LES DOSSIERS

Démographie africaine, la menace noire

Lettre ouverte à la CEDEAO

Afrology a convenu de ne pas verser dans la « polémique » née d’une déclaration/dérapage des responsables politiques français au sommet du G20 du 08/07/2017. Malheureusement, l’intervention maladroite du burkinabè Salifou Diallo, député au Parlement de la CEDEAO (17 au 19 juillet 2017) nous contraint à sortir de ce silence. D’après Diallo ; « Les parlementaires de la CEDEAO, de la Mauritanie et du Tchad ont convenu que, d’ici 2030, les parlements devaient inciter les gouvernements à mettre en place des politiques tendant à faire en sorte que chaque femme ait au plus trois enfants pour maîtriser le boom démographique…Il est urgent de contenir la poussée démographique dans l’espace CEDEAO pour promouvoir un réel développement viable et durable. »

Au-delà du discours de Mr Macron, nos propos s’adressent plus aux dirigeants de la CEDEAO. Certes, les propos du président français sont de nature à choquer ou à provoquer. Mais ils augurent des batailles futures pour la souveraineté. Selon nous, il appartient aux dirigeants africains de se situer sur l’échiquier de la prospective, de l’analyse et d’objectivité. Autrement, de se projeter dans l’histoire en tant que visionnaires acteurs, et non dirigeants quémandeurs et incompétents.

Mr Macron (né en Décembre 1977) a-t-il autorité en matière de démographie africaine par le simple fait d’avoir fait un stage au Nigéria ? Le sieur Diallo (né en mai 1957), s’il avait un peu de courage et de bon sens, aurait pu rappeler à celui qui aurait pu être son troisième fils, la responsabilité de ses ancêtres dans la déportation des ressources humaines du continent quatre siècles durant, une période au cours de laquelle la population africaine était estimée à 20% de celle du globe, soit 100 millions d’individus au XVème siècle (selon Felwine Sarr).

Des chiffres et des êtres.

Interrogé sur le développement de l’Afrique au G20, le chef de l’État français a ciblé les « 7 à 8 enfants » des femmes africaines comme un problème « civilisationnel ». Selon une étude de l’ONG Population Reference Bureau datée de 2016 [1], le taux de fécondité en Afrique s’élevait à 4,7 enfants par femme contre 2,5 en moyenne dans le monde. Ce taux, en baisse constante, était de 6,5 à l’aube des indépendances en 1950. A défaut de s’abaisser à analyser le discours de Mr Macron, un président devrait penser à s’entourer de nègres compétents. Nous comprenons l’émotion du jeune président devant ses pairs, mais la réponse française est d’autant plus troublante que les Etats de l’Union Européenne, avec près de 120 habitants/km² dépassent de très loin le continent africain qui affiche une densité de 40 âmes/km². En 2012, la France affichait 103,4 [2].
A la fin du XIXe siècle, l’Afrique ne représentait plus que 9% de la population mondiale. Les traites transatlantiques et arabes étaient passées par là…

Le tableau ci-après, illustre le constat qui bat en brèche les déclarations de certains. Et ce constat est simple. L’Afrique reste un continent sous peuplé.

Pays Superficie Population en 2016
Belgique 30 528 km2 11.350 000
Suisse 41 285 km2   8.372 000
Pays bas 42 508 km2 17.020 000
Togo 56 785 km2   7.606 000
Bénin 114 763 km2 10.870 000

Source : Banque Mondiale, 2016

Cependant, et c’est le cœur du débat, le Vieux Continent semble retrouver, ce que les analystes qualifient de « vitalité démographique » et qui permet d’évaluer la population africaine à quelques à plus de 2 milliards aux alentours de 2070. Qui plus est, ces évaluations prévoient une population urbaine à plus de 60%. D’où la tournure socio-économique du débat.

Démographie et projet capitaliste

Le Niger, avec 6 enfants par femme, affiche le taux de fécondité le plus élevé au monde. « Dans ce pays fortement rural, les enfants sont sortis de l’école pour être utilisés comme une main-d’œuvre gratuite ou à bas coût », selon Youssef Courbage. Le colon lui a dit de produire (du coton, du café et du cacao) sans lui fournir les outils ; le pauvre a besoin de main d’œuvre et comme il ne peut pas en recruter, il en fabrique. A l’analyse simpliste de Mr Macron et Mr Lalau, nous préférons la vision de Serge Michaïlof qui considère comme un atout cette abondance de main d’œuvre. Devons-nous réduire les naissances pour ensuite importer des informaticiens de l’Inde ou des agriculteurs chinois?

Par ailleurs, l’explosion démographique est aussi un enjeu socio politique. L’accroissement de la population est une menace pour les blocs postcoloniaux comme la Francafrique et autres privilèges que s’octroient les dirigeants. Entre 3 et 5 millions de personnes ont quitté le Sahel depuis les indépendances. Elles seront probablement autour de 40 millions d’ici à la fin du siècle. Autrement, l’accroissement démographique entraînera des changements politiques et économiques, et c’est aussi un enjeu pour l’exploitation des ressources naturelles et environnementales.

Car les besoins ne seront plus orientés vers la satisfaction d’une minorité, mais vers ceux de la majorité. Le choix entre la création de « cocotte-minute de ces populations en effervescence au risque d’être balayés par autant de révoltes sociales que possible. De plus, les diasporas africaines au sens large seront de plus en plus actives en influençant non seulement les orientations politiques de leur pays d’accueil mais aussi les évolutions politico-sociales de leurs pays d’origine à l’instar des cubains et des chinois aux États-Unis ».

Des moyens de ses ambitions

Quel est le programme, cher Monsieur Diallo pour atteindre les contrées isolées du Burkina, à l’écart de toute civilisation et sans aucun accès à l’information ? Pour ces pauvres qui n’ont pas un seul hôpital et pour qui, faire des enfants s’apparente à de la loterie, la pilule risque d’avoir un peu de mal à passer. Dans ces espaces culturels complètement déconstruits par le colon puis la succession de présidents égocrates, quelle langue et quels relais allez-vous utiliser ? Quelle méthode de contraception allez-vous proposer aux populations : l’abstinence, ou la famine, quand on sait que vous continuez à importer vos aliments de France ou de Hollande… Des hormones pourraient aussi aider à circonscrire les natalités, encore faut-il pouvoir se les payer.

Dans ce débat qui défraie actuellement les chroniques et décrédibilise nos anciens colonisateurs, nous aurions beaucoup aimé avoir la position du président en exercice de la CEDEAO, sur le rapport entre Démographie, Développement et Démocratie…

Tout président en Occident est élu pour défendre les intérêts de sa propre Nation. Yves Marie Laulan, économiste français de 83 ans, lève un coin du voile en affirmant que l’explosion démographique en Afrique représenterait un risque pour la civilisation occidentale (sic) [3], une certaine lumière sur le sens réel de la déclaration de Mr Macron. La démographie africaine est un enjeu économique, culturel et civilisationnel. Et cela fait peur. On comprend dès lors pourquoi personne ne s’émeut des  migrants morts dans les nombreuses tentative d’infiltration en provenance du Sud.

La vraie question

Pourquoi la natalité moyenne baisse partout dans le monde, mais pas assez rapidement en Afrique? Selon nous, Mr Macron a complètement renversé la causalité. Comment voulez-vous qu’un gouvernement mal ou pas élu puisse se faire respecter jusque dans l’intimité d’un foyer ? Créons en Afrique les conditions pour une régulation automatique des naissances en construisant d’abord de vrais Etats capables de se faire entendre par les populations. Dans de nombreux pays que nous avons visités en Afrique, l’Etat peine déjà à asseoir une culture du « bien public », se cantonnant dans une gestion militarisée du pays. Nous avons traversé en bus le Togo, le Burkina et le Mali ces derniers mois ; l’alibi Djihadjiste est une très bonne excuse à des fouilles au corps et des rackets policiers tous les 50 à 100km le long du trajet ; nous y reviendrons…

On aura beau dire, le jeune Macron a au moins réussi le pari de détourner le regard de l’intelligentsia africaine pendant qu’il opère en toute tranquillité au Mali, loin des projecteurs. L’alerte à la régulation démographique est peut-être justifiée, mais les interventions sont trop partisanes. Les démographes qui parlent du continent depuis les hôtels 5 étoiles du globe ont comme une poutre dans l’œil.

En attendant une analyse plus objective, nous en appelons à l’immigration massive pour forcer la main au colon et le contraindre à abandonner cette forme de soutien aveugle aux élites corrompues en commençant à dénoncer l’Egocratie [*] partout installée sur le continent africain.

En absence de toute politique scientifique et sociale sur le continent, il est probable que les statistiques soient d’ailleurs fausses et que nous soyons en réalité à 10 enfants par femme. Aucun de ces pays, en effet, ne dispose de registre d’état civil véritable et fiable; toutes les données proviennent de recensements et d’enquêtes approximatives de terrain.  Alors, tremblez, Macron, ils arrivent ! C’est la planète des singes III.

A l’attention de nos chers dirigeants de la CEDEAO, nous prônons une nouvelle génération de politiques en Afrique disposant de dignité, de roubignolles** et de courage en suffisance pour sortir ce Continent de l’ornière dans laquelle il s’enfonce.

 

Gustav AHADJI
et Spero HOUMEY
pour Afrology

[*] L’Egogratie: n.f – Le mot est à prendre ici dans son sens étymologique. Du grec kratos (« pouvoir ») et du latin egō (« moi »). Une Egocratie est un régime politique moderne dans lequel le président est seul souverain (timonier, père de la nation, guide éclairé ou baobab), exerçant le pouvoir seul ou avec ses amis, sans l’intermédiaire d’un organe représentatif …

[**] Roubignolles: n.f  – Expression populaire. Utilisé pour désigner une partie significative des organes de reproductions mâles.

Références occidentales sur le sujet
1. http://www.prb.org/Publications/Datasheets/2016/2016-world-population-data-sheet.aspx
2. http://economiepolitique.org/densite-de-la-population-des-27-pays-deurope-dont-la-france-3/
3. https://www.polemia.com/afrique-le-cauchemar-demographique-presente-par-yves-marie-laulan-et-africanistan-de-serge-michailof/