LES DOSSIERS

Le mépris des valeurs sociales

par Ablam Ahadji

Le mépris des valeurs sociales

Déconstruction de la famille par le politique

Des « jeunes » dans les rues, un gouvernement désemparé, le cow-boy de service fait ses déclarations sur la régulation de l’immigration, sélective… Ordre public, force publique et liberté individuelle, les cadres classiques d’une société organisée sont brisés au profit d’une construction nouvelle, plus directive mais totalement inefficace sur le long terme.

La famille est la première cellule sociale, nous apprend-on en classe de philosophie. Le modèle franco-européen nous enseigne aujourd’hui que le groupe de CRS se substitue à cette famille dans l’éducation des fils et filles de la nation.

De la négation de l’autorité familiale

Toujours en classe de philosophie: Nietzsche pose de façon extrêmement claire l’évolution vers un degré d’être plus élevé, un mode qui ne peut être atteint que dans la mesure où le degré inférieur, le mode d’être inférieur, est abandonné. Pour son évolution, dans son désir, sa « volonté de puissance », cet être inférieur a besoin d’un repère, d’une référence.

L’enfant prend longtemps comme modèle le père, cet être fort et courageux, ce héros qui se bat pour la survie de la famille.

Mais on assiste malheureusement dans les sociétés occidentales modernes à une rupture du sens par la répression sauvage du père ou de la mère, la négation de son autorité par l’État moderne. Les parents ne sont plus maîtres chez eux. Le phénomène s’intensifie dans les banlieues et les HLM où la forte promiscuité enlève au parent toute intimité, tout pouvoir. Dans ces sociétés fortement policières et réglementées, le fils assiste doucement à la déchéance du père; il voit plus rapidement disparaître son surhomme.

L’enfant est l’égal de son père quand il va le retrouver dans les longue files de l’ANPE (France), du FOREM ou du CPAS (Belgique). Il en vient à détester ce père faible qui se déchire les mains sur les barbelés de Ceuta pour venir se « prostituer » dans la Métropole. Il devient son maître ou son supérieur lorsqu’il équipe la maison en électronique « tombée du camion ». Le jeune devient le chef de famille; il apprend à son père à défendre et à revendiquer ses droits. Grandi trop vite, il a besoin d’un nouveau repère, une nouvelle référence. Dans le schéma classique, il se retourne alors vers un référent spirituel ou un dieu…

Le déplacement des rôles

Ce rôle de régulation ainsi retiré au père fut pendant longtemps assumé par le pouvoir religieux. Mais le « 11 septembre », la naissance du « nouveau terrorisme » entièrement plaqué à l’islam finira de briser les tabous. Partout dans le monde, les chefs de l’islam, les imam sont traqués et humiliés. Les guides musulmans sont accusés, déchus, humiliés. Les images de Guantanamo avec ces prisonniers en prière, les chaînes aux pieds ont fait le tour du monde, désacralisant l’acte. Le bouquet: les CRS violent ces lieux saints pour asseoir leur pouvoir; le 31 octobre dernier, une grenade touche une mosquée à Clichy.

Dans les familles africaines, cette fonction de référent était assurée par les anciens ou les sages de la communauté. Dans l’Occident moderne, on apprend que l’âge et l’expérience ne sont pas des valeurs de référence. Même à 67 ans, on est passé à tabac par un policier; on est brûlé sans émotion ou évacué d’un immeuble insalubre. On est maltraité par un policier de 18 ans parce qu’on n’a pas ses « papiers », devant un fils ou un petit-fils qui, lui, a le « droit du sol ».

Le surhomme de la cité devient alors le mac ou le fournisseur, le seul à posséder les armes, les papiers et la finance. Il est souvent jeune, mineur d’âge et se rit des autorités; les lois sont faites pour le protéger dans son « innocence » et sa fragilité. Autrefois verticale, la régulation tend aujourd’hui à devenir horizontale, par la force des choses.

En Belgique, on se propose même d’exporter ce modèle social avec ses ratés: le ministre belge à la coopération veut envoyer les jeunes de 20 ans en « aide » aux pays en développement… Tout un programme.

Le bricolage d’État comme mode de gouvernance

La politique n’est plus un question de compétence; nous traversons l’ère du reality show; les médias font et défont le pouvoir. Les ministres, maires et échevins s’improvisent cow-boy ou pionniers, acteurs du petit écran. Des intimités violées, des familles brisées au nom de la sacro sainte « intégration », contre un danger réel ou imaginé. J’ai comme l’impression qu’il faut à tous les prix « justifier » un poste comme le ministère de la cohésion sociale; pour cela il faut un sujet d’étude. Et dans leur absolue suffisance, ces responsables politiques s’appuient sur la force, la médiation avec des acteurs salariés qui opèrent 8h par jour.

Les sommets sont atteints avec la convocation des « jeunes » par le premier ministre de la France, promu Sociologue d’État. On tombe alors dans le populisme abject, ridicule et destructeur pour une validation du pouvoir du gouvernement; et le jeune, alors instrumentalisé est consacré définitivement nouvel être suprême dans son quartier. Le jeune ou l’immigré n’est plus une simple tête de turc, il devient un escabeau; il ne reste plus qu’à créer un ministère de la jeunesse et de la « racaille » occupé par un jeune rappeur de banlieue. Les parents sont toujours exclus du débat; on ne pense pas les associer.

Le cas du continent africain est assez criant à cet égard: des chanteurs et footballeurs noirs sont nommés pour siéger à la fameuse « Commission pour l’Afrique » initié par T.Blair. On insiste sur la réussite des jeunes, on braque les projecteurs sur les « réussites » des cités; on en oublie encore les parents, premier vecteurs d’une autorité réelle. Si les parents tentent de se regouper pour défendre leurs droits, on les taxe de communautarisme. Le mal est profond, trop profond. Aujourd’hui Paris, et demain l’Europe?

Terrorisme subit et providentialisme d’état

Et soudain, le 11 septembre…

Les événements récents et les appels de groupes extrémistes comme Al Qaida, Daesh et Boko Haram vont achever ce tableau macabre avec l’octroi de tous les droits à la police, à la gendarmerie, à l’armée et à l’État. L’Europe dénonce aujourd’hui, dans de petits salons feutrés, les dérives autoritaires en Turquie. Si personne n’ose prendre le micro pour crier fort son désaccord, c’est parce qu’on s’est tous tu devant les rêves de karsherisation en France, devant les 4 possibles mandats de la famille Clinton eaux USA, face à la gouvernance familiale en Belgique…

On parle de purge indécente de l’institution juridique et des médias en Turquie; qui s’inquiète de la purge permanente opérée dans la cellule familiale? Le 15 octobre 2015 un père qui avait donné une fessée déculottée à son fils de 9 ans (pour son refus de lui dire bonjour), a été condamné à 500 euros d’amende avec sursis, et 150 euros pour la mère de l’enfant [1]. Et demain, on reprochera à ce même père l’éducation ratée de son fils qui se serait entretemps « radicalisé »…

Il y a franchement de quoi s’esclaffer devant des déclarations intempestives des dirigeants et ordonnanceurs de ce nouveau désordre. François Hollande criait le 22 juillet 2016: « La politique s’affaiblit, la démocratie se réduit » [2]. Il reste dans sa logique en parlant de la nécessité de sauver le politique; il parle du citoyen, du père de famille comme un simple électeur, déshumanisé. Nous sommes très loin et nous nous éloignons chaque jour un peu plus de ce fameux contrat social tant vanté par Rousseau [3] et le siècle des lumières. S’il existait un contrat entre le citoyen et ses représentants, la famille restait elle-aussi liée par une convention. Le chef est l’image du père, le peuple est l’image des enfants, et tous étant nés égaux et libres n’aliènent leur liberté que pour leur utilité. Toute la différence est que, dans la famille, l’amour du père pour ses enfants le paye des soins qu’il leur rend, et que, dans l’État, le plaisir de commander supplée à cet amour que le chef n’a pas pour ses peuples [4].

Mais Rousseau avait déjà conscience en son temps que la perfection du régime démocratique relevait d’un idéal politique : “S’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes […] Il n’a jamais existé de véritable démocratie et il n’en existera jamais”.

Et demain l’Afrique?

Dans une Afrique hybride et totalement bananiérisée, le colon roi est aujourd’hui remplacé par l’uniforme (héritage des métropoles). Le militaire ou le policier en tenue, même dépourvu de galons, exige son titre de « patron » ou de « chef ». Il est fréquent de voir des pères de famille (civils) s’essayer au salut militaire pour marquer le respect. La place des armes dans le politique en Afrique subsaharienne a fait l’objet de nombreuses études durant les trois décennies d’autoritarisme et de coups d’État qui ont secoué le continent après les indépendances des années 60. Après les vagues de démocratisation des années 90, le pouvoir militaire demeure dans la majorité des pays l’unique cadre de référence pour les 3 pouvoirs d’Etat et pour le citoyen.

Dans certains villages d’Afrique où l’autorité se concentrait autour de la famille et du chef traditionnel, on a défait les règles pour imposer des « choisis » du pouvoir central. Les syndicats d’états et leurs délégués se retrouvent assez régulièrement lors de séances de travail ou de messes du parti au pouvoir. On assiste à une rupture progressive du lien avec la base, celle que Rousseau appelait si pompeusement « le citoyen ».

En réalité, il n’y a plus de contrat en Afrique, sinon celui pré-rempli par le pouvoir fort. En Afrique, plus qu’ailleurs, le caractère apolitique des militaires reste très théorique [5]. L’État, en Afrique, a droit de vie et de mort sur le membre de la famille. Dans certaines milieux le père ou la mère est emprisonné(e) sur dénonciation du fils. Bienvenue au temps béni des Goulags. Par voie transitive, quand on voit la soumission du père africain au pouvoir militaire et celle du militaire à la Métropole, on comprend que l’Europe n’a pas de compte à rendre pour les morts de la méditerranée…

La solution?

Il conviendrait de replacer les parents au centre de l’autorité, dans la petite cellule familiale, première forme de société. C’est peut-être encore possible, même s’il est vrai que EUX n’ont pas fait reglesl’ENA. Un père, une mère, n’est pas une fonction salariée; il ne regarde pas sa montre, il exerce son activité bénévolement, 24h par jour et sans droit de grève.

Facile à dire, certes; mais qui, mieux qu’un père, une mère saura guider son fils ou sa fille sur le droit chemin? Il a beau passer 10 fois à la télévision et s’instruire au langage des cités ou aux stratégies de l’EI, un ministre de l’intérieur ne sera jamais le père de ce qu’il nomme tendrement sa « racaille »…

Il ne sera jamais mon père. Ont-ils jamais été père? Quel père de famille oserait confier l’éducation de ses enfants à la matraque du CRS?

première publication le 5 novembre 2005
modifié le 10 août 2016

Gustav Ahadji


1. Source: Metronews

2. Source: FranceTV

3. Le Contrat Social de Rousseau, dont le titre complet est Du contrat social ou Principes du droit politique (1762) est une analyse de la relation contractuelle pour tout gouvernement légitime, de telle sorte que soient articulés les principes de justice et d’utilité, afin de concilier l’aspiration au bonheur avec la soumission à l’intérêt général. Il s’agit de l’ouvrage majeur de Jean-Jacques Rousseau, au coeur de sa philosophie.

4. Jean-Jacques Rousseau, Le Contrat social, 1762

5. YANNOPOULOS T. et MARTIN D.C., « Régimes militaires et classes sociales en Afrique noire », Revue Française de Science Politique, Août 1972, p. 847-882.