le sacrifice du fils aura-t-il été vain pour que sept siècles après, le dieu unique consacre un autre envoyé, un homme ordinaire à qui il sera dévolu des qualités plus importantes que celles de son fils ? Secret divin, on est loin de le savoir, on ne le saura jamais. Mais ceci est loin d’être un problème. Ce qui est inquiétant, c’est l’apparentement ou la mêmeté des fondements de ces cultes monothéistes qui ne semblent pas avoir changé et dont certains aspects se radicalisent après une multitude d’envoyé dont la plupart on l’amour de la mort tragique. L’unicité de Dieu et sa connivence avec les avatars qui finissent par l’évincer dans sa qualité d’instance de référence constituent le label des religions monothéistes et une des caractéristiques majeures de leurs coïncidences. Le prophète, les Imams cachés qui constituent l’archétype psychologique, sociopolitique et culturel du devoir-être islamique, l’infaillibilité du Pape, l’unicité de la voie révélée par le Christ etc.,. On n’est pas loin du compte des caractéristiques qui les met ensemble. Du judaïsme à l’islam, en passant par le christianisme, on retrouve cette aversion pour l’intelligence, la soumission à Dieu – étymologiquement islam veut dire soumission à Dieu-, la négation du monde d’ici-bas pour les arrières-mondes, la culture de la culpabilité et la mortification de la chair, le mépris de la femme, bref un mépris de la gente humaine, avorton et minus- du bois tordu on ne peu rien faire de droit- qui ne sait rien faire sans l’intervention de Dieu dans sa vie. Michel Onfray le dit de façon plus solennelle dans son traité d’athéologie :
Les trois monothéismes, animés par une même pulsion de mort généalogique, partagent une série de mépris identiques : haine de la raison et de l’intelligence ; haine de la liberté ; haine de la sexualité, des femmes et du plaisir ; haine du féminin, haine du corps, des désirs, des pulsions. En lieu et place de tout cela, judaïsme, christianisme et islam défendent : la foi,et la croyance, l’obéissance et la soumission, le goût de la mort et la passion pour l’au-delà, l’ange asexué et la chasteté, la virginité … autant dire la vie crucifiée et le néant célébré…

Et ce n’est pas tout ce que l’islam et le judéo-christianisme ont en commun, leur généalogie en ce qui concerne les ontogénies mythiques fondationnelles, l’exégèse islamique et judéo-chrétienne des vérités révélées ça et là se sont toutes appuyées sur les sources épistémiques helléniques. La pensée philosophico-religieuse préislamique conservée dans l’islam est emprunte de schèmes, rites et philosophèmes hellénistiques. L’évolution historique du monde arabo-musulman comme celle de l’Occident séculier n’est pas en reste non plus. L’autorité de Platon et d’Aristote a été déterminante dans l’exégèse chrétienne opérée par Thomas d’Aquin et St Augustin. Le Coran ne l’est pas moins. Les hadîth dans leurs penchants juridiques se sont inspirés des sources helléniques. Il est clair que la Sunna, ouvrages de recension et d’authentification de la tradition ne saurait restituer fidèlement plus de deux siècles après la mort de Mahomet, sa conduite et ce qui aurait été dit de son vivant. Le contexte assez bariolé dans lequel le Coran vint de la réalité extra-mondaine à celle mondaine est assez explicite. L’Arabe coranique n’existait pas tel quel du vivant du prophète qui était analphabète, raison pour laquelle l’ange Gabriel a du lui réciter le Coran. D’ailleurs si on laisse de côté ces exemples historiques qui frappent la sensibilité des âmes religieusement bien-pensants et qui se limitent à la seule origine extraterrestre des Livres saints, on remarque que les trois religions monothéistes partagent une généalogie identique qui en met en scène les vicissitudes d’un Dieu incapable de gouverner seul le monde, un Dieu jaloux, colérique, impulsif et ringard qui sera supplanté par son fils dans le christianisme et qui s’octroie la connivence de ses avatars. Dans les trois Livres saints, seing et sein, il est donné la même explication sur l’origine du mal dans l’existence, une généalogie du mal qui fini par faire de l’homme un sujet névrosé ou psychotique, victime et cultivant lui-même une culpabilité morbide, contre laquelle il n’existe aucun remède sinon un débile acte de contrition qui n’est autre que la forme la plus patente de cette névrose obsessionnelle. La généalogie du mal dans les trois monothéismes ressemble étrangement au mythe grec de Pandore. Dans ce mythe c’est de la concupiscence d’une femme que le mal se répand sur la terre. Dans les trois monothéismes, c’est toujours la femme qui est coupable, entraînant la création dans la chute à la suite de la désobéissance à Dieu dans le paradisiaque Eden.

Pour ce qui est de la dissemblance, c’est le fruit d’une évolution historique, où la politique et l’exégèse surtout, ont orienté le plus, l’évolution historique de chaque civilisation où tel ou tel monothéisme était à l’honneur. L’islam par exemple a très vite rompu avec l’apport hellénistique pour se renfermer dans la vérité du Coran. Depuis plus de quinze siècles d’histoires et non pas des moindres, on a à se mettre sous la dent que la redécouverte de l’héritage grec, l’apport en médecine, en algèbre dont les sources sont indiennes, etc. C’est un désert plat en ce qui concerne les inventions technologiques, la recherche scientifique, alors que ce n’est pas les moyens qui manquent. Ce qui est étrange c’est que c’est les penseurs arabo-musulmans comme Averroès, Al Ghazali, Maimonide, Al Farabi etc., qui ont traduit Aristote, Platon, Galien pour ce qui est de la médecine, et on permis de part leurs travaux la revivification de la flamme intellectuelle de l’Occident, perdue après l’abrutissement de l’esprit opéré par le christianisme naissant, non pas au travers du Christ, mais sous l’impulsion de deux hommes : Constantin et Paul de Tarse. Leurs apports dans le tournant qu’est le Moyen-Âge et l’apport de la renaissance sont inestimables. Paradoxalement ce prodigieux essor intellectuel n’aura pas servi dans les foyers de sa genèse, ou plutôt sa résurrection ! Etrange n’est-ce pas ? Mais cette dissemblance dans l’évolution historique n’est pas gratuite, elle s’explique par la rupture avec la bien-pensance religieuse sur le plan existentiel, politique et exégétique opéré en Occident chrétien connu sous l’appellation générique de sécularisation. L’évolution politique gagnée qu’est la modernité politique semble avoir été déterminante pour le reste. La libre pensée a donné à l’Occident ce qui fait aujourd’hui son incontestable suprématie. Il semblerait d’ailleurs que le christianisme ait connu deux sécularisations : la première elle-même spirituelle qui est celle du combat de Jacob contre l’ange où ce dernier en sort vaincu, ce qui marque manifestement l’avènement du règne de l’homme, et le 18e siècle qui marque le sacre de l’intelligence et la mort progressive de Dieu. Mais il faut insister sur le fait que la sécularisation ne signifie pas une absence absolue du religieux dans l’existence où la vie publique : seulement que l’assomption de l’existence humaine ne se décide plus par l’entremise d’une instance extra-sociale ou extra-mondaine mais par le fait de l’homme et seulement l’homme lui-même devenu autonome. Ce qui veut dire que le fait religieux existe bel et bien dans la société, mais que la religion ne détermine plus ou pas, l’essence du vivre ensemble. L’islam n’a pas connu le même cheminement et aurait tout fait pour maintenir la vérité de la révélation, restituée deux siècles plus tard. Toutes les tentatives herméneutiques tournant dos à la vulgate traditionnelle ont été malheureusement étouffées, réprimées .

II Les véritables enjeux des monothéismes et la menace de l’intégrisme

L’islam retournera en Europe en conquérant et en vainqueur, après avoir été expulsé deux fois. Une fois d’Andalousie, au Sud, l’autre fois a l’Est, après qu’il eut frappé aux portes d’Athènes. Je soutiens que cette fois la conquête ne se fera pas par l’épée mais par la prédiction et l’idéologie .

Les rapports tendus entre le monde arabo-musulman et l’Occident ont souvent été réduits aux problèmes israélo-palestiniens. C’est évident, pour une communauté arabo-musulmane planétaire soudée par l’histoire, la langue et la recherche d’un destin spirituel commun, et capable d’influencer à coup de baril de pétrole le destin historique de la planète, ne pas réagir, ou ne pas se sentir concerner par ce problème semble invraisemblable. Au-delà du fait religieux, c’est plus que légitime de s’opposer et de résister à l’oppression et vouloir renverser la tendance en luttant pour la liberté. Israël reste et grandi en tant qu’entité étatique en écrasant et phagocytant des territoires voisins. Mais en réalité rien n’est moins sûr. Certes, le problème israélo-palestinien exaspère le monde arabo-musulman et la résistance du Hezbollah, du Fatah ou le déni à peine voilé du président iranien M. Mahmoud Ahmadinejad remettant en cause l’existence de l’état d’Israël suffisent pour l’attester. Mais le fait est que ceci n’est que la partie immergée de l’iceberg considération faite du rêve plusieurs fois millénaires des monothéistes : s’étendre le plus possible et contrôler le pouvoir temporel, ce rêve encore plus vivace et rampant dans le monothéisme musulman dont l’idéologie reste actuellement la plus active. Un activisme autant religieux que politique et dont la légitimité soit disant s’inspire d’une injonction divine.

Aux temps sombres d’avant les Lumières et la modernité politique, l’Europe a connu l’heure de gloire de la connivence entre la papauté et la seigneurie des monarques pour le contrôle absolu du pouvoir temporel. Nul n’ignore le rôle de l’Eglise depuis le IVe siècle de notre ère jusqu’au Moyen-Âge, régentant non seulement la vie sociopolitique, mais aussi le rapport à la vérité et à la foi. Le maintient de l’homme dans le règne du besoin et de la nécessité, le sacre du déterminisme biologique comme distribution méritoire de la destinée des âmes dans le dessein divin au temps de la monarchie du droit divin – on naît pauvre ou riche selon la volonté de Dieu- l’autodafé contre l’intelligence etc., la sainte inquisition ont fait le lit du christianisme dans un passé récent. L’intelligence est passée plus d’une fois sur le bûcher, et l’inquisition à museler pendant longtemps la libre-pensée. Les Lumières malgré le grand travail de sape qu’elles ont accompli n’ont pas su oblitérer la brèche religieuse dans l’économie psychologique du type européen ; son influence sur les esprits est deux fois millénaire. Il y a eu malgré le mouvement de sécularisation des groupes ciblés ou des sociétés secrètent, qui, faisant valoir des prérogatives divines, avaient la seule intention de juguler le reste du monde et de le gouverner. Hitler est le dernier politique en Europe qui rêvait d’être le « grand Imperator », un monarque dépositaire et du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel qui aurait la main mise sur l’Europe et la gouvernerait comme un seul et unique empire.

Pour ce qui est du commun des mortels, la fibre religieuse sommeille toujours en nous à l’insu de notre plein gré. Chaque avancée technologique mettant à nue les dogmes religieux et la conception du vivant dans l’imagerie populaire frise le sacrilège chez la majeure partie des consciences occidentales oublieuses malgré tout de leur essence foncièrement chrétienne. L’Eglise catholique malgré tout le sang qu’elle à sur les mains n’est pas moins influente aujourd’hui. Elle détient un état. Le Pape n’est autre que le très conservateur maître à penser de la Congrégation de la doctrine pour la défense de la foi, le Cardinal Ratzinger. Qu’on ne s’y méprenne pas, le Vatican diffuse aussi un intégrisme édulcoré, ayant consacré depuis longtemps une herméneutique fixe, véridique et divine qui accepte difficilement toute interprétation libre de la révélation. En guise d’exemple, l’excommunication le 2 janvier 1997, du Père Tissa Balasuriya, Prêtre de nationalité sri-lankaise, par la Congrégation de la doctrine pour la défense de la foi (CFD), présidée à l’époque par le cardinal Ratzinger, l’actuel Pape. Le crime qui valu au Père Tissa B. le jet de l’anathème sur sa personne et son oeuvre par le Saint siège est l’expression du libre exercice de sa raison pour une herméneutique libre de la vérité révélée dans le créneau de la théologie de la libération. Que l’anathème ait été levé ne change pas le fait historique que cela ait bien eu lieu.

Cette volonté de puissance et de pérennité est partagée aussi par le monde arabo-musulman. L’origine prétendue extra-mondaine du Coran, la consécration de Mahomet comme sceau des prophètes et les aptitudes militaires du prophète d’ Allah, ont vite, non seulement transfiguré l’islam en religion de conquête, mais aussi légitimement instillé le goût de la domination et une volonté de puissance. Mahomet était de culture bédouine : « La place très particulière du guerrier dans cette culture du désert se retrouve aujourd’hui dans le malaise de nombreux arabes face à la dépendance pétrolière et pourrait être à l’origine du ressentiment qui nourrit aujourd’hui les groupements terroristes » . Dès le premier siècle après la mort du prophète, des hauts plateaux d’Iran jusqu’aux plaines d’Espagne, les peuples se sont converti à l’Islam. La France aurait été conquise aussi si les arabes n’avaient pas été arrêtés à Poitiers.

Il y a donc dans l’islam une volonté rampante d’expansion de la religion et l’idéologie islamique qui se fait au travers des bombes ou du coran qui dépasse de loin le ressentiment oh combien légitime à la genèse du conflit israélo-palestinien. Cela conforte avec éloquence la thèse de Paul Landau selon qui : la distinction entre jihadiste et « islamistes modérés » est pure illusion, les deux visant un seul but qui n’est autre que la conquête de l’Europe. Le cheikh Youssouf Qaradawi de la confrérie des frères musulmans ne le cache d’ailleurs pas. Selon un hadith, Mahomet aurait prophétisé la conquête des pôles de la civilisation occidentale qu’étaient Constantinople et Rome. La première ville ayant été conquise par les Ottomans en 1453, il reste la conquête de Rome qui reste aux yeux des activistes un devoir sacré. A la différence, l’épée qui de toute façon tomberait devant le glaive occidental, sera remplacée par la propagande et la prédication. Il y a comme une blessure historique, une blessure narcissique du monde arabo-musulman, difficile a cautérisé, donc indigeste et traumatique, à accepté une quasi domination idéologique- la victoire du nihilisme sur les monothéismes, en l’occurrence l’islam et cette Weltanschauung de l’Occident matérialiste qui tend à s’ériger en norme apodictique, archétype de toute civilisation vraie- une domination économique – le combat pour le pétrole de la dynastie des Bush – une domination militaire et stratégique sur un peuple féru de la culture guerrière par tradition et promis à la prospérité par un Dieu dont les infidèles font peu cas.

Cette vision des choses peu paraître fumiste et grossière pour un certain nombre de lecteurs. Mais il faut simplement se référer à la très triste actualité historique marquée par la poussée théocratique et la montée de l’intégrisme islamique. L’activisme islamique se repaît de motifs idéologiques et religieuses originaire du Coran. Ceux qui ont lâché des avions transformés en bombes sur les tours jumelles du World Trade Center étaient assez clairs. Il faut relire le testament de Mohamed Attah, et faire un lien avec cette prophétie du Cheikh Youssouf Qaradawi ou de son disciple Tariq Ramadan qui ne voile pas la charge symbolique que représente l’Occident aux yeux de l’islam : certes le monde entier est une terre de témoignage mais il existe un espace, fort d’une charge symbolique incomparable, qui est le cœur du système entier et dans lequel vivent aujourd’hui des millions de musulmans . La véritable menace est que fort de son ambition idéologique qui n’est autre que la conquête du cœur du système qu’est l’Occident, l’islam essaye subtilement d’envahir l’espace public des contenus substantiels qui dessinent ses valeurs. La stratégie semble désormais se servir des espaces de libertés ouvertes par la démocratie pour s’installer au cœur du système et la combattre de l’intérieur. Jusque-là les terroristes n’ont pas encore osé une attaque frontale, mais vu l’outrecuidance de l’Iran dans le bras de fer qui l’oppose aux puissances nucléaires, la possibilité d’un tel scénario n’est pas à exclure. Tout porte à croire que l’Iran possède déjà l’arme atomique. On trouvera aussi des passages coraniques pour l’utiliser. Quelque chose de sourd se prépare dans l’histoire et cela n’épargnerait personne.

III Le problème des monothéismes : l’avènement du nihilisme

Le nihilisme est un concept polysémique, même dans l’œuvre de son père légitime qu’est Nietzsche, et manifeste dans bien de discours malheureusement, des contres sens et des apories. Les écrits et les études sur le concept sont assez foisonnants. Ici, on peut bien faire l’économie des incohérences en réduisant le concept à la prise de conscience de la solitude humaine dans un monde toujours incertain et fluctuant, violent et changeant, qui regarde l’horizon avec lucidité, le torse bombé et fier malgré la conscience de son indigence et de sa vulnérabilité constante, mais ayant rompu avec l’illusion d’un monde meilleur qui l’attendrait dans une vie autre que celle-ci présente, et qui s’attache à l’ivresse de la vie ici-bas, une vie violentée et accidentée qui est la sienne. Cette description de la conscience nihiliste entretient comme il est apparent une grande proximité avec la mort de Dieu. Et si la plus grande des instances, l’ultime vérité est dissoute, il ne reste plus que l’homme et l’homme seul, appelé à prendre en main son propre destin, à aller au devant de son assomption. Cette explication du nihilisme trouverait peut-être son expression la plus manifeste non pas dans un aphorisme nietzschéen, mais dans un passage d’une œuvre de Jacques Monod qui disait : « L’ancienne alliance est rompue ; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nul part. A lui de choisir entre le royaume et les ténèbres » . Ou encore dans le personnage de Sisyphe chez Camus.

Cet homme, c’est bien l’homme occidental ou mieux encore l’Occident athée qui à a ouvert l’ère du nihilisme ou l’avènement du surhomme. Cet événement historique, ce destin époqual advenu dans la marche historique d’une civilisation à l’origine monothéiste, soulève bien des problèmes. Aux yeux des autres confessions religieuses comme l’islam, il y a là un problème qui se pose. Il y a un fourvoiement qui s’est introduit dans l’évolution historique de ces enfants du Dieu monothéiste, un parjure qu’il faut expier. La négation de Dieu dans l’évolution historique de ce peuple monothéiste au départ qu’est l’Occident chrétien pose l’islam en seul dépositaire de la continuité de l’autorité divine dans ce bas monde. C’est cette vision même qu’exprime Qaradawi lorsqu’il affirme que : « l’Europe finira par se rendre compte qu’elle souffre de sa culture matérialiste et cherchera une solution de remplacement, une échappatoire, un canot de sauvetage ; elle ne trouvera rien qui puisse la sauver, si ce n’est le message de l’islam… » . L’exercice du libre-arbitre qui sape les fondements de l’hétéronomie divine identifie désormais l’Occident chrétien à un mécréant, une entité proscrite dans l’exercice et le triomphe de la foi du Dieu unique que sont les incrédules et les polythéistes. Les terroristes intégristes ont trouvé là, la source d’inspiration jihadiste inspirée elle-même du Coran : « Après que les mois sacrés se seront écoulés, tuez les polythéistes, partout où vous les trouverez, capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des embuscades. Mais s’ils s’acquittent de la prière, s’ils fonts l’aumône, laissez-les libres.- Dieu est celui qui pardonne, il est miséricordieux.- » . La paix avec l’Occident ne semble désormais possible qu’au prix d’une conversion. Rappelez-vous que les activistes intégristes, auteurs des attentats du 11 septembre assimilait l’Occident à l’axe du mal, à l’incrédule, « pour eux, les emblèmes de la société moderne globalisée incarnent le Grand Satan ». Il faut se poser la question de savoir si la poussée théocratique et le désir d’islamisation de la société, cette intention rampante à l’œuvre dans l’idéologie de l’islam qu’est la conquête de l’Occident, intention à peine voilée, ne trouve pas sa raison non pas dans le conflit israélo-palestinien, mais plutôt dans une injonction divine attestée par le Coran ?

L’avènement du nihilisme ne dérange pas que l’islam comme religion monothéiste, mais aussi essentiellement le judéo-christianisme dont la survie en dépend. L’existence du Vatican ne suffit pas si l’Eglise est en manque de fidèle et si le dogme ne subsiste pas à la foi nihiliste. Les diverses encycliques papales, les homélies dominicales n’ont pas fini de dénoncer le relativisme religieux et exégétique. D’ailleurs le contexte dans lequel le Pape Benoît XVI prononça son discours à Ratisbonne le 12 septembre était celui du défi de la foi dans les grandes religions monothéistes face à la sécularisation. Le discours du Pape : « Foi, Raison et Université, Mémoires et Réflexions » était en fait une invective à l’encontre de l’Occident chrétien surtout qui prône l’exclusion de la religion du domaine de la raison.

Mais une question radicale en ce qui concerne l’évolution historique de la civilisation occidentale parvenue au stade qui est le sien aujourd’hui pourrait intéresser les exégètes de tous bords : est-ce que le nihilisme ne serait pas prévu par Dieu lui-même dans la sombre et discrète intimité de ses desseins ? Sinon comment un phénomène nouveau et imprévu serait-il arrivé ou du moins lui aurait échappé dans un monde dont l’avenir lui échoit, lui à la fois omnipotent et omniscient ? Que signifie en réalité le combat de Jacob contre l’ange envoyé de Dieu, combat qui aurait tourné à l’avantage de l’homme ? Jacob ne serait-t-il le sceau du nihilisme, ou autrement le nihilisme ne serait-il pas un événement sous le quel advient l’être dans un nouveau mode destinal à l’image de l’Ereignis de Heidegger ?

IV La solution : la sortie définitive de la religion hors de l’espace public

4.1 L’incomplétude du phénomène religieux comme participant du juste dans la structure des états modernes

Il y a une chose qu’on peut tenir pour vrai malgré l’avènement du nihilisme, c’est la négation ou la fin de toute forme de croyance chez l’être humain. La lucidité de l’homme moderne quelle qu’elle soit ne le mettra jamais à l’abris d’une croyance. Que notre vision du monde soit d’obédience athéiste, nihiliste, théiste ou déiste, fétichiste ou panthéiste, gnostique etc., elle participe d’une croyance, d’une foi en quelque chose. L’intelligence qui récuse toute pensée magique est elle-même une foi en la qualité et la capacité de notre logos. On ne renvoie donc pas la religion ad patre, mais seulement on la laisse à la banlieue de l’espace public avec la sommation de ne plus se mêler des affaires touchant le domaine du juste. Les raisons sont assez simples. Des plus prégnantes nous en soulignons deux :

  • La structure des états modernes nés eux-mêmes à la suite du disfonctionnement des socles fédérateurs du monde vécu , donc fonctionnant fondamentalement sur la loi plutôt que les contenus substantiels fédérateurs des groupes ou des communautés comme dans le monde vécu, ces groupes et communautés constituant désormais la diversité sociale réunie au sein des états modernes.
  • Et en second lieu l’irréductibilité des monothéismes eux-mêmes à un relativisme épistémologique pour ce qui est de leur prétention à la possession de l’ultime vérité, chacune se sentant dépositaire non pas seulement de la vérité, mais aussi d’une mission ontologiquement messianique inspirée par le divin.

Nous commencerons bien par le second point pour en arriver au premier. Malgré l’apparente unité des monothéismes qui est la soumission à la loi d’un Dieu unique, les formes de religiosité semblent incompatibles entres elles et se détestent cordialement. La validité de l’une au détriment de l’autre est une source de conflit. D’abord ce Dieu unique semble consacrer une certaine insuffisance des monothéismes primitifs que sont le judaïsme et le christianisme, qui ont en partage les péripéties vétérotestamentaires de la genèse à l’exode jusqu’à l’attente d’un messie qui marque le point de divergence – le christ ne faisant pas l’unanimité quand à sa messianité- pour s’accommoder d’un homme d’une tribu bédouine. Le problème ce n’est pas cette préférence à cette homme ordinaire d’une tribu guerrière, qui est proclamé sceau des prophètes qui dérange, mais le glissement étrange de l’amour proclamé par le fils à l’endroit de la gente humaine pour lequel il est mort, en demandant la clémence de son père à l’endroit de ses bourreaux, en une soumission létale des infidèles par l’épée. Il y a toujours ce désir d’expansion de la bonne nouvelle qui est présente, mais la stratégie change radicalement. Du « Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. N’emportez pas de bourse, pas de besace, pas de chaussures, et ne saluez personne en chemin. » professé par le Christ pour répandre la bonne nouvelle et repentir les païens, on passe au « Dieu et son Prophète désavouent les polythéistes. Si vous vous repentez, ce sera un bien pour vous ; mais si vous vous détournez, sachez que vous ne réduirez pas Dieu à l’impuissance » . Et de s’en suivre le très problématique verset 5 de la même sourate : « tuez les polythéistes, partout où vous les trouverez ; capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des embuscades… » . Hum… Le divin semble avoir changé de ton, sa nature jalouse et colérique aurait pris le dessus après le sort que ses créatures ont osé réserver à son fils unique. Et puisque sa grandeur l’empêche d’opérer de mauvais choix, réservons nous d’y opposer quelque critique que ce soit.

Un autre aspect du problème religieux beaucoup plus humain est ces diverses formes d’adorations qui à certains égards frisent le ridicule pour le fidèle d’une obédience religieuse autre. Michel Onfray pose le catalogue bariolé de certains rites qui soulèvent des questions éthiques. Tels la danse de l’urine chez les Zuni du Nouveau-Mexique, la confection d’amulettes avec les excréments du grand lama du Tibet, la bouse et l’urine de vache pour les ablutions de purification chez les hindouistes etc.,. Des tribus les plus primitives aux musulmans d’aujourd’hui tournent autour d’une pierre, la Ka’aba, les chrétiens adorent un dieu couvert de sang et d’épines, cadavre crucifié, les africains adeptes du Vaudou se prosternent devant les mottes de terres, les hindouistes s’entichent de divinités chimériques mi homme mi animal. Et dans cette ambiance une certaine absoluité pour ce qui est de la qualité de ces rites empêche quelque osmose que ce soit entre les diverses confessions religieuses. « Le chrétien qui mange du poisson le vendredi sourit du musulman qui refuse la viande de porc- qui moque le juif récusant un crustacé… Le loubavitch qui dodeline devant le mur des lamentations regarde avec étonnement le chrétien agenouillé sur un prie-Dieu, pendant que le musulman installe son tapis de prière en direction de la Mecque »

Ces rites qui font sourire la personne non concernée, ne sont pourtant pas sans incidence sur la civilisation. Ils sont au cœur des contenus substantiels garantissant la question de la vie bonne. Ils déterminent parfois le sens de la vie d’un individu. Chacun d’eux se sent plus légitimes, plus proches de Dieu que l’autre. Ils déterminent même par la régularité de la pratique, la qualité d’un croyant. Et pourtant, les monothéismes ont du sang sur les mains. Le Christianisme à ouvert le bal des massacres et de l’intelligence : lutte contre l’hérésie, autodafé de l’intelligence, la sainte inquisition, génocide des tribus indiens d’Amérique du sud, spoliation du patrimoines énergétiques des peuples africains, tandis que l’islam prend le relais au travers de l’hyper terrorisme des activistes intégristes. Au milieu, Israël bombarde la Palestine et le Liban pour préserver une terre promise donnée par Yahvé lui-même. Roger Garaudy avait déjà dénoncé la trahison de la prophétie juive par les actes politiques d’Israël.

Pendant ce temps le nihiliste ayant opéré une épochè se pose des questions somme toutes légitimes : quel est ce Dieu qui déconne autant dans l’histoire humaine et qui laisse des peuples innocents à la merci de ces avatars et guides éclairés, qui consacrent la pensée magique et crie haro sur l’intelligence. Ce Dieu existe-t-il vraiment, et si c’est le cas, est-il digne de la gente humaine ? Est-ce vraiment le dieu unique dont-il s’agit ou bien des hommes névrosés et psychotiques qui se réclament de sa lumière ? De toutes les façons, dès l’épisode de la création du monde, avant la chute, quelque chose de lourd dans le plan divin semblait assigner l’homme à une indigence existentielle qui aurait davantage alourdi et noirci sa condition de mortel si la désobéissance de la première femme ne nous avait pas confronté à la connaissance du bien et du mal, ce droit auquel ce Dieu nous privait par la défense de la consommation du fruit de l’arbre de la connaissance. C’est par la désobéissance que l’homme échappe à ce sombre destin qui est « l’éternelle félicité de l’imbécile heureux » . Pour ceux à qui la fibre religieuse est toujours vivace, je partage avec eux le doute quant à la possibilité d’un quasi mépris de Dieu à l’endroit de ces créatures ; derrière ces dieux monothéistes, se cachent des hommes. A en croire des contemporains comme Krishna Mûrti ou Khalil Gibran : « Dieu ne fait pas de mal ; il nous donne Raison et connaissance de façon, que nous puissions toujours nous garder des pièges de l’erreur et de la destruction» . Le christianisme à l’origine secte parmi d’autres, ne saurait jamais sorti de la minorité sans l’apport de l’empereur Constantin et Paul de Tarse. Autant l’islam serait resté dans l’ombre si l’expérience militaire n’avait pas mis l’hégire à profit. A ces nihilistes intégristes qui préfèrent aujourd’hui le néant à l’ordre soit disant corrompu, il leur faudra fonder leur motivation dans les seuls frustrations et barbarie plutôt que dans l’injonction divine.

Le premier argument qui mettrait hors-jeu la religion comme ne pouvant être au fondement du vivre-ensemble est structurel comme nous l’avons évoqué. Les états modernes ne sont plus constitués de sujets ou de valets soumis par la force d’un groupe ou d’une tribu guerrière, ou simplement unis autour de valeurs propres à un groupe ou une communauté soudés par tels contenus substantiels, mais plutôt des personnes et des citoyens réunis autour de valeurs construites et édictées ensemble après la dissolution du monde vécu par des entités fédératrices plus grands et plus puissantes dont le prototype est l’état moderne. Ce n’est donc plus les fondements reçus, non-interrogés qui constituent la base de l’agir et de l’être-ensemble, puisque toute unité transcendante à priori a donc disparu. L’état moderne légifère donc avec ses citoyens en garantissant leurs libertés, leur droit à la libre détermination et le respect de leur dignité. C’est parce que les états modernes sont constitués de citoyens que leur droit à la libre détermination à leur bien-être doit être respecté et vécu, que la constitution d’un espace public garantissant une base commune de neutralité à l’égard des notions controversées de la vie bonne est essentielle. C’est pourquoi la justice sociale n’est pas seulement une finalité du vivre-ensemble, mais la condition de possibilité du bien-être de tout un chacun.

4.2 L’idéal républicain comme dernier rempart à la montée intégriste

En ces heures sombres de l’hyper terrorisme à la soupe intégriste qui menace le fragile équilibre des civilisations, et la préséance du nihilisme comme profession de foi d’un humanisme profond et salutaire, la pertinence du modèle républicain se dessine de plus en plus comme la plus encline à freiner la dérive totalitaire des monothéismes, aussi bien que l’intégrisme et les assauts répétés des cercles conquistadors musulmans par leur tentative d’invasion de l’espace public avec leurs contenus substantiels. Les réactions épidermiques du monde musulman à la moindre critique de l’islam sont savamment entretenues à des fins d’occupations et d’expansion et une des stratégies consiste à utiliser la démocratie contre elle-même. La réactivité à fleur de peau du monde arabo-musulman à la moindre dissonance cognitive sur ses vérités avec la société séculière ou une confession religieuse tierce, n’est pas seulement une affaire de fibre religieuse. Certes, il est vrai que face au déclin toujours renouvelé des formes de vie traditionnelle, le croyant ne se retrouvant peut réagir de façon hystérique pour préserver son identité. Mais il y a là quand même une esquive du monothéisme islamique pour s’imposer envers et contre tous. Le christianisme habitué et forcé de survivre à la sécularisation à déjà de par sa confrontation au libre exercice de la pensée en vogue dans les sociétés séculières développé ses propres stratégies de survie. Le croyant chrétien est toujours en mouvement, capable de se recentrer à chaque moment de sa vie, de poursuivre et construire le sens de son existence à l’aide des matériaux que la révélation lui a fourni. Toutes formes de dérives intégristes et de prétentions au monopole de la vérité pourraient être interprétées comme un déficit de l’appropriation de l’herméneutique chrétienne comme telle, une herméneutique qui affirme le dénie de toute forme d’absoluité de la vérité de Dieu dans un processus purement cognitif.

Il existe toutefois, malgré cette disposition du monde séculier à s’adapter à toute évolution historique, des problèmes internes aux sociétés démocratiques qui risquent d’entamer le fonctionnement même des états modernes. Les plus nocifs sont entre autres :

  • Le recours au consensus au détriment des organes institutionnels légiférant?
  • L’économisme, qui est la recherche sans considération éthique d’une plus value considérée comme une fin en soi sans prendre en compte de la dimension sociale de cette dernière comme un tout avec les autres secteurs et activités humains.

Nous avons déjà notifié le dessein du modèle républicain comme visant une conception morale minimale, une base commune de neutralité à l’égard des notions controversées de la vie bonne. Ce qui explique pourquoi la loi s’applique à tous, neutre vis-à-vis des contenus substantiels, ayant une vertu expressive de la liberté individuelle, donc cœrcitive en cas de manquement. Mais que n’a ton pas vu depuis lors dans l’hexagone par exemple où le modèle républicain s’est fait connaître par la laïcité. Cette laïcité qui fonde un espace neutre, un horizon commun qui ne nie pas la dimension multiculturelle de la société mais invite à la constitution d’un espace transcommunautaire, garantissant au contraire la liberté de culte et d’association. La République se désintègre aux rythmes dissonants des apories. Elle semble s’accommoder d’une forme de communautarisme rampante. Or, Comme le rappel Régis Debray, « la paix civile, comme la synthèse républicaine, n’a jamais été une partie de plaisir mais une épreuve de force ». Et la paix civile une fois acquise assure son assise au travers de l’autorité de la loi. Aujourd’hui au non d’une discrimination positive, ou le respect du droit des minorités, on prive la démocratie de sa substance en privilégiant le consensus social au détriment de la loi. La reconnaissance du droit des minorités se transforme subtilement en l’exercice d’une minorité de droits. Quand dans une République, on commence à régenter l’accès au bien public non pas à des citoyens, mais à des communautés en répartissant les heures, c’est l’autorité de la loi et l’essence de la République qu’on fragilise. On reconnaît un droit politique tacite aux Imams qui affirment aider les musulmans à vivre dans un pays laïque, alors que la loi est là et défini le modus opérandis de la société. Et après on s’étonne que le débat sur le voile islamique ait été aussi virulent et passionnel ! N’est-ce pas une manière de reconnaître aux communautés une minorité de droits ? Entre la République, les minorités et les communautés, qui s’adapte à l’autre ? La communauté islamique canadienne a demandé il y a trois ans la possibilité d’être jugé par des tribunaux islamiques quand la question du voile islamique secouait la France. On en vient à confiner des citoyens dans des espaces géographiques non pas parce que leur revenu ne leur permet pas une plus grande franchise sociale, mais à cause de leur appartenance communautaire. Qu’on ne s’étonne pas que l’on demande un jour la charia dans les cités. N’oublions pas que « toute identité communautaire se pose en s’opposant, et il n’est pas d’ostentation d’une différence qui n’en suscite une autre en contre-pied ».

L’autre faiblesse et pas des moindres est le désastre de l’économisme. Un capitalisme sauvage sévi en Occident où des sociétés phagocytent au moyen d’O.P.A hostiles, des patrimoines nationaux au nom de la seule loi du marché et du libre échange. Chirac lançait à l’occasion de l’ouverture des Universités d’été de l’UMP l’année passée, l’appel à un patriotisme économique. Le concept se passe de commentaire. Ce malaise dans la civilisation séculière n’est malheureusement que le symptôme d’un mal beaucoup plus grand. Le monde séculier ou est consacré l’intelligence à l’opposé de l’hétéronomie de la loi se passe bien volontiers de ses principes s’il y a en jeu des chiffres à plusieurs ronds. Le marché passe avant tout. Depuis que les portes feuilles de la chine s’est alourdi et qu’elle pourvoyeuse de lourds capitaux, on tait volontiers le peu de cas dont les dirigeants politiques font des droits de l’homme et du respect des personnes. Les républicains aux Etats-unis ont laissé passer le contrôle de deux de leurs ports à des sociétés saoudiennes malgré la crise terroriste entamant la sécurité territoriale. Dans l’affaire Redeker en France, on a sacrifié la liberté d’expression pour s’excuser auprès des communautés concernées, dans la seule intention de sauver la thune sur les marchés tunisiens et égyptiens mises à rude épreuve par la censure d’un jour. Venant d’un des pays socle des Lumières, cela frise la stupidité et devient inquiétant.

La neutralité morale consacrée par la république s’étiole et peu à peu, de façon subreptice on tend à l’invasion des contenus substantiels orientant la question de la vie bonne dans les l’espace public où il est question du juste. Le clou, c’ests que c’est non pas l’œuvre des intégristes islamiques comme on s’emploi à nous le faire croire, mais du dernier monothéisme gigotant sous l’étreinte asphyxiante du nihilisme postmoderne.

V Conclusion

On dirait que l’Occident à l’amour du flegme devant des événements décisifs menaçant sa propre survie. On a pris l’habitude de laisser le mal s’éclore avant de commencer à lui chercher des remèdes. L’Angleterre pendant longtemps a donné asile à des prédicateurs patentés sur son sol, enseignant la haine de l’Occident et incitant au djihad pour l’établissement d’une société islamique sur ces mêmes terres où ils ont été accueillis. Après les attentats de Londres en juillet 2005, la donne a changé. C’est aujourd’hui l’un des pays les plus surveillés au monde, les mesures de sécurité empiétant de plus en plus sur la vie privée des citoyens. Celui qui paye la note, c’est le citoyen qui perd ses espaces de liberté dans un état moderne dont l’essence est l’assomption de la sécurité des citoyens par délégations de leur pouvoir. La seconde guerre mondiale aurait pu être évité, du moins pas aussi tragiques si les alliés avaient été moins flegmatiques envers une Allemagne qui avait recommencé à se militariser au vu et au su de tout le monde alors que le traité de Versailles l’interdisait. La reprise des certains liens commerciaux avec la Grande Bretagne à partir de 1926 à suffit pour baisser de vigilances. L’économisme était déjà rampant et attendant je crois le Spätkapitalismus pour s’imposer.

Aujourd’hui face à la tentative d’islamisation de la société, la conspiration contre la liberté qui se dessine sous l’impulsion mesquine d’une conception de la vie bonne à déterminer et circonscrire la sphère de la bien-pensance, cette violence contre l’esprit et la libre pensée, œuvre du dernier monothéisme qui se sent ointe d’une mission divine, la langue de bois semble encourager à plus d’un niveau social : au niveau des décideurs politiques comme au niveau des citoyens. Pendant ce temps, nos libertés s’amenuisent au jour le jour pour des raisons de sécurités nationales. Jusqu’où ira-t-on ? Et quand décidera t-on d’en parler. Peut-être la boutade du Pape est-elle une alerte et une invite à l’intelligence à lutter contre l’obscurantisme et des pratiques dont la religiosité est elle-même douteuse. Si pour des questions de marché on laisse s’installer la loi d’omerta, au nom du respect des minorités l’autorité démissionne, le mal dirigé à l’endroit de l’esprit laissera une blessure si vive qu’elle serait difficile à cautériser. Ce n’est plus d’une question de guerre des dieux dont-il s’agit ; Yahvé ou son fils Jésus contre Allah, mais d’une inquisition moderne contre l’intelligence savamment orchestrée au travers d’une violence à l’endroit de la libre pensée et une autre contre la vie. Qu’il y ait des appels au meurtre des infidèles dans le Coran n’empêche pas le fait qu’il existe de par le monde, des milliers de musulmans qui respecte la vie et la dignité humaine, elles-mêmes également prescrites dans le même Livre. La religion est une affaire privée et tant qu’elle sortira de ce cadre ontologique pour s’essayer une assise dans l’espace public, elle ne causera que l’effroi, la mort et la violence. L’histoire est là pour l’attester, n’en déplaise à tous les bien-pensants qui deviennent hystériques lorsque l’intelligence met à nu les dogmes monothéistes, et aujourd’hui particulièrement dans l’islam. Le monothéisme judéo-chrétien a dû faire économie de ces rêves et de ses ambitions politiques pour faciliter la paix civile en Occident, l’Islam devrait le faire aussi. Le fanatisme et la violence sont l’ombre porté des monothéismes. La religion et la politique ne font pas bon ménage. Nous avons le devoir de crever l’abcès au lieu de se taire et se terrer dans la peur. Il y a incontestablement une herméneutique de l’islam qui se dessine et qui laisse la place au libre-arbitre. Il faudra aider à son éclosion en démontant l’inanité des fondamentalismes quel qu’ils soient. C’est un passage obligé pour la pérennité de l’intelligence et de nous même. Laissons à Dieu le soin de prendre sa défense et de s’affirmer s’il en venait à être mis en difficulté. Ce n’est pas l’affaire d’une élite mais une question citoyenne.

Pour ceux qui sont malades de Dieu et s’activent dans ce bas monde à lui dresser non des temples mais des états modernes aux rythmes des bombes et de l’hécatombe terroriste, cette pensée de Khalil Gibran. « …Un Dieu qui est bon ne connaît aucune séparation dans les mots et les noms, et si un Dieu refusait ses bénédictions à ceux qui suivent une voie différente vers l’éternité, aucun homme ne devrait lui offrir son adoration ». Et pour le nihiliste moderne, l’athée qui s’ignore et qui voyant ce monde pas toujours sécurisant qui peut chanceler à tout instant, doute et pense que l’exil de Dieu en est la cause, rien n’est plus faut. Depuis la victoire de l’Homme sur l’Ange, une nouvelle ère est arrivée. C’est la nôtre ; la consécration de l’homme. Au nihiliste s’affaiblissant, il lui faudra méditer les dernières pages du mythe de Sisyphe : « Le rocher roule encore. Je laisse Sisyphe au bas de la montagne ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui parait plus stérile ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux ». Alors roulons nos pierres et regardons vers les sommets.

Le nihilisme n’est-elle pas une religion en soi? vers la laicité…

Kokou Roger Hounnou (KoRH)
Pour Afrology, le 24 dec. 2006