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La tragédie électorale au Gabon

La tragédie électorale au Gabon
Quelques morts pour un trône…

Beaucoup de lecteurs nous écrivent pour avoir la position du groupe Afrology sur les dernières élections au Gabon. Il n’y a pas de position de groupe, Afrology étant partisan de la pensée libre et argumentée.  Quelques membres se sont toutefois réunis autour du sujet; la réflexion va au-delà de cette énième mascarade pour poser encore une fois la question du modèle démocratique africain… La situation est à ce point décevante qu’il nous suffit de reprendre les dernières analyses sur le cas du Congo, du Togo ou du Cameroun, changer les noms, et le tour est joué.

Les élections en Afrique sont devenues une routine pour les dirigeants en place. Le kit électoral de la société belge dont nous taisons le nom, certainement préformaté pour ces jeux, est transporté de pays en pays depuis quelques années, accompagné d’experts (surnommés observateurs) de la sous-régions qui ont de l’expérience en pré-comptage des urnes [Ahumey-Zunu, ancien Premier Ministre togolais est au Gabon – Edem Kodjo, ancien Premier Ministre togolais est au Congo de Kabila].

Au Gabon comme partout en Afrique, le modèle politique ne fonctionne pas.  Il y a un demi-siècle, Omar Bongo, alors vice-Président, accédait au pouvoir après la mort de Léon Mba. Adoubé par le gouverneur des colonies africaines de la France, Jacques Foccart, Omar Bongo, mort au pouvoir en 2009, ne cessa jamais de se mouiller les poches, tout en arrosant la France.

La démocratie en question

On s’étonne du silence étrange de Sarkozy, quand on se rappelle de sa verve lors des élections ivoiriennes entre Gbagbo et Ouattara (son pote). Il est difficile de croire que l’on se soucie de l’avis du citoyen dans une compétition électorale en Afrique. Comment expliquer sinon, cet acharnement à vouloir maintenir un pouvoir avec la prétention assez sournoise et cynique d’avoir été désigné par 49,80% de la population (si les chiffres annoncés étaient vérifiés). Une minorité de la population déciderait dès lors pour le reste; c’est cela la démocratie héritée de Foccart au Gabon. Au Togo, au moins, le propriétaire a eu la décence de s’octroyer 58,77%.

Si l’opposition gabonaise n’avait pas réussi à taire ses divergences, un troisième larron aurait pu réussir à rafler quelques 2 ou 3% de voix à Bongo, lui laissant une extraordinaire majorité de 45 ou 46%. Si l’on se réfère aux principes résumés par l’historien et auteur Grec Thucydide, la démocratie est un régime politique où « les choses dépendent non pas du petit nombre mais de la majorité »

Le régime représentatif basé sur l’idéologie « démocratie » reste un projet utopique en Afrique. Dans l’exemple du Gabon, nous parlerons d’un despotisme de la minorité, un régime qui sert les intérêts d’un groupe, et non de la masse des citoyens. Comment peut-on décemment croire à une possible majorité dans une élection à un tour?

Territoire de toutes les inégalités

Jouissant d’une position très stratégique sur la côte atlantique, le Gabon est une base où la France est toujours présente, politiquement, économiquement et militairement. Pays très riche en pétrole et en bois, il demeure l’un des piliers de la Françafrique et aussi un modèle par excellence d’inégalités.

Ali Bongo ayant succédé à son père après une élection présidentielle douteuse, n’a rien fait pour mieux répartir les richesses du Gabon, lequel pourtant bien doté par la nature, stagne lamentablement au 106e rang de l’indice de développement humain établi par les Nations-Unies. La richesse nationale est captée par le clan Bongo et ses affidés. Si les accusations de corruption de la classe politique française ne sont plus de mise aujourd’hui, il faut peut-être y voir l’une des raisons de la désapprobation ostentatoire de François Hollande, qui réclame des garanties de « transparence sur les résultats du scrutin ». Le processus actuel est particulièrement inquiétant pour le Gabon, qui démontre, à son tour, les difficultés du passage à la démocratie. On prête à Omar Bongo cette formule : « En Afrique, le pouvoir se prend et ne se rend pas ». Son fils l’applique, écrit Jean Guisnel in Le Télégramme

Plus loin au Togo, un ministre (encore en fonction) osera déclarer publiquement « l’alternance ne se décrète pas… » (sic). Il a pourtant la très haute charge de « la fonction publique et de la réforme administrative » de son pays. On comprend dès lors pourquoi les entreprises publiques sont aussi mal gérées. Il est pour nous difficile de comprendre la prétention d’une famille à diriger un pays pendant un demi-siècle et plus. Les gènes de la présidence se seraient-ils concentrés dans un seul testicule chaque siècle?

Ces pseudo nations consacrent aussi l’échec de la Franc-Maçonnerie en Afrique noire francophone. Après 56 ans de pouvoir au Gabon, la veuve Noire et ses orphelins n’ont pas encore réussi à y installer un système égalitaire. Les symboles dans leurs ateliers sont pourtant les mêmes que dans la métropole, avec l’Egalité comme maître mot. Les politiciens-maçons du Gabon portent des gants blancs comme partout dans le reste du monde, soi-disant pour symboliser cette égalité. Dans tous leurs rituels ils utilisent et font référence aux mêmes outils, le cordon et l’épée pour certains, le niveau et le fil à plomb pour d’autres pour la droiture et la justice dans leurs actions; un pur blasphème.

Mais les grands-maîtres de l’Occident n’ont plus aucune leçon à donner non plus, eux qui, depuis quelques années maintenant dans leurs pays, s’éternisent au pouvoir et consacrent le règne des « fils de… » à l’exemple de la Belgique ou de la France.

Jean Ping: la solution?

Nous pensons que si le monsieur était aussi compétent que son cv de campagne le prétend, l’Union africaine aurait décollé depuis des années. L’image forte de l’alternance aux Etats-Unis, c’est le transfert de cet accès mythique à la clef « atomique ». En Afrique, pour utiliser un schéma similaire, on imaginerait bien Mr Bongo, serrant fort dans ses mains, la clef du grand coffre du pays. Et Ping veut la clef.

Pour beaucoup d’observateurs, Jean Ping ne représenterait pas une réelle alternance, étant lui même un pur produit du sérail. Il a en effet servi le père pendant des années sans aucun résultat palpable à son actif; il a des enfants avec la famille Bongo.

Il résume son projet en quelques phrases choc: « Le Gabon est aujourd’hui dans une impasse. Notre pays est riche, mais la plupart des citoyens sont exclus de cette richesse. […]. Les institutions sont au service d’un clan, la justice est aux ordres, les entreprises sont rançonnées et les fonctionnaires ne sont pas payés. Le chômage se généralise et les jeunes ne croient pas en leur avenir. Les infrastructures du pays se détériorent ou sont insuffisantes. » Source: http://jeanping.org/mon-projet/

La description de la situation, quoique très objective, aurait pu s’appliquer au Gabon de Omar Bongo dont le petit Ali a hérité. Ping a collaboré à mettre en place ce système aujourd’hui décrié; nous aurions aimé lire plus de détails sur la situation qu’il dénonce. Mais chez les initiés, le silence est la règle…

Et si seulement Ping avait pu appliquer ce même programme à l’UA… Tout le continent africain manque d’infrastructures et souffre d’un clientélisme à outrance; l’UA n’est-elle pas le premier syndicat des chefs d’état africain? Mais, là aussi, il est parti en dénonçant silencieusement, sans jamais fournir de détails ni de recommandations claires.

Il se raconte même, dans les milieux congolais, que Denis Sassou Nguesso (principal soutien africain de Ping) rêverait secrètement de voir dans 7 ans (alors que Jean PING aura 80 ans) son petit-fils Omar Denis Bongo ondimba, fruit de l’union de feu Omar Bongo Ondimba et la défunte Edith Lucie Bongo née Sassou Nguesso, diriger le Gabon pendant que son fils Denis Christel Sassou Nguesso, lui, dirigerait le Congo.

L’issue de la crise, on la connaît déjà. Après quelques semaines et centaines de morts, les choses reprennent leur place. Dans le meilleur des cas, on donnera des miettes à Ping pour le faire taire (en CFA ou en postes ministériels), Sarkozy n’étant plus aux affaires pour faire voter les AK47 et les Kalashnikov.

Repenser une démocratie pour l’Afrique

Dans des Etats-Bananes où l’alternance est une chimère, il est important de poser les bases d’une gouvernance scientifique. Si, dans une nation aussi structurée que les USA, on observe encore des failles et des lézardes dans la démocratie, il faut accepter que la soupe soit complètement indigeste dans des pays en pleine construction, à peine sortis de la colonisation.

Dans des Etats comme le Gabon, le Togo, le Congo le Burkina ou même le Sénégal, nous pensons qu’il serait judicieux de penser la politique en terme de groupe ou de cercle de décision. Les élections pourraient s’imaginer au niveau des régions économiques ou politiques. Chacun des élus participerait ensuite à ce « cercle » dans lequel un ou deux dirigeants seraient nommés pour représenter le pays. Si le village de Bongo veut donner ses voix à son roitelet, il pourrait alors faire partie du cercle…

A défaut, il faudrait déjà commencer par la professionnalisation de ces Commissions Electorales Nationales dites Indépendantes. La CENI pourrait en effet s’envisager comme une institution autonome dans son fonctionnement et son budget, avec une direction tournante accessible par un concours national. Certaines fonctions-clef pourraient alors être confiées à des experts non nationaux, le temps des élections…

Bruxelles, le 02 septembre 2016

Analyse collective – Afrology
Séance de travail du 02/09