Yves Ekoué Amaïzo
Après la Chine, l’Inde et le Brésil,
L’Afrique attire la Russie [1]
A force d’aller draguer les investisseurs étrangers sans avoir préparé localement l’environnement des affaires, ni protéger les investisseurs et entrepreneurs locaux africains, les dirigeants africains sont en train de construire les bases d’une Afrique qui risque de se faire sans les Africains d’ici 50 ans. Dans cette perspective, il faut constater que les gouvernants africains ont tendance à s’inscrire plus dans la gouvernance du « futur » sous forme d’annonces et de promesses que dans la gouvernance de la prévisibilité et la planification du futur à partir de richesses partagées.
1. La Russie redécouvre une Afrique économique
Avec une Afrique qui pourra atteindre 15 % des réserves de pétrole en 2020 et une croissance économique de l’Afrique autour de 4,5 % en 2010 et 5,2 % en 2011 (respectivement 4,4 % et 5 % pour l’Afrique subsaharienne [2]), l’appétit des dirigeants africains du secteur public prenant la forme d’interventionnisme intempestif pourrait limiter la montée en phase des relations directes entre la Russie et l’Afrique grâce à l’audace d’un secteur privé éthique.
La grande chance de la Russie est qu’elle n’a jamais vraiment eu d’ambitions coloniales en Afrique. Elle a choisi à plusieurs reprises de soutenir les mouvements de libération sans succès… Malheureusement, la Russie n’a pas vraiment tiré avantage de cet engagement. Les dividendes de cette stratégie pourraient pourtant apparaître dans le cadre de la nouvelle initiative de la Russie vers l’Afrique.
La Russie connaît une forte croissance du Produit intérieur brut (PIB) avec 8,1 % entre 2006-2007 et 8,4 % pour le PIB par habitant [3]. Malgré la crise financière de 2008-2009 et des réserves de près de 500 milliards de dollars des Etats-Unis ($US), les dirigeants russes et plus particulièrement Wladimir Putin estiment que leur pays pourrait devenir la septième puissance économique du monde d’ici 2020. Dans le cadre de cette diversité, la Russie redécouvre une Afrique d’un point de vue économique, mais il ne s’agit aucunement de philanthropie, encore moins de faveurs lorsque des parlementaires russes rencontrent ceux d’Afrique. Le niveau de faible représentativité des femmes tant du côté des Russes que des Africains doit être déploré.
L’initiative russe du 15-16 juin 2010 de faire rencontrer des parlementaires entre la Russie et l’Afrique demeure une approche plutôt singulière. Il importe néanmoins de redonner la place qu’il se doit à la réunion entre parlementaires russo-africains, représentants en principe des peuples. Quelques membres d’un secteur privé sélectionné ont aussi été invités pour promouvoir des formes inhabituelles de coopération future entre la Russie et l’Afrique. Faut-il rappeler que le commerce de la Russie avec l’Afrique ne dépasse pas 2% du commerce extérieur russe et reste concentré sur le secteur militaire, ceci avec quelques pays amis de longue date. La Russie n’est pas membre de l’OMC et à ce titre ne commerce que de manière très sélective avec le reste du monde, moins de 0,1 % du commerce mondial avec l’ensemble de l’Afrique subsaharienne en 2007. Comment faire progresser ces chiffres peu glorieux malgré le dynamisme des dirigeants africains ? Un challenge que les acteurs africains peuvent relever si l’Etat africain se contente de faire de la régulation dans la transparence.
2. Russie-Afrique : » Alliance africaine » pour redéfinir de nouveaux horizons
En deux jours (15-16 juin 2010) à Moscou, plus de 39 pays africains ont honoré de leur présence Boris Gryzlov, le Président de la Chambre basse du Parlement fédéral russe (Douma d’État de la Fédération de Russie [4]). Cette réunion entre parlementaires africains et russes a eu lieu dans le cadre du cinquantenaire des indépendances africaines et marque le début d’une nouvelle ère entre la Russie et l’Afrique [5]. L’accent a été mis sur le « Partenariat Non Commercial » intitulé « l’Alliance Africaine » et a bénéficié du soutien des membres du Conseil de la Fédération, du Ministère des Affaires étrangères et de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Russie. En parallèle se tenait un forum d’affaires entre la Russie et l’Afrique qui s’est donné comme ambition de redéfinir les nouveaux « horizons de la coopération ». Le message lu du Président Medvedev est marqué par une certaine originalité consistant à trouver des « nouvelles directions de la coopération » par le « renforcement des liens bilatéraux et multilatéraux, l’approfondissement du dialogue politique, l’élargissement des contacts interparlementaires et humanitaires », et d’approfondir les intérêts communs par « partenariat commercial et économique ». L’accent a été mis sur les approches pragmatiques avec les milieux d’affaires russes.
Cela a trouvé un écho favorable auprès de l’Honorable doyen du parlementarisme africain, Mr. Philemon Adjibolo, Vice-président de l’Assemblée nationale du Cameroun [6]. Outre le rappel sur l’annulation réelle des dettes des pays africains envers la Russie, c’est l’augmentation régulière mais modeste de l’apport financier russe dans le cadre bilatéral qui témoigne du véritable engagement russe. Plus de 300 participants (parlementaires et représentants du secteur privé, de l’Administration centrale et décentralisée) ont pu comprendre que l’Afrique n’est pas arrivée unifiée à ce rendez-vous. Il est question d’ailleurs que la prochaine réunion se tienne à Adis Abéba au siège de l’Union africaine, une façon de rappeler que toute coopération avec l’Afrique passe par les politiques. Mais avec les résultats bien maigres du partenariat d’Etat à Etat et avec l’approche plus agile des entrepreneurs russes d’aller faire leur « marché » en Afrique sans nécessairement en référer à l’Etat, il y a comme un début de quiproquo sur les formes de coopération qui vont émerger dans le futur entre la Fédération russe et l’Afrique. Si l’Afrique avait été une fédération, un des objectifs de l’Union africaine, peut-être que sur le plan institutionnel le poids des parlementaires africains serait bien plus considérable qu’il ne l’est actuellement. Il y a lieu de réinventer la réalité de la représentativité des parlementaires africains pour réellement fonder cette nouvelle approche initiée par les Parlementaires russes.
Toutefois, il ne faut absolument pas s’éloigner de la réalité des affaires sur le terrain. De nombreux dirigeants africains présents à cette rencontre russo-africaine à Moscou n’ont rien trouvé de plus original que d’afficher officiellement leur unité, une volonté réelle d’aller vers des approches « gagnant-gagnant » et enfin le besoin d’être traité d’égal à égal. Pourtant, ces mêmes dirigeants publics africains sont les premiers à ne pas s’organiser dans les faits pour aller à des rencontres inter-états ou inter-régions de manière cohérente avec des positions et propositions prêtes pour les négociations. La vérité « vraie » est que trop de dirigeants africains ne considèrent pas l’importance des conseils d’expertises indépendantes échappant à leur cercles de clientélisme et de servitude et souvent de médiocrité tolérée. Ce qui fait que dès lors qu’il existe des propositions offertes au niveau des partenariats compétitifs, l’Afrique a tendance à faire « perdre du temps » au partenaire d’en face. Les représentants de l’Etat ou des institutions régionales et africaines, du fait d’un égo démesuré, finissent par « repousser » à plus tard des négociations qui pourraient avoir lieu immédiatement si les dossiers étaient préparés sur des bases de compétence technique et d’indépendance et non sur des bases politiques.
3. Vendre l’Afrique par tranches ?
A ce rythme, il ne faut pas s’étonner des maigres résultats économiques et sociaux du cinquantenaire des indépendances en Afrique même si certains dirigeants ne voient même pas pourquoi l’Afrique doit changer de stratégie pour les 50 années à venir. Il sera de plus en plus difficile de vendre l’Afrique. Certains choisissent de la vendre par tranches, dans le cadre feutré et non-transparent des « relations d’affaires ». Deux Afriques vont se télescoper : l’Afrique des affaires sans éthique et sans transparence qui se fait aux dépens des populations africaines et l’Afrique de dirigeants soucieux de la dignité des Africains, dignité qui passe par la création d’emplois décents et un pouvoir d’achat fondé sur les accumulations intelligentes de richesses distribuées. Ce solidarisme contractuel[7] émergent pourrait peut-être servir de paradigme à ce nouveau type de partenariat initié par les parlementaires de la Fédération de Russie.
L’Afrique non émergente se caractérise par :
- l’absence de plans stratégiques opérationnels ou leur non-respect ;
- l’utilisation des facilités du code d’investissement pour attirer les investisseurs sans se préoccuper de protéger le pouvoir d’achat des citoyens africains ;
- la course vers le bas consistant à mépriser les populations en considérant les ressources humaines africaines comme un coût d’opportunité négligeable puisque la plupart des pays, sauf peut-être l’Afrique du Sud et les pays d’Afrique du Nord, n’estiment pas nécessaire de garantir leur protection ;
- l’affaiblissement du rôle des contre-pouvoirs et plus particulièrement les syndicats.
Tout ceci réduit les chances d’augmenter les recettes fiscales à partir des revenus des ménages africains, ce qui suppose que la stratégie économique a pour objectif de créer une classe moyenne en Afrique. C’est ce qu’ont compris les grands pays émergents comme la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud qui tentent, parfois en s’alliant entre eux ou alors avec les multinationales des pays industrialisés, d’accéder à une parcelle des richesses du territoire africain. Les dirigeants africains qui choisissent de vendre l’Afrique, en parcelles ou pas, ignorent souvent que la seule et vraie priorité pour acquérir une indépendance économique consiste à promouvoir au maximum le développement des capacités productives, fondement de la création de richesse pérenne.
L’Afrique des bureaucrates tend à préparer son « hara-kiri » des années 2050 et au-delà en :
- oubliant les mesures d’accompagnement pour le secteur privé local et le remboursement intégral de la dette intérieure ;
- feignant d’associer le secteur privé actif de production dans les négociations avec le monde extérieur ;
- menant des négociations sans intégration de clauses de sauvegarde pour assurer le transfert et la diffusion de la technologie, du savoir-faire et de l’innovation.
En effet, de nombreux contrats sont signés dans la non-transparence la plus totale avec des contrats « doubles » où la part revenant à l’Etat est réduite à la portion la plus congrue alors que celle revenant aux dirigeants de l’Etat est inversement proportionnelle, rendant l’Etat africain le meilleur retour sur investissement pour les agents privés qui y détiennent une parcelle de pouvoir. Il ne s’agit plus de parler de corruption et de corrupteurs. Il est plus de question d’une stratégie de mépris des populations africaines, ce qui pose tout le problème de la représentation et de la représentativité des élites gouvernementales en Afrique.
Il est alors facile de comprendre pourquoi la démocratie de façade, cette forme palliative de la démocratie fondée sur la fraude et le refus de l’organisation d’une société de confiance, tend à neutraliser les avancées de la démocratie effective en Afrique. Plus grave, ces nouveaux comportements de nouveaux riches se conjuguent aussi au niveau de la clientèle qui forme le réseau appuyant ces nouvelles élites africaines, versées disent ceux-ci dans le « business » et ayant choisi comme nouveau Dieu l’argent, même s’il faut vendre son frère, sa sœur, sa mère et sa grand-mère quand il ne s’agit pas de trahir tout un peuple tout en jouant au populisme africain. Le populisme d’affaires est une technique politique très prisée lorsqu’elle est accompagnée d’une distribution aléatoire d’argent, de biens et de services variés « rigidisant » et neutralisant les quelques tentatives d’organisation de la transparence dans les rapports entre les dirigeants et la société civile africaine.
Il est en effet difficile pour quelques citoyens pauvres dans une zone rurale de s’opposer à un afflux de nourriture gratuite accompagné par une défiscalisation sur plusieurs années, le tout fondé sur un système de promotion personnelle, de la famille, de l’ethnie. Ce jeu complexe et contradictoire favorise la délation, le clientélisme, le rejet de la concurrence avec comme corollaire, la distribution clientéliste inhibant tout esprit de création de la richesse.
C’est dans ce contexte que les dirigeants de l’Union africaine vont continuer à sombrer dans l’amnésie dès lors qu’il s’agit d’éthique, de transparence, de vérité tout en continuant à promouvoir des concepts comme la paix. Ce n’est pas avec de tels concepts que la démocratisation de l’Union africaine sera à l’ordre du jour. S’il est vrai que la plupart des dirigeants ne semblent pas préoccupés par de telles considérations, il est tout aussi vrai que le niveau de considération et de sérieux qu’accordent les grandes puissances du monde et de plus en plus les pays émergents aux organisations régionales africaines est proportionnellement égal au faible niveau de considération que les Africains accordent eux-mêmes à organiser leur propre crédibilité collective. Ce n’est donc pas étonnant que ni le Président américain Barack Obama, ni la Secrétaire d’Etat Hilary Clinton n’ont daigné rencontrer sérieusement la délégation de l’Union africaine lors d’une rencontre dite « bilatérale » entre les Etats-Unis et l’Afrique[8] qui aurait dû donner lieu à un nouveau départ en avril 2010 [9].
En réalité, ce qui se passe en douce avec la complicité de certains dirigeants africains, c’est la vente de l’Afrique en petites tranches comme du « saucisson ». Après avoir tenté de vendre directement des espaces miniers, agricoles y compris l’halieutique, la grande mode aujourd’hui est une déformation du partenariat public-privé. Il s’agit d’une grande méconnaissance de l’analyse et le partage des risques entre l’Etat et le secteur privé. De trop nombreux dirigeants africains continuent de croire que l’Etat peut transférer tout le risque d’un projet sur le secteur privé tout en continuant à pratiquer, par abus de droit, l’interventionnisme intempestif dans les transactions. Les investisseurs et entrepreneurs naïfs pourront à la rigueur se faire avoir la première fois, mais pas la seconde. La réputation du pays part alors en lambeaux, comme le Togo est en train de l’expérimenter depuis que la démocratie palliative fait office de solution politique dans ce pays.
En réalité, ces approches de l’Etat conduisent à une réduction substantielle de la rentabilité des projets tout en créant un environnement d’instabilité non propice au développement des petites et moyennes entreprises notamment dans le secteur manufacturier. La vente par petites tranches du continent repose au plan juridique sur des contrats d’arrangements concessionnels. Certains choisissent de mettre à disposition 1000 km de route ou de rails en concession pour 50 ans renouvelable en pensant que l’investisseur viendra automatiquement engloutir ses fonds sans faire payer ces mêmes dirigeants pour l’absence de prévisibilité de l’environnement des affaires laquelle vient se rajouter au profit rapatrié. A ce jeu, les grands perdants demeurent les populations africaines. Le partenariat proposé par la Fédération de Russie basé sur l’introduction des représentants du peuple que sont les parlementaires mérite qu’une attention particulière lui soit consacrée. Malheureusement, ce nouveau mode de coopération risque de ne pas tenir face à l’approche africaine laquelle consiste, sous prétexte de coordination, à imposer la hiérarchisation et le centralisme non démocratique consistant à tout négocier d’abord au niveau de l’Union africaine alors que celle-ci n’est pas l’émanation du peuple africain.
4. Afrique renaissance : l’Afrique pourrait ne plus appartenir aux Africains en 2050
L’investisseur avisé accepte le principe des contrats d’arrangements concessionnels, mais il entre dans un processus de négociation systématique de toutes les clauses au point que lorsque la transaction est effectivement signée, la plus grande partie, ceci en toute non transparence, des risques et des garanties sont « retransférés » à l’Etat avec, en plus, le coût social que constitue les salariés souvent licenciés ou payés au salaire plancher ou les coûts « partis » que constituent les profits systématiquement transférés et réinvestis en dehors du pays d’accueil. Avec de telles pratiques, 2050 ne sera pas le tournant vers la renaissance de l’Afrique, mais bien le virage vers l’Afrique sans les Africains. En effet, la plupart des structures productives africaines auront été cédées d’ici là, les profits ne seront pas pour le Peuple africain. Ce ne sont pas les quelques agents sous-traitants africains des intérêts étrangers qui changeront la donne surtout quant ils affichent avec orgueil le choix d’agents zélés de la postcolonie.
Aussi, le prochain cinquantenaire pourrait étrangement ne pas éloigner l’Afrique de la postcolonie mais de la structurer pour vivre une colonisation effectuée par des « agents africains » de la postcolonie. Sous-estimer cette approche stratégique choisie inconsciemment par de nombreux dirigeants africains au pouvoir fonde le type de relations que l’Afrique va entretenir avec les économies émergentes telles que la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du sud. Mais la relation avec la Russie risque de ne pas être très différente sauf que la Russie pourrait alors laisser cette relation s’opérer par son secteur privé dont les règles de « business » ne sont pas connues comme étant proches de l’éthique. L’absence de transparence, de vérité des urnes et de vérité des comptes devrait contribuer à faire des Africains un peuple servile, à moins qu’une réaction fondée sur la déconstruction-reconstruction du mode de création de la richesse et de sa distribution en Afrique n’émerge grâce à des Africains conscients et sans doute aussi plus éthiques quant à la défense des intérêts des populations africaines.
La plupart des pays émergents l’ont compris. Tout en jouant la carte du « gagnant-gagnant » avec des dirigeants africains faciles à berner dès que leur compte ou celui de leur clientèle est rempli dans les banques offshore, les pays émergents, ou plutôt les intérêts privés qui travaillent sous leur protection, sont en train d’œuvrer concrètement vers la mise en place d’infrastructures en Afrique tout en tentant de contrôler tout le processus de transaction, considéré comme une taxe sur la circulation de biens, des personnes et des services dès lors que cet espace échappera au service public. Paradoxalement, aucun ne s’intéresse véritablement au développement des capacités productives ni à l’industrialisation. Si la Chine tente maintenant d’intégrer l’industrialisation dans son programme, c’est pour déverser en Afrique les usines se trouvant au plus bas de la chaîne de construction de la valeur ajoutée quant celles-ci ne sont pas polluantes, dévoreuses d’énergie, dangereuses au plan humain avec une nuisance pour le personnel (bruit, pénibilité, abrutissant dans les tâches, etc.). Si c’est cette industrialisation sans conditions et sans discernement que veulent attirer les dirigeants africains sous prétexte qu’il suffit « d’occuper la main d’œuvre oisive », alors il y a lieu d’insister que les populations africaines fassent jouer leur droit à la démocratie effective et choisissent mieux leurs représentants malgré les conditions d’insécurité, de fraude et de travestissement des résultats qui entourent la plupart des élections démocratiques en Afrique.
C’est donc à la lumière de ces pratiques de l’ombre d’un nombre important de dirigeants africains maquillées sous des formes de populisme, de dons, de facilités et de clientélisme que se construit l’Afrique de 2050 et au-delà. A force pour l’Afrique de donner une priorité à son ventre au point d’avoir contribué à l’émergence d’une nouvelle science typiquement africaine « la ventrologie »[10], la vision stratégique consistant à privilégier le ventre et le bas-ventre aux dépens de l’indépendance et la souveraineté dans les décennies à venir pourrait conduire paradoxalement l’Afrique vers des ensembles non-homogènes où d’un côté, l’on est dans des Républiques de la contre-vérité des urnes et des comptes avec des partenariats niant les intérêts collectifs et de l’autre côté, des Républiques de la vérité des urnes et de comptes avec des formes de solidarisme contractuel où les intérêts collectifs ne seront pas éliminés au profit des intérêts particuliers, notamment étrangers. Le drame est que ce jeu, qui aboutit à la servilité, à la vénalité et au simulacre des individus, est devenu la règle asociale de la gouvernance en postcolonie.
Cette pratique séculaire africaine en postcolonie [11] a eu pour conséquence :
- d’uniformiser la gouvernance à vue,
- d’organiser la servilité, la médiocrité et le simulacre justifiés par des récompenses tel le maintien au pouvoir ;
- de détruire les approches de la planification stratégique, et
- de faire perdre le respect et le positionnement des dirigeants africains.
S’ils continuent à croire que les quelques investisseurs souvent attirés par les gains faciles et rapides quant il ne s’agit pas de véritables « truands » dans l’armement et la drogue, le proxénétisme, le gangstérisme monétaire ou encore dans l’intermédiation des flux migratoires, autres formes de ségrégation que d’aucuns continuent d’appeler « immigration choisie », alors oui, les dirigeants africains font preuve d’une naïveté collective suicidaire. L’Afrique n’appartiendra plus aux Africains en 2050. La Russie est en consciente et a choisi comme axe de coopération le lien entre parlementaires. Encore faut-il que les Africains qui dirigent le comprennent, à moins de « gâter la sauce » en imposant la structure pyramidale et bureaucratique faussement cachée derrière le « parler d’une seule voix ».
5. La Russie : l’investissement sélectif avec les Etats solvables
La Fédération de la Russie reconnaît qu’elle a commis une grave faute stratégique en considérant que l’Afrique est à l’image de ses dirigeants et de son administration bureaucratique très sensible à la corruption. Cette erreur stratégique se décline en trois types de perceptions.
La Russie avait opté pour l’influence dogmatique de la conception du monde manichéen d’alors opposant capitalisme et socialisme. La Russie tente d’ailleurs de reprendre pied auprès de quelques adeptes africains déçus comme dans les pays suivants : Angola, Mali, Ethiopie ou encore Mozambique sans oublier le Bénin avant son changement à 180 degrés. Avec la fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin, tout le monde a compris que la bataille dogmatique des idées et des conceptions de la société était puérile quant à la contribution au bien-être concret des populations. Une partie des compétences russes ne trouvant plus de salaires décents en Russie, s’est privatisée et s’est exportée, ce qui explique le développement rapide des capacités nucléaires iraniennes par exemple. Il se trouve que la Russie va « dégraisser » fortement dans les chemins de fer et dans la construction d’infrastructure en général en Russie. Il faut donc s’attendre à ce que l’essentiel des propositions russes aille dans le sens d’une délocalisation de son personnel disponible dans ces secteurs vers l’Afrique. Les secteurs comme l’énergie, l’infrastructure (rail, aéroport, port, pont, routes), les ressources minérales, l’exploitation agricole, l’éduction et le transfert de savoir et de technologie et le tourisme sont particulièrement prisés.
Dans les faits, la guerre que se livrent des forces représentants des groupes d’intérêts privés, soutenus parfois par des Etats, a contribué à fonder en Afrique trois grandes formes de gouvernance qui empruntent peu à l’afrocentricité, à savoir se refonder à partir des valeurs africaines d’avant la colonisation. Il s’agit principalement :
- d’une gouvernance de l’Etat aligné sur des formes mal-digérées du néo-libéralisme promouvant un monde de libre-échange dans lequel le protectionnisme des industries naissantes, de l’agriculture et les secteurs stratégiques ne sont autorisés que pour les pays industrialisés ;
- d’une gouvernance de l’Etat empruntant à des formes nouvelles de clientélisme lié au fondamentalisme religieux principalement pour des objectifs d’accès à de l’argent frais avec comme contrepartie une gestion opportuniste dans les relations d’Etat à Etat ;
- d’une gouvernance de l’Etat hérité d’un centralisme non démocratique dans lequel les formes palliatives de la démocratie de représentation sont promues tout en favorisant dans la non-transparence la plus totale, la gestion privée des affaires de l’Etat pour le compte des élites au pouvoir, non sans soutien, conseil, voire contrôle de groupes d’intérêts privés ou publics étrangers utilisant alors les dirigeants africains comme des sous-traitants, avec ou sans diplômes et parfois avec de « vrais faux » diplômes.
La société du simulacre ne peut conduire à la renaissance d’une société de confiance dans un monde multipolaire. Il ne faut pourtant pas oublier l’objectif poursuivi aussi par la Russie.
6. Relever l’honneur de la Russie : et celui de l’Afrique ?
Il suffit alors de rappeler un extrait du discours d’investiture au Kremlin le 7 mai 2008 du Président russe, Dimitri Medvedev qui n’a qu’une stratégie : l’innovation tout azimuts et affirme : « Nous construirons des entreprises avancées, moderniserons l’industrie et l’agriculture, créerons de fortes motivations pour les investissements privés et, plus généralement, veillerons à ce que la Russie se hisse durablement parmi les leaders du développement technologique et intellectuel. ».
Il n’est donc pas question de s’afficher avec des Etats corrompus ou basés sur l’absence de vérité des urnes qui pourraient contribuer à gêner cette stratégie de développement des capacités productives, de l’emploi et du retour de l’honneur de la Russie. Aussi, les gouvernements africains qui continuent à s’organiser dans une postcolonie qui ne dit pas son nom ont peu de chances de voir la Russie s’impliquer au plan stratégique.
Les dirigeants russes choisissent les pays les plus proches d’eux en termes de sérieux ou compréhension dans la façon de faire des affaires avec les Russes. Mais le critère incontournable repose sur la solvabilité du client, qu’il soit un Etat ou alors des groupes d’intérêts privés (parfois liés à l’Etat) qui s’engagent à respecter leurs engagements sur le long terme ou alors à les négocier au fur et à mesure avec la partie russe sans interventionnisme d’autres puissances. Bref, la Russie n’aime pas les opportunistes en affaires dès lors qu’un engagement mutuel a été établi.
En réalité, le véritable moteur du dynamisme russe demeure le besoin de relever l’honneur de la Russie, suite à l’abandon de l’approche dogmatique d’un socialisme d’Etat sans démocratie qui a choisi la promotion des armements et de la sécurité aux dépens du développement économique et la promotion du pouvoir d’achat. Avec un retour à 180 degrés vers le développement économique qui ne peut se faire sans une meilleure distribution du pouvoir d’achat, les intérêts stratégiques russes semblent croiser ceux de l’Afrique, encore faut-il bien choisir le dirigeant africain qui se préoccupe de l’amélioration du pouvoir d’achat de ses concitoyens.
7. Investissement en capital risque de plus en plus prisé
Plusieurs fonds d’investissement sur l’Afrique ont eu des performances largement au-dessus du coût d’opportunité du capital tant dans le pays d’accueil que le pays fournisseur de fonds. Le chiffre de 25 % en termes de retour sur investissement a souvent été promu mais ne constitue pas la réalité partout. Aussi, l’investissement étranger direct (IED) et l’investissement en portefeuille (IP) ont attiré en priorité les investisseurs de pays comme la Chine, les Etats-Unis, les pays arabes et la Russie. Les Africains n’ont pas été absents avec l’Afrique du Sud, le Nigeria et les pays du Maghreb. Aussi entre 1995 et 2007, les flux privés de ressources en principe non génératrices d’endettement vers l’Afrique subsaharienne tels que l’investissement étranger direct sont passés de 4,5 à 28,7 milliards de $US alors que ceux de l’investissement en portefeuille sont passés de 2,9 à 13,4 milliards de $US . Le secteur privé n’attend plus l’Etat pour investir en Afrique.
La réalité en Afrique est que les principaux codes d’investissement, miniers ou de protection de la propriété et de l’investisseur promeuvent fortement le rapatriement des dividendes sans véritable transfert de savoir-faire ou de technologie. Cela laisse peu de place à des investissements au niveau local notamment dans les capacités productives et encore moins dans le soutien au pouvoir d’achat et parfois au travail décent. Ce qui fait qu’il est parfois plus intéressant d’investir dans des zones où l’Etat est inexistant, affaibli… des zones hors-la-loi où le retour sur investissement est immédiat, généralement sur le dos du social, de la paix civile ou encore de la structuration d’une organisation sociale cohérente. Malheureusement, c’est dans ces zones « hors-la-loi » que le cynisme du « business » prend toute sa dimension abjecte au plan social, non sans la participation active des élites et « roitelets » non démocratiques africains. De nombreux investissements ou arrangements d’affaires sortant parfois du cadre légal et rayonnant par leur opacité se font en Afrique.
Le critère de liberté dans les affaires proposé par Heritage Foundation (voir tableau 1).a permis de classer 183 pays selon le niveau de liberté ou de facilité pour faire du commerce, des affaires, des investissements et la prévisibilité de la fiscalité, du financement et de la monnaie et des conditions de travail. A ce titre, il importe de rappeler que les douze (12) économies en tête dans le monde ne sont pas nécessairement celles que l’on cite régulièrement en Europe. Le centre du monde s’est déplacé vers l’Est.
Tableau 1 – Classement des pays selon l’indice de la liberté économique 2010, Heritage Foundation |
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Douze (12) Economies classées en tête en 2009 avec le score en 2009 et progression (+) ou en régression (-) par rapport à 2008 | Douze (12) Economies africaines classées en tête en 2009 avec le score en 2009 et progression (+) ou en régression (-) par rapport à 2008 | Douze (12) Economies africaines classées en queue de peloton en 2009 avec le score en 2009 et progression (+) ou en régression (-) par rapport à 2008 | |
1. Hong Kong, 89,7 (-0,3) | 1. Maurice, 76,3 (+2) | 1. Tchad, 47,5 (0,0) | |
2. Singapour, 86,1 (-1) | 2. Madagascar, 63,2 (+1) | 2. Burundi, 47,5 (-1,3) | |
3. Australie, 82.6 (0,0) | 3. Afrique du Sud, 62,8 (-1) | 3. Togo, 47,1 (-1,6) | |
4. Nouvelle-Zélande, 82.1 (+0,1) | 4. Ouganda, 62,2 (-1,3) | 4. Libéria, 46,2 (-1,9) | |
5. Irlande, 81,3 (-0,9) | 5. Namibie, 62,2 (-0,2) | 5. Comores, 44,9 (+1,6) | |
6. Suisse, 81,1 (+1,7) | 6. Cap Vert, 61,8 (+0,5) | 6. Guinée Bissau, 43,6 (-1,8) | |
7. Canada, 80.4 (-0,1) | 7. Ghana, 60,2 (+2,1) | 7. Congo, 43,2 (-2,2) | |
8. Etats-Unis, 78,0 (-2,7) | 8. Burkina Faso, 59,4 (-0,1) | 8. Congo Démocratique, 41,4 (-1,4) | |
9. Danemark, 77,9 (-1,7) | 9. Maroc, 59,2 (+1,5) | 9. Libye, 40,2 (3,3) | |
10. Chili, 77,2 (-1.1) | 10. Rwanda, 59,1 (+4,9) | 10. Erythrée, 35,3 (-3,2) | |
11. Royaume Uni, 76,5 (-2,5) | 11. Egypte, 59 (+1) | 11. Zimbabwe, 21,4 (-1,3) | |
12. Maurice, 76,3 (+2) | 12. Tunisie, 58,9 (+0,9) | 12. Soudan, nd (nd) | |
* nd = non disponible
Source : Heritage Foundation, The 2010 Index of Economic Freedom: The Link between Economic Opportunity and Prosperity, voir < http://heritage.org/index/>. |
Au niveau africain, les douze économies en tête semblent révéler que ce ne sont pas nécessairement les pays où l’on retrouve la liberté économique que l’on retrouve les croissances économiques les plus élevées et stables. Le Rwanda semble témoigner par l’amélioration exceptionnelle de l’environnement des affaires que la liberté économique ne rime pas toujours avec la liberté démocratique. Enfin, paradoxalement, parmi les 12 économies africaines en queue de classement, l’absence de liberté économique n’exclue nullement l’arrivée des investisseurs surtout lorsque l’ensemble des transactions n’est pas nécessairement répertorié, et donc pas ou mal pris en compte par l’indice de la liberté économique de la Fondation Heritage. Pourtant, les opportunités d’affaires deviennent plus rapidement des réalités en termes de croissance économique profitant à l’ensemble de la collectivité lorsque l’amélioration de l’environnement des affaires progresse.
8. Solutions, opportunités et notations
La solution passe par l’amélioration de l’environnement des affaires et plus particulièrement la protection des entreprises et un système judiciaire et légal prévisible et fiable. Les pays suivants semblent relever le défi puisque c’est justement dans ces pays que l’on retrouve les principaux investissements privés : Afrique du sud, Algérie, Botswana, Egypte, Libye, Maurice, Maroc, et Tunisie. La Russie s’est plus spécialisée dans les mines, le transport, les infrastructures et s’attache pour le moment plus aux pays suivants : Ethiopie, Libye, Soudan, Mozambique mais des négociations sont fort avancées dans de nombreux autres pays qui n’entretenaient pas de relations particulières avec la Russie.
Il semble malgré tout qu’il faille souvent constater l’absence de grands principes, tels que : la stabilité politique, l’Etat de droit, l’environnement prévisible des affaires, les droits de la propriété, l’investissement public d’accompagnement notamment dans l’infrastructure, l’investissement dans l’éducation et la santé et la sécurité sociale, là où l’investissement a lieu. La gestion dans les pays émergents africains ne répond plus toujours aux règles de l’orthodoxie économique et de management classiques.
Aussi de nombreux investissements se font dans des pays aussi divers que la Chine, la Russie, l’Algérie, ou la Libye où l’Etat de droit, l’environnement prévisible des affaires, les droits de la propriété sont largement défaillants. Mais il s’agit de pays solvables avec une « corruption contenue ». D’autres pays où la corruption est un sport national et où règne l’impunité comme l’Angola, le Nigeria et le Togo lesquels, sur papier, présentent souvent de meilleurs classements, attirent justement parce que les négociations se font dans la non-transparence et que les index sur le niveau de la liberté proposée par des structures comme « Heritage Foundation » [13] sont simplement apocryphes pour les pays africains et loin de la réalité du terrain. Il suffit de rappeler le recul noté par cette institution pour les deux pays africains considérés comme des « perdants » sur 183 pays en termes d’amélioration de la « liberté économique » à savoir la Libye (régression de -3,3 en 2010) et la Guinée Equatoriale (régression de -2,7 en 2010), ce qui n’a justement pas empêché une partie importante de l’investissement privé de s’y investir, et plus particulièrement l’investissement russe. Toutefois, la perception et l’image qui sont présentées par les médias et les agences de notation ou d’analyse du pays sont aussi importantes que le niveau d’investissement consenti par les investisseurs africains et locaux.
D’après les critères promus, l’on retrouve en priorité la stabilité politique, la stabilité économique, la transparence, un niveau contenu de corruption, l’environnement prévisible des affaires, l’existence d’un marché local/régional et le niveau faible des coûts salariaux [14]. Pourtant, les investissements se font alors que ces conditions ne sont pas favorables ou pas remplies du tout.
Dans le cadre de la nouvelle initiative africaine russe « alliance africaine », il y a lieu de noter que les interventions et investissements russes, privés ou publics répondent aux critères suivants :
- Le retour direct sur investissement et la profitabilité ;
- La solvabilité de l’Etat ;
- Le sérieux dans le respect des engagements.
Néanmoins, il ne faut pas croire que l’Afrique soit un paradis des affaires. Les contraintes de l’environnement des affaires peuvent parfois peser plus lourd dans la perception de l’opportunité de faire de l’argent ou des affaires comme dans la décision d’investir en Afrique tant pour l’investisseur en général que pour l’investisseur russe. Il suffit de comparer le nombre de procédures nécessaires pour transférer une entreprise dans un pays africain avec le nombre de jours nécessaires (voir le tableau 2). La performance de l’Autriche, de la Chine, des Etats-Unis ou du Ghana sont à donner en exemple. A contrario d’après la Banque mondiale, le Togo avec 295 jours devrait peut-être s’interroger sur les efforts consentis par le Bénin ou le Ghana pour créer un environnement d’affaires favorable. Avec de tels délais, on ne peut plus parler de bureaucratie mais bien de dysfonctionnements institutionnalisés. Les investisseurs russes ne devraient pas se tromper lors de leur décision d’investissement même si les facilités de la zone franche togolaise pourraient contrebalancer ces contraintes à l’investissement.
Tableau 2 – Environnement des affaires : Enregistrement de la |
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Temps nécessaires par jour, Données de juin 2008 |
Afrique subsaharienne |
7 |
97 |
Afrique du Sud |
6 |
24 |
Bénin |
4 |
120 |
Cameroun |
5 |
93 |
Ghana |
5 |
34 |
Rwanda |
4 |
315 |
Sénégal |
6 |
124 |
Togo |
5 |
295 |
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Autriche |
3 |
32 |
Etats-Unis |
4 |
12 |
France |
9 |
113 |
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Source : World Bank, World Development Indicators 2009, |
On s’aperçoit qu’avec six procédures en moyenne pour transférer la propriété d’une entreprise en Afrique du Sud ou au Sénégal en juin 2008, il faut d’un côté 24 jours en Afrique du Sud et 124 jours au Sénégal.
9. Le business russe : priorité aux économies émergentes africaines
En réalité dans un environnement imprévisible et une concurrence acharnée avec la présence de la Chine, le Brésil, le Qatar et maintenant la Russie dans des secteurs de l’infrastructure pour ne prendre que cet exemple, le critère d’appartenance politique ne joue plus depuis la fin de la guerre froide. La Russie choisit malgré tout d’aller vers les domaines de prédilection les moins risqués prenant la forme d’investissement en portefeuille (capital risque, souvent en cofinancement) avec comme objectif plus de diversifier son portefeuille que d’aller vers une stratégie agressive de conquête de l’Afrique.
L’Afrique attire désormais les fonds de capital-investissement dédiés aux marchés émergents (7%) au même titre que l’Amérique latine (8%) avec plus de 10 % pour la Russie. L’Asie du sud-est caracole en tête avec 58% d’investissement en portefeuille. Ce type d’investissement qui peut aller jusqu’au partenariat 50/50 favorise les sous-traitants des entreprises russes car contrairement à ce qu’à fait l’Europe occidentale au cours du cinquantenaire passé, les Russes n’ont pas de problèmes avec la diffusion de la connaissance sous la forme d’innovations et de transferts de technologies. Ils sont en train d’ailleurs de réfléchir à proposer de nouvelles et peut-être nombreuses facilités d’accès au financement, voire la création de banques afin de faciliter l’accès au crédit et soutenir les réseaux de distribution. Il y a là malgré tout une stratégie positive dont l’Afrique pourrait sortir grandie en termes de développement si le problème n’est pas l’éternel sens de l’égo des certains dirigeants publics qui estiment leur présence indispensable non pas pour réguler la transaction mais pour devenir un véritable problème dans la transaction. D’après une étude de Cap Afrique, « les Russes se concentrent sur des secteurs où le risque est minimal (télécoms, services financiers, distribution) et sur des entreprises performantes plutôt grandes en termes de taille pour l’Afrique avec un niveau moyen d’investissement autour de 5,6 millions de dollars » [15].
Faut-il en déduire que cela va ouvrir des impasses pour la promotion des petites et moyennes entreprises (PME) et industries (PMI) africaines ? Certainement. Au plan financier, il est plus facile de gérer une prise de participation de plus de 5 millions de $UE. Les prises de participation inférieures à 2 millions de dollars qui sont le lot de la plupart des PME/PMI africaines sont perçues comme beaucoup trop risquées. La solution passe par des mesures d’accompagnement et des subventions de la part des institutions d’appui ou des Etats. Mais alors, on retombe souvent dans les formes larvées de dépendance, de corruption sans oublier les préceptes de l’organisation mondiale du commerce (OMC) et les institutions financières de développement de Washington qui n’ont pas encore cédé un pouce sur la mauvaise stratégie du tout libre échange proposé, voire imposé à l’Afrique surtout lorsque les pays industrialisés n’ont pas suivi cette trajectoire pour devenir riches. Il y a au fond un vrai besoin de soutien à la création d’entreprise afin de renforcer des PME/PMI existantes. Peut-être que l’Union africaine prendra en compte au moins ce point et proposera un dossier de soutien des capacités productives des PME et PMI africaines aux Russes lors de leur prochaine rencontre.
10. Conclusion : émergence africaine passe par l’intelligence stratégique
Si la Russie a souffert de l’effondrement de l’Union soviétique en termes d’image, en quelques années, la politique de Wladimir Poutine et son successeur Dimitri Medvedev a permis de redresser au plan mondial cette image au point que la Russie a retrouvé sa dignité. L’humiliation subie par l’Afrique pendant plusieurs centaines d’années où tout a été fait pour empêcher les dirigeants africains de prendre conscience que la création de richesse ne se fait que par le développement des capacités productives pourra prendre fin avec des partenariats fondés sur le développement de projets d’intérêts général proposés par les parlementaires africains et acceptés par les parlementaires russes. L’Afrique ne doit pas manquer cette occasion et doit faire preuve d’intelligence stratégique. Il y a un retard à rattraper. Le retour de la Russie en Afrique ne doit pas faire oublier que des Africains, des étudiants noirs se sont faits massacrés, assassinés uniquement du fait de leur faciès comme au demeurant certaines nationalités non-Russes blancs. Ce racisme n’honore pas les autorités russes surtout lorsque cela s’accompagne d’une impunité incompréhensible, voire tolérée. Le respect mutuel, le bénéfice mutuel dépourvu du dogme idéologique ne peuvent devenir réalité que si les Africains sont aussi traités comme des humains lors de leur séjour ou établissement en Russie, même si l’éducation reste gratuite ou abordable en termes de coût.
Il n’y a pas besoin d’envoyer des espions en Afrique pour recueillir de l’information et des données relatives à l’environnement des affaires. La Russie ne faisant pas confiance aux données offertes par les institutions occidentales se propose de collecter ses propres informations à partir de sources fiables en ouvrant une antenne régionale de l’organisation non gouvernementale, porte drapeau de la nouvelle initiative africaine de la Russie dite « Alliance africaine » à Adis Abéba en Ethiopie depuis mai 2010 [16]. Il faut souhaiter bon vent à cette nouvelle approche fondée sur les propositions de parlementaires à moins que tout ceci finisse par se gripper dans les méandres des approches bureaucratiques africaines où les choix démocratiques au service des populations africaines ne constituent pas nécessairement la principale priorité.
Malgré les formes démocratiques non-orthodoxes russes, la Russie possède des ressources comme le pétrole et le gaz et maîtrise les projets énergétiques. Si seulement les dirigeants pouvaient enfin s’accorder sur quelques projets identifiés par le NEPAD (Nouveau Partenariat économique pour le développement de l’Afrique) dans le secteur énergétique et dans l’infrastructure comme le rail pour réduire les délestages intempestifs encore trop réguliers en Afrique ou les coûts de déplacement encore exorbitants notamment pour les biens et les personnes. Ce nouveau rôle de la Russie devrait contribuer à rééquilibrer les choix asymétriques pour la Chine. La Russie a fait un choix stratégique : travailler avec l’Afrique de l’après postcolonie. Est-ce que l’Afrique a fait son choix ? Les dirigeants doivent devenir proactifs au lieu de continuer à faire de la gouvernance de réactivité avec des résultats bien mitigés en référence aux 50 ans passés depuis les indépendances.
1er juillet 2010
Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Ph D, MBA
Economiste
Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology »
© www.amaizo.info et www.afrology.com
Internet: www.afrology.com
1. RFI, « Le retour de la Russie sur la scène africaine », Le Débat africain sur Radio France Internationale, 27 juin 2010, voir <http://amaizo.info/2010/06/28/le-retour-de-la-russie-sur-la-scene-africaine/>
2. The World Bank, G20 Growth Framework and Mutual Assessment Process, Report prepared by Staff of the World Bank for G20 Summit, G20 and Global Development, Toronto, Canada, June 26-27, 2010, p. 3.
3. World Bank, World Development Indicators 2009, Washington, USA, p. 16.
4. International Information Centre, « Final report of the International Parliamentary Conference “Russia-Africa” », Moscow, June, 2010, voir < http://www.rusafr.com/index.php?option=com_content&view=article&id=210:final-report-of-the-international-parliamentary-conference-russia-africa-moscow-june-2010&catid=39:economy&Itemid=69 >
5. Igor Yazon, «Les parlementaires de la Russie et de l’Afrique ont défini les horizons de la coopération » in La Voix de la Russie, 16 juin 2010, voir < http://french.ruvr.ru/radio_broadcast/5646129/9963173/>
6. Ecouter le débat sur Radio France Internationale, dimanche 27 juin 2010, www.rfi.fr [le débat africain], avant dernière émission de Madeleine Mukamabano, voir aussi <www.amaizo.info>
7. Yves Ekoué Amaïzo, Crise financière mondiale : Réponse alternative de l’Afrique, collection « interdépendance africaine », éditions Menaibuc, Paris, 2010, 204 pages, 15 euros (www.fnac.com) et Librairie Edilac/Menaibuc, 18 rue Armand Carrel, 75009, Paris (métro Laumière) ; tel: 0033 142 63 62 88 – fax : +33 1 42 63 62 88 – Email: espacemenaibuc@gmail.com
8. RFI, » La politique africaine des Etats Unis », Le Débat africain sur Radio France Internationale, 2 mai 2010, Madeleine Mukamabano, voir < http://amaizo.info/2010/05/02/la-politique-africaine-des-etats-unis/> et www.rfi.fr
9. Yves Ekoué Amaïzo, « Afrique et Etats-Unis : Bi-régionalisme, représentativité et pouvoir d’influence », in Afrology.com, 22 avril 2010, voir aussi <http://amaizo.info/2010/05/01/afrique-et-etats-unis-bi-regionalisme-representativite-et-pouvoir-dinfluence/>
10. Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), La neutralité coupable : l’autocensure des Africains, un frein aux alternatives ?, avec une préface de Abel Goumba et une postface de Têtêvi Godwin Tété-Adjalogo, collection « interdépendance africaine », éditions Menaibuc, Paris, 2008.
11. Achille Mbembe, De la Post-colonie, Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, éditions Karthala, Paris, 2005.
12. World Bank, World Development Indicators 2009, Washington D. C., USA, p. 366.
13. Heritage Foundation, The 2010 Index of Economic Freedom: The Link between Economic Opportunity and Prosperity, voir < http://heritage.org/index/> ainsi que Terry Miller and Kim R. Holmes, 2010 Index of Economic Freedom (Washington, D.C.: The Heritage Foundation and Dow Jones & Company, Inc., 2010), at www.heritage.org/index.
14. J. R. Kehl. (2007). “Emerging Market in Africa”, in African Journal of Political Science and International Relations Vol. 1 (1), pp. 001-008, May 2007, available on <http://www.academicjournals.org/ajpsir/PDF/Pdf2007/May/Kehl.pdf>
15. Romain Geiss, Jérémy Hajdenberg et Maïa Renchon, « Capital-investissement, l’Afrique aussi ! » Voir CapAfrique, Penser l’Afrique autrement, 10 juin 2008, voir < http://www.capafrique.org/cappub.php?id=167>
16. Agence de Presse Africaine, Moscou, « Russian NGOs re-engage Africa’s vast investment potential », in Afrique Avenir,3 mai 2010, voir <http://www.afriqueavenir.org/en/2010/05/03/russian-ngos-re-engage-africa%E2%80%99s-vast-investment-potential/