LES DOSSIERS

Cheickh Anta Diop – Portrait

CHEICKH ANTA DIOP

Écrivain et homme politique sénégalais (Diourbel, 1923 — Dakar, 1986).

Historien d’expression française, il mit l’accent sur le pouvoir de rayonnement de la culture noire (Nations nègres et Culture, 1955; l’Afrique noire pré-coloniale, 1960; Antériorité des civilisations nègres: mythe ou vérité historique, 1967; Égyptien ancien ou langues africaines, 1967; Civilisation ou barbarie : anthropologie sans complaisance, 1981). Militant actif, il dirigea, jusqu’à sa mort, le Rassemblement national démocratique (d’obédience marxiste).

Cheikh Anta Diop naît en 1923 dans un petit village du Sénégal, Caytou. L’Afrique est sous la domination coloniale européenne qui a pris le relai de la traite négrière atlantique commencée au 16ème siècle. La violence dont l’Afrique est l’objet, n’est pas de nature exclusivement militaire, politique et économique. Théoriciens (Voltaire, Hume, Hegel, Gobineau, Lévy Bruhl, etc.) et institutions d’Europe (l’institut d’ethnologie de France créé en 1925 par L. Lévy Bruhl, par exemple), s’appliquent à légitimer au plan moral et philosophique l’infériorité intellectuelle décrétée du Nègre. La vision d’une Afrique anhistorique et atemporelle, dont les habitants, les Nègres, n’ont jamais été responsables, par définition, d’un seul fait de civilisation, s’impose désormais dans les écrits et s’ancre dans les consciences. L’Égypte est ainsi arbitrairement rattachée à l’Orient et au monde méditerranéen géographiquement, anthropologiquement, culturellement.

C’est donc dans un contexte singulièrement hostile et obscurantiste que Cheikh Anta Diop est conduit à remettre en cause, par une investigation scientifique méthodique, les fondements mêmes de la culture occidentale relatifs à la genèse de l’humanité et de la civilisation. La renaissance de l’Afrique, qui implique la restauration de la conscience historique, lui apparaît comme une tâche incontournable à laquelle il consacrera sa vie.

C’est ainsi qu’il s’attache, dès ses études secondaires à Dakar et St Louis du Sénégal, à se doter d’une formation pluridisciplinaire en sciences humaines et en sciences exactes, nourrie par des lectures extrêmement nombreuses et variées.S’il acquiert une remarquable maîtrise de la culture européenne, il n’en est pas moins profondément enraciné dans sa propre culture. Sa parfaite connaissance du wolof, sa langue maternelle, se révèlera être l’une des principales clés qui lui ouvrira les portes de la civilisation pharaonique. Par ailleurs, l’enseignement coranique le familiarise avec le monde arabo-musulman.

A partir des connaissances accumulées et assimilées sur les cultures africaine, arabo-musulmane et européenne, Cheikh Anta Diop élabore des contributions majeures dans différents domaines. L’ensemble se présente comme une œuvre cohérente et puissante qui fait de Cheikh Anta Diop un savant et un humaniste.

On se propose dans une première partie de dégager de manière concise quelques-uns des traits essentiels de son œuvre. En second lieu, on présente la poursuite de l’œuvre du savant dans le domaine de l’histoire et de l’égyptologie.

A. L’œuvre de Cheikh Anta Diop

A1. La reconstitution scientifique du passé de l’Afrique et la restauration de la conscience historique

Au moment où Cheikh Anta Diop entreprend ses premières recherches historiques (années 40) l’Afrique noire ne constitue pas « un champ historique intelligible » pour reprendre une expression de l’historien britannique Arnold Toynbee. Il est symptômatique qu’encore au seuil des années 60, dans le numéro d’octobre 1959 du Courrier de l’UNESCO, l’historien anglo-saxon Basile Davidson introduise son propos sur la « Découverte de l’Afrique » par la question : « Le Noir est-t-il un homme sans passé ?« 

Dans son récent ouvrage Cheikh Anta Diop, Volney et le Sphinx, Théophile Obenga montre magistralement en quoi consiste l’originalité et la nouveauté de la problématique historique africaine ouverte et développée par Cheikh Anta Diop :

« En refusant le schéma hégélien de la lecture de l’histoire humaine, Cheikh Anta Diop s’est par conséquent attelé à élaborer, pour la première fois en Afrique noire une intelligibilité capable de rendre compte de l’évolution des peuples noirs africains, dans le temps et dans l’espace […] Un ordre nouveau est né dans la compréhension du fait culturel et historique africain. Les différents peuples africains sont des peuples « historiques » avec leur État : l’Égypte, la Nubie, Ghana, Mali, Zimbabwe, Kongo, Bénin, etc. leur esprit, leur art, leur science. Mieux, ces différents peuples historiques africains s’accomplissent en réalité comme des facteurs substantiels de l’unité culturelle africaine« . [Théophile Obenga, Leçon inaugurale du colloque de Dakar de février-mars 1996 intitulé : « L’œuvre de Cheikh Anta Diop – La Renaissance de l’Afrique au seuil du troisième millénaire« , Actes du colloque de Dakar à paraître).

Nations nègres et Culture – De l’Antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique d’aujourd’hui– que publie en 1954 Cheikh Anta Diop aux Éditions Présence Africaine créées par Alioune Diop est le livre fondateur d’une écriture scientifique de l’histoire africaine. La reconstitution critique du passé de l’Afrique devient possible grâce à l’introduction du temps historique et de l’unité culturelle. La restauration de la conscience historique devient alors elle aussi possible.

A2. Les principales thématiques développées par Cheikh Anta Diop

Les thématiques présentes dans l’œuvre de Cheikh Anta Diop peuvent être regroupées en six grandes catégories :

a. L’origine de l’homme et ses migrations. Parmi les questions traitées : l’ancienneté de l’homme en Afrique, le processus de différentiation biologique de l’humanité, le processus de sémitisation, l’émergence des Berbères dans l’histoire, l’identification des grands courants migratoires et la formation des ethnies africaines.

b. La parenté Égypte ancienne/Afrique noire. Elle est étudiée selon les aspects suivants : le peuplement de la vallée du Nil, la genèse de la civilisation égypto-nubienne, la parenté linguistique, la parenté culturelle, les structures socio-politiques, etc.

c. La recherche sur l’évolution des sociétés. Plusieurs développements importants sont consacrés à la genèse des formes anciennes d’organisation sociale rencontrées dans les aires géographiques méridionale (Afrique) et septentrionale (Europe), à la naissance de l’État,.à la formation et l’organisation des États africains après le déclin de l’Égypte, à la caractérisation des structures politiques et sociales africaines et européennes avant la période coloniale ainsi qu’à leur évolution respective, aux modes de production, aux conditions socio-historiques et culturelles qui ont présidé à la Renaissance européenne.

d. L’apport de l’Afrique à la civilisation. Cet apport est restitué dans de nombreux domaines : la métallurgie, l’écriture, les sciences (mathématiques, astronomie, médecine, …), les arts et l’architecture, les lettres, la philosophie, les religions révélées (judaïsme, christianisme, islam), etc.

e. Le développement économique, technique, industriel, scientifique, institutionnel, culturel de l’Afrique. Toutes les questions majeures que pose l’édification d’une Afrique moderne sont abordées : maîtrise des systèmes éducatif, civique et politique avec l’introduction et l’utilisation des langues nationales à tous les niveaux de la vie publique ; l’équipement énergétique du continent ; le développement de la recherche fondamentale ; la représentation des femmes dans les institutions politiques ; la sécurité ; la construction d’un État fédéral démocratique, etc. La création par Cheikh Anta Diop du laboratoire de datation par le radiocarbone qu’il dirige jusqu’à sa disparition est significative de toute l’importance accordée à « l’enracinement des sciences en Afrique« .

f. L’édification d’une civilisation planétaire. L’humanité doit rompre définitivement avec le racisme, les génocides et les différentes formes d’esclavage. La finalité est le triomphe de la civilisation sur la barbarie. Cheikh Anta Diop appelle de ses vœux l’avènement de l’ère qui verrait toutes les nations du monde se donner la main « pour bâtir la civilisation planétaire au lieu de sombrer dans la barbarie » (Civilisation ou Barbarie, 1981). L’aboutissement d’un tel projet suppose :

    • la dénonciation de la falsification moderne de l’histoire : « La conscience de l’homme moderne ne peut progresser réellement que si elle est résolue à reconnaître explicitement les erreurs d’interprétations scientifiques, même dans le domaine très délicat de l’Histoire, à revenir sur les falsifications, à dénoncer les frustrations de patrimoines. Elle s’illusionne, en voulant asseoir ses constructions morales sur la plus monstrueuse falsification dont l’humanité ait jamais été coupable tout en demandant aux victimes d’oublier pour mieux aller de l’avant » (Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres – mythe ou vérité historique ?, Paris, Présence Africaine, p. 12).
    • la réaffirmation de l’unité biologique de l’espèce humaine fondement d’une nouvelle éducation qui récuse toute inégalité et hiérachisation raciales : « … Donc, le problème est de rééduquer notre perception de l’être humain, pour qu’elle se détache de l’apparence raciale et se polarise sur l’humain débarrassé de toutes coordonnées ethniques. » (Cheikh Anta Diop, « L’unité d’origine de l’espèce humaine », in Actes du colloque d’Athènes : Racisme science et pseudo-science, Paris, UNESCO, coll. Actuel, 1982, pp. 137-141).

L’ensemble de ces grandes problématiques définit de façon claire et cohérente un cadre, des axes et un programme de travail.

A3. L’apport méthodologique et les acquis du colloque du Caire

Pour sortir l’Afrique du paradigme anhistorique et ethnographique dans lequel anthropologues et africanistes l’avaient confinée Cheikh Anta Diop adopte une méthodologie de recherche qui s’appuie sur des études diachroniques, le comparatisme critique, la pluridisciplinarité : archéologie, linguistique, ethnonymie/toponymie, sociologie, sciences exactes, etc.. Grâce à une approche à la fois analytique et synthétique il lui a été possible de rendre aux faits historiques, sociologiques, linguistiques, culturels du continent africain, leur cohérence et leur intelligibilité. La nouvelle méthodologie en matière d’histoire africaine que préconise et met en œuvre Cheikh Anta Diop dans ses travaux est exposée dans son livre Antériorité des civilisations nègres – mythe ou vérité historique ?, (op. cit., pp. 195-214) et largement commentée par le professeur Aboubacry Moussa Lam (cf. bibliographie).

S’agissant de l’Égypte ancienne alors étudiée dans son contexte négro-africain, Cheikh Anta Diop écrit :

« Partant de l’idée que l’Égypte ancienne fait partie de l’univers nègre, il fallait la vérifier dans tous Ies domaines possibles, racial ou anthropologique, linguistique, sociologique, philosophique, historique, etc. Si l’idée de départ est exacte, l’étude de chacun de ces différents domaines doit conduire à la sphère correspondante de l’univers nègre africain. L’ensemble de ces conclusions formera un faisceau de faits concordants qui éliminent le cas fortuit. C’est en cela que réside la preuve de notre hypothèse de départ. Une méthode différente n’aurait conduit qu’à une vérification partielle qui ne prouverait rien. Il fallait être exhaustif » (Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres – mythe ou vérité historique ?, Paris, Présence Africaine, 1967, p. 275).

En 1970, l’UNESCO sollicite Cheikh Anta Diop pour devenir membre du Comité scientifique international pour la rédaction d’une Histoire générale de l’Afrique. Son exigence d’objectivité le conduit à poser trois préalables à la rédaction des chapitres consacrés à l’histoire ancienne de l’Afrique. Les deux premiers consistent en la tenue d’un colloque international, organisé par l’UNESCO, réunissant des chercheurs de réputation mondiale, pour d’une part, traiter de l’origine des anciens Égyptiens, et d’autre part faire le point sur le déchiffrement de l’écriture méroïtique. En effet, une confrontation des travaux de spécialistes du monde entier lui paraissait indispensable pour faire avancer la science historique. Le troisième préalable concerne la réalisation d’une couverture aérienne de l’Afrique afin de restituer les voies anciennes de communication du continent.

C’est ainsi que se tient au Caire du 28 janvier au 3 février 1974, organisé par l’UNESCO dans le cadre de la Rédaction de l’Histoire générale de l’Afrique, le colloque intitulé : « Le peuplement de l’Égypte ancienne et le déchiffrement de l’écriture méroïtique« .

Ce colloque rassemble une vingtaine de spécialistes appartenant aux pays suivants : Égypte, Soudan, Allemagne, USA, Suède, Canada, Finlande, Malte, France, Congo et Sénégal. La contribution très constructive des chercheurs africains tant au plan méthodologique qu’au niveau de la masse des faits apportés et instruits, a été reconnue par les participants et consigné dans le compte-rendu du colloque, notamment dans le domaine de la linguistique : « un large accord s’est établi entre les participants« . « Les éléments apportés par les professeurs DIOP et OBENGA ont été considérés comme très constructifs. (…) Plus largement, le professeur SAUNERON a souligné l’intérêt de la méthode proposée par le professeur OBENGA après le professeur DIOP. L’Égypte étant placée au point de convergence d’influences extérieures, il est normal que des emprunts aient été faits à des langues étrangères ; mais il s’agit de quelques centaines de racines sémitiques par rapport à plusieurs milliers de mots. L’égyptien ne peut être isolé de son contexte africain et le sémitique ne rend pas compte de sa naissance ; il est donc légitime de lui trouver des parents ou des cousins en Afrique.« [cf. Histoire générale de l’Afrique, Paris, Afrique/Stock/Unesco, 1980, pp. 795-823].

S’agissant de la culture égyptienne : « Le professeur VERCOUTTER a déclaré que, pour lui, l’Égypte était africaine dans son écriture, dans sa culture et dans sa manière de penser. Le professeur LECLANT a reconnu ce même caractère africain dans le tempérament et la manière de penser des Égyptiens.« 

Le rapport, dans sa conclusion générale indique que « La très minutieuse préparation des communications des professeurs Cheikh Anta DIOP et OBENGA n’a pas eu, malgré les précisions contenues dans le document de travail préparatoire envoyé par l’UNESCO, une contrepartie toujours égale. Il s’en est suivi un véritable déséquilibre dans les discussions.« 

Depuis 1974, les découvertes archéologiques, les études linguistiques, les études génétiques, l’examen de la culture matérielle, l’étude de la philosophie, etc. ne font que confirmer chaque jour davantage les grandes orientations de recherche recommandées par le Colloque du Caire.

B. La postérité intellectuelle

Dans le domaine de l’égyptologie, par exemple, une communauté d’égyptologues africains existe désormais. Elle s’est constituée selon les étapes ci-après.

B1. La période de la recherche solitaire 1946-1970

Jusqu’au début des années 1970, Cheikh Anta Diop poursuit, dans une totale solitude intellectuelle, ses recherches sur la parenté existant entre l’Égypte ancienne et le reste de l’Afrique noire engagées déjà depuis plus d’une vingtaine d’années. Un veto s’oppose implacablement à ce qu’il enseigne à l’Université de Dakar. Deux conséquences immédiates en découlent : l’impossibilité d’orienter et de former les jeunes générations d’historiens et d’égyptologues africains, et celle de procéder au renouvellement complet des « Études africaines » tant sur le plan du contenu de l’enseignement (intégration des antiquités égypto-nubiennes, etc.) que sur celui des critères de compétence.

B2. Théophile Obenga rencontre Cheikh Anta Diop

Au début des années 60, Théophile Obenga, découvre le livre de Cheikh Anta Diop Nations nègres et Culture. Théophile Obenga, est déjà formé à la philosophie et il maîtrise le grec ancien ainsi que le latin. Il s’oriente de manière décisive vers l’égyptologie et la linguistique. Il suit les enseignements de grands noms de la linguistique historique comme Henri Frei à l’Université de Genève et Émile Benveniste au Collège de France à Paris. Les premiers résultats des recherches de Théophile Obenga en histoire et en linguistique paraissent dans des articles dès 1969. C’est en 1973, qu’il publie aux Éditions Présence Africaine son premier grand livre, L’Afrique dans l’Antiquité – Égypte pharaonique/Afrique Noire. Le lecteur y trouvera entre autres des chapitres fondamentaux consacrés à la comparaison de la langue égyptienne ancienne et des langues négro-africaines contemporaines, ainsi qu’aux écritures anciennes du continent africain.

Cheikh Anta Diop n’est désormais plus seul. Il le sait et il exprime l’espoir, dans sa préface au livre de Théophile Obenga, de voir se constituer à terme une équipe de chercheurs africains : « Il est indispensable de créer une équipe de chercheurs africains où toutes les disciplines sont représentées. C’est de la sorte qu’on mettra le plus efficacement possible la pensée scientifique au service de l’Afrique.« , avec la mise en garde préalable suivante : « Puissent-ils comprendre qu’à la maîtrise des connaissances il faut ajouter l’efficacité de l’organisation pour se maintenir« .

Le colloque du Caire (1974) évoqué plus haut consolide la collaboration entre les deux hommes pour la réécriture de l’histoire de l’Afrique et partant de l’humanité, sur des bases strictement objectives.

Les acquis du colloque du Caire provoquent des fissures dans le dispositif d’isolement dressé autour de Cheikh Anta Diop. La technicité du débat scientifique, dévoile jour après jour, l’incompétence et l’imposture africaniste qui se réfugie de manière malsaine, hier comme aujourd’hui encore, dans une pseudo critique à caractère psychanalytique ou dans le procès d’intention.

Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga se sont attachés, parallèlement à leurs recherches, à sensibiliser les Africains à l’histoire de l’Afrique avant la colonisation, aux enjeux vitaux qui lui sont associés, à faire naître des vocations, au moyen de conférences, de colloques, de longues interviews en Afrique, en Europe, dans les Caraïbes, aux États-Unis.

Au fil des années des Africains se sont engagés dans la voie de l’égyptologie, tout en se heurtant, d’une part à l’hostilité du milieu universitaire, notamment francophone, où une telle orientation est « politiquement incorrecte » et d’autre part à la faiblesse des moyens matériels.

B3. Les continuateurs. L’École africaine d’égyptologie

Une école africaine d’égyptologie s’est progressivement constituée. C’est le lieu de souligner, ici, toute l’importance que revêt la connaissance de l’intérieur de l’univers négro-africain, particulièrement à la langue, la culture matérielle, les conceptions philosophiques, religieuses et socio-politiques. On touche donc du doigt les critères mêmes que doit satisfaire un spécialiste véritable de l’Afrique ancienne.

Les grandes orientations de travail de l’école africaine d’égyptologie recouvrent les thématiques développées par Cheikh Anta Diop, rappelées plus haut, ainsi que les recommandations du colloque d’Égyptologie du Caire. Les résultats les plus récents des recherches linguistiques, culturelles de manière générale sur la civilisation pharaonique alliés à ceux des recherches archéologiques illustrent la pertinence scientifique du cadre de travail négro-africain, son caractère éminemment fécond. La revue ANKH, Revue d’égyptologie et des civilisations africaines, a justement pour vocation de publier de tels acquis. ANKH signifie la « Vie » en langue égyptienne pharaonique. Créée en 1992, elle est dirigée par le professeur Théophile Obenga. Les collaborateurs de ANKH sont des chercheurs de divers pays, marque de son ouverture internationale. On y trouvera, outre les études consacrées à l’Antiquité égypto-nubienne (linguistique, culture matérielle, philosophie, religion, archéologie,…), des synthèses sur l’Afrique en général, une section sciences exactes (physique, mathématiques, informatique, …), et une rubrique bibliographique. Parallèlement, toute une série d’ouvrages traduit la richesse de la recherche égyptologique africaine (cf. bibliographie). Cette production intellectuelle de haut niveau s’enrichit chaque année de nouvelles études et constitue la base nécessaire d’un enseignement de qualité sur l’Afrique ancienne.

En 1981, Cheikh Anta Diop est enfin nommé professeur d’histoire associé à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Dakar, c’est-à-dire vingt sept ans après la parution de Nations nègres et Culture, vingt et un ans après son Doctorat d’État. Il y enseignera en maîtrise, en DEA et dirigera des thèses jusqu’à sa disparition en 1986. La relève est assurée aujourd’hui par Aboubacry Moussa Lam et Babacar Sall, égyptologues à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

A partir de 1991, Théophile Obenga enseigne l’égyptologie à l’Université de Brazzaville, puis à partir de 1995 à Temple University (Philadelphie) aux USA. A Paris (lieu : AGECA, 177 rue de Charonne, Paris 11 ème), il assure actuellement (dans le cadre de la revue ANKH, cf. L’Autre Afrique, n°48, du 6 au 12 mai 1998, p. 34) un enseignement sur la langue de l’Égypte pharaonique et l’étude des textes égyptiens relatifs aux mathématiques, à la philosophie et à la religion.

Sollicités par nombre de clubs, de cercles d’études, d’associations comme les Générations Cheikh Anta Diop du Burkina-Faso, du Niger, du Mali, du Sénégal, les égyptologues africains assurent également une vulgarisation sur l’histoire ancienne de l’Afrique à travers conférences, séminaires, expositions organisés en Afrique, aux États-Unis, dans les Caraïbes, en Europe. Un exemple peut être fourni par le dossier magnifiquement élaboré par l’historien et égyptologue Jean Charles Gomez sur le colloque de Dakar de février-mars 1996 intitulé : « L’œuvre de Cheikh Anta Diop – La Renaissance de l’Afrique au seuil du troisième millénaire » (cf Racines & Couleurs, n° 126, 1997).

La jeunesse africaine du continent et de la diaspora est désormais édifiée sur la période de son histoire qui précède les quatre siècles de la traite négrière atlantique et d’occupation coloniale, jusqu’aux périodes les plus reculées. L’œuvre de Cheikh Anta Diop montre la nécessité pour l’Afrique d’un retour à l’Égypte ancienne dans tous les domaines : celui des sciences, de l’art, de la littérature, du droit, … La démarche historique, loin d’être conçue comme un repli sur soi ou une simple délectation du passé, permet à Cheikh Anta Diop de définir le cadre de réflexion approprié pour poser, en termes exacts, l’ensemble des problèmes culturels, éducatifs, politiques, économiques, scientifiques, techniques, industriels, etc., auxquels sont confrontés les Africains, aujourd’hui, et pour y apporter des solutions. C’est pourquoi toute son œuvre se présente comme le socle même d’une véritable renaissance de l’Afrique :

« [Et] les études africaines ne sortiront du cercle vicieux où elles se meuvent, pour retrouver tout leur sens et toute leur fécondité, qu’en s’orientant vers la vallée du Nil. Réciproquement, l’égyptologie ne sortira de sa sclérose séculaire, de l’hermétisme des textes, que du jour où elle aura le courage de faire exploser la vanne qui l’isole, doctrinalement, de la source vivifiante que constitue, pour elle, le monde nègre » (Antériorité des civilisations nègres – mythe ou vérité historique ?, op. cit., p. 12).

Sources : Encyclopédie – Internet – Afrique Pluriel ch


Cheikh Anta Diop et son oeuvre monumentale

L’homme pour qui on ne peut qu’éprouver une admiration sans borne, naquit le 29 Décembre 1923 au Sénégal (à Diourbel). Il partit étudier la physique et la chimie à Paris : il fut un disciple des Curie (il était donc physicien et chimiste à la base. Il présenta sa thèse « Nations Nègres et Culture » (titre de deux livres, Volume I et II) à Paris; le titre de docteur lui fut refusé.

Il fut mis au banc de l’université française, au banc de l’université sénégalaise : ses frères africains ne le comprenaient pas (ses théories étaient sans doute considérées comme trop révolutionnaires). Exclu de l’université de Dakar, cantonné dans son laboratoire du Carbone 14 avec un salaire mensuel d’assistant, au bas de l’échelle universitaire, il fustigeait ce qu’il appelait le carriérisme qui asservissait les cadres africains, brisant ainsi la liberté et la puissance créatrice de l’Afrique.

Il créa le BMS (Bloque de masse sénégalaise) en 1952, puis le RND (Rassemblement national démocratique) : il insistait sur l’importance de l’unité culturelle de l’Afrique noire au sein de ces deux mouvements. Unité saisie à partir d’une double approche diachronique et synchronique : diachronique à partir du moment où les cultures africaines découlent d’une filiation interne et historique commune dont Anta Diop entretient la reconstitution, en étudiant les mouvements migratoires et les différents développements. Synchronique, dans la mesures où ces mêmes cultures présentent toujours des éléments communs d’identité. Anta Diop était convaincu que la véritable liberté passe d’abord par la restauration culturelle des peuples dominés, celle qui leur permet de se réapproprier les idées, les concepts, les symboles, les valeurs, les références tant intellectuelles que morales que leur a légués l’Histoire millénaire du continent qui les pousse à poursuivre vers l’avenir.

Après avoir lu Marcus Garvey, Du Bois et Kwamé Nkrumah, les précurseurs du panafricanisme, il ne voyait le salut de l’Afrique que dans l’Unité politique : il fut un panafricain convaincu (importance du fédéralisme politique et doctrinaire pour Anta Diop; il insistait également sur la nécessité pour l’Afrique d’exploiter ses énormes ressources économiques). En 1966, il partageait avec Du Bois le prix récompensant l’écrivain qui a exercé la plus grande influence sur la pensée noire au XXème siècle. L’African Heritage Studies Association lui décernait en 1975 une plaque commémorative pour sa contribution à la préservation et au développement de la vie et des patrimoines des peuples d’origine africaine dans le monde.

Au Caire, en 1974, devait s’ouvrir une conférence internationale sous les auspices de l’UNESCO, sur « l’antériorité de la civilisation noire dans le bassin du Nil » : il sut alors, devant une communauté scientifique venu du monde entier, faire admettre la pertinence des arguments qu’il avait pu rassembler. Il réussissait à parler pendant des heures, devant un auditoire suspendu à ses lèvres.

Son œuvre est une source d’inspiration capitale pour le nationalisme africain et pour le panafricanisme. Il mourut le 7 Février 1986.

Voici une phrase écrite par Anta Diop :  » Les spécialistes africains doivent prendre des mesures conservatrices. Il s’agit d’être apte à découvrir une vérité scientifique par ses propres moyens, en se passant de l’approbation d’autrui, de savoir conserver son autonomie intellectuelle jusqu’à ce que les idélogues qui se couvrent du manteau de la science se rendent compte que l’ère de la supercherie est révolue..La compétence devient la vertu suprême de l’Africain qui veut désaliéner son peuple « .
(Passage tiré du journal « Le Soleil » parut le 10 Février 1986).

En 1956, Cheik Anta Diop publiait  » Nations nègres et culture  » qui affirmait l’origine noire de la civilisation égyptienne. Cela provoqua un tollé dans les milieux universitaires français (linguistiques et égyptologues).
Dans les milieux noirs, au contraire, le livre soulevait l’enthousiasme. Il donnait un énorme contrepoids à cette race dite, à l’époque, sans passé, sans histoire, sans civilisation autre qu’archaïque et primitive.

Anta Diop traversa tous ces remous sans perdre un grain de son assurance. Mieux, il poursuivit son travail sur l’Egypte africaine; il publia : « Unité culturelle de l’Afrique noire »(1960), « L’Afrique noire précoloniale »(1960),  » Les fondements culturels, techniques et industriels d’un futur Etat fédéral d’Afrique noire « (1960), « Antériorité des civilisations nègres »(1967), « Parenté génétique de l’égyptien pharaonique et des langues négro-africaines »(1977), et enfin « Civilisation ou barbarie »(1981). Une fois la cause entendue, il insistera moins sur l’origine noire de l’Egypte pharaonique que sur l’apport constitutif de celle-ci à la civilisation de la Grèce et à la pensée universelle.

Anta Diop appronfondissait sa recherche en utilisant toutes les disciplines : archéologie, datation au carbone 14, études chimiques sur la pigmentation des momies (on lui refusa un bout de peau de la momie de Ramsès II qu’il voulait analyser; étude de la mélanine : pigment noir de la peau), études de linguistique comparative, et enfin dans son dernier livre, l’étude détaillée de la culture égyptienne, dans ses aspects scientifiques et religieux, ce qui n’avait été qu’ébauché dans son livre de 1956, où il s’appuyait davantage sur des éléments extérieurs (physionomie négroïde de certains pharaons, témoignages de certains auteurs grecs : Hérodote, Diodore de Sicile, Strabon.., témoignages de la Bible….) : approche pluridisciplinaire.

Au fur et à mesure de ses publications nouvelles, ses travaux furent reconnus par des égyptologues tant américains que russes, belges ou …égyptiens.

En France, les travaux d’Anta Diop sont surtout contestés sur les plans linguistiques et ethnologiques (science systématique des races et des peuples, du point de vue des caractères physiques, psychologiques et socio-culturels). Mais il faut reconnaitre que les égyptologues français ne connaissent ni les langues ni les civilisations noires, et que les ethnologues et linguistiques africains ne connaissent pas grand chose à l’égyptologie et ne savent pas lire les hiéroglyphes. C’est donc un dialogue de sourd, Anta Diop ne trouvant pas d’interlocuteurs valables : il lit couramment les hiéroglyphes et connait parfaitement le wolof, sa langue maternelle (il utilise ces acquis pour l’étude de linguistique comparative). Dans son oeuvre, on s’aperçoit qu’il privilégie la linguistique comme source et méthode pour atteindre le passé si lointain : la linguistique lui a permis de pénétrer l’essence de la civilisation égyptienne et de trouver ses liens génétiques avec la culture de l’Afrique noire.

Du coté africain, Cheikh Anta Diop n’a pas cessé de fasciner l’élite intellectuelle. Il est, pour les intellectuels noirs, une espèce de pôle, la référence exemplaire d’une quête à la fois historique, scientifique et idéologique. D’une part son obstination, son travail acharné, son honnêteté intellectuelle; et d’autre part, son refus du compromis, son incorruptibilité, son courage sans défaillance. (il faut savoir qu’on a offert à Anta Diop au moins dix chaires de professeurs, dans les universités africaines ou américaines; on lui a offert des situations de fonctionnaire grassement payé dans des organisations internationales; mais l’argent ne l’intéresse pas. Si la politique intéresse Anta Diop, le pouvoir lui-même ni les décorations ne lui semblent désirables. Et même dans les mauvais jours, quand il fut emprisonné, ou désigné comme « opposant à la solde de Moscou », il a toujours refusé de s’exiler).
Pour ceux qui traiterait Anta Diop de raciste, on pourrait dire de lui :  » Il vise à établir la vérité, la justice et la dignité pour l’africain et partant, pour tous les hommes « .

Texte tiré de « ANTHOLOGIE NEGRO-AFRICAINE (littérature de 1918 à 1981) » de LILYAN KESTELOOT.

Voici quelques passages tiré de son premier livre :

NATIONS NEGRES ET CULTURES (1956). Cheikh Anta Diop.

I) Témoignages des auteurs grecs.

Anta Diop se sert du témoignage d’Hérodote (484-425 av.J-C) pour insister sur le caractère noir des égyptiens. (passage pouvant être trouvé dans « La Pléiade » : L’ENQUETE D’HERODOTE sur les Egyptiens).

– Pour prouver que les crues du Nil ne peuvent pas être dues à une fonte des neiges, Hérodote donnera entre autres raisons qu’il croyait valables, la suivante, relative au pays d’Egypte :  » En troisième lieu, les hommes y ont la peau noire, en raison de la chaleur « (La Pléiade, page 150,  » paragraphe sur La crue du Nil »)

– Pour démontrer que les habitants de la Colchide (les Colches formaient un îlot de noirs parmi des populations blanches, près de la mer noire; l’auteur de la Pléiade reconnait également que l’existence d’une petite communauté de noirs a été noté à Abkhazia, près de Soukhoum; ils seraient alors les survivants des anciens Colchidiens, qui étaient peut-être d’origine africaine) étaient d’origine égyptienne, et qu’il fallait les considérer comme une fraction de l’armée de Sésostris (Sésostris Ier ou Sésostris III, Hérodote ne précise pas : il s’agit de pharaons de la 12ème dynastie-2000 à 1785 av.J-C environ) qui serait installée dans cette région, Hérodote dira :  » les Egyptiens, eux, m’ont dit qu’à leur avis les Colchidiens descendaient des troupes de Sésostris. Je l’avais conjecturé moi-même, pour la raison d’abord qu’ils ont la peau brune et les cheveux crépus  » ( dans ma version de la Pléiade, page 182, » paragraphe sur Sésostris » : « peau brune »; Anta Diop cite la traduction de Larcher : « peau noire »; ambiguité de la traduction).

– A propos des populations de L’Inde, Hérodote distingue les Indiens Padéens d’autres Indiens qu’il décrit de la fçon suivante :  » Ils sont tous de la même couleur et elle approche beaucoup de celle des Ethiopiens… mais noire comme leur peau et ressemble à celle des Ethiopiens  » (version de Larcher reprise par Anta Diop). Dans la version de la Pléiade « Tous les Indiens dont j’ai parlé s’accouplent en public, comme les bêtes, et ils ont tous la peau de la même couleur, assez semblables à celle des Ethiopiens. La semence de l’homme n’est pas blanche chez eux comme chez les autres peuples, mais noire comme leur teint; il en est d’ailleurs de même pour les Ethiopiens ». note du traducteur de la Pléiade sur cette phrase : » informations fantaisistes, sauf pour le teint fonçé qui est celui de la population d’origine dravidienne « (peuple qui s’établit dans l’Inde avant l’arrivée des Aryas ou Aryens. Aryens : grand rameau de la race blanche comprenant la majeure partie des populations de l’Europe et de l’Asie : parenté linguistique entre les Indo-Européens a été démontrée).
Note d’Anta Diop sur la phrase d’Hérodote, version de Larcher : Les Grecs étaient très sensibles aux nuances de couleur et les distinguaient bien là où elles existaient : les anciens distinguaient bien les nègres égyptiens et éthiopiens des sémites et des prétendues races rouges sombres : les Indous selon les modernes.

– Diodore de Sicile écrit dans  » Histoire Universelle  » :  » Les Ethiopiens disent que les Egyptiens sont une de leurs colonies qui fut menée en Egypte par Osiris. Ils prétendent même que ce pays n’était au commencement du monde qu’une mer, mais que le Nil entraînant dans ses crues beaucoup de limon d’Ethiopie, l’avait enfin comblé et en avait fait une partie du continent…ils ajoutent que les Egyptiens tiennent d’eux, comme de leurs auteurs et de leurs ancêtres, la plus grande partie de leurs lois; c’est d’eux qu’ils ont appris à honorer les lois comme des dieux et à ensevelir leurs morts avec tant de pompe; la sculpture et l’écriture ont pris naissance chez les Ethiopiens… Les Ethiopiens allèguent encore d’autres preuves de leur ancienneté sur les Egyptiens « .

L’opinion de tous les écrivains de l’Antiquité sur la race égyptienne est en quelque sorte résumé par Maspéro (« Histoire ancienne des peuples de l’Orient ») :
« Au témoignage presque unanime des historiens anciens, ils appartenaient à une race africaine », entendez : noire, « qui d’abord établie en Ethiopie, sur le Nil moyen, serait descendue graduellement vers la mer en suivant le cours du fleuve….D’autre part, la Bible affirme que Mizraim, fils de Cham, frère de Koush l’Ethiopien, et de Canaan, vint de Mésopotamie pour se fixer sur les bords du Nil avec ses enfants ».
D’après la Bible, l’Egypte était peuplée par la descendance de Cham, ancêtre des noirs (Genèse).
Mizraim désigne encore l’Egypte pour les peuples du Proche-Orient, Canaan, toute la côte de Palestine et Phénicie.

Que valent les témoignages d’Hérodote ?

Note en dehors du livre d’Anta Diop :
Dans le précis d’histoire Grecque, Claude Mossé (professeur d’histoire ancienne à l’Université de Paris-8) nous parle d’Hérodote en ces termes :
« Hérodote est d’emblée sur un plan historique mondiale et il refuse de prendre en considération ces époques trop éloignées si peu maîtrisable. Il n’énumère pas, il recherche les causes et les enchaînements; ce qu’il voit, ce qu’il entend, est plus digne de confiance que les maladroites tentatives de ses devanciers parce qu’il peut exercer directement son jugement. Ses descriptions des Barbares (Mèdes, Perses, Egyptiens…), toutes érronées qu’elles puissent être sur certains points, témoignent d’une grande finesse d’observation.
On a souvent reproché à Hérodote son côté brouillon, sa fascination pour l’anecdote et le merveilleux, chose qui agaçait tellement Thucydite, son successeur immédiat, son désir d’apparaître d’abord comme un poète, son amateurisme en tant qu’historien. Il est vrai qu’il n’a guère de méthode; il lui arrive même d’être partial. Son livre L’Enquête est une véritable première histoire du monde, riche, complète, inventive, bourrée de documentation inattendue ».

Reprenons l’oeuvre d’Anta Diop :

Les témoignages d’Hérodote ne sauraient être faux car ce sont des témoignages oculaires. Hérodote peut se tromper quand il rapporte les moeurs de tel ou tel peuple, quand il fait un raisonnement plus ou moins astucieux pour expliquer un phénomène incompréhensible à son époque, mais on lui accordera au moins d’être capable de se rendre compte de la couleur de la peau de gens qui habitent un pays qu’il a réellement visité. Hérodote sait également faire la part des choses : quand il rapporte une opinion qu’il ne partage pas, il a toujours soin de le souligner.

Pourquoi chercherait-on à discréditer un tel historien ?
On est obligé de constater que la raison profonde qui pousse à agir ainsi, est qu’Hérodote, après avoir rapporté son témoignage oculaire qui nous apprend que les égyptiens étaient des noirs, démontre ainsi, avec une rare honnetêté que la Grèce a pris à l’Egypte tous les éléments de sa civilisation, jusqu’au culte des Dieux, et que c’est l’Egypte qui est le berceau de la civilisation.

On pourrait objecter que, au 5ème siècle avant l’ère chrétienne, quand Hérodote visita l’Egypte, la civilisation égyptienne était déja vieille de plus de 10 000 ans et que la race qui l’avait crée n’était pas forcément la race noire que trouva Hérodote. Mais toute l’histoire de l’Egypte- comme nous allons le voir- montre que le métissage de la population primitive avec des éléments blancs nomades, conquérants ou commerçants, a été de plus en plus important au fur et à mesure qu’on approche de la fin de l’histoire égyptienne.

Selon M.de Paw (Recherches phylosophiques sur les Egyptiens et les Chinois, 1773), à la Basse Epoque (1090-333), l’Egypte était comme imbibée de colonies étrangères de races blanches : les Arabes à Coptos, les Lybiens à l’emplacement de la future Alexandrie, les Juifs aux environs de la cité d’Hercule (Avaris?), les Babyloniens au dessous de Memphis…… Psammétique I ( XXVIème dynastie, 663-609) porta à son comble cette invasion pacifique en confiant la défense de l’Egypte à des mercenaires grecs (historiquement vérifié).
A la suite de la conquète de l’Egypte par Alexandre (356-323av.J-C), sous les Ptolémées (Ptolémée Ier, général d’Alexandre, fonda la dynastie des Lagides, 360-283 av.J-C; puis vint Ptolémée II, roi d’Egypte; Ptolémée III et 4), le métissage entre Grecs blancs et Egyptiens noirs prend l’ampleur d’une politique d’assimilation :

 » Nulle part Dionysos (premier nom du Dieu grec Bacchos) n’a été plus choyé qu’auprès des Ptolémées qui reconnurent en son culte un moyen particulièrement efficace de favoriser l’assimilation des grecs conquérants et leur fusion avec les Egyptiens indigènes « (J.J Bachofen).

Tous ces faits démontrent que si le peuple égyptien était blanc à l’origine, il ne pouvait que le rester; si Hérodote l’a encore trouvé noir après tant de métissage avec des éléments blancs, il fallait qu’il fût essentiellement noir l’origine.

II) Témoignage de la Bible.

Que vaut le témoignage de la Bible ?

Pour répondre à cette question, il nous faut examiner la genèse du peuple juif.

Ceux qui allait devenir des Juifs entrèrent en Egypte, au nombre de 70 bergers incultes et craintifs, chassés de Palestine par la famine et attirés par le paradis terrestre qu’est la vallée du Nil. Grâce à Joseph, il furent d’abord bien accueillis. Selon la Bible, ils se seraient installés dans le pays Gozen et devinrent les bergers des troupeaux du Pharaon… Après la mort de Joseph et du Pharaon protecteur et devant la multiplication des Juifs, des réflexes naquirent chez les Egyptiens : la condition des Juifs deviendra de plus en plus difficile; ils étaient alors employés à des travaux de terrassement; ils auraient également servi de main-d’oeuvre pour la construction de la ville de Ramsès. Les Egyptiens auraient pris des mesures pour limiter le nombre des naissances et éliminer les enfants mâles, de peur que cette minorité ethnique ne se développe et constitue un danger national qui, en période de guerre, pourrait grossir le rang des adversaires. (voir dans la Bible : Ancien Testament : « Exode chap I, 7-14).
Ainsi commencèrent les premières persécutions dont le peuple juif restera marqué pendant toute son histoire (pogroms : massacres des Juifs). La minorité vivra désormais repliée sur elle-même, elle deviendra messianique par la souffrance et l’humiliation.
C’est dans ces circonstances qu’apparaîtra Moise, le premier prophète Juif, qui en élaborant l’histoire du peuple hébreu depuis ses origines, nous la présentera, rétrospectivement, sous un angle religieux. Moise vivait à l’époque de Tell-el-Amarna où Aménophès IV (Akhénaton, vers -1400) tenta de rénover le monothéisme égyptien primitif, qui s’estompait sous l’appareil sacerdotal et la corruption des prêtres.
Moise aurait été touché par cette réforme religieuse. Il s’est fait, à partir de ce moment, le champion du monothéisme dans le milieu Juif. Le monothéisme, dans toute son abstraction, existait déja en Egypte qui, elle-même, l’avait emprunté au Soudan Méroitique, Ethiopie des Anciens :  » Bien que Dieu suprême saisi selon la plus pure des visions monothéistes sous les traits du .. seul générateur dans le ciel et sur la terre et qui n’est point engendré…seul Dieu vivant en vérité…Celui qui s’engendre lui-même…qui existe depuis le commencement…a tout fait et n’a point été fait.. » (D.P de Pédrals, Archéologie de l’Afrique noire).
Dans l’atmosphère d’insécurité où se trouvait le peuple juif en Egypte, un Dieu prometteur de lendemains sûrs était le soutien moral irremplaçable.
Entré en Egypte au nombre de 70 bergers organisés en 12 familles patriarcales, nomades sans industrie, sans culture, le peuple juif en sort 400 ans plus tard (guidé par Moise), au nombre de 600 000, après y avoir puisé tous les éléments de sa tradition future et, en particulier, le monothéisme.
Si le peuple égyptien a tant fait souffrir le peuple juif comme le dit la Bible, et si le peuple égyptien est un peuple de noirs descendants de Cham comme le dit la même Bible, on ne peut plus ignorer, en dépit de la légende de Noé ivre, les causes historiques de la malédiction de Cham issue de la littérature juive en tièrement postérieure à cette période de persécution.
Aussi Moise dans la Genèse attribuera à l’Eternel s’adressant à Abraham en songe, les paroles suivantes (Genèse, XV, 13, page 21 de ma version) :  » Sache bien que ta descendance résidera dans un pays qu’elle ne possédera pas. On en fera des esclaves, qu’on opprimera pendant 400 ans « . Nous sommes ici à l’origine historique de la malédiction de Cham.

Si la version de la Bible est tant soi peu exacte, comment le peuple juif pourrait-il exempte de sang noir ? Pendant 400 ans, il serait passé de 70 individus à 600 000 environ au sein d’une nation noire qui l’a dominé pendant cette période. Si les caractères négroides des juifs sont moins accusés aujourd’hui, cela esr dû, vraisemblablement, à leur mélange avec des éléments européens, depuis leur dispersion. Ce n’est pas par hasard que la malédiction de Cham, père de Koush, Mizraim, Pouth et Canaan (Genèse, XX, 6, page 15 de ma version), ne porte que sur Canaan habitant du pays que les juifs ont convoité durant toute leur histoire.

Parenthèse que je fais pour mieux comprendre le passage précédent : Les trois fils de Noé furent Sem, Cham et Japhet. Ce sont eux qui sortirent de l’arche. Reprenons le témoignage de la Bible (Genèse, IX, 20,25, page 14) :  » Noé fut le premier agriculteur. Il planta une vigne et il en bu le vin, s’enivra et se trouva nu à l’intérieur de sa tente. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père et il en informa ses deux frères au-dehors. Sem et Japhet prirent la manteau de Noé qu’ils placèrent sur leurs épaules à tous deux et, marchant à reculons, ils couvrirent la nudité de leur père. Quand Noé, ayant cuvé son vin, sut ce qu’avait fait son plus jeune fils, il s’écria : Maudit soit Canaan, qu’il soit le dernier des serviteurs de ses frères « .
Sur certains points de ce passage, il est vrai qu’il est difficile de faire une approche historique objective, c’est la raison pour laquelle Anta Diop nous dit « en dépit de la légende de Noé ».

Reprenons Anta Diop.

D’où viendrait ce nom de Cham, où Moise l’aurait-il puisé ?
En Egypte même où il est né, a grandi et vieilli jusqu’à l’Exode. En effet, nous savons que les Egyptiens appelaient leur pays Kemit qui veut dire : noir, en langue égyptienne. L’interprétation selon laquelle Kemit désignerait la terre noire d’Egypte, et non le noir tout court et, par extension, la race noire et le pays des noirs, découle d’une imagination gratuite d’esprits qui sont conscients de ce qu’impliquerait une interprétation exacte de ce terme. Aussi est-il naturel de retrouver en hébreu : « Kam = chaleur, noir, brulé ».

Dès lors, toutes les contradictions apparentes s’estompent et la logique des faits apparaît dans toute sa nudité. Les habitants de l’Egypte symbolisés par leur couleur noire, Kemit = Cham de la Bible, seront maudits dans la littérature du peuple qu’ils ont opprimés. Nous voyons donc que cette malédiction biblique de la descendance de Cham a une toute autre origine que celle qu’on lui donne aujourd’hui ostentiblement et sans le moindre fondement historique. Ce que l’on arrive pas à comprendre, au contraire, c’est comment on a pu faire de Kemit = Chamite, noir, ébène…..une race blanche. (définition du dico : Chamite : Nom des peuples supposés issus de Cham, ancien Egyptiens, Berbères et Kabyles; Langues chamitiques = langues africaines).

Etude linguistique comparative : KEM. (en lisant ce paragraphe, on se rend compte à quel point l’auteur a poussé loin sa recherche).

– En Egyptien
Kem = noir, devenir noir, obscur; et par extension, bois précieux de couleur brune, ébène.
Kam = pierre précieuse brune.
Kem-t = l’Egypte
hem = noir, chaleur

– En Valaf (langue sénégalaise, parlé couramment par l’auteur)
hem = charbonner, s’emploie pour tout ce qui devient noir par dépassement du point de cuisson.

Or, pour passer du terme égyptien kem au mot valaf hem, il suffit de remplacer l’occlusive k par la spirante (consonnes se prononçant avec une sorte de souffle) gutturale h, ce qui est conforme à la loi générale de la phonétique évolutive selon laquelle les occlusives deviennent des spirantes par suite de la tendance au moindre effort. (consonnes occlusives : produites par occlusion (fermeture) du canal buccal : b,d,g,k,m,n,p,t).
On voit donc que le mot Kem-t qui est le nom de l’Egypte signifie : la Noire, le t final étant la marque du féminin égyptien, la Noire, dans le sens de pays des Noirs, descendants de KEM ancêtre biblique des hommes noirs, père de Mizraim, autre nom de l’Egypte encore usité de nos jours, par tous les Orientaux; de Kuch, ancêtre biblique des Ethiopiens; de Put, ancêtre biblique des noirs qui vivaient en Arabie, avant l’invasion des tribus de race blanche du 2ème millénaire dont la métissage avec les Noirs Addites devait donner naissance à ce que l’on appellera plus tard la 2ème branche sémitique, c’est à dire les Arabes; de Canaan, ancêtre biblique des Phéniciens, autre famille de Noirs, cousins des Egyptiens comme les habitants du pays de Pount, qui se métisseront à la même époque avec l’autre fraction de tribus indo-européennes, que symbolise Abraham, pour donner naissance à la première branche dite sémite, les Juifs.
Le terme KEM qui désigne l’ancêtre des égyptiens a été forcément emprunté par les Juifs lors de leur captivité en Egypte, aux Egyptiens eux-mêmes; le contraire est inconcevable. On comprend ainsi que, même dans la langue juive, le mot signifie encore noir, chaleur.

III) Naissance du mythe du Noir

L’Egypte avait déja, depuis un siècle, perdu son indépendance au moment où Hérodote la visita. Conquise par les Perses en – 525, elle ne cessa plus d’être dominés par les étrangers : après les Perses, ce furent les Macédoniens avec Alexandre, les Romains avec Jules César (-50), les Arabes au VIIème siècle, les Turcs au XVIème siècle, les Français avec Napoléon, puis les Anglais à la fin du XIXème siècle.
Berceau de la civilisation pendant 10 000 ans au moment où le reste du monde est plongé dans la barbarie, l’Egypte détruite par toutes ces occupations successives ne jouera plus aucun rôle sur le plan politique, mais n’en continuera pas moins pendant longtemps encore à initier les jeunes peuples méditerranéen (Grecs et Romains entre autres) aux lumières de la civilisation. Elle restera pendant toute l’antiquité la terre classique où les peuples méditerranéens viendront en pélerinage pour s’abreuver aux sources des connaissances scientifiques, religieuses, morales, sociales… les plus anciennes que les hommes aient acquises.

La répartition des Noirs sur le continent africain aurait connu deux phases principales. On admet communément qu’aux environs de – 7000, le dessèchement du Sahara était achevé. L’Afrique équatoriale était encore probablement une zone de forêts trop denses pour attirer les hommes. Aussi les derniers Noirs qui vivaient au Sahara l’auraient quitté pour émigrer vers le Haut-Nil, à l’exception peut-être de quelques îlots égarés sur le reste du continent, soit parce qu’ils ont émigré vers le Sud, soit parce qu’ils sont montés vers le Nord. Peut-être les premiers trouvèrent-ils dans la Haut-Nil une population nègre autochtone. Quoiqu’il en soit, c’est de l’adaptation progressive aux nouvelles conditions de vie que la nature a assignées à ces différentes populations nègres, que naîtra le plus ancien phénomène de civilisation que la terre ait connu. Pendant cette longue période, les Noirs ont pu se déssiminer progressivement vers l’intérieur du continent et constituer des noyaux qui deviendront des centres de civilisation continental. Ces civilisations africaines seront de plus en plus coupées du reste du monde; elles tendront à vivre en vase clos, par suite de l’énorme distance qui les sépare des voies d’accès à la Méditerranée. Quand l’Egypte aura perdu son indépendance, leur isolement sera complet.
Désormais coupés de la mère patrie envahie par l’étranger, repliés sur eux-mêmes dans un cadre géographique exigeant un moindre effort d’adaptation, bénéficiant de conditions économiques favorables, les Noirs s’orienteront vers le développement de leur organisation sociale, politique et morale, plutôt que vers une recherche scientifique spéculative que le milieu, non seulement ne justifiait pas, mais rendait impossible. Autant l’adaptation dans l’étroite vallée fertile du Nil exigeait une technique savante d’irrigation et de digues, des calculs précis pour prévoir les crues du Nil et en déduire les conséquences économiques et sociales, autant il était nécessaire matériellement d’inventer la géométrie pour délimiter les propriétés après les crues du Nil qui en effacaient les limites.
Les ressources économiques étant assurées par des moyens qui n’exigent pas d’inventions perpétuelles, le Noir se désintéressa progressivement du progrès matériel.

C’est sous ce nouvel état de civilisation que la rencontre se fera avec l’Europe. Au XV ème siècle, quand les premiers marins commerçants portugais, hollandais, anglais, français … commençèrent à établir des comptoirs sur la côte occidentale d’Afrique, l’organisation politique des Etats africains était égale-et souvent supérieur-à celle de leurs propres Etats respectifs. Les monarchies étaient déja constitutionnelles avec un conseil du peuple où les différentes couches sociales étaient représentés et le roi noir-contrairement à la légende-n’était pas un roi despote. (suite page 11)

Annexe sur la structure sociale et politique des Etats africains après la civilisation Egyptienne.

Essaimant par migrations successives de la Vallée du Nil, les Noirs allaient fonder des Etats autonomes à l’intérieur du continent. Les Noirs rencontrèrent alors de nouvelles conditions matérielles d’existence auxquelles ils durent s’adapter (les conditions de vie à l’intérieur du continent africain étaient effectivement très différentes de celles rencontrées en Egypte).
La société africaine est stratifiée en castes; celles-ci résultent d’une division du travail à l’époque pré-colonialiste. Par suite du morcellement politique, à cette époque, la fonction militaire était celle qui comportait le plus de risques, elle garantissait la sécurité collective : aussi, les guerriers sont-ils devenus rapidement une classe de nobles détenant le pouvoir, la force et la considération. Ne pouvaient travailler que les hommes de castes, c’est à dire ceux qui pratiquaient les différents métiers du temps : coordonnerie, orfèvrerie, tissage….
La caste n’est autre chose qu’une profession considérée dans ses rapports dialectiques avec la société : une profession avec l’ensemble des avantages et des inconvénients que comporte son exercice.
La stabilité interne du système de castes était due à différentes raisons dont la principale est le parfait équilibre des avantages et des inconvénients impliqués par l’appartenance à une caste. La profession était héréditaire; cela voulait dire, entre choses, que l’exercice d’une profession ne saurait être efficace si l’on ne relève pas de la caste correspondante; en particulier, on ne saurait guérir d’une maladie si l’on n’appartient pas à la famille de prêtres qui connait, de père en fils, les méthodes de guérison.
Les objets fabriqués n’étaient pas de luxe; ils étaient indispensables à la vie sociale : aussi l’homme de métier chomait-il rarement car la demande était supérieure à l’offre. Il était donc assuré de la protection du noble, tou en étant sur de manger à sa faim : contrairement à ce qui était la règle au temps de la féodalité occidentale, le noble ne pouvait exiger aucun tribut à l’homme de castes, sans s’abaisser. L’exploitation de l’homme de castes par le noble n’existait donc pas sur le plan matériel, mais sur le plan moral, si l’on peut dire : en effet, l’homme de castes (neno) devait abdiquer toute sa personnalité devant le noble (garmi) ou devant le ger (bourgeois en général).

En résumé, c’était la classse laborieuse qui pouvait accumuler toutes les richesses : elle ne pouvait donc pas être mécontente de son sort dans une telle société et le renversement du régime ne pouvait provenir d’elle. On a pu constater, plus d’une fois, que l’homme de castes ne changerait pas sa condition contre celle du ger. La haine de classe de l’ouvrier occidental lui est étrangère. L’exploitation matérielle est ici en sens inverse de l’Occident.
Aussi, avant la colonisation, ce sont les ger, privés de ressource, qui deviendront des hommes de métier dans les villes, rompant ainsi avec la tradition; d’autant plus facilement que les métiers introduits par l’Occident, étant données les conditions dans lesquelles ils sont pratiqués, échappent, en quelque sorte, à l’interdit de la tradition. Pour toutes ces raisons-entre autres- la classe des nobles tendra à disparaître, tandis que celle des travailleurs des castes se développera.
En Afrique Néo-Soudanaise, il existe un roi sacro-saint relevant d’une tradition dont l’origine se perd dans la nuit des temps, roi accepté par le peuple et considéré comme indispensable à l’accomplissement régulier des phénomènes naturels dont dépend la vie du peuple. Chaque membre de la collectivité trouve normal de remettre une fraction de sa récolte annuelle, de ses produits à un tel roi, afin qu’il vive et fasse vivre les siens et sa cour pour la prospérité de tous. Aussi longtemps qu’un tel roi gardait une conception sacrée de ses fonctions et qu’il les remplissait rituellement, le bénéfice matériel qui pouvait en résulter pour lui était légitime aux yeux du peuple car il ne saurait être considéré comme le fruit d’une exploitation.

Seul, un courant laïc, dans un tel système, pouvait engendrer une rupture d’où découlerait une transformation du régime. Mais l’existence d’une tradition religieuse, d’une cosmogonie expliquant l’univers entier et le pourquoi de chaque chose ne laissait pa sbeacoup de chances à l’apparition d’une pensée laïque : il faudra que celle-ci vienne de l’extérieur.

Les grandes distances désertiques, les multiples accidents géographiques ont constitué un obstacle permanent à de tels apports depuis que la patrie primitive, l’Egypte, ne pouvait plus rayonner librement à travers le continent, par suite de l’occupation étrangère : l’Egypte, comme le reste de l’Afrique plus tard, était déja une colonie romaine au IIIème siècle.
Si le roi abuse de ses puvoirs, devient injuste et ne protège plus les faibles, si le peuple est écrasé sous le poids d’une administration corrompue, il s’ensuit l’apparition d’une conscience de classe et le bouleversement du régime : c’est ce qui arriva en Egypte au temps de la VIème dynastie, lors de la révolution prolétarienne qui permit au peuple d’acquérir, entre autres égalités, celle devant la mort : il availt désormais le droit d’aller au ciel. comme le roi, après le jugement d’Osiris.
Des bouleversements analogues à celui-ci ont engendré des désordres et des émigrations de peuples et de familles entières de conditions sociales différentes. Telle est l’origine de la seconde catégorie de roi qui a régné en Afrique, particulièrement au dernier temps de l’indépendance du continent (c’est le roi émigré). Il n’est pas de droit divin, parce que l’on ne le connait pas : il vient d’arriver de l’extérieur et s’impose par la force à la faveur d’une anarchie intérieure ou d’un pouvoir faible. C’est le cas des 7 dynasties qui ont régné au Sénégal dans la Cayor-Baol.
Les prélèvements que pouvait faire une autorité sacro-sainte en période normale n’étaient en rien comparables à l’exploitation des serfs par la féodalité occidentale. Le travailleur africain n’avait rien d’une bête parquée; il a toujours bénéficié du fruit de son travail.
Le régime qui s’imposait dans de telles conditions était donc la monarchie constitutionnelle qui fut réalisé dès l’instauration des premières dynasties du Cayor. Le roi était assisté d’un conseil composé des représentants de chaque caste (coordonniers..), du représentant des hommes libres (premier ministre ou diaraf ndiambour), du représentant des esclaves (général d’armée ou diaraf bount) car l’armée était constituée essentiellement d’esclaves. Le roi était investi par le premier ministre, le représentant des hommes libres, dont ceux qu’on pourrair appeler les bourgeois. Tout son pouvoir reposait sur le prmier ministre et le général d’armée, sans lesquels il n’était rien : il était donc loin d’être un roi absolu (Rappelons qu’il s’agit du roi émigré).
Le roi devait réunir ce Conseil avant de prendre une décision importante. S’il agissait à l’encontre d’une décision du premier ministre, il n’était plus soutenu par le peuple : dans ce cas, il allait au devant d’une défection populaire à la première occasion, par exemple dès le retour d’exil d’un prince héritier d’une des sept dynasties rivales qui avaient également droit au trône du Cayor.

Avant l’installation de ces rois émigrés au Cayor-Baol, le pays était occupé par des propriétaires terriens sérères appelés lamann en valaf. Il signifie : bracelet, symbole de la transmission du pouvoir politique royal. Le mot toucouleur et peul lam toro = héritier de la région du Toro, ou chef.
Ces propriétaires terriens n’avaient rien de commun avec les seigneurs féodaux du Moyen Age occidental : ils ne saignaient pas à blanc les paysans qui cultivaient les terres.

Pour plus d’informations sur les systèmes de castes, systèmes politiques, empires africains.. consulter :  » L’Afrique pré-coloniale  » de Cheikh Anta Diop.

L’ordre social et moral était au même niveau de perfection qu’en Europe lors des colonisations. Par contre, le développement technique était moins accentué qu’en Europe.

Le 24 Septembre 1994, RESUME pour la suite de ce premier livre.

Le Noir, bien qu’il eût été le premier à découvrir le feu n’avait pas construit de canon : le secret de la poudre n’était connu que des prêtres égyptiens, qui ne l’utilisaient qu’à des usages religieux au cours des Mystères d’Osiris.
L’essor économique de l’Europe de la Renaissance poussa donc à la conquète de l’Afrique qui se fit rapidement.C’est au début de cette période que l’Amérique fut découverte par Christophe Colomb : la mise en valeur des terres vierges nécessita une main d’oeuvre à bon marché. La traite moderne des esclaves noirs devint alors une nécesssité économique avant l’apparition de la machine. Elle durera jusqu’au milieu du XIXème siècle. Au Moyen Age, le souvenir d’une Egypte noire ayant civilisé la terre s’était estompé par suite de l’oubli de la tradition antique cachée dans les bibliothèques ou ensevelie dans les ruines.
L’ignorance de l’histoire antique des Noirs, les différences de moeurs et de coutumes, les préjugés ethniques entre les deux races, jointes aux nécessités économiques d’exploitation, tant de facteurs prédisposaient l’esprit de l’Européen à fausser complétement la personnalité morale du Noir et des ses aptitudes intellectuelles.
Noir devient désormais le synonyme d’être primitif, inférieur, doué d’une mentalité pré-logique.
Définition du dictionnaire de 1905 « Larousse » : Nègre, négresse : homme, femme à peau noire. C’est le nom spécialement donné aux habitants de certaines contrées d’Afrique…qui forment une race d’hommes noirs inférieure en intelligence à la race blanche dite caucasienne.
Comble de cynisme : on présentera la colonisation comme un devoir d’humanité, en invoquant la mission civilisatrice de l’Occident auquel incombe la charge d’élever l’Africain au niveau des autres hommes. Désormais, le capitalisme est à l’aise.
Tout au plus reconnaitra-t’on au Noir des dons artistiques liés à sa sensibilité d’animal inférieur.

François Gobineau, précurseur de la phylosophie des nazis qui, dans son livre « De l’inégalité des races humaines », décrète que le sens de l’art est inséparable du sang des Noirs : il réduit l’art à une manifestation inférieure de la nature humaine (comme le sens du rythme).
Léopold Sédar Senghor, intellectuel noir écrit « L’émotion est nègre et la raison héllène ». Il s’agit d’un homme victime d’alliénation culturelle.
A partir de l’esclavage récent, on s’est éfforcé de constriure, en dépit de toute vérité historique, la légende selon laquelle le Noir a toujours été réduit en esclavage par les races blanches supérieures avec lesquelles il a vécu, ce qui permet de justifier aisément la présence de Noirs en Egypte ou en Mésopotamie, ou en Arabie, dès la plus haute antiquité, en décrétant qu’ils étaient esclaves.
Cheikh Anta Diop cite « VOLNEY »(voyage en Egypte et en Syrie, par C-F Volney, Paris, 1787) qui, après être imbu de tous les préjugés dont nous venons de parler à l’égard du Noir, s’est rendu en Egypte entre 1783 et 1785. Il décrit les Egyptiens comme ayant les traits de Noirs, sans aucune contestation. Volney cite également le passage d’Hérodote sur les Colches et reconnait qu’après avoir été mélangé avec les Grecs et les Romains, il est remarquable que les Egyptiens aient gardé l’empreinte des Noirs(passage page 58 très intéressant)

IV) Falsification moderne de l’histoire.

Les conclusions de Volney auraient dû rendre impossible l’invention ultérieure d’une hypothétique race blanche pharaonique qui aurait importé d’Asie la civilisation égyptienne au début de la période historique.
(Pour Anta Diop, la race jaune serait le résultat d’un croisement de noirs et de blancs à une époque très ancienne de l’histoire de l’humanité. Les jaunes ont, en effet, la pigmentation des métis, tant et si bien qu’une analyse biochimique comparative ne pourrait révéler une grande différence de quantité de mélanine. L’étude systématique des groupes sanguins des métis n’a pas été faite jusqu’ici. Les traits ethniques des jaunes : lèvres, nez, prognathisme, sont ceux d’un métis.Leur faciès (pommettes saillantes, paupières bouffies, pli mongolique, yeux obliques) pourrait n’être que le résultat de l’effet millénaire d’un climat à vents froids sur la figure. La crispation du visage sous l’effet du vent suffirait à expliquer les pommettes saillantes et les paupières bouffies qui constituent deux traits ethniques corrélatifs. Le vent qui frappe la figure par un temps froid ne peut s’échapper par le coin de l’oeil que suivant une résultante oblique ascendante, par suite de l’échauffement des molécules d’air. Cette force mécanique produirait à la longue une déformation de l’oeil dans le même sens.
On sait d’autre part que ces traits mongoliques s’altèrent, du Nord au Sud de l’Asie, suivant en quelque sorte une courbe climatique. On constate que partout où il y a des Jaunes, on retrouve encore des îlots de noirs et de blancs qui semblent être des éléments constitutifs résiduels de la race. C’est le cas dans toute l’Asie du Sud-Est : les Moïs dans les montagnes du Viet-Namoù l’on trouve curieusement les noms de Kha, de Thaï et Cham : les Negritos et Aïnous au Japon…).

En 1799, Bonaparte entreprend la campagne d’Egypte. Les hiéroglyphes sont déchiffrés par Champollion le Jeune, qui mourut en 1832, laissant une grammaire égyptienne et une série de lettres addressées à son frère Champollion Figeac, pendant son voyage en Egypte.
Anta Diop cite une lettre écrite par Champollion Le Jeune : « Les hommes guidés par le pasteur des peuplles, Horus, appartiennent à quatre fmailles bien distinctes. Le premier, le plus voisin du Dieu, est de couleur rouge-sombre, taille bien proportionnée, physionomie douce, nez légèrement aquilin, longue chevelure nattée, vétu de blanc; les légendes désignent cette espèce sous le nom de Rôt-en-ne-Rôme, la race des hommes, c’est à dire les Egyptiens. Il ne peut y avoir aucune incertitude sur la race de celui qui vient après; il appartient à la race des noirs, qui sont désignés sous le nom général de Nahasi.

Source : Afrique pluriel