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Où va l’université au Congo-Kinshasa ?
L’université en RD Congo, comme dans la majorité des pays subsahariens, est dans une situation aléatoire. Considérée comme l’une des plus anciennes des universités francophones, elle a connu moult problèmes dans son évolution.
Dans son livre Où va l’université au Congo-Kinshasa ? édité chez L’Harmattan en mars 2016, Gratien Mokonzi Bambanota tente de faire l’historique de cette université de sa naissance à nos jours en insistant sur quelques manquements de cette université auxquels on pourrait apporter des solutions.
L’université à l’époque coloniale
On parle de deux universités au Congo-Belge avant l’indépendance : Lovanium et l’Université Officielle du Congo (UOC). En Belgique, deux tendances se sont manifestées à la création de l’Université au Congo : pour les pessimistes, l’université au Congo est encore prématurée et ne servirait pas les intérêts de la colonie ; et les optimistes de penser que, par l’université, la Belgique continuerait son œuvre de civilisation entreprise dans la sous-région : « [La Belgique] espérait que cette université serait un grand foyer de féconds progrès pour le Congo et l’Afrique centrale » (p.22).
Mais le développement de l’enseignement supérieur avec la création d’un centre universitaire à Kisantu en 1948 inquiète déjà quelques politiques belges. Que faire pour que l’université ne produise pas une élite hostile aux intérêts des colons ? L’autorité coloniale décide de confier son enseignement à l’Eglise catholique qui dispense déjà la morale et qui a démontré sa fidélité aux objectifs de la colonisation. Les Nations-Unies sont pour l’amélioration du traitement des indigènes à travers l’organisation d’une université officielle du type métropolitain. Pour ne pas être devancée sur le terrain, l’Eglise catholique créé la première université congolaise, l’université de Lovanium qui accepte tout indigène du Congo et du Ruanda-Urundi remplissant les conditions requises. En 1954, ses programmes sont affiliés à ceux de l’université métropolitaine pour attirer les étudiants belges. Et Mokonzi Bambanota de dresser un bilan acceptable de l’enseignement supérieur du Congo à cette époque : Lovanium multiplie par 15 les effectifs des étudiants qui passent de 33 en 1954-1955 à 510 en 1959-1960. L’UOC augmente ses effectifs, trois années avant l’indépendance : 104 en 1956-1957 et 204 en 1959-1960, soit un accroissement de 154% et un accroissement annuel moyen de 51%. Les deux universités connaissent un accroissement global de 22245%. Mais pour Mokonzi Bambanota cette évolution n’est qu’embryonnaire car les 774 étudiants fréquentant les deux universités en 1960 ne représentent que 0,004% de la population scolaire du Congo ; et cette situation est moins brillante par rapport aux universités des autres colonies d’Afrique comme il spécifie : « les effectifs de l’enseignement universitaire représentent 0,06% de la population scolarisée au primaire dans les colonies belges. Cette proportion est 6 fois plus faible que dan les colonies françaises (0,35%) et près de 4fois inférieure à celle des colonies britanniques (0,22%) » (p. 30-31). Il conclut qu’il y a beaucoup à faire après l’indépendance pour soigner l’enseignement supérieur.
De l’indépendance aux années 90
D’après lui, quatre périodes définissent l’enseignement au Congo : l’autonomie des universités (1960-1971), la centralisation des établissements (1971-1981), la décentralisation du système (1981-1984) et la libéralisation du secteur (1989 à nos jours). A l’instar de l’université Libre du Congo (ULC) créée en 1963, Lovanium qui est une institution publique, marque aussi son autonomie. L’UOC qui dépend néanmoins de l’Etat, a un statut de fonctionnement intérieur basé sur le principe de large autonomie que ceux de l’ULC et de l’UOC. Cette autonomie dans l’enseignement supérieur produit dans la décennie 60 moult institutions jusqu’à la création en 1971 de l’Université Nationale du Zaïre (UNAZA) consécutive aux « réflexions sur la nécessité d’harmoniser les principes de gestion et de formation qui se sont de plus en plus développées au cours de la période d’autonomie des universités » (p.42). Les idées politiques étant au centre des institutions pendant le règne de Mobutu qui veut les contrôler, est prise la décision de créer une seule université nationale. Celle-ci doit englober toutes les institutions d’enseignement supérieur du pays. Affirmer la souveraineté et l’intégration nationale en veillant sur la rationalisation et la planification de la formation tout en assurant une grande efficacité du secteur sont les principaux objectifs assignés à cette université nationale. Mais cette dernière se caractérise par la confusion, l’empiétement d’autorité et la lourdeur administrative. Aussi un changement s’avère nécessaire : une nouvelle reforme est initiée en 1981, la décentralisation des établissements.
Malheureusement cette réforme n’atteint pas les objectifs escomptés malgré le détachement de chaque institut du rectorat central de l’UNAZA. La déperdition s’est accentuée après cette fameuse reforme : 62% de réussite en 1er cycle qui tombe à 47% après la reforme. Aussi faut-il attendre les effets de la perestroïka pour que le politique congolais décide la libéralisation et l’essaimage de l’enseignement supérieur.
Des années 90 à nos jours
La libéralisation et l’essaimage de l’enseignement sont décidés car il y a revendication de démocratie du paysage politique pendant l’ère Mobutu. Au cours de cette époque, l’enseignement supérieur privé est un fait accompli. Il faut un programme d’essaimage des facultés et institutions à travers les régions pour décongestionner les établissements supérieurs, préciser le mode de participation des parents dans la gestion des établissements et effectuer la décentralisation des structures de l’enseignement supérieur. Pour Mokonzi Bambanota, l’essaimage est accentué par le processus démocratique des années 90 et le réveil de l’instinct tribal, source de création d’universités communautaires. Mais tous les problèmes qui se posent dans l’université congolaise, tels les rapports entre enseignants et enseignés, la formation des chercheurs, le financement de l’enseignement supérieur, retardent son développement, d’où sa refondation. Et cette refondation devrait prendre compte le contexte socioéconomique du pays. De l’avis de l’auteur, la refondation de l’université congolaise doit être consécutive à sa « dépolitisation [qui] nécessite aussi la préparation de la relève académique » (p.137).
Graphiques, illustrations et annotations chiffrées apportent un éclairage scientifique à cette analyse de l’enseignement supérieur congolais. Et si ce travail pouvait aider le politique congolais à améliorer le système universitaire.
le 04 septembre 2016 – Copyright Afrology
Noël Kodia-Ramata