Diane Rwigara – Prisonnière fiscale
Instrumentalisation des taxes à des fins politiques
Ces dernières années, la fiscalité est devenue une préoccupation majeure des Etats et entreprises du continent africain. Depuis les débuts du 20ème siècle, l’impôt est la source principale de financement de l’Etat moderne et l’instrument essentiel de la politique économique et sociale de nombreux pays à travers le monde. Elle commencera à intégrer la réflexion des dirigeants africains depuis la crise économique et le désengagement subséquent des anciennes métropoles. Au Rwanda, comme ailleurs, l’impôt permet de couvrir les dépenses publiques et d’assurer « en théorie » une certaine redistribution de la richesse pour maintenir la paix sociale et favoriser le développement humain.
C’est dans ce cadre que le Centre de politique et d’administration fiscales (CPAF) intensifie ses travaux avec les pays africains, développant des systèmes fiscaux qui tiennent compte des normes internationales les plus exigeantes en termes d’efficacité, de fiabilité et de transparence. Nous ignorons ce que ces institutions connaissent de l’économie informelle sur le terrain.
Pour les entreprises locales, la fiscalité est devenue une technique d’administration en liaison étroite avec la gestion juridique, financière et commerciale. Une gestion optimale permettra d’effectuer des choix pertinents et de tirer profit des avantages fiscaux prévus par la réglementation en vigueur, en restant en dehors des limites admises tels que l’abus de droit ou la fraude. L’évasion fiscale et l’abus de droit sont en effet des mécanismes qui permettent d’éluder et/ou de réduire certaines charges légales (fraude fiscale). Mais ces mécanismes sont des techniques irrégulières réprimées par la loi, quoique pas toujours évidentes à démontrer.
Secteur informel prédominant
L’impôt réel frappe la matière imposable, sans tenir compte du contribuable qui va payer la taxe. Dans ces conditions, deux contribuables qui ont la même matière imposable devront le même montant quelles que soient leurs situations personnelles. Nous constatons sur le terrain africain toutefois un manque d’infrastructures de base permettant la qualification de ce matériel imposable. L’exemple le plus évident est l’évaluation des taxes et impôts forfaitaires pour le matériel d’occasion en provenance d’Europe vers les Etats d’Afrique. Il n’existe aucun barème et le tarif est souvent fixé à la tête du client ou de son transitaire. La situation est encore plus complexe lorsqu’il s’agit d’évaluer la force de transformation d’un bien (Exemple: un poisson frais vs le même poisson fumé).
Ceci pose un problème évident dans les états embryonnaires du continent: L’impôt direct doit reposer sur des données constantes (revenu ou capital) qui permettent une perception régulière. En Afrique, nous sommes dans le flou en absence de base de calcul réel, d’étalons et de structures d’évaluation ou statistiques objectives. On fera alors souvent appel à des expertises étrangères sans aucune base formelle (exemple: Cotecna.com).
Problème de redistribution
Un système d’imposition constant et régulier devrait normalement permettre de réguler ou aplanir les inégalités sociales. Et pourtant, au cours des dernières décennies, malgré cette modernisation fiscale, c’est dans les pays africains que les écarts de revenus ont été les plus importants, selon The Inequality Predicament (étude de 2005 du DESA, Département des affaires économiques et sociales de l’ONU). Ces disparités se sont encore accentuées sur le continent dans les années 1980 et 1990, précise l’étude. Cela veut dire qu’en cas de ralentissement ou de crise économique, les personnes en bas de l’échelle des revenus, les plus vulnérables, sont le plus durement touchées.
Mais les écarts économiques ne sont qu’un aspect du problème. D’autres inégalités criantes existent partout en Afrique, dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’accès aux services sociaux et de nombreux autres aspects de la qualité de vie. Les couches aisées bénéficient de la meilleure éducation et des soins de santé les plus sophistiqués (le plus souvent externalisés), alors que les pauvres n’y ont simplement pas accès.
En matière d’Education et de santé, la couche aisée des populations africaines paie donc ses taxes et ses frais dans les pays développés de l’Occident ou de l’Orient.
Compétitivité fiscale et complaisance politique
Dans ce brouillard fiscal, les régimes forts de certains Etats « bananes » trouvent un prétexte facile pour éliminer des candidats jugés dangereux. Dans un environnement moderne où la tendance est le cadeau au banquier (défiscalisation – prêts sans intérêt – aides d’Etat…), on se trouve dans des pays comme le Bénin, le Togo, et aujourd’hui le Rwanda, dans une chasse à l’homo politicus avec une arme fiscale difficilement contestable: la fiscalité. La coïncidence est assez souvent troublante…
- Togo: Un mandat plane sur la tête de Dupuydauby depuis plusieurs années pour fraude fiscale – L’homme d’affaire togolais Alberto Olympio a été condamné en 2016 à 5 ans de prison ferme, 9 millions d’euros d’amende;
- Bénin: 25/08/2017 – l’homme d’affaire Sébastien Ajavon accusé d’évasion fiscale avec un redressement de 254 millions d’euros;
- Rwanda: 30/08/2017 – La police rwandaise a déclaré qu’elle mène des enquêtes sur les fraudes fiscales présumées et la contrefaçon impliquant l’une des critiques féroces du président Paul Kagame, Diane Rwigara dont on est sans nouvelles depuis.
Et pourtant, selon des documents obtenus par les plus grands journaux, corroborés par une enquête de plusieurs mois à laquelle ont pris part de grands médias, en collaboration avec le Consortium international du Journalisme d’Investigation (ICIJ basé à Washington), plusieurs personnalités ouest africaines, sont concernées par des mouvements financiers, en ayant placé d’énormes sommes auprès de la filiale suisse de la banque anglaise HSBC (HSBC Private Bank). Les cas des sociétés WACEM et ATS, des Israéliens du phosphate carbonaté togolais cités dans les Panama Papers, sont restés sans suite. Au Rwanda, Emmanuel Ndahiro, brigadier général, ami proche du Président rwandais Paul Kagame, dont il a été le médecin, le conseiller et le porte-parole n’a pas été inquiété par le pouvoir, malgré les révélations de Panama Papers.
En Afrique, les experts estiment que les flux illicites de capitaux font perdre au continent environ 50 milliards de dollars par an. Un montant qui reste « sous-évalué », mais dépasse déjà celui de l’aide au développement.
Conclusion
Dans un état de droit, il existe une frontière théorique entre les 3 pouvoirs (Exécutif-Législatif-Judiciaire). Mais quelle est la portée de cette séparation, si l’Exécutif peut user du pouvoir fiscal (laissé de côté) pour asservir et noyer l’un des représentants des autres pouvoirs ou simplement écarter un adversaire? L’absence de règle et de normes objectives apporte de l’eau au moulin de ces décideurs. L’Afrique, après 50 années d’indépendance ne dispose à ce jour d’aucun outil commun de gestion de sa fiscalité; le Forum africain sur l’administration fiscale fait appel à l’OCDE à Vienne. Loin du terrain et des réalités locales, cette institution ignore que dans certains pays d’Afrique, le trésor public est logé dans la résidence du chef de l’Etat. Ce n’est pas non plus l’OCDE qui aidera le trésor public africain à récupérer les fonds indûment détournés par les grandes banques, les grands trusts internationaux (Total, Bolloré, Shell…), et les Etats Occidentaux.
L’Etat moderne parle souvent du pouvoir des médias (à isoler); nous estimons qu’il faut également mettre une séparation forte entre l’Exécutif et le Fiscal ou le Financier pour une saine gestion des actifs publics. A défaut d’une régulation progressive, toutes ces inégalités risquent à terme d’alimenter l’instabilité politique grandissante sur le continent africain.
Bruxelles, le 30 Août 2017
Gustav Ahadji