La Corruption en Afrique
1. introduction
Comment définir le phénomène de la corruption en Afrique? Il prend diverses formes et se présente à différents niveaux[1]. La corruption « accessoire » est le fait d’individus ou de petits groupes qui profitent d’une occasion. On peut en voir des manifestations dans la sollicitation et l’acceptation non planifiées de dessous de table (des policiers qui barrent des routes pour exiger des conducteurs qu’ils paient des pots-de-vin, une sous-estimation fiscale, un détournement de fonds… ). Une telle corruption A petite échelle est répandue en Afrique de l’Ouest. Bien que les gains et les récompenses soient en général faibles, elle peut être relativement coûteuse globalement et irrite de nombreuses personnes qui en sont les victimes.
La corruption « systématique » n’est pas aussi imprévue, implique habituellement des gains plus substantiels et est souvent associée à des scandales populaires. Par exemple, le scandale du ciment nigérian en 1975 impliquait des agents du gouvernement et des médiateurs qui détournèrent des sommes phénoménales. Il conduisit en fin de compte A une purge du gouvernement. La Corruption systématique peut devenir endémique et impliquer un très grand nombre d’agents, d’intermédiaires et d’entrepreneurs corrompus. La contrebande d’exportations est par exemple largement pratiquée en Afrique malgré la présence d’agents des douanes. La facilité avec laquelle on peut contrevenir aux règlements est bien connue, En Tanzanie, surtout vers la fin des années 1980, les hommes d’affaires en collusion avec des agents du gouvernement fraudaient régulièrement le gouvernement en achetant des biens qui n’existaient pas [2]. La corruption systématique peut être associée à la fois à des bureaucrates complaisants et des acteurs politiques qui occupent des postes clefs.
Kwame Nkrumah au Ghana, Siaka Stevens en Sierra Leone, Mobutu au Zaïre figurent parmi les hommes politiques corrompus; on a obtenu des preuves de leurs malversations grâce à des enquêtes et dans le cas de Mobutu, grâce à ses propres confessions publiques [3]. Dans certains cas, il y a eu des réseaux symbiotiques impliquant à la fois des dirigeants politiques et des travailleurs du secteur public. En Sierra leone sous le régime du All People’s Congress (APCC), 1988-1992, 1’administration devint très politisée, les fonctionnaires s’inscrivant au parti au pouvoir. En échange de leur loyauté, les employés du gouvernement étaient souvent protégés et chouchoutés; on leur permettait d’augmenter 1’étendue de leurs pouvoirs et de profiter d’occasions pour s’enrichir[4].
Dans certains cas, la corruption devient si enracinée qu’elle crée des tendances négatives et des attentes qui peuvent être difficiles à éliminer. Des chercheurs ont dénoncé dans divers rapports 1’ampleur de la dévastation que cause ce phénomène en Afrique. Au Ghana, il y a une culture de la corruption et une convention informelle. Victor LeVine, un expert en politiques de gestion africaines, cite un Ghanéen:
« Nous, les Ghanéens, nous sommes si habitués à soudoyer nos responsables officiels et eux sont si habitués à toucher des pots-de-vin, que cela paraîtrait un peu bizarre si nous ne les soudoyions pas et s’ils ne nous volaient pas »[5].
Le népotisme, le fait de fournir des emplois aux membres de sa famille, est de rigueur selon les règles sociales en Afrique[6] mais est perçu comme un sévère manquement à la règle en Occident. Il est bon de nous souvenir toutefois qu’une culture de la corruption caractérisait de nombreuses juridictions en Occident et que dans certains cas elle ne fut éliminée que ces dernières décennies.
2. Domaines vulnérables
La corruption dans la vie publique affecte en général certains domaines clefs, quelle que soit la nature du système politique ou le niveau de développement social et économique. En général, on a plus de chances de trouver la corruption lorsque les secteurs public et privé (dans le sens large du terme) se rencontrent, et surtout quand il y a une responsabilité directe pour la fourniture d’un service désiré ou la demande de réglementations ou de taxations spécifiques. Dans les pays africains, il y a plusieurs domaines que l’on considère ”prioritaires”, ceux où la corruption a le plus de chances de se répandre. En réponse A un sondage, les participants au séminaire de Dakar de USAID/IRIS ont par exemple cité les domaines suivants:
• la gestion des compagnies publiques ;
• les marchés publics ;
• 1’administration fiscale ;
• les douanes ;
• la justice.
Dans les services chargés de la perception des revenus, en particulier les services d’imposition sur le revenu et des douanes, on trouve de nombreux cas où les personnes impliquées détournent 1’argent des impôts, évitent d’avoir à en payer ou s’arrangent pour ne pas le faire. A travers le paiement de dessous-de-table et d’autres formes de patronage, une élite prospère peut éviter d’avoir A payer des impôts ou réduire les paiements dus. Les agents des douanes peuvent menacer d’imposer des retards ou des taxes élevées, ou encore promettre de faibles évaluations pour extorquer les fonds des hommes d’affaire. Il y a des situations où les biens sont en général incorrectement déclarés, contrairement aux règlements des douanes et de la régie. Ainsi, la contrebande, bien qu’illégale, est largement répandue dans la majorité des pays africains et semble liée A la rareté des devises étrangères. Des pots-de-vin, le versement d’un pourcentage du contrat ou d’autres « cadeaux » sont offerts aux agents du public par des hommes d’affaires qui surfacturent les importations ou sous facturent les exportations, une pratique qui interdit au pays 1’accès à des devises étrangères et des revenus fiscaux de grande valeur.
Dans de nombreux pays africains, la corruption est prévalente dans le judiciaire. Les décisions concernant les cas soumis à la justice sont prises par des juges avant que les personnes ne soient passées en jugement, soit en accord avec des directives venues du gouvernement en place soit parce que les juges ont simplement été soudoyés. La corruption de personnes qui ont une certaine influence dans 1’administration de la justice sape la confiance publique dans le système 1égal. En Sierra Leone, par exemple, près de 80% des personnes consultées lors d’un sondage pensent qu’il y a deux interprétations de la loi: une pour les riches et une pour les pauvres. De telles attitudes sont dues au fait que pour exercer une influence discutable, il faut connaître certaines personnes, disposer de certaines informations ou d’argent.[7]
Les travailleurs «fantômes » dans le service public sont un autre domaine prioritaire. Les enquêtes menées dans plusieurs pays africains ont révélé qu’un grand nombre de personnes qui touchent des salaires de l’état n’existaient pas. Ceci a constamment appauvri les fonds publics. En Ouganda par exemple, une Commission d’Enquête sur le Secteur Publie a trouvé 42 000 « fantômes » qui touchaient des salaires de l’état, des fonctionnaires qui avaient pris leur retraite, étaient morts ou simplement n’avaient jamais existé.[8]
La corruption affecte également la nomination des membres de la famille et des amis à des postes dans des organisations publiques où ils jouissent de pouvoirs de monopole profitables dans quelque domaine d’activité du secteur privé ou public. De tels postes sont très courus à cause des bénéfices en nature et en argent que l’occupation de ces postes garantit. En conséquence, la corruption est répandue dans la nomination ou l’élection des agents publics à tous les rangs.
A un niveau moins important, mais qui affecte un public qui en souffre, la corruption implique une foule de fonctionnaires sous-payés ou simplement cupides qui font payer au public des services auxquels celui-ci devrait avoir droit gratuitement. Les domaines de prédilection sont l’octroi de permis de conduire, de passeports et de permis de faire des affaires. Dans certains cas, ces fonctionnaires payent un certain
pourcentage de leurs gains illégaux à leurs supérieurs de telle façon qu’ils puissent continuer à occuper leur poste et à profiter des occasions de s’enrichir illégalement que celui-ci leur fournit.
Une autre arnaque communément pratiquée consiste pour les fonctionnaires à demander à faire des déplacements à l’étranger de telle façon qu’ils puissent soumettre des demandes de remboursement largement surévaluées qui peuvent être équivalents pour quelques jours de voyage à deux ou trois mois de leur salaire mensuel habituel. Les officiers de police, surtout ceux chargés de la circulation, offrent un exemple très visible de la corruption du secteur public et usent fréquemment de leur pouvoir pour extorquer des dessous de table de ceux qui craignent d’être punis injustement ou de façon injustifiable. Ces activités, lorsqu’elles sont pratiquées à grande échelle, peuvent avoir des effets négatifs importants sur la vie sociale, politique et économique de toute société, ce qui est le cas dans de nombreux pays africains.
3. Analyse de la corruption en Afrique
La colère du public en matière de corruption en Afrique s’est exprimée ouvertement depuis le début des années 1990, à l’instigation de mouvements pro-démocratie qui ont incité de nombreuses personnes à se joindre au débat politique et à s’organiser. Des protestations dans les rues, des grèves et d’autres manifestations de colère ont permis de familiariser de nombreux Africains à la politique de gestion multipartis et ont même quelquefois incité les gens à chasser des dirigeants impopulaires, soit en organisant des élections soit en se révoltant[9]. Les forces en faveur de la démocratie qui émergeant n’ont pas seulement affirmé le droit des citoyens ordinaires à s’exprimer et à s’organiser indépendamment de l’état, mais ont exigé que leurs responsables élus rendent des comptes.
La corruption publique de haut niveau est devenue une cible de choix. Ceux qui brandissent le drapeau de la démocratie ont souvent exigé qu’elle soit punie et éliminée. Des journaux et des magazines indépendants ont publié de nombreux articles exposant la corruption. Les syndicats, les organisations populaires et les partis d’opposition ont incité à la révocation d’agents corrompus et à la récupération des fonds détournés. Les magistrats élus et les membres des gouvernements qui arrivent au pouvoir ont rédigé des codes de conduite et créé des commissions d’enquête pour assainir l’appareil bureaucratique.[10] Ces acteurs voient dans la corruption une menace pour la pratique démocratique car de par sa nature même, elle méprise le contrôle et l’examen publics. Et puisqu’elle est advenue dans de nombreux gouvernements et administrations honnis, grâce au patronage politique, les efforts déployés par les nouvelles forces démocratiques pour exposer et limiter la corruption ont affaibli les défenseurs de l’ancien régime.[11]
Un problème auquel sont confrontés les réformateurs tels que les gestionnaires africains et les organisations non gouvernementales (ONG) consiste à passer au crible la foule de problèmes et à déterminer lesquels sont les plus importants et les plus ouverts à la réforme. Dele Olowu, un expert en Administration Publique et corruption en Afrique, avance que la corruption gouvernementale est endémique en Afrique parce que les efforts se sont concentrés sur des remèdes avant qu’une analyse approfondie du problème n’ait été réalisée. [12] Ne comprenant pas certaines des causes fondamentales de la corruption, les gestionnaires ont appliqué des réformes inefficaces. Michael Johnston, un chercheur en sciences politiques qui a beaucoup écrit sur la corruption, suggère que les réformes mises en place dans une situation politique complexe que l’on ne comprend qu’en partie peut avoir des résultats non souhaités.[13]
On a souvent tenté de réduire la corruption en Afrique. Malheureusement, de nombreuses approches n’ont pas été systématiques mais de simples manoeuvres politiques pour assagir un public mécontent et une communauté internationale de bailleurs de fonds. D’autre part, il est difficile de mettre au point une stratégie anti-corruption parce que le succès de tout programme dépend en grande partie d’un engagement solide de la part du président du pays, des membres du cabinet et des responsables les plus haut placés, ceux là même qui sont corrompus. Sans leur coopération ou du moins le dévouement du président et des personnes qui occupent des postes clefs, les malversations deviennent cycliques.
Les causes et les diagnostics ci-dessous présentent divers types de corruption en Afrique. Au fur et à mesure que la pression publique augmente pour lutter contre la corruption en Afrique, il est néanmoins clair qu’une meilleure compréhension des causes et des enjeux est nécessaire pour formuler des solutions qui peuvent permettre de faire des progrès et de la limiter.
4. Manque de responsabilité et de transparence
Jusque récemment, les gouvernements africains ont été rarement tenus de rendre des comptes par leurs citoyens. Le principe de la transparence exige que chaque acte public soit fait de façon ouverte. Les actions des agents publics doivent être claires et chaque acte qui puisse susciter des soupçons devrait être expliqué. Si l’on ne remplit pas ses devoirs publics de façon ouverte, on offre aux personnes malhonnêtes des occasions de dissimuler leurs activités tout en pratiquant l’extorsion et le favoritisme.
Les systèmes démocratiques offrent des mécanismes pour minimiser la corruption en introduisant une plus grande responsabilité et transparence dans la gestion politique. En Sierra Leone, par exemple, il semble y avoir un lien direct entre la corruption et des politiques de gestion non démocratiques. On découvrit des abus en grand nombre lorsqu’un nombre croissant de scandales a éclaté à la suite de l’introduction en 1978 d’un système à un seul parti, qui ferma la poile à la possibilité d’avoir à rendre des comptes. Toute institution qui aurait pu permettre de vérifier les activités des agences gouvernementales fut éliminée. Le président qui cumulait de nombreux pouvoirs dirigeait quasiment tout y compris l’armée, l’université d’état et l’administration et ne tolérait aucune remise en question des sujets qui auraient dû exiger des explications publiques. Au Nigeria, surtout pendant que Babaginda était au pouvoir, nul n’avait à rendre des comptes. Le régime refusa de publier les déclarations de biens des agents haut placés et les journalistes critiques furent persécutés par le gouvernement, ce qui intensifia la corruption de haut niveau[14]. Si les hommes politiques avaient la moindre intention de limiter la corruption, toute révélation de malversations aurait été suivie de mesures punitives rapides et le manque de réaction aurait provoqué un tollé public immédiat. Le mésemploi administratif des fonds aurait été rare, les chances d’être pris élevées, les sanctions sévères et les gains
potentiels plus problématiques[15].
Dans les cas où les hommes politiques se laissent tenter par des activités illégales et où le public reste passif, si ce n’est aussi complaisant envers la corruption, les employés du public ont l’impression qu’il n’y aucune raison pour qu’ils ne profitent pas de l’occasion[16]. Si l’on en croit des révélations lors des enquêtes sur la corruption en Sierra Leone en 1992, il semble que les malversations administratives et politiques soient liées. Selon les témoignages fournis aux commissions, les fonctionnaires haut placés pendant le règne de l’APC détournèrent des fonds du gouvernement alors que les hommes politiques tout aussi coupables étaient parfaitement au courant de la situation[17]. Il est particulièrement difficile d’instituer la transparence et d’imposer aux gens d’avoir à rendre des comptes dans un système où ceux qui occupent les postes les plus élevés se mettent de connivence avec les fonctionnaires pour détourner l’argent du pays[18].
5. Gouvernement trop centralisé et interventionniste
Les bureaucraties publiques en Afrique sont généralement trop centralisées, souvent avec des chaînes d’autorité peu claires et des règles de hiérarchie sous ou sur élaborées. Ceci est un facteur qui contribue à la corruption du gouvernement. L’état tend à centraliser ses pouvoirs dans la branche exécutive avec peu de contrôles visant à l’équilibre des pouvoirs de la magistrature, des cours ou des gouvernements régionaux et locaux. Selon un chercheur qui a longuement étudié ces questions en Afrique:
La corruption en Afrique se situe principalement dans la branche exécutive du gouvernement par la raison évidente que les branches législative et judiciaire ont généralement perdu toute l’indépendance et le pouvoir qu’elles ont pu avoir par le passé[19].
Le secteur privé se retrouve confronté à une autorité politique centrale surdimensionnée qui prend les décisions qu’on pourrait laisser à la discrétion impersonnelle de l’administration[20]. La combinaison de définitions vagues des fonctions publiques et de l’absence de contrôle effectif a mené les responsables haut placés du gouvernement à assumer des tâches supplémentaires et à se placer ainsi de façon à pouvoir influer sur le cours des choses à leur profit. Par exemple en Sierra Leone, Ben Kamu, le Ministre des Entreprises Publiques et des Industries sous le gouvernement de Momoh, décida d’assumer la responsabilité du Fond Fiscal de Frêt Maritime, qui était avant à la charge de la Compagnie de Transport Maritime de Sierra Leone.
Après qu’il a pris le contrôle, on a affirmé que des centaines de milliers de dollars furent détournés[21]. Le gouvernement est de plus au centre de tout le pouvoir dans la plupart des pays en voie de développement, notamment en Afrique. Le gouvernement, surtout dans les régimes à un seul parti, étend son autorité au secteur privé. Aucune industrie n’est préservée de son interférence, y compris la banque, le commerce de détail et l’industrie de l’import/export. Le gouvernement est habituellement le plus grand employeur, fournisseur de services, régulateur et entrepreneur; il détermine le niveau et la nature de l’activité économique. C’est cette immense concentration des pouvoirs politique, économique et bureaucratique, parallèlement aux besoins en matière de développement des citoyens – qui fournit un terrain fertile pour la corruption. La pression constante des hommes d’affaires locaux et des corporations multinationales – qui demandent tous des permis, des contrats, des certificats, des licences d’importation, crée une tentation irrésistible de « graisser la patte » pour s’assurer des résultats escomptés. Comme nous l’avons avancé, plus le gouvernement intervient dans les affaires de la société, plus les occasions de corruption augmentent. En Sierra Leone par exemple, de telles occasions furent exploitées par des personnes malhonnêtes au début des années 1980, surtout pendant les périodes où les devises étrangères manquaient, ce qui mena à un déclin net des importations. Des agents officiels dans l’industrie bancaire et au Ministère des Finances se virent offrir des dessous-de-table. La corruption non seulement augmenta mais prit de la vitesse durant cette période[22].
Des échelles de salaire faibles pour les responsables publics
Des salaires faibles incitent à la corruption. Des fonctionnaires mal payés gèrent des programmes très recherchés, des budgets, des impôts, des règlements de douane… et il y a une tentation quasiment irrésistible d’imposer des pots-de-vin. La corruption n’est pas seulement une question qui implique des personnes haut placées ou une cupidité débridée. C’est aussi un moyen de survivre auquel ont recours les fonctionnaires de moyen niveau et les travailleurs mal payés. La rémunération et les conditions de service dans l’administration n’ont cessé de se détériorer depuis plusieurs années dans le sillage des programmes d’ajustement structurel. Les fonctionnaires ont du mal à survivre sur un seul salaire – ils cherchent donc d’autres moyens de générer un revenu supplémentaire en trouvant de seconds emplois ou du travail temporaire. Les employés ne sont pas dévoués à leur tâche si leurs salaires sont insuffisants, et seuls peut-être les «autres » avantages les retiennent à leur poste. Les secteurs tels que la police ou les douanes sont particulièrement vulnérables parce qu’ils emploient un grand nombre de travailleurs de faible niveau qui sont en contact direct avec le public. De plus, non seulement ils ne sont pas sûrs de toucher leur salaire à la fin du mois mais ils ne sont même pas sûrs d’avoir encore un emploi à cause des fréquentes et soudaines réductions de main d’oeuvre. La notion d’une structure de carrière stable et garantie, qui est au coeur même de l’idée et de la réalité de l’administration en Occident, n’est pas bien établie en Afrique[23].
6. Manque d’engagement
L’absence d’un engagement solide de la part des intervenants politiques, qui parlent souvent de la nécessité d’avoir à rendre des comptes et de l’intégrité mais ne passent guère du stade des promesses à celui d’efforts réels pour découvrir et pénaliser les conduites corrompues, a contribué à l’institutionnalisation de la corruption. Même après la création d’agences anti-corruption, celles-ci n’ont souvent pas les ressources et l’indépendance nécessaires pour mener à bien leur mission. En Tanzanie, par exemple, le manifeste du Président Mwinyi de 1990, la Circulaire Présidentielle No. 1, fournit les grandes lignes de méthodes et de stratégies pour réduire les malversations en incorporant les concepts de la transparence et de l’obligation de rendre des comptes dans le service public. Pourtant, ces efforts manquent du soutien matériel dont les institutions ont besoin pour combattre la corruption. De même en Sierra Leone, les équipes de lutte contre la corruption et la contrebande établies par le Président Joseph Momoh ont eu un succès limité, et les commissions d’enquête de 1992 révélèrent qu’elles avaient moins combattu la corruption que tous leurs prédécesseurs[24].
La clef pour faire en sorte que les intervenants politiques prennent un engagement réel en faveur de la lutte anti-corruption consiste à mettre au point un plan d’action qui renforce constitutionnellement les institutions chargées de combattre la corruption. En Ouganda, par exemple, le bureau de l’inspecteur Général du Gouvernement a l’autorité constitutionnelle pour faire appliquer le Code de Conduite des Dirigeants en
arrêtant et en engageant des poursuites contre ceux que l’on soupçonne d’activités illicites[25]. Toutefois, l’efficacité et le succès d’une telle institution dépend en grande partie de son degré d’autonomie. Comme dans le cas de l’Ouganda, la meilleure façon de préserver un tel organisme de toute pression extérieure et politique est de lui faire rendre des comptes au Parlement et non pas au Chef de l’Etat.
7. Un mécanisme d’application des lois inefficace
Dans les pays africains où le gouvernement est réputé pour sa tolérance en matière de corruption, les malversations sont nombreuses. Ces pays ont une foule d’agences chargées de l’application des lois faibles, pléthore de responsables haut placés qui collaborent avec des éléments indésirables et une infinité de punitions légères pour ceux qui sont condamnés pour activités illicites. Il est notoire par exemple que le Gouvernement de Sierra Leone tolère des activités minières illégales[26]. Desmond Luke, un candidat à la présidence lors des élections de 1992 fit la remarque suivante:
Il semble que personne ne contrôle cette industrie et le résultat est que notre sol fertile est dévasté, nos enfants scolarisés abandonnent les études pour chercher à faire fortune rapidement et pourtant tout quitte le pays en contrebande au bénéfice du monde extérieur[… ]. La situation doit changer[27].
Les gouvernements doivent « mener la vie dure aux criminels » Bien sûr, de meilleures lois peuvent aider à structurer de façon efficace des campagnes anti-corruption mais les réformes légales ne sont qu’une partie de la solution.
En conclusion, il est important de souligner que les Africains sont conscients des problèmes de corruption et d’abus qui ont caractérisé les régimes autoritaires et croient que ces questions exigent notre attention immédiate. Beaucoup prennent une position courageuse en promouvant la démocratisation et la gestion politique démocratique pour réduire ces abus. Mais puisque le processus de démocratisation est généralement long, difficile et complexe, il peut non pas alléger les problèmes dans l’immédiat mais les intensifier. Le défi consiste à survivre à la période de transition et non à l’éviter.
Par: Sahr John Kpundeh
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Notes
1 Pour une discussion détaillée des niveaux de corruption, on pourra consulter par exemple Stephen P. Riley, The Land of Waving Palms.. Political Economy, Corruption Inquiries and Politics in Sierra Leone. dans Corruption: Causes, Consequences, and Control, sous la direction de M. Clarke, (Londres: Frances Pinter, 1983)
2 Kpundeh, S.J. and Bruce Heilman (1996) »Rushwa: An Examination of Corruption in Tanzania,, , soumis aux éditeurs du Review of African Political Economy Journal.
3 Quelques auteurs qualifient la corruption enracinée de ”systémique” et la corruption impliquant des agents haut
placés de “grande”
4 Sahr John Kpundeh, Politics and Corruption in Africa: A Case Study of Sierra Leone. (Lanham, MD: University Press of America, 1995) p. 65.
5 V. LeVine, Political Corruption: The Ghana Case. (Stanford: Hoover Institution, 1975), p. 12.
6 D. Apter, Ghana in Transition. (New York: Atheneum Press, 1963), p.6.
7 Sahr Kpundeh, Politics and Corruption in Africa: A Case Study of Sierra Leone, p. 112.
8 Petter Langseth, Civil Service Reform in Uganda: Lessons Learned. L’Institut du Développement Economique de la Banque Mondiale, document de recherche, 1995.
9 E. Harsch, « accumulators and Democrats: Challenging State Corruption in Africa » Journal of Modern African Studies, Vol. 3 1, No. 1(1993), .32.
10 Ibid, p. 33.
11 Ibid.
12 D.Olowu, « Corruption in Nigeria: Causes, Consequences and Remedies » Présentation faite à la Cinquième Conférence Anti-corruption à Amsterdam, 8-12 mars 1992.
13 Michael Johnston, Political Corruption and Public Policy in America, p. 140.
14 L. Diamond, « Nigeria’s Perennial Struggle against Corruption: Prospects for the Third Republic ». Corruption and Reform, Vol. 7, No. 3(1993).
15 G. Caiden ,« Deating with Administrative Corruption ». document inédit, 1992.
16 Ibid.
17 Sahr Kpundeh, Politics and Corruption in Africa: A Case Study of Sierra Leone. R. Williams, Political Corruption in Africa. (Aldershot: Gower Publishing Company, 1978).
18 Dans d’autres cas, tels que le scandale Wedtech aux Etats-Unis, des politiciens corrompus surmontèrent en fait la résistance des agents officiels qui auraient pu sinon éviter d’avoir recours à des malversations.
19 R.Williams, Political Corruption in Africa. (Aldershot: Gower Publishing Company, 1978.)
20 D. Olowu, « Governmental Corruption and Africa’s Democratization Efforts » Journal of Corruption and Reform, Vol.7, No. 3 (1993), p. 230.
21 Sahr Kpundeh, « Corruption in Sierra Leone: Causes, Costs and Remedies. » Document préparé pour l’Institut du Développement Economique de la Banque Mondiale, 1996.
22 Sahr Kpundeh, « Kleptocracy and the Culture of Corruption- The Political Economy of Mismanagement in Sierra Leone ». Présentation faite à la conférence organisée par l’Association Canadienne des Etudes Africaines, Montréal, mai 2-5 1996.
23 R. Theobald, « Lancing the Swollen African State: Will it Alleviate the Problem of Corruption? » Journal of Modern African Studies, Vol. 32, No. 4 (1994), p. 703.
24 Sahr Kpundeh, « Kleptocracy and the Culture of Corruption… »
25 Sahr Kpundeh and Bruce Heilman, « Rushwa: An Examination of Corruption in Tanzania.» Gouvernance et Economie en Afrique : la Corruption en Afrique, Par, Sahr John KPUNDEH
26 Sahr Kpundeh, « Kleptocracy and the Culture of Corruption… »
27 L. Gberie, « Sierra Leone Economy. : Curse of Riches.» International Press Service, March 11, 1996.