par Yves Ekoué Amaïzo
La crise financière « chicote » l’Afrique
La question n’est pas de savoir si la crise financière va « chicoter » l’Afrique mais plutôt quand est-ce qu’elle va frapper, qui et surtout quelle en sera la magnitude. Après la crise alimentaire, la crise énergétique et maintenant la crise financière, c’est bien le mode de création de la richesse et donc du capitalisme proposé par les tenants de l’ultralibéralisme qui est en cause. La crise du crédit, l’impunité des opérateurs, la socialisation des pertes et la nationalisation en imposant un nouveau crédit aux contribuables sont quelques uns des nouveaux critères de gestion que l’Afrique connaît bien avec des résultats qui ne sont pas souvent à son honneur.
1. L’Afrique sans initiative
L’Afrique servant presque toujours de variable d’ajustement, il serait étonnant que ce phénomène n’ait pas lieu à nouveau. Comme il s’agit de transfert de richesses, la crise financière risque d’augmenter la dépendance économique des États africains et surtout la capacité de nombreux dirigeants politiques et économiques parmi les moins indépendants à accepter de ne trouver une solution à leur problème qu’après que les pays influents aient apporté la solution chez eux. Le problème, c’est qu’il est question de savoir si les richesses africaines ne pourraient pas servir indirectement et partiellement à compenser ou tout au moins servir de soupapes à la globalisation des erreurs de gestion des experts de la finance.
L’assèchement des sources de financement des pays de l’OCDE risque de se matérialiser malgré les promesses de l’Union européenne d’atteindre d’ici 2015 les 0,7% de Produit intérieur brut promis depuis les années 1960 aux pays en développement. Cela devrait permettre à l’Afrique de mieux profiter des financements disponibles auprès d’autres pays comme la Russie et certains pays émergents, notamment la Chine, l’Inde, le Brésil et le Venezuela, etc. Encore faut-il que ces nouveaux endettements soient investis dans les capacités productives et l’infrastructure de bien-être et de communication et non dans la corruption. En réalité, l’attentisme de la plupart des autorités africaines est souvent lié à une part d’absence de prévisibilité et la certitude que l’Afrique ne fonctionnant essentiellement que sur l’économie « réelle » ne devrait pas être touchée. C’est cela qui explique les commentaires de certains chefs d’État africains qui rappellent à qui veut bien l’entendre « que devons nous faire? » Pour beaucoup, la solution ne peut être africaine mais globale. Les décideurs africains se privent ainsi d’une possibilité de lancer des initiatives ou tout au moins de venir avec des propositions sérieuses sur la réorganisation de l’architecture financière et monétaire internationale. Pour les États-unis, la priorité est de sauver leur économie et de se protéger contre le terrorisme. Les considérations mondiales ne viennent qu’en appui à ce positionnement. Les Africains doivent en être conscients.
2. L’Union européenne : risque de révision des promesses
Plus de trois trimestres avec une croissance négative en Europe risque d’ouvrir la voie à une récession. Le plan de sauvetage ne sera pas européen au sein d’un fond commun permettant de financer les erreurs des autres mais bien un plan national par pays. Il ne s’agit pas d’interdépendance mais bien d’inter-indépendance pour éviter que l’argent des contribuables européens ne vienne indirectement sauver ceux des dirigeants économiques européens qui ont accumulé des créances irrécouvrables auprès de certaines institutions financières. Le système européen étant plus regardant sur le respect des règles prudentielles, la crise en Europe sera limitée et les mesures restrictives sur les agissements sans contrôle au niveau des bourses de valeurs mobilières risquent de stabiliser la crise en Europe. Les promesses de l’Union européenne d’aider financièrement l’Afrique pour compenser les pertes liées à la crise alimentaire risquent de ne pas se matérialiser. L’Afrique devra jeûner un peu plus.
Les accords de partenariat économiques (APE) n’arrivent pas à redécoller sous la présidence française suite à l’absence de suivi par les autorités françaises à la proposition de Mme la députée française de Guyane Mme Taubira. Il faut aussi craindre que les « règles inéquitables du commerce », inscrites dans les APE, ne seront pas compensées par un supplément de financement qui viendrait se substituer à cet état de fait. Une grande majorité de dirigeants africains ont pourtant déjà signé des accords bilatéraux pour continuer à exporter leurs matières premières vers l’Europe, réduisant d’autant leur chance d’aboutir à une position commune africaine qui aurait permis une véritable négociation.
3. Guinée : liberté, pauvreté et crise financière
Ce sont donc des effets collatéraux de la crise que va subir l’Afrique. Pour l’Africain moyen, c’est la pauvreté et l’absence d’espérance qui risquent de lui être proposé avec des feux d’artifices comme cela s’est fait en Guinée lors de la fête du cinquantenaire de l’indépendance de ce pays. Cela remet en cause les fondements de la phrase célèbre du feu Président Sékou Touré à savoir « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage » et la réponse du Général et Président français De Gaulle : »Puisqu’ils veulent l’indépendance, eh bien qu’ils la prennent, mais ils n’auront plus un sou « . Face à des initiatives d’autonomie de l’Afrique, c’est souvent la réponse de l’assèchement des ressources financières qui est brandie. L’histoire risque donc de se répéter avec la crise financière sauf que cette fois pour l’Afrique, cela sera présenté comme une force majeure, une fatalité pour parler « africain ».
Pourtant aujourd’hui, ce n’est plus vraiment l’indépendance juridique de l’Afrique qui pose problème, mais bien l’indépendance économique que la succession de crises qu’a connu l’Afrique (alimentaire, énergétique, sanitaire et financière) risque de retarder singulièrement, non sans une certaine satisfaction outre-mer. Le problème avec cette phrase emblématique du Président Sékou Touré est qu’aucun pays africain n’est vraiment dans l’opulence, ni vraiment dans l’esclavage. La réussite des injections massives de financement par les États-Unis en Corée du Sud et la réussite économique qui s’en est suivie, non sans l’acharnement au travail des Coréens du sud, ne se sont pas concrétisées en Afrique dans la période post-colonie. Les solutions ne peuvent donc plus se décliner au plan de l’orgueil et la fierté de l’indépendance mais bien au plan concret de l’amélioration des conditions de vie de tout un chacun.
Il vaut mieux se focaliser sur la recherche de la liberté, de la démocratie et de la création de richesses endogènes à partir des capacités productives et satisfaire des marchés de proximité et régionaux que de continuer à croire à des grandes phrases immortalisées dans l’histoire qui n’arrivent pas à effacer de la mémoire de Guinéens et des Africains les périodes de dictature et d’atteinte graves aux droits humains qui ont suivi la gouvernance de Sékou Touré. Il faut d’ailleurs s’étonner de la vision de la pauvreté pour la Guinée qui animait Sékou Touré… Au demeurant, il aurait pu souhaiter de la richesse pour l’ensemble de la population guinéenne… et par extension africaine. Il y avait donc bien une véritable contradiction dans les luttes menées par certains des pères de l’indépendance africaine avec les objectifs d’un transfert de bien-être à l’ensemble de la population. Au contraire, ces contradictions ont ouvert la porte à une sélectivité dans le choix de ceux à qui cela devait profiter. Cette sélectivité s’est faite sur la base de l’allégeance au pouvoir en place.
En filigrane et paradoxalement, il est étonnant que les résultats obtenus par Sékou Touré pour la Guinée sur le plan de l’amélioration des conditions de vie de la population et le système de gouvernance qu’il a laissé en héritage aient finalement répondu aux attentes de la puissance coloniale. La « liberté » en Guinée à l’époque était liée au niveau d’allégeance au pouvoir, ce qui n’est rien d’autre qu’une nouvelle forme de l’esclavage. Mais comparant le blocage de la création et le partage des multiples richesses de ce pays depuis plus de cinq décennies par les différents responsables, la crise financière américaine et ses effets sur la Guinée apparaissent comme marginaux. Plus globalement sur le continent, ne pourrait-on pas voir là une autre forme de crise financière, celle qui ne permet pas la mise en valeur de l’économie réelle au profit de l’ensemble de la population ?
Pour éviter qu’il n’y ait de quiproquo, il convient de rappeler que l’Africain préfère la liberté dans la richesse et ne doit pas se satisfaire des réductionnismes trompeurs sur la pauvreté.
4. Les Nations Unies touchées par la crise financière
La crise financière a dominé les débats lors du la 63e session de l’Assemblée générale des Nations Unies (septembre 2008 à New York) où l’Organisation des Nations Unies par la voix du secrétaire général Ban Ki Moon a reconnu que cette crise aux motivations nouvelles risque de neutraliser l’essentiel du travail effectué par les Nations Unies. Pour éviter les accusations directes des Etats-Unis, de nombreuses délégations ont préféré parler de crise globale et ont demandé que des solutions globales soient trouvées au travers d’actions collectives. Il s’agirait de remettre en selle la refonte de l’architecture financière globale qui, si elle n’avait pas été rangée dans les placards des grandes puissances, aurait permis au moins de prévenir cette crise, d’identifier et de sanctionner les responsables et d’apporter des mesures correctives bien plus tôt. Le Fond monétaire international ne semble pas non plus avoir pu prévenir le phénomène. En lui permettant de retrouver sa fonction première de conseil et de garant du bon fonctionnement du système monétaire international, les Etats qui ont de l’influence pourront ouvrir la voie à une refonte globale tant des Nations Unies que du FMI et de la Banque mondiale sur la base de la subsidiarité régionale. L’Afrique y gagnerait en représentativité et certainement en crédibilité.
Les Nations Unies, avec les objectifs du millénaire pour le développement (OMD), se sont fixé de réduire de moitié l’extrême pauvreté d’ici à 2015 ; ces objectifs devront certainement être révisés à la baisse ou la date d’évaluation des résultats obtenus repoussée dans le futur pour éviter aux Nations Unies d’être blâmées. En réalité, c’est tout le concept qui doit être revisité car le manque d’engagement des Etats donateurs et le manque de lucidité de certains dirigeants africains dans les arbitrages économiques sont tout aussi condamnables que l’absence de capacités productives lesquelles ont été volontairement oubliées dans les OMD. Les dirigeants africains qui sont les plus concernés n’ont pas compris qu’il fallait faire des propositions pragmatiques en faveur de la création de richesse qui favoriserait l’économie de proximité. Mais à force de tenir un langage diplomatique que tout va toujours bien ou est en passe de l’être, les repères sont de plus en plus flous quant ils ne sont pas perdus ou oubliés.
5. La chicote financière fait mal aux Africains, mais pas à tous
Avec une croissance mondiale qui va ralentir, la croissance africaine estimée autour de 5% pour 2008 risque aussi d’être freinée et de stagner. Les promesses d’investissement, de financement et d’aide au développement de la part des structures publiques américaines et européennes risquent d’être réduites à la baisse sinon purement supprimées. Cela risque de toucher principalement les banques de développement notamment celles qui opèrent en Afrique. En effet, avec le manque à gagner en Occident, plusieurs des pays donateurs risquent de réduire leurs contributions et en conséquence, une structure comme la banque africaine de développement ou ses consœurs sous-régionales pourraient voir les apports de fonds se rétrécir. Certains projets non productifs ou indirectement rentables comme les écoles ou les hôpitaux risquent de ne pas voir le jour…
En Afrique, les investisseurs étrangers directs (IED) seront plus sélectifs et choisiront de mettre l’accent sur l’économie réelle. L’IED qui va vers l’Afrique a progressé pour atteindre 53 milliards de $ US en 2007 mais ne représente que 3 % dans la part mondiale. Les conséquences de la crise financière actuelle devraient conduire, d’après la CNUCED , à estimer les flux d’IED en 2008 autour de 1.600 milliards de $ US, soit une baisse de 10 % par rapport à 2007. Cela signifie que la marge de manœuvre de certains États africains, encore trop dépendants des anciennes métropoles coloniales, risque de diminuer. Certains États ne pourront pas diversifier la commercialisation de leurs matières premières, source principale de leurs recettes. A ce titre, il faut s’interroger sur la marge de manœuvre d’un pays comme le Niger qui est fournisseur d’uranium alors que les accords que viennent de signer la France et l’Inde stipulent que la fourniture de la matière première fait partie intégrante du contrat de livraison de centrales atomiques par la France pour un usage civil en Inde.
Bref, la plupart des pays à revenus faibles africains, tous très faiblement industrialisés, risquent de subir des injonctions plus directes en provenance des créanciers traditionnels, ce qui ne manquera pas d’avoir des implications directes sur les arbitrages dans la gouvernance de leur économie nationale. Les pays exportateurs et ayant placé leurs avoirs dans des « titres pourris » risquent d’en payer le prix. Les adeptes du placement de l’argent de la corruption à l’étranger pourraient avoir perdu une grande partie de leur argent. Mais nul n’en saura rien. Par contre, cela pourra relancer la « rentabilité » des fonds vautours .
Les institutions financières africaines, notamment les succursales des banques étrangères en Afrique ou celles qui dépendent des banques étrangères pour gérer leur avoirs excédentaires, devraient se méfier des arbitrages à venir dans leurs siège respectifs car il n’est pas impossible que les holdings leur demandent de sacrifier leurs bénéfices provenant des bonnes opérations effectuées sur le sol africain pour compenser les erreurs de placement dans les actifs « irrécouvrables » ou « pourris » ailleurs dans le monde. Comme l’Afrique tergiverse pour créer son fond monétaire africain, sa propre banque centrale africaine et une véritable banque d’investissement africaine, les payeurs en dernier ressort des crises successives restent les populations ou alors les grandes institutions de financement du développement, et à travers eux les pays qui contrôlent le conseil d’administration de ces dernières. Bref, l’Afrique des dirigeants ne contrôle rien.
6. Économie immatérielle: Wall Street frappe l’Afrique indirectement
Oui, sans aucune faute des Africains, la gestion irresponsable des boursicoteurs de la bourse de valeurs mobilières Wall Street et tenants de l’économie de l’immatériel est en train de témoigner à la face du monde que les politiques économiques poursuivies par les tenants de l’ultralibéralisme sont dangereuses pour l’économie américaine. Comme ce qui est dangereux pour l’économie américaine est mauvais pour le monde et la globalisation, est-ce à dire que la crise financière est dangereuse pour le monde ? Oui, si le monde a cru à cette bulle et y a activement participé. Non, si le monde non seulement n’y a pas cru, mais s’est préparé à neutraliser les effets collatéraux. Les pays asiatiques, vaccinés par leur dernière crise financière, sont restés bien prudents et sont les premiers notamment la Chine et l’Inde à amortir assez facilement le choc provoqué par les États Unis. En Afrique, la plus grande bourse de valeurs en Afrique du sud semble plus préoccupée par les changements de Président et de ministres des finances. Comme Trévor Manuel, le ministre des finances, celui qui « crédibilise » l’ANC et le gouvernement auprès des investisseurs a été reconfirmé dans sa fonction. En effet, il n’y a pas de changements stratégiques à l’horizon dans la politique économique du pays. Les 10 dernières années de croissance économique sud-africaine autour de 5 % lui sont attribuées pour sa politique de capitalisme prudente favorisant le marché et l’économie réelle. La crise de Wall Street est considérée comme l’erreur de quelques apprentis sorciers incapables de respect des modes d’emplois inscrits dans les règles prudentielles de l’économie américaine. Venir maintenant socialiser les pertes prévisibles avec les contribuables américains et avec le monde apparaît comme anachronique. L’interventionnisme de l’État n’a jamais été un problème en Afrique du sud. Mais mieux, Trevor Manuel avait prévenu depuis 1999 contre le risque américain lors d’un discours au FMI qui est resté sans suite .
Cette crise financière a été créée de toutes pièces par le refus de respect des règles prudentielles bancaires tant dans le secteur de l’immobilier que celui de la gestion des portefeuilles d’actifs immatériels. Les banques privées le savaient et n’ont pas voulu s’y préparer puisque le système prévoit que le payeur en dernier ressort sera l’État américain. C’est d’ailleurs ce qui est en train d’arriver avec la nationalisation sélective de certains établissements financiers par l’État américain. Cette nationalisation ne correspond en fait qu’à faire payer les contribuables. La somme exorbitante oscillant autour de 700 milliards de $ US ne couvrira certainement pas toutes les créances irrécouvrables et pourries et devrait coûter la bagatelle oscillant entre 3000-4000 $US par américain en termes d’impôt futur. Bien sûr avec les possibilités de coller cette charge à la dette publique de l’Etat et de tenter par l’inflation, la faiblesse du dollar et des accords multiples de faire payer les autres parties du monde qui ont des liquidités excédentaires à placer, il n’est pas impossible qu’une bonne partie risque d’être payée par des non-Américains. C’est en cela que l’Afrique risque d’être concernée.
C’est cette perte de repères qui a conduit à la myopie collective des responsables des institutions financières américaines au point de croire que cette crise aurait pu être circonscrite jusqu’aux élections américaines. La technique du transfert de la « patate chaude » au prochain président américain n’a pas fonctionné cette fois-ci. Cela peut expliquer les déchirements dogmatiques au sein du parti républicain dont une partie refuse de nationaliser et de faire une sorte de solde de tous comptes pour des gestionnaires imprudents. Mais la déréglementation du système financier en 1929 et en 1970 montre bien que le système de l’autorégulation ne fonctionne pas. D’autres voies de régulation doivent apparaître dans un futur proche, au moins au niveau régional.
En réalité, l’économie immatérielle qui devrait plus servir d’effet de levier à l’économie réelle a changé de nature. Comme l’essentiel des opérations concernées se fait hors-bilan des institutions financières, celles-là échappent à tout contrôle effectif. La nature et la valeur réelle des titres immatériels d’un actif, ne reposant alors sur aucune capacité productive réelle relève du fictif. Ainsi, faire de l’argent uniquement sur du vent, c’est de l’arnaque.
Faire de l’argent sans qu’une relation directe ou indirecte avec l’économie réelle soit vérifiée montre les limites des politiques économiques des pays qui vivent en permanence à crédit, largement au-dessus de leurs moyens et donnent des leçons aux autres. Bref, les sages africains avaient pressenti cette situation. C’est ainsi qu’au Togo, l’adage populaire suivant reste d’actualité : « il vaut mieux manger une mangue qu’admirer un ananas… ».
7. Une économie qui tue la classe moyenne
A force de former des experts à jongler avec les chiffres et à monter des modèles économiques poussant à l’extrême les possibilités illimitées des calculs et des options grâce à l’outil informatique, certains ont oublié que la monnaie repose d’abord sur la confiance, sur une économie réelle derrière laquelle des hommes et des femmes tentent, tant bien que mal, à gagner dignement leur vie.
Mais voilà que les États-unis dans une politique ultralibérale irresponsable font la part belle à une information biaisée qui ne montre jamais la détresse des milliers de personnes qui ont été chassées de leurs maisons pour avoir été incapables de payer des taux de remboursement exorbitants liés à une fausse information et au rêve de devenir propriétaire sans avoir épargné. Peut-on devenir propriétaire sans argent ? Le système américain a fait croire ce rêve à des milliers de personnes en proposant de manière dolosive des prêts pour l’accès à la propriété sur 35 ans. Pour l’exemple, au cours des 3 à 7 premières années, les taux d’intérêts fixes au-dessus des pratiques du marché (en principe 2% aussi du taux du marché (d’où le nom de « subprime », soit pour l’exemple 2% (surprime) + 5%)) avec des remboursements mensuels autour de 1000 $ des États-unis (EU) suivis ensuite par un taux d’intérêt variable exorbitant (jusque 20% au-dessus du marché, soit pour l’exemple 20% + 5%) déterminé en fonction de la situation du marché par le banquier prêteur lequel n’a pas oublié de garder une hypothèque sur la maison … Les prix des maisons étaient donc surévaluées au cours des années 2001-2006 et lorsque le marché de l’immobilier s’est retourné, l’incapacité de payer et les défauts de paiement se sont multipliés face à des taux usuriers. La crise venait de démarrer.
C’est ainsi qu’il était plus intéressant pour un Américain moyen d’emménager dans une maison neuve dont il croit être propriétaire sur papier et ne pas payer un loyer qui oscille en moyenne au dessus des remboursements d’emprunts mensuels au cours de la période du taux fixe… Ce nouveau propriétaire a cru aussi que le prix de l’immobilier allait continuer à grimper et, qu’au pire, il revendrait son acquisition avec une plus value si les taux variables rendaient le remboursement impossible. Mais voilà, après la période de « tranquillité », le même banquier demande, du jour au lendemain, des remboursements basés sur un taux d’intérêt de près de 25 % pour les cas les plus modestes alors que les salaires ne suivaient pas. Que faire ? L’expulsion ! La rue !
C’est sans compter que certains propriétaires expulsés, face à la désolation de la situation et désabusés face à un système qui les a trompés ou mal conseillés, sont venus détruire l’intérieur de la maison, voir l’environnement de cette maison, ce qui a eu pour effet de réduire à néant la valeur de la maison et rendre insécurisés les environnements. Ainsi, le banquier s’est retrouvé avec des créances irrécouvrables, incapable de revendre ces maisons et bloquant toute l’économie de la construction et les emplois qui vont avec. On se demande quelle université américaine a pu délivrer des diplômes de type MBA (Master of Business Administration) qui conduisent des gestionnaires financiers à de telles erreurs stratégiques… Au fond, il ne s’agissait pas d’erreurs mais simplement du mépris du petit peuple américain… et cette fois-ci, il n’y avait pas que le mépris du Noir ou du Latino… mais aussi du Blanc et du Métis. En fait, c’est toute la classe moyenne, celle qui épargne et travaille durement en ayant souvent deux jobs pour assurer les remboursements des nombreux crédits, qui a été prise au piège de la désinformation des tenants de l’économie de l’ultralibéralisme. C’est en fait la fin de la déréglementation, du rêve américain basé sur l’économie de l’endettement illimité, l’émergence de la nationalisation comme outil de sauvetage des économies sinistrées par le capitalisme débridé et incontrôlé. La main invisible a chicoté les Américains et en réponse ils ont préféré identifier l’Etat comme sauveur en dernier ressort.
Conclusion : La capacité des dirigeants africains à encaisser les crises successives
Voilà une économie américaine qui prend l’essentiel de ses richesses pour aller faire la guerre en Irak en dehors des règles de l’ONU, en Afghanistan sans avoir correctement estimé la puissance de résistance indéterminée des Talibans. Voici des politiques qui en profitent pour donner des corrections sérieuses aux grands dogmes de l’économie libérale sans se soucier de l’impact sur la crédibilité de ce qui est enseigné de manière universelle comme la solution aux problèmes de post-développement . La guerre en Afghanistan a en fait permis de rétablir le commerce de la drogue, un islam rétrograde et une insécurité au Pakistan et par soubresauts un peu partout dans le monde. Il n’est donc pas ici question de mettre en cause le bien fondé de l’intervention mais bien l’erreur d’analyse stratégique et la sous-estimation des effets collatéraux qui n’ont pas été pris en compte en fonction des nouvelles formes de guerres de connaissance du terrain que les ordinateurs et les satellites n’arrivent pas à contenir. C’est cette approche stratégique qui a été utilisée par les experts financiers américains lesquels semblent avoir perdu de leur « agilité » légendaire pour prévenir, agir et solutionner les crises.
L’effet de domino comme lors de la crise financière de 1929 sur l’Afrique reste limité. La dématérialisation de l’économie sans régulation pose problème. En réalité, c’est la pauvreté des structures africaines qui l’ont protégé d’une contagion désastreuse directe. En parallèle pourtant, le renforcement d’une pauvreté systémique avec comme effets collatéraux le relâchement des pressions sur le respect des libertés et des droits humains risque de renforcer les dictatures en Afrique. En réalité, c’est toute la classe moyenne africaine qui va se retrouver à voir ses salaires continuer à perdre en pouvoir d’achat compte tenu des provisions importantes, réelles ou fictives que vont faire les responsables d’entités économiques publiques ou privées contre de futures créances irrécouvrables. Les entreprises ne manqueront pas de répercuter sur ceux qui n’ont aucun pouvoir d’influence les pertes subies. L’État africain est habitué à le faire en augmentant le déficit public.
Les pauvres ne disaient déjà rien avant la crise, la classe moyenne risque de leur emboîter le pas. Les classes moyennes africaines vont commencer à s’interroger s’il faut continuer à toucher un salaire de misère ou alors aller créer une entreprise pour vivre plus décemment avec l’économie informelle, mais bien réelle, celle-là. Le silence et l’impuissance des politiciens africains posent à nouveau les problèmes de compétence des dirigeants qui se hissent à la tête des États africains et ne veulent pas en partir. Cette crise financière ne met pas en cause la stabilité du pouvoir, donc ne devrait pas trop les concerner. Ils en ont vu d’autres. La crise financière ne peut les chicoter.
Dr. Yves Ekoué Amaïzo
Directeur du groupe de réflexion, d’action, d’influence « Afrology »
3 octobre 2008
1. Marc K. Satchivi, « Panafricanisme de Sékou Touré : le « non » légendaire », 26 mars 2004, publié sur ufctogo.com; voir aussi http://www.avomm.com/Panafricanisme-Sekou-Toure-le-non-legendaire-par-Marc-K-Satchivi-le-26-mars-2004,-publie-sur-ufctogo-com_a6269.html
2. Stéphane Ballong, « La crise financière menace-t-elle l’Afrique ? », Journal Afrik.com, 24 septembre 2008, vue sur http://www.afrik.com/article15284.html
3. UNCTAD, op. cit. overview, p. 2, voir http://www.unctad.org/en/docs/wir2008overview_en.pdf
4. CNUCED, « Rapport 2008 sur l’investissement dans le monde : société transnationale et défi des infrastructures « , voir www.unctad.org
5. Yves Ekoué Amaïzo, « Fonds vautours: droits de créanciers et transparence », in Afrology Think Tank, voir https://www.afrology.com/?p=8518
6. IMF, « Statement by Trevor A. Manuel to the Interim Committee Meeting, South Africa Minister of Finance, Washington, D.C., September 26, 1999; voir http://www.imf.org/external/am/1999/icstate/zaf.htm et notamment « … Notwithstanding the improvement in the state of the global economy, there are downside risks surrounding the current projections. The most significant perhaps may be the build-up of systemic risks from potentially sharp corrections in the US equity markets, and in particular the impact of asset prices on growth and stability. It is therefore imperative that an appropriate policy mix be pursued with regard to monetary policy to ensure a soft landing of the US economy in order to minimise its potential impact on the rest of the world… »
7. Bob Ivry, « Impact of U.S. housing slump will broaden », in International Herald Tribune, 13 mars 2007; « Subprime mortgages are given to people who would not qualify for standard home loans and typically have rates at least 2 or 3 percentage points above those of safer prime loans. The portion of subprime loans that financed new mortgages rose to 20 percent last year from 5 percent in 2001, according to the Mortgage Bankers Association », voir http://www.iht.com/articles/2007/03/12/bloomberg/bxhome.php
8. Yves Ekoué Amaïzo, « Post-développement et interdépendance », in Revue AGIR, no 35, septembre 2008, pp. 25-40.