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Les Mutilations Génitales Féminines (MGF)

1. INTRODUCTION

Il y a des pratiques que nos ancêtres eux-mêmes s’ils revenaient à la vie trouveraient caduques et dépassées
(Amadou Hampaté Bâ)

Cette citation du Sage de l’Afrique nous incite à analyser dans la présente étude, les mutilations génitales féminines selon une triple perspective: historique, sociologique et littéraire. Nous envisagerons d’un point de vue critique les discours qui sous-tendent cette problématique par les diverses parties prenantes sur la question afin de dégager les tenants et aboutissants d’une telle pratique. Nous donnons voix au principales intéressées, à ses partisans, à ses adversaires, aux hommes et femmes de lettres mais aussi aux détenteurs du pouvoir qui ont la possibilité de changer le cours de l’histoire. Notre communication inscrit l’excision dans un cadre social global qui s’étend au-delà des seules frontières de l’Afrique, car actuellement l’émigration de fortes minorités en Occident insère aujourd’hui cette coutume dans le processus de mondialisation et de globalisation. Cette opération qui a lieu en Afrique, en Europe et en Amérique interpelle tout un chacun à s’interroger sur la valeur d’une telle pratique.

2. HISTORIQUE ET GÉOGRAPHIE de L’EXCISION

La clitoridectomie n’est pas un phénomène purement africain  

La pratique de l’excision se perd dans la nuit des temps. Selon Séverine Auffret, qui cite René Neli:
« L’excision des femmes chez les Egyptiens remonte à 5 ou 6000 ans avant Jésus-Christ, c’est-à-dire qu’elle plonge ses racines dans le néolithique, et qu’elle a dû être d’un usage courant dans toute l’humanité protohistorique. L’extension géographique du fait l’atteste: Egypte, Ethiopie, Syrie, Perse délimitent en effet le foyer de la première néolithisation occidentale.(Auffret Séverine. » Des couteaux contre les femmes. Paris: Grasset, 1982, p.145)

D’origine païenne, l’excision s’est donc développée bien avant l’apparition des religions révélées, monothéistes. La carte géographique de l’excision montre que les pays à métissage négro-arabes et africains l’ont adoptée rapidement mais il est difficile de situer avec exactitude son origine. L’excision aurait été pratiquée à l’époque des pharaons. Nawal El Saadawi rapporte dans son ouvrage La face cachée d’Eve (The Hidden face of Eve. London: Zed Press, 1980) que déjà en l’an 700 avant J.C. Herodot mentionne l’excision et c’est de là que proviendrait le nom « excision pharaonique » pratiquée au Soudan et en Afrique de l’est. Les fondements mythiques des pays de la corne de l’Afrique rapportent que l’on pratiquait l’infibulation pharaonique sur les femmes, pour éviter qu’au moment des razzias effectuées par les Arabes, elles ne soient violées.

En 1769, Carstens Niebuhr, l’explorateur allemand, constate sans s’en formaliser que sur les rives du Golfe persique, parmi les chrétiens d’Abyssinie et d’Egypte, parmi les Arabes et les Coptes cette coutume avait droit de cité. (Cité par Amna Elsadik Badri. « Circumcision in Sudan » in Giorgis Belkis. Excision en Afrique. Dakar: AAWORD/AFARD, 1981, p.130)
A l’époque de la colonisation, la pratique de l’excision ne soulève aucune polémique en Europe. Les anthropologues, les administrateurs coloniaux et l’Eglise catholique sont au courant d’une telle coutume mais ils n’en n’ont pas fait cas (cf. Annie Villeneuve. « Etude sur une coutume somalienne: les femmes cousues » in Journal de la société des Africanistes. Paris, 1937). Pour eux, il s’agit tout au plus d’une curiosité africaine qu’ils associent aux mythes « puérils et pittoresque » (R.P. Daigre. « Les Bandas de l’Oubangui-Chari » in Anthropos T. XXVII, 1932, p.658) qui ont cours parmi les populations locales. Par exemple, dans son ouvrage sur les Bandas de l’Oubangui-Chari (aujourd’hui Centrafrique), le R.P. Daigre donne une description détaillée de la cérémonie en soulignant son importance sociale :
« Au jour convenu, les fillettes sont conduites par leurs mères en un coin retiré de la brousse, où elles subissent l’excision. Après la cérémonie, elles revêtent une ceinture de feuillages et, pendant une quinzaine de jours, la danse est leur seule occupation; elles parcourent les villages en sautillant et chantant en choeur les chants appropriés. Toutes les femmes du villages suivent en cadence. »(op.cit.)

La clitoridectomie en Europe au 18e et 19e siècle: Isaac Baker Brown

La clitoridectomie n’est pas un phénomène purement africain mais a fait partie intégrante de la médecine européenne. Bien que l’histoire ait retenu surtout le nom du docteur Isaac Baker Brown (1812-1873), nombreux furent les médecins qui soignèrent ainsi les cas d’hystérie, de migraines et d’épilepsie. Isaac Baker Brown, qui étudia au « Guy’s Hospital » de Londres, devint un gynécologue de renom, spécialiste du traitement des kystes dans les ovaires. En 1854, il réussit pour la première fois à opérer une patiente – qui était sa propre soeur – en lui enlevant les ovaires et devint ainsi une célébrité dans le monde médical. La même année, il publia son livre On Surgical-Diseases of Women. En 1865, il fut nommé président de la « Medical Society of London » et membre de plusieurs sociétes savantes nationales et internationales. Au sommet de sa carrière, il publia l’ouvrage On the Curability of certain Forms of Insanity, Epilepsy, Catalepsy and Hysteria in Females (1865) où il recommandait la clitoridectomie comme intervention chirurgicale afin de soigner les maladies mentionnées dans son essai. Isaac Baker Brown décrit plusieurs cas qu’il aurait opérés. Une jeune fille de 21 ans souffrait depuis des mois de douleurs dans le dos et d’hémorragie en allant à selle. Les médecins qui la soignaient avaient diagnostiqué une malformation de la matrice et firent appel au Dr. Isaac Baker Brown. Ce dernier aurait constaté que ses organes génitaux internes étaient en bon état mais qu’elle présentait des lésions sur les organes génitaux externes. Il lui extirpa le clitoris et selon ses dires, la jeune fille n’eut plus jamais de douleurs dans le dos. Dans un cas d’épilepsie, Isaac Baker Brown diagnostiqua que la patiente présentait des signes de masturbation sur la partie externe des organes génitaux et avait un polype sur le col de l’utérus, il lui enleva le clitoris . Baker était convaincu que l’origine de toutes maladies nerveuses prenait sa source dans la masturbation. Afin d’enrayer cette pratique, il enlevait aux fillettes et aux femmes le clitoris et dans certains cas les petites lèvres.

La sortie du livre de Baker provoqua un véritable tollé dans le milieu médical. On lui reprocha d’avoir opéré des femmes sans le consentement préalable du mari ou du père. Mais surtout on lui reprochait de se vanter d’avoir inventé la clitoridectomie comme méthode de traitement. Dans une lettre adressée à l’éditeur I. Baker-Brown (Baker-Brown I. « Letter to the Editor, May 19 th 1866 » in British Medical Journal 1.2.6. 1866, p.593) réfute ce reproche et dévoile les sources où il a puisé la pratique de la clitoridectomie. Baker se réfère à deux auteurs de l’antiquité, à un manuel d’un médecin français du 18ème siècle et à une thèse de doctorat d’un étudiant en médecine allemand.

Paulus d’Aegina et Aëtios d’Amida, deux auteurs de l’antiquité décrivent dans leurs ouvrages la clitoridectomie telle qu’elle est pratiquée en Egypte (Geburtshilfe und Gynäkologie bei Aëtios von Amida. Traduit en allemand par le docteur Max Wegscheider, 1901. Paulus’s von Aegina des besten Arztes sieben Bücher. Traduit en allemand avec des remarques de I. Berendes. Leiden, 1914). Dionis, un médecin français du 18ème siècle, présente dans son manuel médical les instruments qu’il utilise dans les cas de clitoridectomie: un couteau et une pince. (P. Dionis. Cours d’opérations de chirurgie démonstrés au jardin Royal. Paris, 1708). En 1827, E. Nagrodzki, étudiant allemand en médecine défend sa thèse à Berlin sur le traitement des nymphomanes en s’appuyant sur la clitoridectomie comme traitement possible pour combattre les maladies mentales (E. Nagrodzki. De Nymphomania eiusque curatione. Medizinische Dissertation. Berlin, 1834).

Une vive controverse s’ensuit et presque tous les numéros de Lancet et du Britisch medical Journal publient les prises de positions des partisans et adversaires de cette méthode entre 1866 et 1867. Finalement en 1867 Baker-Brown est obligé de démissionner de son poste de Président de la société médicale « British Medical Society ». Il perd son poste de gynécologue à l hôpital et il se retire dans le monde de la recherche scientifique. Depuis lors, la clitoridectomie n’aurait plus été pratiquée en Grande-Bretagne officiellement. Cependant J. Arkwright écrit dans le British Medical Journal (Arkwright J. « Excision of the clitoris and the Nymphae » in British Medical Journal 28. 1. 1871, p.88) qu’en 1871 il aurait eu recours au service de Baker-Brown pour soigner une patiente. Les exemples mentionnés illustrent que l’excision a été une pratique fréquente en Europe jusqu’au 19e siècle et qu’elle n’était pas considérée comme un acte barbare.

Géographie de l’excision

La lutte contre l’excision a longtemps été un sujet tabou mais déjà bien avant l’Indépendance des pays d’Afrique en 1960, des médecins, des sages-femmes Africains ont mené à l’ombre de toute publicité tapageuse une lutte acharnée contre l’excision. Citons par exemple Henriette Kouyaté, gynécologue depuis 1955 et une des militantes de la première heure qui s’est engagée dans la lutte contre les pratiques traditionnelles néfastes à la santé de la mère:
Depuis 1955, je milite pour l’abolition des mutilations génitales féminines. A l’époque, je vivais au Mali où j’avais à m’occuper des femmes dans les diverses phases de la vie: accouchements, stérilité, période située entre les naissances, et bien sûr les femmes excisées. En ce temps-là, il était inimaginable que l’on puisse parler soit de l’excision soit de la polygamie. Cependant, nous tentions en cercle restreint de conseiller les gens, de les convaincre de ne pas exciser leurs enfants. Il existe au Mali des femmes qui sont nées avant les années 60 et qui ne sont pas excisées) (A. Walker. Pratibha Parmar Narben oder die Beschneidung der weiblichen Sexualität. Reinbek B. Hamburg: Rowohlt, 1993, p.313 – ma traduction)

De nos jours on estime que la clitoridectomie est pratiquée dans 28 pays du monde et toucherait 75 millions de femmes. Chaque année 2 millions de filles subiraient une MGF.
En Afrique de l’est: au Kenya (70%), en Afrique de l’Ouest: au Sénégal (20%), en Guinée (85%) en Sierra-Leone 90%, en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Ghana, au Nigéria (80%) etc… (Rapport de l’UNICEF) mais elle existe aussi en Indonésie et en Malaisie. L’ infibulation concerne surtout les pays de la corne de l’Afrique comme la Somalie (95%), L’Ethiopie (90%), l’Erythrée (95%), Djibouti (95%), le sud de l’Egypte (90%), le Soudan (98%) mais aussi le Mali. Parmi les pays arabes qui pratiquent l’excision notons: Le Yémen, les Emirats Arabes Unis, le Bahreïn, Qatar, Oman, la Mauritanie. En Asie, les musulmans originaires de l’Indonésie, de la Malaisie , du Pakistan et de l’Inde pratiquent également la circoncision en se référant à la religion. Ces chiffres sont certes aléatoires mais au-delà de l’arithmétique, le problème reste entier. Si les mutilations diminuent en certains endroits, cette pratique est loin d’avoir disparu partout.

Selon l’enquête dirigée par l’équipe d’Enda-Dakar, le nombre de femmes excisées au Sénégal devrait se situer aux environs de 18 à 20 % de la population totale (Marie-Hélène Mottin-Sylla. Excision au Sénégal. Préface de Joseph Ki-Zerbo. Série études et recherches. Enda-Dakar, no.137, novembre 1990, p.24) et non plus entre 50% et 75% comme le suggèrait le rapport de Fran Hosken en 1982. A de très rares exceptions près cette pratique ne touche pas les deux groupes ethniques les plus forts, à savoir les Wolofs et les Sérères. Pratiquement toutes les fortes minorités culturelles, comme les Capverdiens, les catholiques qui forment 10 % de la population sénégalaise, ne connaissent absolument pas l’excision. Par contre, une partie importante des Peuls, des Diolas, des Toucouleurs et des Mandés s’y adonnent (Marie-Hélène Mottin-Sylla. Excision au Sénégal. Série études et recherches. Enda-Dakar, no.137, novembre 1990).

Les statistiques varient selon les régions, selon les groupes ethniques, les actions de sensibilisation, l’évolution des attitudes… Ainsi au Burkina-Faso depuis la campagne pour l’abolition des mutilations génitales, le taux serait tombé à 66%. En Egypte, selon Afrique-Femme-Info (juin 1998), il serait même passé de 90% à 30% depuis 1994. Dans certaines régions, l’excision aurait complètement disparu mais d’une manière générale, le problème est encore loin d’être résolu: au début de l’an 2000 un très grand nombre de femmes sont encore victimes des MGF.

L’excision: définition

Que signifie l’excision, mutilation sexuelle ou mutilation génitale féminine (MGF) selon la terminologie officielle retenue par l’UNICEF ? La nouvelle terminologie tend à remplacer l’expression mutilation génitale féminine par blessure génitale féminine. « L’excision, aussi appelée clitoridectomie consiste en l’ablation du clitoris, y compris souvent les petites lèvres et parfois toute la partie externe de l’organe génital féminin, à l’exception des grandes lèvres » (cf. Rapport Fran Hosken & Michel Erlich. La femme blessée: essai sur les mutilations sexuelles féminines. Paris: l’Harmattan, 1986, p.22)

Les MGF signifient donc toutes procédures ou blessures qui modifient une partie ou la totalité des organes génitaux féminins pour des raisons culturelles ou autre raison non thérapeutique.
On distingue plusieurs formes de mutilations génitales:
– la clitoridectomie ou ablation du clitoris est la forme la plus légère et aussi la plus répandue dans les pays sahéliens à l’exception du Mali.
– l’excision ou l’ ablation des petites lèvres est souvent suivie de la clitoridectomie.
– l’infibulation pharaonique connue au Sénégal sous le nom de « taf », de « hara » en Egypte » et de « gudniin » en Somalie, consiste en l’ablation du clitoris, de la totalité des parties génitales externes: des petites lèvres et des deux tiers des grandes lèvres, puis couture et rétrécissement de l’orifice vaginal. Une très petite ouverture est laissée pour l’évacuation de l’urine et du sang menstruel. Elle est pratiquée au Soudan, en Somalie, en Ethiopie , à Djibouti et en Erythrée. C’est la forme la plus douloureuse.
– l’incision et atrophie du clitoris et / ou des lèvres en piquant et en perçant ou en massant le clitoris du bébé afin de le rendre insensible. L’atrophie du clitoris se pratique par massage. Dès les premiers jours qui suivent la naissance afin d’éviter que le clitoris ne se développe, la masseuse entreprend durant plusieurs jours sur la fillette un massage qui tend à réduire plus tard l’ardeur sexuelle. Cette pratique qui tend à disparaître, sévit encore en Mauritanie, dans la partie est du Sénégal, et du Waloo.
– la cautérisation par brûlure du clitoris et des tissus environnants.
– l’étirement, élongation du clitoris et des tissus environnants.
– le grattage, raclage (Angurya cut) ou coupure du vagin (ghisiri cut) du vagin et des tissus environnants.
Ces opérations sont pratiquées par une femme du village, une matrone ou tradipraticienne. Au Sénégal et au Mali cette femme appartient à la caste de « forgerons ». La matrone utilise pour l’opération des couteaux spéciaux, des lames de rasoir ou des tessons de verre.

3. EXCISION ET PRÉJUGÉS SOCIO-CULTURELS

La force des interdits est ancrée fortement dans les mentalités et ne peut être combattue du jour au lendemain
(Annette Mbaye d’Erneville)

Les raisons qui poussent des millions de parents à mutiler ainsi leurs enfants sont d’abord liées à des contraintes sociales. Un mélange de superstitions, de tradition ancestrale et de religion, réduisent la marge de manoeuvres individuelle à la portion congrue. La plupart des parents qui s’adonnent à de telles pratiques n’agissent pas en pensant faire du mal à leur progéniture. Bien au contraire ils souhaitent faciliter l’intégration sociale de leur petite fille, éloigner d’elle le mauvais sort, la maladie, la folie, la stérilité etc… L’excision serait garante d’une vie chaste, éviterait l’adultère à la femme et assurerait que la virginité de la jeune fille soit préservée jusqu’au jour du mariage. (cf. Awa Thiam. La parole aux Négresses. Paris: Denoël, 1978, p.93 et Chantal Patterson. « Les mutilations sexuelles féminines: l’excision en question » Présence Africaine, no. 141, 1987). L’excision favoriserait la position de la femme au sein de son foyer et même la naissance des fils si précieux. Selon le Dr. Kouyaté, la pression familiale joue un rôle important : les belles-mères issues d’ethnies qui pratiquent l’excision n’acceptent pas une bru non excisée au sein de la famille, elle la juge impure et refuse qu’elle prépare les repas. Elle est la risée des autres membres et doit supporter les quolibets des coépouses (Véronique Ahiyi. « Médecin-gynécologue. Henriette Kouyaté Carvalho d’Alvarengo » Amina no. 324, avril 1997, p.30).

Dr. Olayinke Koso-Thomas, médecin nigériane, a entrepris durant de longues années des recherches en Sierra-Leone sur des femmes excisées. Elle a résumé en dix points les raisons qui poussent les femmes à subir une telle opération. Les motifs quelles donnent dans son enquête reprennent ceux décrits ultérieurement à savoir: l’excision favorise la fertilité féminine, la santé; sur le plan esthétique, elle conserve la femme, augmente les chances de se marier, active la vigueur sexuelle de l’époux, renforce le sentiment d’appartenance à un même groupe, permet d’éviter toute déviation sexuelle – y compris la prostitution et l’adultère, elle sauvegarde la vie du nouveau-né, préserve la virginité. (Olayinke, Koso-Thomas. The Circumcision of Women. A Strategy for Eradication. London, 1987, p.46).

Certains groupes ethniques comme les Bambara du Mali attribuent au clitoris un pouvoir mythique: celui d’empêcher les rapports sexuels et la procréation « vagina denta ». B. Groult rapporte que « Les Bambara excisent le clitoris en prétendant que son dard peut blesser l’homme et même occasioner sa mort » (Groult, Benoîte. Ainsi soit-elle. Paris: Grasset, 1975, p.98). De tels préjugés sont le résultat de l’ignorance dans lequel baignent la plupart des groupes ethniques qui pratiquent l’excision. Les conséquences sont désastreuses comme le relève également le dr. H. Kouyaté, gynécologue et directrice de la clinique Sokhna-Fatma de Dakar (Sénégal): « le risque d’être contaminé et d’attraper ainsi le SIDA constitue aujourd’hui un nouveau danger, d’autant plus que les ustensiles que les exciseuses utilisent sont rarement désinfectés ».

Au cours d’une interview, Annette Mbaye d’Erneville – une pionnière des Associations Féminines du Sénégal (FAFS) dont elle est la Présidente – relate par exemple le cas de cette petite fille Diola qui, n’avait pas été excisée et qui meurt d’un neuro-paludisme, une forme violente de paludisme cérébral. Les parents, accusés par la famille d’avoir enfreint les règles, sont convaincus que l’ire céleste s’est manifestée ainsi, car ils ont osé transgresser une coutume et violer un tabou. Ils s’empressent donc d’exciser les autres filles de la famille. (P. Herzberger-Fofana Littérature féminine francophone d’Afrique noire francophone. Paris: Harmattan, printemps 2000 – sous presse).

Un travail de sensibilisation est donc d’autant plus nécessaire que la force des interdits est ancrée fortement dans les mentalités et ne peut être éliminée du jour au lendemain. La pression sociale amène l’individu à réagir conformément à la coutume, même si les conditions d’hygiène dans lesquelles a lieu cette opération, les risques de stérilité et d’hémorragie, de difficultés d’accouchement et de mortalité infantile sont élevés. On le remarque dans les propos recueillis auprès des femmes excisées lors de l’enquête effectuée par Enda dans la région de Dakar en 1989. (Halimata Sy. in Marie-Hélène Mottin-Sylla. Excision au Sénégal. Série études et recherches. Enda-Dakar, no.137, novembre 1990, pp.94-101):

M.B. Haratin du Sénégal:
« L’excision se fait en conformité avec la sunna du Prophète Mahomet (PSL) qui dit qu’il faut diminuer l’ardeur (sexuelle) des femmes en réduisant cette languette, organe supra- sensible, pour qu’elles se suffisent de leurs époux et d’eux seuls. »  (Halimata Sy, op. cit.)

Une Toucouleur:
« Pour s’épanouir et vivre en harmonie avec les siens, il faut subir cette pratique, car elle est non seulement purificatrice, mais aussi respectueuse des traditions de nos grands et arrière-grands-parents; il faut la suivre pour ne pas être maudit ». (Halimata Sy, op. cit.)

Ces propos montrent à quel point, les femmes reprennent à leur compte des croyances qui leur sont pourtant si défavorables. Elles sont si convaincues du bien-fondé d’une telle pratique qu’il semble difficile d’envisager qu’elles puissent y renoncer d’elles-mêmes. Seul un véritable travail d’information peut conduire les intéressées à modifier leurs habitudes et à envisager pour leur fille une destinée différente de la leur. D’ailleurs comme le relève le Dr. H. Kouyaté, de nos jours « Beaucoup de femmes excisées refusent que leur fille le soit. »
Parmi les plus farouches partisans de l’excision, on retrouve souvent les milieux traditionnels et intégristes. A Khartoum par exemple, ces milieux s’élèvent aujourd’hui encore contre les campagnes de sensibilisation en vue de l’éradication de l’excision et ils exhortent les populations musulmanes qui représentent 60% de la population soudanaise à ne pas renoncer à ses pratiques traditionnelles et à « résister à la culture occidentale ». Selon Nhial Bol, un islamiste de haut rang résidant à Maigoma Thura, un faubourg situé au sud de Khartoum, aurait affirmé:
A mon avis, le débat concernant l’éradication de l’excision est une perte de temps et d’argent. (Nhial Bol. « Droits-Soudan: les Islamistes dénoncent les campagnes de lutte contre l’excision » Femmes-Afrique-Info, 29 juin 1998)

Bien que l’excision et l’infibulation soient officiellement interdites depuis 1941, la mise en pratique du décret est restée lettre morte et la coutume reste bien ancrée dans les moeurs. Selon Sara Mansavage: « About 90% of northern Sudanese women have it done. (Combatting Genital Mutilation in Sudan – in Internet gopher:/hqfaus01.unicef.org/oo/.cefdata.ka94/feat 109)

Afin de gagner les dignitaires religieux à leur cause, un groupe de 10 ONG, au nombre desquelles le Conseil des Soudanais des Eglises (SC), Mutawinat Para-Legal Aid Group (MPLAG), Amal Children Society (ACS) et Munar Consultant Group ont décidé d’impliquer les faiseurs d’opinions, les politiciens et les chefs religieux dans leur campagne en les sensibilisant aux dangers que représente l’excision pour les femmes et les fillettes. (Nhial Bol. « Droits-Soudan: les Islamistes dénoncent les campagnes de lutte contre l’excision » Femmes-Afrique-Info, 29 juin 1998). L’excision et l’infibulation sont des problèmes liés à la vie des femmes, mais ils concernent aussi les hommes car ces derniers se sont arrogés le droit de contrôler la sexualité de la femme. Selon eux, faute de la juguler, elle risque de provoquer le « chaos social » et perturber ainsi l’ordre social établi. Dès lors, suggère Fatima Mernissi dans son ouvrage « Beyond the Veil », L’homme a établi des codes cherchant à endiguer un soi-disant trop-plein d’énergie de la femme. Au nombre de ces « codes », F. Mernissi cite: le port du voile, la virginité et la réclusion. Dans le même ordre d’idées, nous pourrions y ajouter l’excision qui représente elle aussi un moyen de contrôler la sexualité de la femme. (Fatima Mernissi. Frauen im Wandel der islamischen Welt. Die vergessene Macht. Berlin: Orlanda Frauenverlag, 1993.)

Marie Bonaparte, traductrice de Freud va plus loin et écrit:
Les hommes se sentent menacés par ce qui aurait une apparence phallique chez la femme, c’est pourquoi ils insistent pour que le clitoris soit enlevé (Marie Bonaparte « Notes sur l’excision » Revue française de psychanalyse XII, 1946)

Cette idée explique peut-être l’une des craintes des Peuls qui, selon une enquête effectuée à Gogounou (Bénin), pensent que le clitoris est un organe dangereux qui pourrait être si long qu’il risquerait d’obstruer l’entrée du vagin et donc affecter la pénétration masculine. De même, certains partisans de l’excision dans la sous-préfecture de Kétou allèguent que le clitoris est un organe qui recouvre les narines du bébé lors de l’accouchement, l’empêchant ainsi de respirer. Et provoquant la mort du nouveau-né. D’autres (dans la région de Kouandé-Péhunco, Bénin) sont convaincus que l’ablation du clitoris facilite l’accouchement et que le contact du clitoris peut être mortel pour le bébé. Cette croyance semble être répandue dans plusieurs pays d’Afrique chez les Mossi du Burkina-Faso, et selon M. Erlich chez les Ibos du Nigéria (Michel Erlich. La femme blessée: essai sur les mutilations sexuelles féminines. Paris: l’Harmattan, 1986, p.196). Selon Thiam, de nombreux groupes ethniques en Afrique de l’ouest, par exemple les Gourmantche, les Kotokoli, les Bambara et les Dogon, associent la pratique de l’excision à « la dialectique de la bisexualité glorifiée dans les mythes fondateurs » et croient que l’excision favorise la fertilité de la femme. (Awa Thiam. La parole aux Négresses. Paris: Denoël, 1978, p.91) Ce fait de culture apparaît également chez les Kissi (Haute-Guinée), les Dogons (Mali), les Soussous (Guinée) et les Ibo (Nigéria). Pour les Dogons du Mali, l’excision tout comme la circoncision est un tribut, une dette de sang que l’individu verse aux divinités afin d’avoir le droit d’appartenir définitivement à un sexe bien précis. (Marcel Griaule. Dieu d’eau. Entretiens avec Ogotemmêli. Paris: Fayard, 1966, p.150)

S’il est pleinement justifié de prendre en compte la force tyrannique des contraintes sociales, la puissance de ses mythes et l’efficacité de la rhétorique dont elle use, il faut aussi souligner que ces contraintes ont souvent pour origine un besoin atavique de l’homme de contrôler la sexualité de la femme, ceci au détriment de l’intégrité physique de la femme, qu’on n’hésite pas à estropier, abîmer, détruire, mutiler et priver d’un organe parfaitement sain au prix de souffrances incroyables. Le Dr. Kouyaté résume de la façon suivante les conséquences de l’excision pour les femmes:
Une série de vaisseaux sanguins conduisent au clitoris entre autres l’artère dorsale, la veine principale du clitoris. Celle-ci au cours de l’opération peut être endommagée et provoquer des risques d’ hémorragie. Dans le cas de l’ infibulation ou « taf » pratiquée au Sénégal, compte tenu de l’ouverture minime qu’on laisse, la taille d’une allumette, au moment des menstruations tout le sang ne s’écoule pas et à la longue cela peut engendrer des douleurs qui, si elles persistent provoquent la stérilité. Au moment de l’accouchement la femme excisée doit subir une déchirure au scalpel afin qu’elle puisse accoucher normalement. Or, la majorité de ces femmes accouchent à la maison et elles sont laissées à leur sort. En cas de décès, on accusera les mauvais esprits ou « rabs » de s’être manifestés. Ces femmes se déchirent parfois à tel point entre le rectum et le vagin que les muscles fessiers lâchent. Par la suite, ces femmes excisées ne peuvent retenir ni leurs urines, ni leurs selles. Sur le plan psychique, les fillettes ne sont pas préparées à la douleur qu’elles endureront avant et après l’opération. Leurs souffrances ne sont pas prises en compte. Dans les cas d’infibulation, les rapports sexuels sont appréhendés à cause des douleurs qui perturbent l’harmonie conjugale. (A. Walker Pratibha Parmar. Narben oder die Beschneidung der weiblichen Sexualität. Reinbek B. Hamburg: Rowohlt, 1993, pp.314-315 – ma traduction)

Dans une autre interview que le Dr. Henriette Kouyaté donne au journal Amina, elle reprend les mêmes arguments et précise que l’excision a lieu à tout âge de la naissance au mariage et qu’en Casamance, au sud du Sénégal, par exemple l’excision en groupe est suivie d’une initiation dans les bois sacrés. (Amina, no.324, avril 1997, p.30)

4. EXCISION ET LITTÉRATURE AFRICAINE

Si Dieu avait jugé que certaines parties de mon corps étaient inutiles, pourquoi les aurait-il créées
(Waris Dirie)

Exiger l’abolition d’une coutume anachronique n’a donc rien de malveillant, et encore moins ne signifie-elle avoir « un faible pour les habitudes des « Blancs » (32) Il s’agit tout simplement de reconnaître ici qu’une violence physique et psychique a lieu au vu et au su de l’humanité sous le couvert de la culture. La santé de millions de fillettes est en jeu au nom de croyances vétustes et d’une vénérable tradition.

Comme le souligne l’auteur béninois Jean Pliya :
La construction d’une nation moderne exige la destruction de certaines reliques du passé. Tant que des femmes Béninoises seront victimes d’une pratique aussi inutile que dangereuse, on perdra l’occasion de compter des femmes valides dans le processus de développement de notre pays. Toutes personnes concernées par le fléau doivent serrer les coudes et intensifier leur croisade. Nous ne cesserons d’alerter l’opinion publique au Bénin qu’en cette fin du 20 e siècle une pratique qui existerait depuis plus de 2500 ans avant l’apparition de l’Islam et du christianisme est encore de mise aujourd’hui. Au delà du caractère du phénomène , il faut oser crier haro sur la pratique. (« L’excision dans les sociétés africaines ». Le Matinal du 4 novembre 1998, p.3.

Il n’en demeure pas moins vrai que de nombreux romanciers abordent le sujet sans vraiment « crier haro » et que nombreux sont restés peu critiques de cette coutume dans leurs romans. Pour ne citer qu’un exemple, dans son roman Efuru, Flora Nwapa décrit les préparatifs relatifs à l’excision sans vraiment remettre en cause le bien fondé de cette coutume.
L’époux d’Efuru arriva à la maison et on le mit au courant de la prochaine cérémonie d’excision de sa femme « On doit le faire maintenant, mon fils. En outre, c’est le meilleur moment. On ne peut pas attendre, jusqu’à ce qu’elle soit enceinte » (F. Nwapa. Efuru(1966). Göttingen: Lamuv Verlag, 1997, p.13 – ma traduction)

L’auteur décrit l’excision comme faisant partie intégrante de la culture Ibo. Elle utilise l’euphémisme « avoir un bain purificateur » (p.15) pour désigner la clitoridectomie. Cette cérémonie peut avoir lieu avant la nuit des noces mais doit cependant précéder la naissance d’un enfant afin d’éviter le décès du bébé. Elle illustre cette assertion quelques lignes plus loin, en critiquant la Mère de Nwakaego qui a ainsi favorisé la mort d’un enfant mâle, en ne soumettant pas sa fille à cette épreuve. La romancière décrit une société féodale au code déontologique de laquelle elle adhère. Elle fait preuve de beaucoup de sympathie à l’égard de l’exciseuse qui est loin d’être présentée comme la sorcière des Contes et légendes d’Afrique. Elle est animée de bonnes intentions puisqu’elle se soucie de l’état de santé de sa patiente et ne veut pas l’opérer au cas où celle-ci serait enceinte. Les femmes sont conscientes du danger que comporte la cérémonie puisque la praticienne lui promet de faire attention afin de ne pas la faire souffrir.

Je vais être très prudente. Mais dans tous les cas, cela fera mal, mais la douleur est comme la faim, elle finit par passer (Efuru. p.13 – ma traduction).
Entourée de ses voisines, la nouvelle opérée est l’objet d’attentions de toute la communauté. La narratrice accepte l’excision qui confère à la femme son statut de femme à part entière car, dit-elle: « Gnobu, mon enfant. Nous, femmes, devons toutes passer par là. Ne t’en fais pas. »(p.18 – ma traduction.)

Déjà en 1939, Soeur Marie-André évoquait dans son livre Femmes d’Afrique noire, l’opération à laquelle était soumisent, les jeunes filles au Burkina Faso et elle faisait allusion aux risques d’accidents. Cette pratique ne souleva guère plus de polémique qu’elle n’en avait soulevé dans le milieu médical de l’époque coloniale, conscient de cette coutume à la suite d’un article paru dans la revue médicale des maladies tropicales et dans le journal des Africanistes. Un médecin français y relatait comment l’infibulation était pratiquée. (Annie Villeneuve. « Etude sur une coutume somalienne: les femmes cousues » Journal de la Société des Africanistes. Paris, 1937, p.30)

En revanche en 1979, Nawal El Sadawi, médecin-gynécologue et romancière égyptienne, relate sa propre histoire dans son autobiographie. Excisée à l’âge de six ans, Nawal a lutté toute sa vie contre cette pratique. (Nawal El Saadawi. The Hidden Face of Eve. London: Zed Press, 1987). En tant que médecin, elle a maintes fois démontré les dangers de la clitoridectomie pour la santé des femmes. Son engagement politique lui valut la prison et plus tard l’exil. L’association des femmes qu’elle a créée a été interdite et ses biens confisqués. Cependant à la suite de la conférence mondiale de 1994 au Caire, et des lois passées en 1997, on enregistre un net recul de l’excision en Egypte. (Femme-Afrique-Info. Service d’information électronique du 16 février 1999)

Dans son roman The River Between, Ngugi wa Thiong’o prend l’excision comme thème central de son roman et en fait un combat politique. En effet, l’Eglise catholique protestante au Kenya avait décrété ne plus admettre aucun enfant, filles ou garçons excisés dans ses écoles. Sous forme romanesque, Ngugi soutenait l’action du président Jomo Kenyatta qui s’était élevé contre la décision de l’église protestante écossaise au Kenya. Cette mesure draconienne était perçue par les mouvements de libération comme un moyen de destabiliser les militants, la circoncision et l’excision devenant du coup un problème politique. (Ngugi wa Thiong’o. The River Between. London: Heinemann, 1966)

Dans son roman Possessing the Secret of Joy, Alice Walker décrit sous forme romancée les affres de l’excision et les traumatismes auxquels l’héroïne Tashi est en proie. La fiction permet ainsi de réaliser à quel point, une femme peut se sentir diminuée dans son être à la suite d’une excision (Alice Walker. Sie hüten das Geheimnis des Glücks. Reinbek B. Hamburg: Rowohlt, 1993).

La parole aux Négresses d’Awa Thiam en 1978 (Awa Thiam. La parole aux Négresses. Paris: Denoël, 1978) fut l’un des premiers ouvrages à mettre en cause cette approche fataliste et à porter sur la place publique le problème de l’excision et de l’infibulation en Afrique de l’Ouest. Cet ouvrage qui est le fruit d’une recherche auprès d’érudits islamiques, de personnes âgées, de femmes excisées etc… a suscité de nombreuses polémiques en Afrique. Il a valu à l’auteur de vives critiques de la part du lectorat africain car on n’aborde pas en toute impunité un sujet aussi tabou. Néanmoins, il a eu l’avantage de donner la parole aux femmes et d’essayer de montrer que l’Islam ne cautionne pas l’excision puisqu’aucune sourate ne le recommande expressément.

Les mouvements féministes occidentaux se sont appuyés sur cet ouvrage pour tirer la sonnette d’alarme sur ce sujet épineux, et crier « halte au barbarisme! ». Ils ont repris à leur compte, avec force tapage publicitaire, la lutte que menaient sur le terrain les mouvements féminins africains, mais la levée de boucliers s’est faite de façon fort maladroite.
C’est ainsi que, lors de la conférence Internationale des Femmes à Copenhague en 1980, un groupe d’activistes a pris l’initiative de publier à la une des photos représentant l’intimité d’Africaines excisées sans consulter les femmes concernées. Cette attitude a été perçue comme un manque de sensibilité à l’égard des mouvements féministes africains qui se sont sentis pris en charge. Les femmes du sud ont été heurtées par cette attitude tutélaire qu’elles ont ressentie comme du maternalisme de mauvaise aloi. Le dialogue s’est dès lors bloqué des deux côtés.

Les Africaines présentes à la conférence se sont senties bafouées, attaquées dans leur propre « moi » et elles ont formé un front uni pour exprimer leur mécontentement. Si elles n’ont pas défendu la coutume de l’excision, elles se sont par contre attaquées vivement aux Européennes et aux Nord-Américaines. L’Association des Femmes Africaines pour la Recherche et le Développement (AFARD/AAWORD) a engagé les féministes à ne pas toujours considérer les sociétés africaines uniquement en termes d’oppression et à insister sur le fait que « la solidarité ne peut exister qu’à partir d’une affirmation de sa propre identité et d’un respect mutuel ». (« A Statement on Genital Mutilation » in Miranda Davies (ed.) Third World: Second Sex, Women’s Struggles and National Liberation. London: Zed Press, 1983, p.217)

AFARD/AAWORD a accusé la presse occidentale de manquer de tact et de violer ainsi la dignité de la femme africaine qui doit être sauvegardée. Le professeur Filomena Steady, membre fondatrice de l’AFARD, a reproché aux féministes occidentales de faire de l’excision leur cheval de bataille tambours battants et de ne pas s’élever contre la violence dont les femmes noires sont victimes en Europe et en Amérique du nord.

Même des auteurs comme Nawal El Saadawi dont les romans (Cf. God Dies by the Nile ou Women at Point Zero) s’insurgent violemment contre les mutilations sexuelles, firent front pour attaquer un féminisme conquérant et inadapté aux aspirations des femmes du Sud. Le problème ayant été mal posé, toute Africaine ne voulant pas être accusée de mimétisme occidental ou d’être à la remorque des mouvements féministes a été conduite à prendre ses distances. Aussi important qu’il ait été, le sujet est redevenu tabou à peine sorti de l’ombre. Depuis, il n’y a eu que très peu de franches discussions sur le sujet entre les mouvements féminins Africains et Européens, les principales intéressées se sentant la plupart du temps reléguées au rang de simple curiosité ou rabaissées au niveau d’objets scientifiques.

Malgré les difficultés, des efforts ont été faits de part et d’autre pour continuer l’oeuvre entreprise. Par exemple, deux femmes Africaines ont publié leur autobiographie sous l’égide du centre FORWARD-international: une Soudanaise Asma El Dareer. Why Do You Weep. London: Zed Press, 1982 et une Somalienne Dualeh Abdalah. Sisters in Affliction. Circumcision and infibulation. London: Raqiya Haji Zed Press, 1983. Au cours de la même année, Efua Dorkenoo, la Présidente de l’association présentait à Londres sous forme de pièce de théâtre: Tradition! Tradition. (London: FORWARD, 1983, Brochure). En utilisant des mythes et des symboles, elle illustrait les conséquences de l’excision. En utilisant le rire, l’ironie comme moyen dramaturgique elle parvenait ainsi à atteindre les couches féminines vivant en Grande-Bretagne et attachées à cette pratique.

D’autres voix se sont faites entendre pour témoigner de la violence faite aux femmes subissant une mutilation à laquelle elles n’ont pas consenti. Cependant ces ouvrages restent souvent dans l’ombre. En 1985 dans sa nouvelle La Voie du salut suivi de Le miroir de la vie, la romancière sénégalaise Aminata Maïga Kâ, s’inspirant d’un fait divers publié dans la presse française, relatait l’histoire d’un bébé âgé de 3 mois décédé après avoir été excisée.
– Comment avez-vous osé exciser ce bébé et à cet âge ? tonna Baba
La jeune mère éclata en sanglots.
– Doctor, c’est la tradition ! (A. Maïga Kâ. La Voie du salut suivi de Le miroir de la Vie. Paris : Présence Africaine, 1985, p.19)
En insérant la trame de l’histoire dans l’univers Halpular, l’auteur intente ainsi le procès d’une coutume désuète, qui sévit encore dans certaines contrées d’Afrique. Un an plus tard Nuruddin Farah, romancier Somalien, dans son livre From a Crooked Rip décrit la pratique de l’excision. A travers l’héroïne, Ebla, se remémorant la cérémonie, il dévoile les sentiments qui l’avaient animée lors de cette opération.
Mon Dieu. Cela avait fait mal, se rappelait-t-elle. Seules deux occasions dans sa vie lui faisait regretter d’être née, l’une d’elle, c’était le jour où elle fut excisée. (Nurrudin, Farah. From a crooked Rip. London: Heinemann, p.110 – ma traduction)

A travers cette évocation, l’auteur fait allusion au cycle d’infibulation et de déflorage auquel les femmes de la corne de l’Afrique sont soumises. Dans ces régions (Somalie, Ethiopie, Erythrée, Djibouti) les femmes sont infibulées dès la prime enfance puis déflorées lors de leur mariage le plus souvent à l’aide d’un couteau, et ensuite réinfibulées au rythme de leurs accouchements. Eba, l’héroïne, développe une conscience aiguë de sa situation de femmes. Nurrudin Farah est en effet l’un des rares écrivains de la Corne de l’Afrique à dénoncer les mutilations dans ses romans. Ses livres jugés blasphématoires furent mis à l’index et il fut contraint de prendre le chemin de l’exil.

En 1988, Kesso Barry, Guinéenne, ancien mannequin et top modèle publiait son autobiographie. Elle y mentionne les traumatismes qu’avait engendré l’excision. Paradoxalement, le roman n’a soulevé aucune levée de boucliers de la part des médias, tant à Paris où l’ouvrage avait été publié qu’à Dakar lors de la Foire du livre de Dakar, où il avait été présenté la même année. (Kesso Barry. Kesso, princesse peuhle. Paris: Seghers 1988).

Le roman d’Alice Walker, la célèbre romancière noire-américaine, Possessing the Secret of Joy décrit sous forme romancée les affres de l’excision et les traumatismes auxquels l’héroïne Tashi est en proie. Il permet ainsi de réaliser à quel point une femme peut se sentir diminuée dans son être à la suite d’une excision. Toutefois, le film Warriors Marks tourné au Sénégal et en Gambie sur le même thème a lui aussi reçu un accueil assez timide, comme si certains sujets exigeaient une certaine retenue, une certaine pudeur. (Alice Walker. Sie hüten das Geheimnis des Glücks. Reinbek: Rowohlt, 1993). De même le roman de Fauziya Kassindja Do They Hear You When You Cry ? paru en 1996 n’a eu aucun écho dans les milieux francophones et en Allemagne bien qu’il ait été traduit en allemand. (Niemand sieht dich, wenn du weinst. München: Blessing Verlag, 1998). Fauziya, originaire du Togo s’enfuit la nuit de ses noces afin de ne pas être excisée. Elle résiste ainsi à la volonté de son oncle qui l’a donnée en mariage à un vieillard après le décès de son père. Son futur époux exige qu’elle subisse une excision. Fauziya voit son salut dans la fuite. Grâce à l’aide de sa mère et de sa soeur, elle réussit à se rendre d’abord en Allemagne où elle vit trois mois illégalement, puis aux Etats-Unis où elle passe plusieurs années en prison. Elle revendique le statut de réfugiée, car elle est menacée de MGF dans son pays. Les lois américaines reconnaissent cette forme de violence et de violation des droits de l’Homme comme motif pour obtenir le droit d’asile.

Presque 20 ans se sont écoulés depuis la publication des oeuvres de F. Nwapa et Aminata Maiga Kâ et de nombreux ouvrages ont été écrits depuis: Calixthe Beyala: Tu t’appelleras Tanga, Aicha Fofana: Mariage, on copie, Fauziya Kassindja: Une jeune fille simple et Fatou Keïta:Rebelle.
Dans son roman, C. Beyala dénonce non seulement l’effondrement des valeurs mais aussi le traumatisme psychique dont souffrent ses héroïnes. (Calixthe Beyala. Tu t’appelleras Tanga. Paris: Stock, p.24). L’excision ne s’inscrit plus dans le contexte de l’éducation traditionnelle telle que le conçoit la mère de Salimata dans Les Soleils des Indépendances d’Ahmadou Kourouma ou de la narratrice d’Efuru. Salimata initiée à son futur rôle d’épouse, reçoit en compagnie de ses camarades de la même classe d’âge un enseignement où les valeurs de cet acte s’inscrivent dans le projet communautaire de sa société, à savoir la transmission de rites et préceptes qui perpétuent la tradition.
Tu verras, ma fille: pendant un mois, tu vivras en recluse avec d’autres excisées et, au milieu des chants, on vous enseignera tous les tabous de la tribu. L’excision est la rupture, elle démarque, elle met fin aux années d’équivoque, d’impureté de jeune fille, et après elle vient la vie de femme. (Ahmadou Kourouma. Les Soleils des Indépendances. Paris: Seuil, 1968, p.32)

Pour Nga Taba, la mère de Tanga dans le roman de Beyala, l’aspect mercantile l’emporte sur toutes autres considérations. Déviée de sa signification initiale, l’excision devient pour les parents un moyen de s’approprier le corps de leur fille comme d’une marchandise qui répondra aux principes de l’offre et de la demande. La réaction de Nga Taba, les pas de danse qu’elle esquisse et les cris de joie qu’elle émet autour de Tanga supputtant les bénéfices qu’elle en retira, traduit cette nouvelle interprétation de l’excision. Tanga se soumet à la volonté de sa mère pour satisfaire son esprit de lucre et subit dans « l’honneur » cette opération des mains de « l’arracheuse de clitoris »(p. 24)

Malheureusement le succès de Fleur du désert (Waris Dirie. Fleur du désert. Du désert de Somalie au monde des top-models, l’extraordinaire combat d’une femme hors du commun. Paris: Albin Michel, 1998) et la campagne de publicité qui ont entouré la sortie du livre ont eux aussi engendré des problèmes importants. Ils ont conduit certains Africains à douter du bien-fondé de l’espace médiatique accordé au roman en Occident et à spéculer sur les véritables mobiles d’une telle campagne. Du même coup, les problèmes liés à l’excision ont été occultés une nouvelle fois, car il est vrai que le roman ne tourne pas autour de ce sujet, même si c’est l’aspect le plus médiatisé. L’auteur n’avoue jamais de manière polémique qu’elle a été traumatisée par cette opération. Comme pour les milliers de petites filles qui passent par les mains de l’exciseuse, la souffrance, son intériorisation et ses séquelles restent quelque chose de très personnel. Paradoxalement, le succès du livre de Waris Dirie, toute la documentation consacrée au problème de l’excision par le journal Le Monde (« Dossier sur l’excision » Le Monde 14.10.97/ 10.1.98/ 22.8.98/ 10.10.98) ou encore la campagne entreprise par la revue Marie-Claire plus de dix ans auparavant (« Excision, le combat des Africaines » Marie-Claire no. 399, Paris, novembre 1985), ne semblent que renforcer les points de vues des uns et des autres sans vraiment offrir l’occasion d’un dialogue. Les attaques contre l’excision ont également conduit certaines des voix les plus rétrogrades de la presse africaine de se faire entendre, permettant à chacun de mesurer tout le chemin qui reste à parcourir. Dans un article très virulent, un journaliste béninois écrit par exemple:

D’ailleurs, Waris Dirie devrait remercier ses aïeux et ses parents, car grâce à son excision, elle n’est pas tombée dans les pièges de la prostitution de luxe dont sont souvent victimes les mannequins dans les pays européens. L’excision n’a pas fait d’elle une femme dévergondée. Sinon force est de constater qu’aujourd’hui avec le recul de ce rituel qu’est l’excision, les femmes sont de plus en plus dévergondées et infidèles. (Valentin Sovide. « Excisée ou dépravée ». La Nation (Bénin), 27 novembre 1998, p.1).

Les propos du Président de la Gambie montrent eux aussi que la solution du problème ne se situent pas dans les interventions unilatérales et hautement médiatisées dont le Nord est si friand mais dans un dialogue et une négociation ouverte à toutes les parties intéressées:
Pourquoi les Européens si soucieux de la santé des femmes Africaines ne les font jamais évacuer lors de conflits armés? Pourquoi jusqu’à ce jour aucune campagne de mobilisation contre la dépigmentation n’a été entreprise par les Européens quand on sait que la dépigmentation provoque le cancer. (« Jammeh says his Government will not ban FMG » Afrique-Info-Service SYFEV-Enda Spice News Service 22.1.99)

Si certains se sont prononcés contre cette campagne, c’est sans doute qu’à leur avis elle a été orchestrée par les bailleurs de fonds occidentaux et les mouvements féministes. La publicité qui entoure le livre de Waris Dirie – quels qu’aient été ses origines et ses desseins – est devenue une arme à double tranchant. Aux mains des uns, elle contribue à souligner que notre époque doit résoudre un certain nombre de problèmes exigeant une action à grande échelle. Rien ne justifie les compromissions et les états d’âme lorsqu’il s’agit d’éradiquer une pratique néfaste qui nuit à l’avènement d’un monde basé sur l’égalité ou la complémentarité des sexes. Aux mains des autres, elle souligne l’hégémonie d’un monde insensible aux « vrais » problèmes de l’Afrique et souligne la faillite des idées et des modèles de relations sociales imposés aux pays africains contre leur volonté. Dès lors, il n’y aura pas trop des hommes et des femmes animés de bonne volonté pour venir à bout d’un problème qui ne peut disparaître complètement à l’orée du XXI e siècle que si on accepte de travailler ensemble en faisant preuve de véritable solidarité.

Au cours des entretiens que nous avons eus avec un certain nombre de romancières Africaines (P. Herzberger-Fofana. Littérature féminine francophone d’Afrique noire. Paris: Harmattan, 2000) la plupart de ces femmes de lettres ont fait part de leurs inquiétudes face au fléau que représente l’excision et elles ont mis l’acccent sur le travail de persuasion, de sensibilisation et d’information qui reste à faire.

C’est ainsi que Kesso Barry Kesso, l’auteur de Kesso, Princesse peuhle a déclaré:
Comme toutes les souffrances, elles passent. Mais elles étaient inutiles. Nous ne devons pas mettre sur le compte de la religion, une coutume d’origine orientale pour prétendre défendre notre culture, notre africanité. Adja Ndèye Boury Ndiaye, auteur de Collier de chevilles, ancienne sage-femme, relève le côté purement médical et regrette que les femmes excisées doivent accoucher dans des conditions de douleurs inutiles: Appartenant à une ethnie qui ne pratique pas l’excision, étant lébou, je n’en ai connu les désagréments que dans l’exercice de ma profession. Les femmes souffrent d’épisiotomie, c’est-à- dire de déchirure volontaire qui peuvent provoquer des rétentions urinaires, ou des fistules.

et Annette Mbaye d’Erneville de rappeler: qu’il ne faut pas incriminer les parents, les culpabiliser – les traiter de sauvage, mais qu’à force de persuasion, nous finirons par enrayer une telle pratique tout comme le tatouage des lèvres a disparu. Fatou Keïta elle, suggère plutôt dans son roman Rebelle que seul le militantisme et la témérité parviendront à faire changer les mentalités. Quant à Mame Seck Mbacké, auteur de Le froid et le piment, elle: déplore que les mouvements féminins aient mis en avant la question du plaisir sexuel, car il s’agit d’un domaine sensible et difficilement vérifiable.

Depuis longtemps les Africaines se posent des questions et cherchent les solutions appropriées. Doit-on mettre l’accent sur le désir, la jouissance et le plaisir sexuels féminins ? Dans des pays où la sexualité féminine est rarement abordée de front, c’est un risque qui doit être soupesé par celles qui oeuvrent sur le terrain. Mme Mariama Lamizana, Présidente du Comité National de Lutte contre la Pratique de l’excision au Burkina- Faso, pense qu’il est prématuré de mettre la question du plaisir sexuel en avant, car une telle politique inciterait les détracteurs à ne voir dans l’abolition de l’excision qu’un appel à la débauche et à la luxure. (« Mariama Lamizana » in Amina, no. 328, août 1997, p.32) Les normes de la sexualité en Afrique – surtout dans les communautés qui pratiquent l’excision – ont pour but la procréation et non la jouissance sexuelle (Sami Tchak, La sexualité féminine en Afrique. Paris: L’Harmattan, 1999) La notion du plaisir, notion récente qui s’est développée d’abord avec Freud puis reprise, avec ce que William Reich nomme « la révolution sexuelle » n’est probablement pas perçue de la même façon pour tous les groupes culturels de cette planète. A défaut de recherches scientifiques fondées dans le domaine de la sexualité féminine africaine, la norme et les critères de l’Occident semblent s’être imposés comme la norme universelle.

5. EXCISION : TRAIT DE CULTURE, FAIT RELIGIEUX

L’excision est une coutume qui n’a rien à voir avec la religion
(Cheikh Tantawi)

Le point de vue des Islamistes

A l’exception d’Oman, les pays du golfe comme l’Arabie souadite et une grande partie des pays islamiques ne pratiquent pas l’excision. Aucune sourate, aucun hadith ne recommande l’obligation de l’excision (confirmée par Mme Penda Mbow, historienne et islamologue, université Cheikh Anta Diop, Dakar-E-mail du 11.3.99). De plus, les 4 filles du prophète lui-même n’étaient pas excisées. Ce fait devrait inciter les islamistes partisans de l’excision à revoir leur position. La seule allusion que l’on trouve dans les hadiths et qui rapporte la parole du prophète est une recommandation qu’il aurait faite, au cours d’un voyage à Médine, à Um Habiba, une exciseuse d’esclaves, de ne « pas tout enlever et d’être prudente » au cours de l’opération: Lorsque tu effectues une excision, garde-toi bien d’enlever tout le clitoris. La femme demeurera épanouie et son mari profitera de son plaisir.

Pour Nawal El Saadawi, ce conseil prouve que le prophète n’a jamais recommandé vivement la pratique de l’excision. On pense souvent que la clitorectomie a fait son apparition en même temps que l’islam. En réalité, cette coutume était déjà répandue dans plusieurs régions du monde, dans la péninsule arabe. Le prophète Mahomet a tenté de l’enrayer, car il considérait la clitorectomie comme nuisible à l’équilibre sexuel de la femme (Naoual El Saadaoui La face cachée d’Eve, p.103 et Tschador. Frauen im Islam, p.44)

La Charia n’ordonne pas l’excision, mais reconnaît sa valeur. Au point de vue social, elle confère une marque d’honorabilité aux femmes. Aucune sourate du Coran ne recommande ou n’exige l’excision. Ceux qui s’y adonnent ne suivent pas un précepte « hadith »ou un commandement « sunna », mais une simple tradition. Dès lors on comprend que cheikh Tantawi, grand iman d’al-Azhar (Egypte) ait pu révélé que sa fille n’avait pas été excisée : l’excision est une coutume qui n’a rien à voir avec la religion et il y a des doutes sur l’authenticité des hadiths, ou commandements du prophète concernant cette pratique (Christophe Ayad. « Egypte: les exciseurs plus forts que la loi. Même interdite, la mutilation sexuelle des filles reste massivement pratiquée ». Libération, 9 décembre 1997)

Cette coutume s’est transmise de génération en génération, et avec le temps, elle a été associée abusivement à la religion, pour finalement se confondre dans l’imaginaire de bon nombre de musulmans comme étant un commandement du prophète. « Nous sommes des musulmans, et c’est à ce titre que nous faisons l’excision », affirment-ils et cette phrase revient comme un leitmotiv lancinant chaque fois que l’on pose la question (Propos recueillis par Halimata Sy. Marie-Hélène Mottin-Sylla. Excision au Sénégal. Série études et recherches. Enda-Dakar, no. 137, novembre 1990, p.100)

Les Halpulaar de la vallée du Fleuve par exemple, se basent sur l’islam et affirment que tout musulman devrait la pratiquer, car c’est un acte de purification. Une jeune Halpular scolarisée: En Halpulaar, exciser se dit « dioulnouder »; en d’autres termes, exciser, c’est purifier, car si l’enfant grandit sans être excisée, elle est non seulement impure, mais le fruit d’une souillure. (Marie-Hélène Mottin Sylla. L’excision au Sénégal. p.98)

Les partisans de l’excision qui s’appuient sur l’islam donnent en fait une image fallacieuse et sanguinaire de la religion de Mahomet. Ils la présentent comme une religion en faveur de la violence et de la torture, ce qui n’est pas conforme à l’esprit du Coran qui préconise la tolérance dans tous les domaines de la vie.

Le point de vue des chrétiens

Si en général, la plupart des filles excisées sont issues de pays d’obédience islamique, Il faut souligner que certains chrétiens s’y livrent également. Selon Léo Frobenius les Haoussas du nord-Nigéria ne pratiquent pas cette coutume, contrairement aux chrétiens du sud du Nigéria, du Burkina Faso, du Kenya et de l’Afrique de l’est en général(Leo Frobenius. Kulturgeschichte Afrikas. Prologomena zu einer historischen Gestaltlehre. Zürich: Phaidon Verlag, 1954. Reprint: Wuppertal: Peter Hammer Verlag, 1993, p.177). Il en est de même de certains Africains expatriés en Europe ou ceux de la Corne de l’Afrique, émigrés aux Etats-Unis qui restent parfois très attachés à cette coutume (cf. Celia Dugler. New York Times). Les chrétiens égyptiens ainsi que les juifs de l’ancienne Abyssinie, actuelle Ethiopie, nommés Falachas pratiquaient l’excision (Leslau Wolf. Coutumes et croyances des Falachas. Paris: Institut d’ethnographie, 1957, p.93)

Emigrés en Israël au début des années 70, les Falachas ne pratiquent plus l’excision. Selon le Prof. Belmaker de l’université de Beersheva (Israël), la pression sociale ne jouant plus aucun rôle, cette pratique a en l’espace de 15 ans complètement disparu et perdu toute sa valeur aux yeux des Falachas. L’équipe du Prof. Belmaker a ausculté 113 Juives Ethiopiennes âgées de 16 à 47 ans et a trouvé que 42% possédaient d’anciennes cicatrices. Onze femmes (soit 10%) avait subi une amputation totale du clitoris et du prépuce. Dans 19 cas (soit 17%) le clitoris n’était qu’en partie endommagé et dans 8 cas (soit 7%) on notait une légère incision d’environ 1 cm des lèvres. Quatre femmes (soit 3%) avaient des cicatrices d’incision sur le prépuce clitoral. Il est intéressant de noter que 71 femmes, soit 63%, ne présentaient aucune lésion des organes génitaux. L’équipe n’a relevé aucun cas d’infibulation :
En outre, nous constatons l’arrêt total et dramatique de cette coutume parmi cette communauté une fois immigrée en Israël (Nimrod Grisaru, Simcha Lezer and R.H. Belmaker. « Ritual Female Genital Surgery Among Ethiopian Jews » Archives of Sexual Behavior, vol. 26, No.2, 1997, p. 212 – ma traduction)

Cette étude empirique confirme la thèse de D. Harel qui déjà en 1967 mentionnait que les Falachas ne pratiquaient plus l’infibulation. (D. Harel. « Medical Work among the Falasha of Ethiopia ». Israel Journal of Medical Science 3, 1967, pp.483-490)

Au Kenya, l’Eglise protestante avait tenté dans les années 20 d’abolir cette coutume. Les milieux traditionnels avaient réagi avec indignation – et même le président Kenyatta connu pour son libéralisme avait déclaré qu’aucun Kenyan digne de ce nom ne devrait épouser une femme qui ne soit pas excisée. Pas un seul Gigukyu digne de ce nom ne souhaiterait épouser une femme non excisée (J. Kenyatta. Au pays du mont Kenya. Paris: Maspéro, 1960, p. 133)

Cependant il faut replacer cette citation dans le contexte historique de l’époque. En pleine période de lutte pour l’indépendance où l’excision jouait le rôle de passeport, elle était la condition sine qua non pour le mariage dans la société kikuyu. En outre, vouloir abolir l’excision aurait ébranlé les fondements d’une institution qui caractérisait le rite de passage d’une classe d’âge à l’autre. Pour Jomo Kenyatta l’éradication du « Irna » (excision) signifiait à l’époque accepter la destruction de l’ordre social et « l’européanisation de notre peuple ». Depuis, beaucoup d’eau a coulé sur les rives du lac Victoria et le Kenya s’est engagé dans une campagne contre les mutilations génitales féminines. En 1983, 14 jeunes filles qui avaient été excisées dans un hôpital de Nairobi ont trouvé la mort, ce qui a incité les autorité kenyanes a promulgué un décret contre la pratique de l’excision (« Kenya Courage », juillet 1983, p. 25). La loi tout comme au Soudan, n’a eu qu’un effet limité sur les populations où la pratique perdure.

Jusqu’à présent, l’église catholique ne s’est pas prononcée officiellement sur la question. Elle reconnaît le courage des jeunes filles qui acceptent d’être excisées afin de défendre l’honneur de la famille. En revanche, les églises africaines qui sont confrontées aux problèmes ont pris nettement position. Lors du séminaire sur « Excision: culture et religion » organisé à Kolda (sud-est du Sénégal) par Enda-Tiers en 1993 (Non à l’exision. Fonds de développement des Etats Unis pour la femme. Dakar: UNIFEM, 1997, p.32), le révérend-père Lopy a déclaré: Si Dieu a trouvé que ce qu’il a réalisé dans l’homme comme dans la femme est absolument bon, pourquoi la lame, le couteau ou un tesson de bouteille viendrait-il supprimer la merveille du créateur (Séminaire organisé à Kolda du 29 novembre au 1er décembre 1993)

L’archevêque de Dakar, le cardinal Hyacinthe Thiandoum, à l’occasion de l’assomption en 1995 s’est aussi prononcé contre cette pratique. En se référant au cinquième commandement, il a affirmé que Moïse interdit toute atteinte à la vie (Le Soleil mercredi 16 août 1995). Le cardinal a réitéré ses propos lors du lancement du plan d’action régional pour accélérer l’élimination des mutilations sexuelles féminines: Ici, je lance un appel aux jeunes pour que les mutilations sexuelles féminines cessent. Il faut en finir avec l’excision. Et il est temps que les autorités prennent des lois pour sanctionner ceux qui les pratiquent encore et d’autres pour protéger ceux qui mènent le combat contre cette pratique (Le Soleil, 29 avril 1997, p.2)

6. EXCISION ET MOUVEMENTS FEMININS

Le problème de l’excision est un problème socioculturel complexe qui exige beaucoup de doigté si l’on veut parvenir à des résultats tangibles
(Henriette Kouyaté)

Comme l’a déclaré Henriette Kouyaté lors de son interview avec Alice Walker, les mouvements féminins en Afrique militent ouvertement en faveur de l’abolition des mutilations sexuelles. Certains individus s’y opposent depuis près d’un demi siècle.

La Conférence Internationale sur les Femmes à Beijing en août-septembre 1995 a amorcé le processus final d’éradication de ces mutilations . C’est ainsi qu’au Mali en août 1996, les exciseuses malienne ont remis officiellement leurs « couteaux » à la présidente de la République et elles ont promis de s’adonner à d’autres occupations. Même si dans la pratique, il semble qu’un certain nombre d’exciseuses continuent leur travail, ce fut un moment intense au sein de la population féminine. En effet, ces « couteaux » avaient une valeur symbolique et mystique car, personne ne les avait jamais vus. (Communication personnelle de Nana Dante, chercheur Malienne, au Colloque de Laval « La Recherche féministe dans la francophonie plurielle ». Septembre 1996. Université de Laval. Québec)

La lutte contre l’excision se poursuit dans toute l’Afrique que ce soit sur le plan politique, littéraire ou artistique. Au Tchad, Zarah Yacouba a réalisé en 1997 un film intitulé Dilemme au féminin où elle montre les méfaits de l’excision. La chanteuse Togolaise Pierrette Adams sillonne les planches des théâtres d’Afrique – elle s’est produite au théâtre Daniel Sorano de Dakar le 28.4.99 – et « chante les dangers que provoque l’excision » (Le Soleil, 20 avril 1999, p.4)

Les émissions de télévision, le théâtre populaire en langues nationales atteignent les régions les plus reculées afin de sensibiliser les populations. C’est ainsi qu’au Burkina-Faso, le film la Duperie, tourné dans le sud du Nigeria et projeté aux chefs coutumiers de la province du Yatenga a eu pour effet l’adhésion des dignitaires qui se sont engagés à lutter contre cette pratique (Joëlle Stolz. « Le Burkina-Faso fait reculer l’excision » Le Monde diplomatique. Septembre 1998)

Dans son appel à l’action globale, le Dr. Toubia Nahid, chirurgienne et originaire du Soudan, exige l’abolition de l’excision en se référant aux diverses déclarations sur les droits de l’homme que presque tous les gouvernements africains ont signées. Les lois existent et il faudrait que les autorités locales respectent leurs engagements. (Toubia Nahid. Female Genital Mutilation : A Call for Global Action. New York, 1993)

Le Dr. Olayinde Koso-Thomas a élaboré un plan quadriennal qui permettrait d’abolir progressivement l’excision, tout en favorisant une prise de conscience des chefs coutumiers, des exciseuses et des excisées potentielles. Ce plan permettrait aux matrones, dirigeantes des sociétés secrètes, chargées de l’initiation des jeunes filles, de se recycler dans un autre domaine. Les exciseuses regrouperaient comme dans le passé les fillettes durant quelques semaines et les initieraient aux diverses méthodes de contraception, connaissance des plantes et des soins, technologies agraires, conservation des aliments etc… La période de retraite serait utilisée à d’autres desseins en accord avec notre époque et les jeunes filles du coup ne verraient pas détruit du jour au lendemain le sentiment d’appartenance à un même groupe. (Olayinka Kosomo-Thomas. The Circumcision of Women: A Strategy for Eradication. London: Zed Press, 1992)

Les mouvements féminins et les ONG ont élaboré les premiers projets afin d’abolir l’excision en Afrique. En 1979 la CAMS, Commission Internationale pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles, a été créée à Paris. Elle regroupe toutes les personnes de bonne volonté qui veulent participer à l’éradication des mutilations sexuelles.
A la suite de la création, à Dakar en février 1984, du Comité Inter-Africain sur les pratiques ayant effet sur la vie des femmes et des enfants des sections locales ont vu le jour dans presque tous les pays africains. L’abolition des MGF constitue l’un des objectifs primordiaux de cet organisme. Mme Victorine Odounlami, présidente de la section CI/AF/Bénin résume ainsi le but que poursuit cet ONG dans son pays: encourager les bonnes pratiques traditionnelles, l’allaitement au sein, le port des bébés au dos, les méthodes de planification familiales; lutter contre celles qui sont néfastes, telles que les MGF. (D. S. « Les exciseuses réclament un autre emploi » Amina, no. 349, 1999, p.40)

Mais le problème est complexe et il doit être examiné en fonction d’un contexte socioculturel varié. Par exemple, en Sierrra Leone, le débat sur ce sujet a donné lieu à des controverses de tous ordres. Des femmes excisées ont vivement critiqué l’argument qui fait de l’excision un moyen de domination patriarcale. One of the agents strongly denied that the practice of female circumcision contributes in any way to female subservience, passivity and loss of sexual desire (Staeneala M. Becley. « Women as agents/recipients of Development Assistance: The Sierra Leone case » Women as Agents and Beneficiairies of Development Assistance/Femmes agents et bénéficiaires de l’assitance au développement. Dakar: AFARD/AAWORD (ed). Occasional papers series, no 4, 1989, p.44)

Le problème de l’excision est un problème socioculturel complexe qui exige beaucoup de doigté si l’on veut parvenir à des résultats tangibles. En 1988, l’UNESCO a organisé une conférence à Paris « Violence et mutilations sexuelles faite aux jeunes femmes et fillettes », sous l’égide d’Awa Thiam. Les participantes à cette conférence ont violemment condamné la polygamie et les mutilations génitales féminines. Elles ont demandé aux gouvernements concernés d’abolir ces deux institutions, de poursuivre en justice toute forme de violence exercée contre les femmes, et de consacrer au moins 20% de l’aide internationale perçue à des projets féminins. Grâce à l’engagement des mouvements féminins, entre autre des « grassroots », six pays d’Afrique ont voté des lois pour abolir les MGF: le Soudan, le Kenya, le Sénégal, le Burkina-Faso, La Côte d’Ivoire, le Ghana.

UNIFEM (Fonds de développement des Nations-Unis pour la femme) oeuvrent en Afrique pour la promotion de la femme dans tous les domaines. Au Sénégal, il s’est associé à la campagne contre l’abolition des mutilations par un plan d’action en accord avec ENDA-Tiers Monde.

FORWARD (Foundation for Women’s Health, Research and Development). Les objectifs de cet organisme étaient de créer un groupe de travail qui soutiendrait les efforts de l’organisation des droits de l’homme « Minority Right Group » à Londres. Sous l’égide de Efua Dorkenoo, une sage-femme originaire du Ghana, FORWARD est devenue une organisation internationale et s’est développée dans plusieurs pays d’Europe et en Amérique. Efua Dorkenoo, figure de proue du mouvement pour l’abolition des MGF en Europe fut à la tête de cette organisation qu’elle a dirigée pendant plus de dix ans. Elle a milité afin que les filles d’immigrées en Angleterre ne subissent pas l’excision. En 1994, Mme Dorkenoo a été décorée de l’Ordre de l’empire Britannique « British Empire Award ». Actuellement, elle travaille pour l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) à Genève.

Les mouvements féminins africains saluent tout acte de solidarité émanant des pays du Nord, mais sont unanimes pour se démarquer de toutes ingérences à tendance raciste ou publicitaire qui donnent la primauté aux images-choc et au ton agressif.

7. POLITIQUE DES ETATS AFRICAINS

Les actes de violence contre les femmes s’inscrivent trop souvent dans l’ordre naturel des choses

Les actes de violence contre les femmes s’inscrivent trop souvent dans l’ordre naturel des choses et sont ainsi considérés comme faisant partie intégrante du tissu culturel, de la tradition. Les défenseurs de ces rites arguent que l’excision reflète l’identité de la femme Africaine. Cette vision désuète et partiale de l’identité féminine est en train de se transformer en cette fin de siècle.

L’excision est une atteinte à la santé de la fillette et de la femme, donc une violence faite au sexe féminin, en ce sens elle n’est pas conforme à l’esprit et à la lettre des divers traités signés par presque tous les pays du monde. A la suite de la conférence de Vienne, en Autriche, l’assemblée générale des Nations Unies a adopté la « Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des Femmes » qui englobe également les pratiques traditionnelles nuisibles à la santé de la femme. De plus, 191 pays ont ratifié la « Convention internationale relative aux Droits de l’enfant » (1990). Or, l’excision est pratiquée sur des enfants âgés de 3 mois à 10 ans qui n’ont pas la possibilité de choisir librement si elles veulent être excisées ou non. La question de l’initiation a tendance à disparaître compte tenu de l’âge de plus en plus jeune des futures excisées.

Bien sûr la ratification de conventions ne va pas du jour au lendemain changer les mentalités, mais elle constitue le premier jalon d’une réforme sociale dans les pays d’Afrique, d’autant plus que les états signataires se sont engagés à prendre des mesures contre « toute forme de violence et atteintes, de brutalités physiques ou mentales. Des dispositions sont prévues à l’égard des pratiques traditionnelles nuisibles, des violences sexuelles, et de la traite des enfants ».

En outre, la Chartre Africaine des Droits de l’Homme stipule dans son article 18 que:
L’Etat a le devoir de veiller à l’élimination de toute discrimination contre la femme et d’assurer la protection des droits de la femme et de l’enfant tels que stipulés dans les déclarations et conventions internationales »

La plupart des pays d’Afrique subsaharienne ont adopté une politique en faveur de l’abolition des MGF à la suite des diverses conférences internationales telles que la conférence des chefs religieux (Le Caire, 1979), le Séminaire sur les pratiques affectant la santé de la mère et de l’enfant (Khartoum, 1979), le Forum de Nairobi sur Islam et MGF (juin 1985), la conférence mondiale sur les droits de l’homme (Vienne, 14-25 Juin 1993), la conférence internationale sur population et développement (Le Caire, 1994). Dans les 28 pays concernés d’Afrique, le pouvoir, les autorités religieuses, la société civile et les groupements féminins déploient des campagnes de sensibilisation.

Le 5 avril 1984, le Président Abdou Diouf proclamait lors de la conférence de Dakar qu’il fallait « Accélérer le dépérissement de cette survivance qu’est l’excision par l’éducation et non par l’anathème » (« Déclaration du Président du Sénégal, Monsieur Abdou Diouf sur les mutilations sexuelles ». Bulletin du Comité Inter-Africain sur les Pratiques Traditionnelles ayant effet sur la Santé des Femmes et des Enfants, no. 2, juillet 1986, p.15)

Au mois de juin 1998, le gouvernement du Sénégal a déposé un projet de loi interdisant les mutilations génitales féminines et les dignitaires religieux semblaient s’être ralliés à cette mobilisation (Femmes-Afrique-Info, 28.2.99)
Cette loi stipule que: Sera puni d’un emprisonnement de six mois à cinq ans quiconque aura porté ou tenté de porter atteinte à l’intégrité de l’organe génital d’une personne de sexe féminin par ablation totale ou partielle d’un ou plusieurs de ses éléments, par infibulation, par insensibilisation ou tout autre moyen. La peine maximum sera appliquée lorsque ses mutilations sexuelles auront été réalisées ou favorisées par une personne du corps médical ou paramédical. Lorsqu’elles auront entraîné la mort, la peine des travaux forcés à perpétuité sera toujours prononcée. Sera punie des mêmes peines toute personne qui aura, par des dons, promesses, influences, menaces, intimidations, abus d’autorité ou de pouvoir, provoqué ces mutilations sexuelles ou donné les instructions pour les commettre. (« Loi 299 bis sur les Mutilations Génitales Féminines »)

A Kolda au sud du Sénégal, les autorités religieuses, de concert avec la société civile et les villages de Malicounda, annonçaient le 2 juin 1998 au monde entier leur décision de renoncer à l’excision. (Marie-Louise Benga. « Excision à Kolda:15 villages de Médina Chérif y renoncent ». Le Soleil, 2.6.98, p.1. « Le Sénégal renonce à l’excision ». Le Monde, 25 décembre 1998, p.4. « Senegal verbietet die Beschneidung von Frauen-UNICEF beglückwünscht die Afrikanische Frauenbewegung, Grassroots » http://www.unicef.or.at/geric…neidung/senegalfgm150199.html)

Pourtant dans leur édition de janvier 1999, « Femmes-Afrique-Info » et le quotidien national Le Soleil (15 janvier), rapportent que certains chefs religieux auraient exhorté les députés musulmans à voter contre la loi, que des députés auraient refusé de voter et que l’un d’eux, le député et Secrétaire général du Front pour le Socialisme et la démocratisation-tendance islamique, au moment du vote de la loi, le 14 janvier 1999, aurait opposé son veto au nom de sa religion. Un autre député de tendance socialiste lui aurait fait écho en déclarant:
Ma religion m’interdit de voter cette loi. L’excision est un problème religieux. L’interdire c’est mettre en cause l’article 19 de la constitution qui donne au citoyen la liberté d’exercer sa religion. (Amadou Sakho « Droits-SENEGAl: Il faut plus qu’une loi pour bannir les MGF ». Femmes-afrique-info, 21 janvier 1999. Le Soleil, 15.1.99)

Comme pour prouver que cette loi ne s’accorde pas avec les mentalités locales, au lendemain de la décision du conseil des ministres en décembre 1998, 120 fillettes âgées de 8 mois à 10 ans ont été excisées manu militari dans la région de Kédougou (Sénégal oriental) et, cette fois-ci par un homme. Une gifle magistrale pour toutes les femmes, les mouvements féminins et les activistes qui avaient oeuvré pour faire passer une telle loi. Quant au maire de Kédougou s’appuyant sur les réactions de ses administrés, il a conclu:
Nous ne sommes pas contre l’arrêt de l’excision, mais la décision du conseil des ministres a été prise à la hâte. Nos populations ne sont pas préparées à accepter cette loi (Femme-info-Afrique, 21.1.99)

La réaction des dignitaires de Kédougou montre que des questions cruciales n’ont pas été résolues. Dans quelle mesure la loi s’accorde- t-elle avec les mentalités des administrés? Peut- on exiger d’un trait de plume que des populations renoncent à des pratiques ancestrales qui les confortent dans leur mode de pensée? N’aurait-il pas fallu continuer le travail de sensibilisation jusqu’au moment où le gouvernement aurait été assuré de l’adhésion massive des populations?

Le Sénégal a enregistré au mois de juillet 1999 le premier cas de justice. En effet, à la suite d’une dénonciation, Mme X vient d’être écrouée pour avoir excisée sa petite-fille. Le cas est entre les mains du parquet. Afin de vulgariser la loi, Enda-Tiers-Monde en collaboration avec la Free Clinic asbl (planning familial ) et la Section de Coopération Belge à Dakar vient de publier une bande dessinée « Le choix de Bintou ». Cette BD écrite sur un ton simple, accessible à tous, explique les méfaits de l’excision sur la santé des femmes, les risques médicaux, les conflits qu’elle engendre au sein d’un couple. La brochure se termine par un jeu-questionnaire qui rappelle qu’il existe une loi qui condamne une telle pratique. Les questions qui sont posées incitent les jeunes à réfléchir sur la sexualité tout en l’insérant dans le cadre culturel des Sénégalais. La dernière image de la bande dessinée « l’islam pour ou contre » rappelle que l’islam n’exige pas la pratique de l’excision. Le choix de Bintou réconforte donc le sénégalais moyen, pratiquant dans son mode de pensée et aura certainement un impact positif sur les populations. Vu que nul n’est censé ignorer la loi, sur le verso de la BD le texte de loi est mentionné en entier accompagnée d’une image illustrant son application: « La cour vous condamne à 3 ans d’emprisonnement pour avoir fait exciser votre fille. Le message est donc clair. (La brochure peut être commandée à Enda Tiers Monde. 4-5 rue Kléber. BP 3370. Dakar-Sénégal. Fax: (221) 822 26 95. Email: se@enda.sn;)

En Côte d’Ivoire et au Burkina Faso des lois ont été votées en vue d’abolir l’excision. Il faut ici aussi reconnaître le travail qu’ont entrepris les mouvements féminins, les ONG en Afrique. La polémique a fait place à un véritable travail de sensibilisation, de persuasion, d’explication. Il s’agit d’ouvrir les mentalités aux dangers que présente une telle opération: relâchement des tissus lors de l’accouchement, frigidité, stérilité et rétention urinaire, hémorragies et rapports douloureux qui entravent une vie conjugale harmonieuse. En mettant l’accent sur les problèmes de santé qui affectent les femmes, l’abolition de l’excision semble rallier l’accord de la majorité des partis. Ce n’est que lorsqu’un accord général, incluant toutes les personnes concernées, a été atteint que les mesures de contraintes peuvent être envisagées, comme par exemple en Côte d’Ivoire où la loi sur les mutilations génitales exercées sur les femmes nuisibles à la santé prévoit même l’emprisonnement jusqu’à cinq ans et une amende de 200 000 FCFA à 2 Millions de FCFA (2 000FF à 20 000FF). Afin de convaincre les populations d’abandonner la pratique de l’excision, la responsable de la Commission pour l’éradication des mutilations sexuelles, une ancienne praticienne, qui a exercé son métier d’exciseuse pendant 40 ans, sillonne le pays encourageant les praticiennes à suivre son exemple. Mme Guei Bah Agnès Koné, âgée de 75 ans est convaincue aujourd’hui des méfaits qu’une telle pratique peut causer (Femmes-Afrique-Info du 21 janvier 1999). Mais il ne faut pas oublier que les MGF sont pour beaucoup de femmes génératrices de revenus et, qu’il ne sera possible de l’abolir complètement que si les exciseuses parviennent à être recyclées dans un autre domaine. A défaut d’offrir une alternative, il est probable que nombreuses seront celles qui continueront de pratiquer dans l’illégalité, car c’est leur seul gagne-pain.

Bien que le Burkina-Faso fasse figure de modèle dans ce domaine (Mariama Lamizana. Amina no. 328, août 1997, p.32) les mutilations génitales féminines continuent à être pratiquées à Ouagadougou et dans les banlieues proches de la capitale. Les tradipraticiennes poursuivent leur travail et le taux de fillettes excisées et femmes mutilées à la veille de leur mariage n’aurait pas changé. (Angèle Bassole-Ouédraogo. « Complicité » L’indépendant, no. 258, 11 août 1998). En effet, le Burkina -Faso est l ‘un des premiers pays francophones a avoir entamé une lutte contre l’excision. Les raisons dérivent de deux facteurs : le taux élevé de femmes excisées (80%) et l’action de l’ancien président de la république, feu Thomas Sankara, connu pour ses sympathies féminines. Il exhortait les femmes à lutter pour acquérir leur propre émancipation. Dès 1975 le Président Sankara déclarait la guerre à l’excision, une pratique qui pour lui reposait sur le socle de la superstition et de l’ignorance, et le désir de contrôler la femme.

Oui, il faut absolument s’attaquer aux mutilations sexuelles. Celles-ci sont pour nous une façon d’amoindrir la femme, de la marquer du sceau de son infériorité permanente. Parce que tu es femme, tu porteras sur toi cette marque éternellement….La femme excisée ne parvient plus à éprouver tout le plaisir sexuel, elle est donc moins facile à séduire. Voilà le raisonnement, mais pourquoi cette coutume ? Parce que l’homme incapable de donner à cette femme toute l’affection, tout l’amour nécessaire pour la garder auprès de lui, est obligé de la contraindre à rester par des garde-fous. C’est une forme contemporaine de la ceinture de chasteté. Nous nous y attaquerons (cité par Alma G. Amlak. « Le point sur l’excision dns la corne de l’Afrique ». Présence Africaine.Revue culturelle du monde noir, no. 160, 2eme semestre 1999, pp.107-108).

La radiodiffusion nationale burkinabée diffusait déjà à cet époque une série d’émissions afin d’éveiller les consciences sur ce problème crucial (Jean-Philippe Rapp et Jean Ziegler. Burkina-Faso, eine Hoffnung. Zürich, 1987, p.84). La présence de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) a facilité la formation de multiplicateurs qui étaient en mesure de se rendre en brousse pour sensibiliser les populations. Le fonds monétaire, la banque mondiale, les états scandinaves et les Pays-Bas financent le programme de stratégies d’éradication des mutilations sexuelles.

Premiers succès en Afrique

Au Soudan, on enregistre les premiers succès de la campagne contre les MGF. En effet, le 10 novembre 1999 deux jeunes filles Samia Hassan et Ahbal Omer el Hussein se sont mariées publiquement sans avoir été excisées (Nhial Nol « L’excision n’est plus une condition indispensable au mariage Musulman » Femme-Afrique-Info, 10.11.99. http://synfev@enda.sn/). Ceci est une première à Khartoum. En Guinée, pays où les MGF ont lieu à 80%, les autorités se sont engagés à mener une lutte contre l’excision (« Guinea Hand over circumsion » Femme-Afrique-Info, 16 novembre 1999. http://synfev@enda.sn/).

Au Congo, l’excision n’est pratiquée que par un groupe ethnique. Cependant il existe une forme de mutilations génitales assez répandue: l’usage de la phytothérapie dans le traitement d’affections génitales à l’aide de recette végétales traditionnelles. Selon une étude de l’université de Kinshasa (Unikin) 60% des Congolaises s’adonnent à de telles pratiquent ainsi qu’à l’allongement des petites lèvres. Au Sénégal, le regroupement des femmes de Ndaganane a déclaré solennellement qu’à compter du 12 juillet 1999 il renonçait à la pratique de l’excision. Cette déclaration publique a été enregistrée au cours de la dernière grande cérémonie de « Kassouse », cérémonie qui clôture la fin du rite de l’excision (Oumar Diatta « Senegal-Mutilations sexuelles : Thionck-Essyl tourne le dos à l’excision » Sud-Quotidien, 13 juillet 1999).

Au Kenya, le gouvernement a lancé un plan d’action national pour l’éradication de l’excision qui est fondé essentiellement sur l’éducation civique. Mais il n’entend pas poursuivre les personnes qui soumettent leurs filles à une telle pratique afin d’éviter que l’excision soit pratiquée dans la clandestinité. Selon une étude sur la santé démographique au Kenya pour 1998, 32% des Kenyanes ont subi cette opération. Le ministre de la santé du Kenya, M. Sam Ongeri a déclaré que la « proportion des femmes excisées augmente selon l’âge », en précisant que l’excision était plus pratiquée en zone rurale chez les personnes moins instruites qu’en ville. Parmi les régions les plus touchées, celles à l’ouest du Kenya comme le Kisiiles présente un taux de 97%, celles du Massai avec 89%, de Kamba avec 33%. La région côtière enregistre le taux le plus bas de 12% (PANA. « Le Kenya déclare la guerre à l’excision ». Femme-Afrique-info, 24.11.99. http://synfev@enda.sn/).

En Ouganda l’excision est surtout répandue chez les Sabiny, à l’est du pays. La campagne en faveur de l’abolition est conduite par le ministre d’Etat chargée de l’égalité des sexes et du développement communautaire, Jane Francis Kuka. Cette dernière mobilise depuis 1996 les femmes du Kaopchorwa et s’oppose ouvertement à une telle pratique. Son exemple va faire à coup sûr des émules. En effet , au début de sa campagne, les esprits malveillants lui prédisaient qu’elle resterait veieille fille.  » Je me suis opposée à l’excision et tout le monde pensait que je n’allais jamais me marier. Mais je suis mariée et j’ai des enfants » (Peter Owuor. « Santé : L’Ouganda redouble d’effort pour lutter contre l’excision » Femme-Afrique-Service, 14.1.2000). De tels exemples ont un impact positif sur des populations attachées à leur us et coutumes car, comme l’a déclaré le Vice-Ministre zambien lors de l’atelier sur la pratique de l’excision à Lusaka: « Tout en étant nuisible, la pratique de l’excision constitue, dans certaines sociétés , une façon de vivre et une forme d’identité qui ne peuvent être remises en cause du jour au lendemain » (Lewis Mwanangombe. « Un atelier sur la pratique de l’excision ». Femmes-Afrique-Info, 14.1.2000).

Enfin deux épouses de chefs d’état, Chantal Compaoré (Burkina-Faso) et Marguerite Kérékou (Bénin) ont décidé de lutter ensemble afin d’éradiquer d’ici à l’an 2001 dans le cadre de l’UEMOA (union économique et monétaire ouest africaine) « les tares culturelles qui assujettissent encore les femmes et les enfants » comme l’a déclaré Chantal Compaoré lors de leur concertations à Cotounou. (« Pana-Droits-Afrique: Deux épouses de chefs d Etat veulent éradiquer l’excision d’ici l’an 2001 ». Femme-Afrique-Info, 16 novembre 1999).

La lutte contre les MGF est devenu un combat quotidien dans tous les états d’Afrique concernés.

8. EXCISION ET EMIGRATION

Die Würde des Menschen ist unantastbar
La dignité de l’homme est invulnérable
(Constitution allemande Art. 1)

La situation en Allemagne

A l’époque de la colonisation anthropologues, administrateurs, et missionnaires s’entendaient pour observer de loin des coutumes qu’ils considéraient surtout comme des bizarreries qui ne les concernaient pas. Un demi-siècle plus tard, l’attitude des pays du Nord face à l’excision est légèrement différente mais la compréhension des conditions économiques, religieuses et socio-historiques qui permettent de situer le problème dans son contexte et d’en attaquer les causes fait encore cruellement défaut. Pour l’Europe, l’excision reste une coutume barbare à observer de loin et à maintenir au-delà du rideau de fer qui a été dressé tout autour de l’Europe au cours de ses dernières années. Dès lors, les questions sont mal posées, les difficultés et les échecs sont surmédiatisés. Par exemple en Allemagne, le débat sur l’excision tourne trop autour du plaisir, et de la jouissance sexuelle. De là cette impression qu’en Allemagne, le « voyeurisme » est plus à l’honneur qu’un véritable travail de sensibilisation. Cette impression est malheureusement renforcée par campagne actuelle, ce qui fait dire à un jeune métis allemand, étudiant en droit et joueur de handball.

C’est une attitude européenne largement répandue de ne voir dans l’Africain que son corps et le réduire ainsi au sexe (Eldridge Belia Herzberger cité dans P. Herzberger-Fofana. Gespräche mit jungen Schwarzen und Afro-Deutsche in Erlangen, 11.4.99. Ma traduction)

L’image des Africains dans les médias occidentaux se limite trop souvent aux artistes, au monde du show-business et aux sportifs. Leur corps est mis en évidence. C’est de cette politique du corps dans toute sa beauté que les artistes tirent leur valeur. Mais c’est aussi d’après leur physique que ces Africains, artistes en tous genres, sont jugés. Il convient donc de ne pas mutiler leur corps afin qu’ils répondent aux attentes des Européens. Sinon comment expliquer que le roman de Fauziya Kassindja, Une jeune fille simple, traduit en allemand en même temps que Fleur du désert, ne soit jamais mentionné ni dans les médias, ni dans la campagne officielle qui a lieu actuellement?

La protagoniste du roman n’appartient ni au monde de la mode, ni à celui de sport et encore moins à celui du show-business.
Le service de la Statistique de Wiesbaden estime que 20 000 femmes excisées vivent en Allemagne et que de nombreuses petites filles risquent de l’être. Jusqu’à ce jour il n’existe pas de véritables statistiques.

En Allemagne, la lutte contre les MGF a été dans les années 70 surtout l’oeuvre d’activistes qui ont tenté de sensibiliser l’opinion publique en publiant des brochures ou en organisant des débats sur ce sujet (Braun, Levin, und Schwarzbauer(eds.) Materialien zur Unterstützung von Aktionsgruppen gegen Klitoribeschneidung. Munich: Frauenoffensive, 1979, pp.55-65). En 1981 deux ONGs « Amnesty for Women » et « Terre des Femmes » (1981) ont vu le jour. Elles donnaient la priorité aux MGF. Les changements au niveau du comité exécutif de « Terre des femmes » a abouti à rayer l’excision du champ des recherches de cette organisation durant un certain temps. A la suite du film présenté par CNN, lors de la conférence mondiale sur la population au Caire et qui révélait que 90% des Egyptiennes étaient excisées (1994), et de la Conférence Mondiale sur les Femmes à Beijing (1995) les MGF ont provoqué un regain d’intérêt de la part des médias et « Terre des Femmes » a repris sa campagne contre l’excision tout en déplorant la « culture du silence » qui prévaut sur ce sujet en Allemagne.

En 1995, une journaliste a publié dans le magazine des jeunes Bravo un article à sensations qui s’adressait aux teenagers. « Awa, 17 Jahre ich wurde beschnitten » (Awa, 17 ans, j’ai été excisée) (P. Göttinger. « Awa, 17: ‘Ich wurde beschnitten' » Bravo!Girl 15, 10. 7. 1996, pp. 10-11. La revue tire à 3 millions d’exemplaires par semaine).

La réaction a dépassé toute commune mesure. Elle s’est manifestée par un courrier abondant des lecteurs qui était non seulement riche de propos racistes mais surtout d’appels à la délation publique. Les jeunes ont condamné d’une façon virulente les parents d’Awa en les traitant de criminels qu’il fallait passer tout de suite par les armes: Surtout, nous ne comprenons pas que les parents d’Awa, qu’ils fassent cela. Ils sont tarés. Si nous étions à la place d’Awa, nous ne pardonnerions jamais aux parents et nous nous en irions…on devrait les passer par les armes (Ma traduction)

Loin d’amorcer un débat, l’article ne faisait que corroborer les stéréotypes sur les Africains, car il ne contenait pas d’analyse judicieuse qui explique les origines et fonctions de cette coutume dans un contexte différent. dans une émission de télévision sur le même thème à laquelle l’auteur de ces lignes avait pris part le 10 octobre 1995 à Sarrebruck, pour le compte de la WDR, le débat sur l’excision a tourné court. Même si la femme de l’ex-ministre des Finances de la République fédérale a depuis gagné de nombreux mécènes pour le centre INTACT qu’elle a créé à Sarrebruck: son budget s’élève à 800 000 DM (Bildzeitung vom 21.3.99, p. 6). Cette NGO se consacre à l’éradication et à la prévention des MGF en offrant un support financier et technique aux Africains résidant en Afrique. Fondée en 1996 par Mme Christa Müller à la suite d’une visite officielle qu’elle avait faite au Bénin en février 95, elle avait promis à Mme Soglo (à l’époque présidente du Bénin) au cours d’une réception de lui venir en aide afin d’enrayer les MGF au Bénin.

Cette impression de « voyeurisme » à relent raciste est accentuée par la campagne de presse qu’a entrepris INTACT. Il faut regretter que, durant une semaine, les médias, et même certaines émissions pourtant sérieuses, se sont permises de montrer des images plutôt osées et qui n’ont eu pour effet que de corroborer auprès des téléspectateurs une image de l’Afrique inappropriée.

Cette campagne pour l’abolition des MGF est perçue par les Africaines vivant en Allemagne comme une atteinte à la dignité de la femme noire. Et elle ne s’accorde pas avec l’article 1 de la Constitution allemande: « Die Würde des Menschen ist unantastbar » (La dignité de l’être humain est invulnérable). INTACT a entrepris une véritable croisade contre une coutume qualifiée de « barbare ». Il convient donc d’ériger à nouveau le rideau de fer, en orchestrant une publicité à outrance dans la presse de boulevard, mais aussi dans le journal TAZ publié à Berlin pourtant réputé pour son libéralisme et son ouverture aux pays du Tiers-Monde. Les mouvements féminins africains ne peuvent pas s’identifier à ces images choc qui envahissent actuellement la presse allemande. En outre, nombreuses sont les Africaines qui craignent d’être la cible de maniaques, d’obsédés sexuels et autres mutilés psychiques qui chercheraient à satisfaire une curiosité malsaine (cf. Remarque: Depuis l’effondrement du mur de Berlin, les agressions physiques contre les minorités « visibles » se sont développées à une allure vertigineuse. L’auteur de ces lignes a été agressée en plein jour dans un grand magasin par un chômeur, un jeune homme de 17 ans qui usait d’un langage émaillé de propos xénophobes. Condamné par le tribunal de première instance de la ville d’Erlangen, le juge a reconnu comme circonstance atténuante qu’il était en état d’ébriété à 5h. de l’après-midi).

Déjà lors de la conférence de Copenhague, le professeur Filomena Steady, membre fondatrice de l’AFARD/AAWORD, avait reproché aux féministes occidentales de faire de l’excision leur cheval de bataille et de ne pas s’élever contre la violence dont les femmes noires sont victimes en Europe ou en Amérique (Filomena Steady. « Women: The Gender Factor in the African Social Situation ». The African Social Situation: Crucial Factors of Development and Transformation. ACARTSOD: London, 1990, p.192)

Les groupements de Femmes Africaines, AFARD/AAWORD/AGISRA/MAISHA/FORWARD ou bien le groupe de Berlin/Les femmes Somaliennes d’Erlangen-Nuremberg effectuent un travail dans l’ombre, loin d’une publicité tapageuse. Depuis 1996 Agisra a un statut officiel de centre de santé. A l’intérieur d’Agisra, le comité des Femmes Africaines MAISHA effectue un travail de sensibilisation auprès des femmes vivant surtout dans la région de Francfort et conseille les Africaines qui sont confrontées aux problèmes des MGF. MAISHA par exemple a entrepris une enquête auprès des gynécologues de la Hesse, région de Francfort afin de savoir s’ils accepteraient d’opérer dans leur cabinet des fillettes. Tous ont répondu négativement.

AGISRA a pour but d’évaluer les besoins des Africains résidant en Allemagne et, point important, de « favoriser le dialogue entre Allemands et les divers groupes nationaux », d’entretenir des contacts avec les femmes allemandes afin de développer un esprit de tolérance réciproque et combattre le racisme. AGISRA-MAISHA essaie d’obtenir le droit d’asile pour 8 femmes (1 du Sénégal, 2 de Somalie, 3 du Kenya, 1 du Burkina-Faso, 1 du Nigeria). Toutes ces femmes sont menacées d’excision si elles retournent au pays.

Tout comme AFARD/AGISRA/FORWARD, MAISHA a pris part à des émissions de télévisions sur les MGF afin de donner une vision plus réaliste de cette coutume. Le 18 octobre 1998, MAISHA était l’hôte officielle de Waris Dirie lorsqu’elle devait être reçue par la ville de Francfort. Le groupe MAISHA a soutenu par la voix de sa présidente, Virginia Wangare Greiner, les efforts pour créer FORWARD International qui donne la priorité aux MGF.

Depuis décembre 1998 un groupe mixte d’hommes et de femmes, d’Allemands et étrangers venus de tous les horizons est né officiellement à Francfort sous le nom de « FORWARD » affilié à FORWARD-International sis en Angleterre. Ce groupe a entrepris une véritable campagne de sensibilisation dans le respect de la différence des cultures, tout en montrant les écueils auxquels se heurtent les familles Africaines qui pratiquent l’excision sur leurs filles. FORWARD prévoit d’organiser une exposition itinérante en accord avec FORWARD-Nigéria. Les artistes nigérians ont immortalisé le problème de l’excision sur leurs toiles. Cet exposition de peinture a débuté le 8 mars 2000 à Sarrebruck et tournera dans toutes les villes d’Allemagne. FORWARD prévoit également une campagne auprès des jeunes filles qui pourraient être menacées par l’excision, soit ici en Allemagne, soit en se rendant en vacances dans leur pays d’origine.

« Nous devons sensibiliser nos filles qui grandissent ici à ce problème, mais nous devons aussi informer leurs mères qui demeurent attachées à cette coutume » (Ma traduction) a déclaré la vice-présidente de FORWARD, Dr. Asili Barre-Dirie le 9. 4. 1999 lors de la réunion du comité exécutif à Francfort. En Allemagne, un travail de sensibilisation est nécessaire, car ici mutilations se confond avec racisme et sexisme. En outre, « la culture du silence » qui prévaut encore parmi les groupes les plus concernés nécessite un changement des attitudes. La solution du problème ne se situe pas au niveau d’une dénonciation auprès des barreaux ni, comme le préconisent certaines féministes allemandes, à celui de l’établissement de listes des patientes excisées par les gynécologues. Ces procédés inacceptables se rapprochent trop de la délation publique qui causa jadis tant de souffrances et détruisit des familles entières. Il s’agit davantage d’instituer un dialogue et de trouver une solution durable. Certes, l’Allemagne n’en n’est pas au même stade que la France, qui a une forte population d’émigrés africains et qui a donné la priorité aux mesures légales draconiennes, l’un des défis auquel l’Allemagne doit faire face est de favoriser la collaboration avec les organisations des femmes africaines existantes dans le pays afin qu’elles oeuvrent ensemble à l’abolition des MGF. Car, la participation des Africaines s’avérerait fructueuse pour effectuer un travail psychologique auprès des autres femmes vivant en Allemagne afin de les persuader de renoncer à faire exciser leurs filles.

Succès parlementaires

Le 17 juin 1998 le parlement ou Bundestag a présenté pour la première fois une motion qui avait pour titre « Genitalverstümmelung ächten und Frauen schützen » (Proscrire les mutilations génitales féminines et protéger les femmes ». Die Tageszeitung, 18.6.98). Cette motion de censure a été possible grâce au travail qu’avaient entrepris les Verts déjà un an auparavant en organisant un « hearing » co-financé par la fondation Heinrich Böll. Le député des Verts Dr. Angelika Köster-Lossack, membre du Bundestag et membre du comité des Affaires étrangères posait une question cruciale: « Que peut faire l’Allemagne pour éviter que des enfants nés sur le sol germanique ne subissent une opération de MGF ? » (Antrag der Abgeordneten Irmingard Schewe-Gierigk, Anke Diertert-Scheuer, Dr. Angelika Köster- Lossack. Deutscher Bundestag, 13. Wahlperiode. 21.11.97. Drucksache 13/9335).

Le député Mme Irmgard Schewe-Gierigk a souligné que « les femmes du sud exigent un acte de solidarité concret et demandent qu’on les supporte dans leur lutte ». Il va donc de soit que l’Allemagne prenne des mesures en ce qui concerne les mutilations sexuelIes. Le député, Mme Anke Diertet-Scheur, a relaté le cas d’une jeune Ivoirienne résidant à Hamburg qui a obtenu le droit d’asile, car elle craignait que sa fille âgée d’un an ne soit excisée si elle retourne en Côte d’Ivoire.

L’été dernier, la journaliste Kersten Kilanowski aurait découvert que 4 fillettes, originaires de la Gambie, avaient été envoyées dans leur patrie durant les vacances afin d’être excisées. « Terre des Femmes », s’est saisie de cette affaire. Lors de la réunion du 11-13 septembre 1998, elle a soulevé la question de savoir s’il fallait intenter une action en justice contre les parents. En s’appuyant sur le code pénal, et surtout sur les articles (SS224 SS226 StGB) qui garantissent l’intégrité corporelle « Die körperliche Unversehrtheit ». Théoriquement les mutilations pourraient être passibles de condamnation.

« Terre des femmes » préconise la délation publique afin d’établir un précédent. Lors de la rencontre en septembre 98, la majorité des participantes allemandes se sont prononcées pour une action en justice. Tobe Levin rapporte une séquence du débat:
« Whoever lives in Germany is required to abide by certains rules. One such rule is that mutilation or encouragement to mutilate is punishable by law; legal instruments are intended to sanction this serious violation of human rights; Law enables pursuit and prosecution of violators… A precedent must be set so that the lines are clearly drawn » (Tobe Levin. « Female Genital Mutilation: Campagne in Germany ». Indianapolis 98 WAAD Conference.. Unpublished paper)

Le 23 mars 1999, la première chaîne de télévision a présenté dans son émission « Report » le premier cas de délation publique. Un couple allemand, originaire de la Rhénanie-Palatinat du nord, non loin de Essen, a porté plainte contre une Africaine qui avait fait exciser sa fille de six ans. L’enquête est en cours. Toujours selon le journaliste de « Report » à Karlsruhe, la police a eu vent d’un cas similaire. Une famille Africaine aurait fait exciser leur fille. Ici aussi l’enquête est en cours. Pour la première fois, la police allemande se sent impuissante à agir, car les personnes appréhendées se réfèrent à la liberté d’excercer leur religion garantie par la Constitution allemande. Les tribunaux allemands sont confrontés à un fait de culture qui les dépasse. En effet, les personnes interpellées par la police donnent comme argument que l’excision est, un commandement religieux auquel elles doivent soumettre leurs filles. A Berlin, un médecin d’origine arabe a déclaré sous le feu des caméras qu’il pratique sous anesthésie totale l’excision et perçoit des honoraires d’environ 1200 DM par patiente (environ 350 000 FCFA, 3 500FF). Le ministre de la justice, Mme Herta Däubler-Gmelin, s’est donc adressée aux autorités judiciaires, du parquet allemand « der Bundesgerichtshof » pour qu’il vérifie si les lois existantes sont en mesure d’être appliquées afin de pouvoir punir les parents ou toute personne qui pratiquerait des MGF. Interviewée au cours de cette émission, la ministre a déclaré en substance: Le gouvernement allemand ne tolérera pas que sur son sol, les mutilations génitales féminines aient lieu au nom de la culture ou de la religion (Report, lundi 23 mars 1999. 21h. Ma traduction)

Depuis des années, les mouvements féminins africains en Allemagne réclament que les mutilations génitales féminines soient reconnues comme motif pour obtenir l’asile comme c’est le cas au Canada et aux Etats-Unis. (P. Herzberger-Fofana. « Die Nacht des Baobab. Zur Situation der ausländischen Frau am Beispiel von Afrikanerinnen in Deutschland ». Festvortrag zum internationalen Frauentag 8. März 1992, p. 22. München: Veranstaltung der Landeshauptstadt /Frauenbeauftragte Büro München am 9.3.92). Il faudrait avant de punir, sensibiliser, informer les diverses communautés concernées. Dans l’ensemble, les Africaines sont contre la délation publique, car elle pourrait aboutir à des abus.

Parmi les organismes qui militent pour l’abolition des MGF, soulignons « Terre des Femmes »,MAISHA, AGISRA, AFARD, FORWARD. Cependant des divergences nettes apparaissent entre la plupart des organisations dans leur méthode de travail. En effet, « Terre des Femmes » souhaiterait faire appel à la justice. Agisra, Maisha , Afard, Forward composé d’une forte majorité d’Africaines font confiance au travail d’information et de persuasion auprès des mères qui veulent exciser leurs filles.

Un travail d’information se développe lentement au niveau des institutions. En décembre 1996 « Arbeitsgemeinschaft Frauengesundheit in der Entwicklungszusammenarbeit. Tropengynäkologie (FIDE Le groupe de travail sur les problèmes affectant la santé des femmes issues des pays en développement a organisé un workshop à Heidelberg ayant pour thème: weibliche Beschneidung (Mutilations génitales féminines). A l’issue de ce séminaire, les participants ont consacré dans leur revue « Der Frauenarzt (Le gynécologue) un numéro spécial aux problèmes des mutilations. Les auteurs de cette publication, tous des gens de terrain, ont élaboré un catalogue de propositions qui comprend: des projets de recherches, des études empiriques, de la documentation aux recommandations au parlement, ces propositions incluent aussi bien les femmes excisées en Allemagne que celles qui vivent à l’étranger (Z. Abdallah, G. Bastet und C. Dehne. « Stellungnahme zum Problem der Beschneidung der Frau ». Der Frauenarzt 37-10. Sonderdruck Der Frauenarzt, 1996, pp.1460- 1464). Les médecins préconisent l’utilisation de moyens techniques appropriés afin d’ouvrir la cicatrice d’infibulation sous anesthésie. Les médecins concluent leur rapport de la façon suivante:
Nous, les Européens, nous devons comprendre combien nous avons fait souffrir le continent noir avec l’esclavage, le colonialisme et l’exploitation économique post-coloniale. Nous devons comprendre les conséquences de la misère et du sous-développement économique pour les filles et les femmes Africaines. Par conséquent, si nous nous contentons uniquement d’exiger que la circoncision soit abolie, nous nous donnons bonne conscience et faisons preuve d’une compréhension provinciale et post-coloniale de la situation. Par contre, si nous travaillons avec nos collègues et sages-femmes des pays en développement, nous parviendrons à élaborer des solutions pour remédier à des problèmes obstétriques et gynécologiques que des femmes endurent (Ma traduction )

Depuis des années les mouvements féminins en Afrique s’insurgent contre toutes formes de programmes et plans d’action réalisés dans les bureaux feutrés des pays du Nord , loin de la réalité des pays en développement.

Les autres pays européens: la France et l’Angleterre

En France, la lutte contre l’excision relève de plusieurs facteurs: tout d’abord une forte population d’immigrés venus d’Afrique a apporté ses traditions et pratiques dans le but de conserver un lien avec le pays natal. Comme le dit Max Frisch, écrivain de langue allemande, parlant des immigrés turcs en Allemagne: On a appelé des forces de travail et ce sont des êtres humains qui sont venus avec leurs aspirations, leurs coutumes, et leurs rêves. (Max Frisch. Ma traduction). Cette citation est valable pour les pays d’Europe qui abritent une forte immigration africaine. Ces coutumes cependant ne s’accordent pas toujours avec le pays-hôte et sont en porte-à-faux avec les lois et mentalités occidentales.

En France et en Angleterre, l’excision est interdite et passible de condamnation. Bien que la Grande-Bretagne ait voté en 1982 des lois pour punir l’excision et se soit donnée 10 ans pour les mettre en vigueur, à ce jour, aucun cas n’a été porté devant les tribunaux.

En France l’excision ou mutilation féminine génitale est qualifiée de crime et elle est passible d’emprisonnement depuis 1983. En 1993, la France a condamnée pour la première fois une mère de famille à un an et demie de prison. La cour de cassation a décrété dans un arrêt du 20 août 1983: l’ablation du clitoris est une mutilation au sens de l’article 312 du code pénal (cité dans Le Monde diplomatique d’octobre 1998 p.10). L’opinion publique avait été alertée en 1983 par le décès de Bobo, un bébé malien de 3 mois décédée des suites d’une excision. Le jugement et la condamnation des parents à Paris pour homicide involontaire, envoyaient un message des plus clairs: il n’est pas acceptable que des enfants meurent au nom d’une tradition. Si l’on peut se féliciter que l’opinion publique ait réagi, il ne faut pas non plus se leurrer, ce n’est pas elle qui mettra un terme à l’excision mais bien plutôt des familles d’immigrées qu’il s’agit de persuader du danger que comporte une telle opération. Il ne s’agit pas de jeter la pierre à qui que ce soit, mais de montrer à des parents s’accrochant désespérément à la tradition qu’aujourd’hui l’avenir des filles ne dépend pas de mutilations traditionnelles. Il faut parvenir à persuader les familles- sans heurter leur sensibilité- du danger que comporte une telle opération et à les convaincre qu’à l’aube de l’an 2 000, les femmes sont capables de maîtriser leur propre sexualité sans tomber dans la luxure; d’autres rites de passage sont à même de les conduire à devenir de bonnes musulmanes et des Africaines respectueuses de la tradition.

Dans le numéro du 18 janvier 1999 de Libération on peut lire qu’une exciseuse Malienne vient d’être condamnée à 8 ans de prison ferme pour avoir excisée plusieurs fillettes à Paris. Hawa Greou a été dénoncé par une jeune fille de 24 ans qu’elle avait excisée. Les parents de la jeune fille et l’exciseuse ont été condamnés. C’était une première. Le 23 mars 1999, une autre jeune femme Malienne a été condamnée à Bobigny pour avoir excisé des fillettes. Les autorités françaises sont décidées à mettre fin à cette pratique sur son sol par voie de justice. Cependant les propos d’Hawa Greou, condamnée à huit ans de prison pour avoir excisée plusieurs fillettes, soulignent que les raisons pour lesquelles elle est condamnée lui échappent tout à fait: Je suis une bonne musulmane et je n’ai jamais voulu faire mal à qui que ce soit. Nous, les forgerons, nous rendons service aux nobles qui font appel à nos services. Chaque famille noble de mon pays a à son service, un forgeron chargée d’exciser les fillettes. (Libération 17.2. 99)

Ces lignes montrent le tragique de la situation et l’ampleur de la tâche éducative à accomplir. De plus, il convient de prendre garde à ne pas déplacer le problème sans le résoudre. Un immigré Malien affirmait : « A l’avenir, on enverra les enfants au pays se faire exciser », ce qui montre bien que le problème ne peut pas être résolu en France ou en Europe sans l’être aussi en Afrique. Il ne s’agit pas de déplacer le problème en exigeant que l’opération ait lieu au pays natal, dans une case sordide, ou dans des cliniques aseptisées, des solutions que les parents sont trop souvent tentés d’adopter comme échappatoire. Même si dans une clinique, les risques d’infection sont moindres, les traumatismes, la douleur demeurent.

La Suède

De par sa politique libérale des années 70, la Suède a ouvert ses portes à bon nombre d’immigrants, 120 nationalités se côtoient dans ce pays, une personne sur cinq est étrangère. Les MGF affectent surtout les résidents originaires de l’Ethiopie, de la Somalie et de l’Erythrée. Selon le Service d’Emigration de Göteborg, la Suède compte actuellement 17 000 femmes victimes de l’infibulation. Le ministère de la santé en collaboration avec les autorités chargées de l’émigration a initié de 1993 à 1996 un projet « Santé et enfant – Les mutilations génitales. » La coordinatrice du projet est Jamila Said Musee. Bien que la Suède ait adopté en 1982 des mesures législatives interdisant l’excision, jusqu’à ce jour il n’y pas eu de poursuites judiciaires contre les personnes qui pratiquent les MGF.

La Suisse

Dans son ouvrage Löwinnen sind sie. Gespräche mit somalischen Frauen und Männern über Frauenbeschneidung (Bern: eFef Verlag, 1996), l’auteur Charlotte Beck-Karrer a interviewé des Somaliens vivant en Suisse. Le résultat de cette enquête semble suggérer qu’un certain nombre de Somaliennes sont fières de pratiquer « gudniin » (l’infibulation) et dans l’ensemble sont bien décidées à faire subir cette épreuve à leurs filles. Bien que les lois helvétiques prévoient depuis 1983 une condamnation au cas où la santé d’une personne est mise en danger par des MGF. Pourtant parmi les femmes excisées, des voix se prononcent timidement contre cette pratique pour leur fille qui grandissent en Suisse. Dans quelle mesure la pression sociale joue encore un rôle important – compte tenu de la forte minorité somalienne vivant en Suisse- ne ressort pas clairement de ces entretiens.

Les filles Africaines vivant dans les pays de la Diaspora ont droit à l’intégrité physique de leur personne. Elles ont le droit d’être protégées. Elles ne doivent pas être sacrifiées au nom de la vénérable tradition, de coutumes désuètes, d’un passé nostalgique. Tout comme le tatouage des lèvres, les scarifications faciales ont disparu, les efforts conjugués de tous peuvent faire disparaître en moins d’une génération toutes formes de mutilations sexuelles.

9. CONCLUSION

Chaque jour, je remercie Dieu d’être née en Afrique. Je suis fière d’être Somalienne, et fière de mon pays
(Waris Dirie)

Qu’elle soit réalisé ici ou ailleurs, dans une case sordide ou dans une clinique super-moderne, l’excision demeure une expérience traumatisante. Et derrière chaque fillette excisée, il y a une femme qui devra vivre et donner un sens aux mutilations dont elle a été l’innocente victime. C’est ce que nous rappelle le livre de Waris Dirie qui, en dépit de son succès, ne nous enjoint pas à partir en guerre contre la tradition toute bardée d’images fortes, mais nous engage à écouter des voix nouvelles qui nous interpellent, nous confient leurs espoirs, leurs rêves et leurs aspirations.

Pierrette Herzberger-Fofana
Université Erlangen-Nuremberg
Juillet 2000

Source : www.arts.uwa.edu.au/AFLIT/MGF1.html

Annexe :

Les gouvernements devraient condamner la violence à l’égard des femmes et s’abstenir d’invoquer la coutume, la tradition ou la religion
(IV Conférence Mondiale sur les Femmes, Pékin)

APPEL DE PEKING

Extrait du Rapport de la Quatrième Conférence Mondiale sur les Femmes, Pékin 4 et 5 septembre 1995.

SS93 – Les coutumes qui contraignent les filles à des mariages et à des maternités précoces, et les soumettent à des pratiques telles que les mutilations génitales, compromettent gravement leur santé.

SS106 – Les gouvernements, en coopération avec les organisations non gouvernementales et les associations patronales et syndicales et avec l’appui des institutions internationales, devraient prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer les interventions médicales, nocives, inutiles ou imposées.

SS113 – La violence à l’égard des femmes s’entend comme englobant la violence physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la famille, y compris les mutilations génitales et autres pratiques préjudiciables à la femme.

SS 124 – Les gouvernements devraient condamner la violence à l’égard des femmes et s’abstenir d’invoquer la coutume, la tradition ou la religion pour se soustraire à l’obligation d’éliminer, promulguer et appliquer des lois sanctionnant les auteurs de pratiques et d’actes de violence à l’égard des femmes, telles que les mutilations génitales.


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Pour toute précision ou information complémentaire, veuillez contacter Dr. Pierrette Herzberger-Fofana.
E-mail : Peherzbe@phil.uni-erlangen.de

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JOURNAUX, MAGAZINES

African Women

Amina. Le magazine de la femme noire

Femmes-Afrique-Info. Service d’information électronique ENDA-SYNFEV. Email: synfev@enda.sn

Le Soleil. du 14 au 18 janvier 1999. Dakar Sénégal

Marie-Claire. Février 1990. Juin 1993

Le Monde. Juin 1997, 14.10.97, 10.1.98, 22.8.98, 10.10.98, 25.12.98

Le Monde diplomatique. Septembre et Octobre 1998

Presse béninoise

Presse du Burkina Faso

Présence Africaine. Revue culturelle du Monde Noir, no. 160, 2eme semestre 1999.

Le Témoin. Hebdomadaire d’informations générales. Dakar du 2 au 8 mars 1999, no. 448

FILMS

Zarah Yacoub, cinéaste Tchadienne a obtenu un prix pour son film Dilemme au féminin présenté lors du Festival du Film Africain et Créole à Montréal en 1999.

Lanciné Diaby, réalisateur ivoirien a présenté La jumelle, ou les habits sales de la tradition africaine lors du FESPACO à Ouagadougou (Burkina-Faso). Ce film traite du mariage forcé et de l’excision en Afrique.

Prathiba Parmar et Alice Walker ont tourné un documentaire intitulé Warrior Marks sur les mutilations. Ce film est basé sur des interviews avec des femmes de Gambie, du Sénégal, de France, de Grande-Bretagne et d’Amérique.

EXPOSITIONS

Artists’ Impressions on Female Circumcision in Nigeria. Plus de 80 artistes nigérians ont immortalisé sur toiles le thème des mutilations. Cette exposition itinérante tourne actuellement dans toutes les villes d’Allemagne jusqu’en 2001. Elle sera à Hanovre durant l’exposition internationale EXPO 2000

Pour tout renseignement supplémentaire s’adresser à:

Joy Keshi Ashibuogwu. Women Issues, Communication, Services Agency. 6 Sylvia Crescent. Anthony Village. Lagos, Nigeria. Tel: (00234) 1-497 852. Fax: (00234) 497 857. Email: Lintas@alpha.linkserve.com

FORWARD-Germany vient de publier un catalogue de l’exposition en allemand. Une traduction en anglais peut être obtenue en écrivant à la Présidente de FORWARD-Germany: Dr. Tobe Levin, fax: 46 40 69. E-mail: Levin@em.uni-frankfurt.de

INSTITUTIONS – INITIATIVES INTERNATIONALES

AFARD/AAWORD

Association des Femmes Africaines pour la Recherche et le Développement
Association of African Women on Research and Development
Siège: Sicap Sacré-Coeur I, Villa 8798. Dakar, Sénégal
Tel : (00221) 824 20 53. Fax: (00221) 824 20 56.
Web: http://www.onelist.com – Email: aaword@telecomplus.sn
Présidente: Dr. Christine Oryema Lalobo – Ouganda
Vice-Présidente: Dr. Valérie Ngongo-Mbede – Cameroun
Représentante Europe: Dr. Pierrette Herzberger-Fofana
Fax: (0049) 9131- 30 21 52. Email: Peherzbe@phil.uni-erlangen.de

AGISRA

Gegen internationale rassistische sexuelle und rassistische Ausbeutung
Ludolfustr. 2-4
60487 Frankfurt/Main-Allemagne. Tel/Fax: (49) 069 46 34 21

AIDOS

Assoziazione italiana donne per le svilippo
Présidente: Daniela Colombo. Via die Giubbonari 30 – 00186 Rome. Italie
Fax: 6872549

Amnesty for Women

Große Bergstr. 231
22767 Hamburg. Allemagne
Tel: (0049) 40 384 753. Fax: (0049) 40 385 758

APROFRES

Association pour la Promotion de la Femme Sénégalaise Kaolack: lutte contre l’excision dans la région de Kaolack
Présidente: Soguy Ndiaye
Tel: (221) 941 44 11. Fax: (221) 941 31 95
Email: aprofes@meticassacana.sn

Association for Promoting Girl’s And Women’s Advancement in Gambia

74, Kombo Sillah Drive
Churchillstown. Serrekund-Gambia
Tel/Fax: (00220) 39 28 26

Commission Internationale pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles (CAMS)

S/c. Awa Thiam
Femmes et Société. B.P. 11345. Dakar, Sénégal. Tel: (00221) 8-1022 250 090 ou
Institut Fondamental d’Afrique. B.P. 811. Dakar, Sénégal

CAMS-France

S/c. Linda Weil
6, place St. Germain-des-Prés
75006 Paris, France. Tel: (0033) 1 45 49 04 00. Fax: 45491671

Comité Inter-Africain sur les pratiques ayant effet sur la vie des femmes et des enfants

Inter-African Committee – Economic Commission of Africa
ATRCW. P.O. Box 30 01. Addis-Abeba, Ethiopia
Tel: (00251) 1 517 57 93/517 22 00. Fax: 511 46 82. Email: IAC@Padis.gn.apc.org

Comité Inter-Africain (CI/AF) Bénin

Présidente: Mme Victorine Odounlami
01 BP 538. Porto-Novo, Bénin
Tel: (229) 21 25 25. Fax: (229) 22 32 04

Bureau européen

Présidente: Berhane Ras-Work
147, rue de Lausanne. CH – Genève
Tel: (41) 22 731 24 20/ fax: (41) 22 738 18 23

Equality Now

Présidente: Jessica Neuwirth
250 West 57 th St. 26. New York, NY 10107, USA
Email: equalitynow@igc.apc.org

FORWARD-International Foundation for Women’s Health, Research and Development

40 Eastbourne Terrace. London W2 3QR, UL
Grande-Bretagne
Fax: 755 27 69. Email: forward@dircon.co.uk

FORWARD-Germany

Présidente: Dr. Tobe Levin
Email: Levin@em-uni-frankfurt.de
Vice-Présidente: Dr. Asili Barre-Dirie
Fax: (49) 87 11 43. Email: barre@tvz.fal.de

FORWARD USA, Inc « Together Against FGM »

1046 W. Taylor St. Suite 204, San Jose. CA 95126, USA
Fax: 298 333 333 893. Website: http://www.gnomes.org/forward

Freundeskreis Tambacounda

Président: Karim Sané
Am Kleinenfeld 21
30167 Hanover, Allemagne
Tel: (0511) 161 26 12. Email: tambacounda@compuserve.com

Intact

Internationale Aktionen gegen die Beschneidung von Mädchen und Frauen
Johannistr. 4. 66111 Sarrebrück, Germany Tel/Fax: (0681) 32400

International Network

GAMS Belgique
Présidente: Khady Koïta / Khadidiatou Diallo
11 Rue Brielmont. 1210 Bruxelles, Belgique
Tel/Fax: (0032) 2 219 43 40. Email: kakyes@internem.be

London Black Women’s Health Action Project

Responsable: Shamis Dirir
The Community Centre. 1 Cornwall Ave. London E2 OHW, U.K.
Tel: (0044) 181 980 35 03. Fax: 980 63 14

Maisha, Selbsthilforganisation afrikanischer Frauen in Deutschland e.v.

S/c: AGISRA.Z.Hd. Virginia Wangira Greiner
Ludolfustr. 2-4
60487 Francfort /M. ALLEMAGNE. Tel/Fax: (049) 069 77 77 57

MODEFEN

Présidente: Lydie Dooh Bunya
13, Boulevard Masséna
F – 75013 PARIS

Rainbo Research, Action &Information Network for Bodily Integrity of Women

Executive Director: Nahid Toubia
915 Broadway 21, Street. Suite 1109
NYC. NY-USA 10010-7108. Fax: 477 41 54.
Website: http://www.rainbo.org – Email: nt61@columbia.edu

Terre des Femmes E.V.

Konrad-Adenauer Str. 40
72072 Tübingen – Allemagne
Tel: (07071) 7973 0. Fax: 7973 22.
Website :http://www.terre-des-femmes.de – Email: TDFQswol.De

Toosaan

Molly Melching
Thiès – Sénégal

WIN

Women’s International Network//Actions to Stop FGM
Fran P.Hosken. Win News: 187 Grant Street. Lexington, MA 02173, USA
Tel: (001) 617 862 943. Fax: 862 17 34

W.I.S.E.

Women’s International Studies Europe
Dr.Tobe Levin Freifrau von Gleichen
Tel: (0049) 69 459 660. Fax: (0049) 69 464 069. Allemagne
Email: Levin@em-uni-frankfurt.de

Les associations en Afrique sont priées de se faire connaitre