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Togo : Refondation démocratique et croissance partagée

Introduction : 13 janvier 2006, mal-gouvernance, endettement et pauvreté

Lorsque la pauvreté augmente au Togo et qu’il apparaît que les salaires mêmes de certains fonctionnaires togolais risquent de ne plus être honorés, comme au demeurant une grande partie de la dette intérieure due au secteur bancaire et aux entreprises locales, on peut se demander s’il est nécessaire d’opter pour des dépenses somptuaires pour la commémoration d’un certain 13 janvier 1963.

Pour ce faire, et pour prévenir tout imprévu, le Ministre de la défense, considéré par certains comme le véritable Président-bis du Togo, a procédé à la fin décembre 2005 à une réorganisation en profondeur des forces armées togolaises (FAT)[1]. Ceux qui ont servi le père ont été priés de prendre leur retraite, parfois de manière anticipée. Tous les nouveaux postes clés sont occupés par un membre de la famille originaire du village au Nord du Togo: Pya. Les dépenses pour faire défiler une partie de l’armée, faire une démonstration de force et permettre à des  « frères dits de Lumière » de se réunir ne peuvent se faire aux dépens des impôts des populations togolaises. Sur le plan de la gouvernance, c’est simplement irresponsable et contribue à l’augmentation de l’endettement du pays et celle de la pauvreté.

1. Comment apaiser le Togo avec les forces armées togolaises (FAT) ?

 L’éthique n’a pas présidé au choix des nouveaux responsables de l’armée au Togo puisqu’en guise de sanction-promotion, le lieutenant-colonel Kadanga Abalo, beau-frère du Président Faure Gnassingbé, s’est vu confier le commandement de la « fameuse » force d’intervention rapide (FIR) de l’armée, équipée de l’extérieur par des milices privées et chargée de rétablir l’ordre à tous les prix afin d’assurer la paix des cimetières dans les rues du Togo. Ce dernier a été abondamment cité par le rapport de l’ONU sur les « violences au Togo avant, pendant et après les élections présidentielles du 24 avril 2005″[2]. Il faut croire que le rapport de l’ONU n’est nullement pris en considération et cela semble laisser indifférente la communauté internationale, notamment l’Union européenne et les Nations Unies, qui de fait, contribuent à encourager l’impunité.

 Le commandement de l’Unité opérationnelle a été confié à Béréna Gnankoudè, nouveau chef d’État major de l’armée de terre assisté par les frères du Président (dont nous espérons bientôt avoir les noms de source officielle – voir RepublicOftogo). Le Régiment commando de la garde présidentielle (RCGP), plus connu sous le nom  « Bérets verts » a à sa tête Bali Wiyao et le Régiment para-commando (RPC) de Kara appelé aussi « Bérets rouges » a été confié à Lemou Tchalo. Ces hommes sont chargés d’assurer la « continuité de l’État » en protégeant un pouvoir profond mais effectif, avec environ 13 500 hommes dont 12 212 relevant de l’armée de terre, constituée quasi exclusivement de l’ethnie Kabyè, et la « stabilité de l’État togolais » contre toute refondation démocratique qui n’est pas sous leur contrôle.

 Comment apaiser le Togo avec des militaires regroupés sous les forces armées togolaises « FAT » qui n’ont aucun respect pour la séparation des pouvoirs entre l’armée et les autres pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire, médiatique, etc.) ? Qui est l’otage de qui ? Qui profite de cet état de fait, parfois en se jouant de l’incapacité des partis d’opposition togolaise à s’unir? Qui joue souvent au chef d’orchestre par télécommande en permettant à des personnalités non-grata en France et en Europe, de venir organiser l’habillage juridique et militaire assurant la pérennisation d’un système souffrant d’un déficit démocratique et d’une légitimité usurpée? Personne, bien sûr !

2. Le silence de la communauté internationale face aux « conflits de basse tension »

 La communauté internationale notamment l’Union européenne fait ce qu’elle peut en affichant officiellement l’embargo financier sur le Togo comme moyen de pression. Mais ce sont les populations pauvres et sans défense du Togo qui en souffrent. Cela a permis au pouvoir en place de diversifier ses sources de financement tout en intégrant des réseaux d’un nouveau genre où « une fraternité basée sur la loi du silence » se mélange allègrement avec des personnalités mafieuses de haut calibre. Il n’est pas étonnant que, de temps en temps, le Togo soit cité comme plaque tournante d’un certain nombre de trafics dont les armes, la drogue et la prostitution sous des formes nouvelles. Mais, plus grave, ce sont les combinaisons avec des réseaux mafieux internationaux et fournisseurs d’armes qui sont à déplorer car cela entraîne certains « intermédiaires » à faire affaire avec des réseaux terroristes mondiaux, mettant en danger la sécurité collective à terme.

 Le silence de la communauté internationale demeure inquiétant. Cela tend à confirmer la thèse de l’existence de « zones de conflit de basse tension » qui ne nécessitent pas de mesures spéciales de cette communauté internationale sauf une surveillance de circonstance pour éviter les escalades non-contrôlées. Pourtant, la plupart des crises dans les petits pays servant de lieu de « transit » dans les conflits régionaux et les pays servant de marchés d’occasion pour les armes et autres engins militaires conduisent invariablement à l’organisation d’États défaillants. Les arbitrages budgétaires faits par les Gouvernements de tels États au devenir incertain ne se font pas en faveur des objectifs du millénaire du développement.

 Le silence des Nations Unies, une fois le rapport sur les violences liées à des élections non-démocratiques et non-libres au Togo remis au Gouvernement, témoigne d’une part, de la faiblesse des moyens mis à disposition de l’ONU, et d’autre part d’une grave erreur stratégique d’analyse de la communauté internationale. En effet, en laissant les conflits dits de basse tension perdurer, et en se réfugiant derrière la position actuelle de la communauté africaine qui considère la démocratie, la liberté et le libéralisme comme des priorités secondes, ces communautés internationales et africaines semblent abandonner à son sort le peuple togolais soumis au dictat des « roitelets africains ». Ces derniers le leur rendent bien en acceptant, avec parfois un zèle déplacé, le transfert de l’essentiel des capacités productives et des richesses locales vers les pays du Nord.

3. Les confusions d’un mimétisme mal digéré

 Ces roitelets africains confondent souvent allègrement « leadership et vision » avec « omnipotence et allégeance ». Ils n’hésitent pas à utiliser d’une part, une démocratie maladroitement copiée et mal assimilée de l’Occident pour organiser cette confusion et d’autre part, une partie grassement payée d’une armée tribale impliquée dans des réseaux de « confréries d’armes » comme des confréries dites de  « lumière » pour bloquer toute possibilité légale ou illégale de se faire déboulonner du pouvoir. Leurs contributions à la fuite des cerveaux et leur responsabilité dans l’aggravation des problèmes d’immigration et donc du désespoir de la jeunesse africaine et des laissés pour compte sont immenses. Le sommet Afrique-France de Bamako du 2-3 décembre 2005 ne pouvait en fait qu’en parler à demi-mots puisque tous les acteurs de ce mélodrame africain étaient présents mais étaient tenus par le silence neutralisant de la « fraternité » des confréries des affaires.

 Il manque donc un leadership et une vision de sortie de crise au Togo. Mais qui veut vraiment sortir de la situation actuelle ? Certainement pas ceux qui en tirent un avantage direct. En ce début d’année 2006, plus personne, y compris les « roitelets africains », ne remet en cause le fait que la croissance et le libéralisme tant prônés par les institutions de Bretton-Woods sont insuffisants pour relancer les économies moribondes africaines, lesquelles vivent souvent à coup de perfusion d’aides internationales. Il faut donc une rupture avec le système actuel de mauvaise gouvernance, de passe-droit et de l’impunité organisé.

 La gouvernance, que le nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) s’efforce de mettre en place, repose d’abord sur l’obligation de rendre des comptes au peuple. Le citoyen est invité alors à prendre part à la construction du pays et à son développement. Mais s’il est pauvre et ne paye pas d’impôts parce qu’il n’a pas d’emplois, qu’est-ce qu’il peut bien réclamer en termes de démocratie lorsque pour seules réponses, il reçoit en retour des intimidations, des abus de pouvoir, des atteintes aux libertés les plus basiques et bien sûr un bâillonnement des médias et de l’information, lesquels font office de réponses expéditives… Bref, il faut une transition pour permettre à des femmes et des hommes de bonne volonté de proposer, de gérer et de conduire le Togo vers une refondation démocratique et un retour de la confiance.

4. Pour un Togo apaisé : le besoin d’une équipe de facilitateurs togolais

 Le retour de la confiance entre les Togolais passe paradoxalement par un vrai débat pacifique sur la séparation des pouvoirs entre la partie de l’armée (FAT) hostile à la démocratie et à la croissance partagée et les autres pouvoirs notamment l’exécutif, le législatif, le judiciaire et le médiatique. Personne n’est contre la paix et la réconciliation. Mais la paix des cimetières imposées par les armes, la manipulation des résultats favorisées par un régime autocratique et policier, une violence physique qui continue et un dol juridique remontant à l’absence de séparation des pouvoirs depuis 1963, lors du premier coup d’État africain et les manipulations diverses sur la constitution de 1992 ne peuvent disparaître par un coup de « gomme magique » de la mémoire collective.

 Le délitement de la société togolaise et les responsabilités tant de l’armée, du pouvoir et des partis d’opposition oubliant de quitter la cour du jardin d’enfants où luttes infantiles autour de pouvoirs personnels sont telles que les plaies ne peuvent être cicatrisées uniquement par l’application des 22 conditions de l’Union européenne (UE)[3]. Les conditions de l’UE n’ont pas véritablement été discutées avec les partis d’opposition. Il faut une nouvelle plateforme et une nouvelle feuille de route pour offrir une vision nouvelle de paix et permettre une véritable réconciliation nationale d’une part, entre l’armée et le peuple togolais, et d’autre part, entre le Togo et les communautés internationale et africaine.

 Cela suppose qu’un regard franc, lucide et sans complaisance soit jeté par des Togolais y compris ceux de la Diaspora sur le Togo d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Oui, il faut une facilitation, mais cette facilitation ne peut faire l’erreur d’aller choisir une personnalité de type « Zorro »[4], qu’il soit blanc ou noir… Le linge sale se lave en famille et permet le retour de la confiance[5]. Il faut donc une équipe de facilitateurs togolais et de médiateurs internationaux sur laquelle l’ensemble des protagonistes (partis d’opposition, gouvernements et communautés internationale et africaine) donneront leur accord pour mener sur financement des amis du Togo, notamment l’Union européenne, un travail de facilitation qui pourra alors faire l’objet d’une approbation par les Nations Unies. Pour s’assurer qu’une telle démarche ne soit pas bloquée par des militaires surannés, il n’est pas impossible de faire appel à des forces de sécurité de l’OTAN, de l’Union européenne et de l’Union africaine pour garantir la sécurité des facilitateurs et des protagonistes lors d’une période de transition qui ne devrait pas excéder 18 mois si un accord est trouvé sur une plateforme et une feuille de route pour la refondation démocratique au Togo. Cette plateforme devra obtenir l’adhésion du peuple togolais.

Conclusion : le Togo a besoin d’une refondation démocratique

 Plus de la moitié de l’Afrique dispose encore de régimes politiques qui ne sont pas libres. Les élections y sont usurpées et la population, intimidée, se contente de choisir le candidat le plus fort, le plus riche et disposant de l’armée pour éviter les dérives vers des guerres civiles. Si c’est de cette forme de démocratie travestie dont s’accommode la communauté internationale, alors l’Afrique a besoin de réinventer sa propre démocratie, celle qui permet au peuple-citoyen de s’exprimer et de construire sa liberté, son indépendance sans le faire au détriment d’une autre partie du monde.

 Il faut savoir qu’en fait, le Togo ne dispose pas d’une photographie partiale et non-pré-établie de son paysage politique depuis 1963. Les constitutions, héritées d’ailleurs, doivent faire l’objet d’un toilettage qui devra tenir compte de la culture locale sans toutefois verser dans un traditionalisme non-éclairé. Le système actuel demeure fondamentalement antinomique au processus de développement et contribue plus à la dilapidation des maigres recettes tirées d’une croissance faible et à augmenter les inégalités ainsi que la pauvreté. Il ne s’agit nullement ici de fatalisme.

 Le régime présidentiel mal digéré du Togo doit nécessairement évoluer. La victoire d’un parti majoritaire ne peut exclure les autres partis du partage du pouvoir. Les expertises de Togolais, y compris celles dispersées dans la Diaspora, doivent être identifiées, regroupées, organisées, canalisées et valorisées pour permettre à une équipe, qui n’a pas besoin d’être limitée à des natifs du Togo, de retrouver le chemin naturel du développement des pays des « aïeux ». Par ailleurs, la décentralisation et la création de véritables régions décentralisées au Togo et dotées d’autonomie budgétaire en prévision d’un futur gouvernement continental et un fédéralisme de type africain doivent se construire dès maintenant. Cela n’est pas possible au Togo sans une refondation démocratique et une culture de la croissance partagée. Refuser de donner une chance nouvelle à une feuille de route pour la refondation démocratique du Togo qui fera l’objet d’un processus itératif d’adhésion est tout simplement criminel. Il est donc question de demander à tous les protagonistes en ce début de 2006, d’oublier les rancœurs et autres hostilités pour œuvrer positivement vers l’avènement d’une plateforme et d’une feuille de route pour un Togo apaisé.

11 Janvier 2006
Yves Ekoué Amaïzo
Auteur et Économiste à l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI).
S’exprime ici à titre personnel pour Afrology

1. Voir l’article de Komi Toulabor (Letogolais.com) Lire

2. Voir les annexes du rapport de la mission des Nations Unies sur le Togo, 29 août 2005 : Le rapport publié le 26 septembre 2005 par le Haut-commissariat des droits de l’Homme, voir  https://www.afrology.com/presse/communic/rapport_onu2005.html

3. Togo: Les 22 engagements acceptés par le Gouvernement togolais : (avril 2004), Union européenne – voir :  https://www.afrology.com/presse/communic/togo22_ue.html

4. Au cours du mois de décembre 2005, des noms de facilitateurs-médiateurs ont été proposés par la Commission de l’UA, la Commission de l’UE (le commissaire au développement) et par l’ONU (Secrétariat général). Les noms de Moustafa Niasse, ex-Premier ministre sénégalais, Ousmane Sy, ex-ministre de la décentralisation au Mali et expert des Nations Unies, ainsi que l’ancien président capverdien Antonio Mascarenhas Monteiro, qui a conduit une mission de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) au Togo en février 2005, n’ont pas été retenus. Le premier ayant été rejeté par des partis d’opposition et aucune suite tangible n’a été donnée quant aux deux derniers.

5. Yves Ekoué Amaïzo (sous la direction de), L’union africaine freine-t-elle l’unité des Africains ? Retrouver la confiance entre les dirigeants et le peuple-citoyen, avec une préface de Aminata Dramane Traoré, collection « interdépendance africaine », éditions Menaibuc, Paris, 2005, p. 26.