Un rapport parlementaire éreinte Sarkozy et Cameron pour l’intervention en Libye
Une commission parlementaire a rendu mercredi un rapport fustigeant l’intervention militaire britannique en Libye «fondée sur des postulats erronés» et mal préparée. «Nous avons été entraîné par l’enthousiasme français», explique un parlementaire.
C’était il y a tout juste cinq ans. Le 15 septembre 2011, le président de la République français Nicolas Sarkozy et le premier ministre britannique David Cameron, suivis comme leurs ombres par le philosophe Bernard Henri Levy, débarquaient sur le tarmac de l’aéroport de Benghazi, acclamés par une foule en liesse accueillant ceux qui étaient alors perçus comme des libérateurs. L’intervention occidentale débutée en mars, avait permis de chasser le dictateur Mouammar Kadhafi, qui sera lynché un mois plus tard. Cinq ans après, alors que la Libye est devenue un hub terroriste à feu et à sang, un rapport parlementaire britannique rendu public mercredi éreinte la gestion catastrophique de cette guerre par le gouvernement de David Cameron et son bilan désastreux.
Une méconnaissance totale du pays
Le premier à subir les foudres des parlementaires britanniques est David Cameron, Premier ministre au moment de l’intervention militaire. En creux, les membres de la commission d’enquête l’accusent d’avoir agi en amateur en Libye. Le rapport parlementaire dénonce ainsi « une compréhension très limitée des événements » et des responsables « qui ne se sont pas vraiment souciés de surveiller de près ce qu’il se passait ».
Plus loin dans leur rapport, les parlementaires mettent en doutent la raison même pour laquelle la France et le Royaume-Uni sont intervenus en Libye: le possible massacre de Benghazi. Ville côtière, Benghazi est en mars 2011 aux mains des rebelles qui disputent le pouvoir au Colonel. Alors que la communauté internationale imagine déjà le bain de sang que vont y perpétrer les forces du dictateur, Paris et Londres décident d’intervenir par voie aérienne, avec l’aval de l’ONU. Mais pour les auteurs du rapport, l’histoire de Kadhafi aurait pu pousser les dirigeants franco-britanniques à réfléchir autrement:
« Plusieurs exemples dans le passé auraient pu indiquer la manière dont Kadhafi allait se comporter. (…) En 1980, Kadhafi a passé six mois à pacifier les rapports entre les tribus de la Cyrénaïque. Il y a fort à parier que sa réponse (au soulèvement de Benghazi, Ndlr) aurait été très prudente… La peur d’un massacre de civils a été largement exagérée » note le rapport.
Une «opération mal conçue» sans stratégie de long terme
Selon ce rapport réalisé par une commission parlementaire des affaires étrangères, composée en majorité de conservateurs, l’intervention occidentale en Libye, qui permit la chute du raïs Khadafi, était fondée sur des «postulats erronés». D’opération limitée destinée à protéger les civils, elle s’est transformé en une «politique opportuniste de changement de régime».
«Les actions du Royaume-Uni en Libye se sont inscrites dans le cadre d’une intervention mal conçue, dont les résultats se font encore ressentir aujourd’hui», a dit le président de la commission des Affaires étrangères du Parlement britannique, Crispin Blunt, pourtant membre du Parti conservateur de David Cameron. «La politique britannique en Libye avant et depuis l’intervention de mars 2011 a été basée sur des suppositions erronées et une compréhension incomplète du pays et de la situation.» Selon le rapport, les Britanniques et les Français ont été aveugles quant à la part non négligeable des islamistes dans la rébellion, et n’ont pas su prévoir que ceux-ci en tireraient profit.
Les parlementaires décrivent le bilan désastreux d’une intervention, destinée à changer un régime sans prévoir de solution de rechange, qui a abouti à la transformation de la Libye en «failed-state» («État défaillant»). «Le résultat est un effondrement politique et économique, une guerre civile et tribale, une crise humanitaire et migratoire, une violation généralisée des droits de l’homme, la dispersion des armes de Kadhafi dans toute la région et l’apparition de l’État islamique en Libye», écrivent sans fard les parlementaires dans leur résumé.
Rôle décisif de Cameron et motivations réelles de Sarkozy
La commission parlementaire estime que David Cameron, qui a démissionné en juin dernier, a joué un rôle «décisif» dans la décision d’intervenir militairement en Libye et qu’il doit en porter la «responsabilité ultime».
Crispin Blunt a expliqué à la BBC que les Britanniques avaient suivi aveuglement les Français: «Nous avons été entraîné par l’enthousiasme français à intervenir». C’est en effet le président Sarkozy qui a lancé l’idée d’une intervention, recevant l’opposition libyenne dès mars 2011. La chancelière Angela Merkel avait refusé, mais David Cameron lui avait emboîté le pas, l’Angleterre devenant la deuxième force de la coalition, appuyée par Washington. La protection des civils de la ville de Benghazi, vers lesquels se dirigeaient les chars du régime, était alors invoquée. Mais pour Blunt, «d’après les indices que nous avons rassemblés, la menace envers les civils de Benghazi a été largement exagérée».
Le rapport, qui a un chapitre entier consacré à la France, épingle sévèrement Nicolas Sarkozy. Les parlementaires listent les motivations qui auraient poussé le président français à agir en Libye, citant une conversation entre des officiers de renseignements français et Sidney Blumenthal, conseiller d’Hillary Clinton, qui était à l’époque secrétaire d’État. Cinq raisons auraient poussé Nicolas Sarkozy:
1. Accéder au pétrole libyen
2. Accroître l’influence française en Afrique du Nord
3. Améliorer sa situation politique personnelle en France
4. Donner l’occasion à l’armée française de reprendre son rang
5. Contrer la prétention de Kadhafi à remplacer le leadership de la France dans l’Afrique francophone
La leçon irakienne n’a servi à rien
Le rapport ajoute que des options politiques étaient toujours possibles après la sécurisation de Benghazi. Londres en particulier aurait pu jouer un rôle diplomatique important, en se servant des contacts privilégiés avec le second fils de Kadhafi, qui avait fait ses études en Angleterre à la LSE ou des rapports entretenus entre Tony Blair et le dictateur libyen.
La crise de la Libye est d’autant plus critiquée qu’elle est intervenue après le précédent irakien. Pour l’analyste de la BBC James Landale, «le sous-entendu de ce rapport est que la leçon de la guerre en Irak n’a pas été entendue». «Ce qui s’est passé en Libye était une politique de la demi-mesure, une intervention sans occupation. C’est le modèle de ce qui ne marche pas», ajoute le journaliste. Il y a deux mois, le rapport Chilcot, fruit d’un travail d’enquête de sept ans, dressait un bilan désastreux de la guerre en Irak. Tony Blair y était attaqué pour avoir provoqué l’intervention militaire sans raisons valables.
En France, où une affaire de financement libyen plane sur Nicolas Sarkozy, l’intervention militaire n’a jamais fait l’objet d’une quelconque enquête indépendante. L’idée d’une commission d’enquête parlementaire avait pourtant été mise sur la table par la majorité socialiste en 2013, mais n’avait jamais abouti.
Cinq ans plus tard, note le rapport, la Libye est au bord du gouffre. Reprenant un rapport d’Human Rights Watch, les parlementaires notent que plus de deux millions de personnes nécessitent une aide humanitaire, que 400.000 Libyens ont été déplacés de force, et que les forces militaires en présence continuent de se livrer à de multiples exactions contre les populations civiles et combattantes.
Avec le Figaro et BFMTV