LES DOSSIERS

La diaspora africaine : panafricanisme ou solidarité villageoise?

1. Introduction

Le présent document a été établi pour étayer les débats du troisième Forum pour le développement de l’Afrique (ADF III), « Définir les priorités de l’intégration régionale ». Il portera sur deux des cinq domaines thématiques du Forum à savoir, Arrangements et capacités institutionnels et Solutions régionales à des problèmes régionaux. S’inspirant surtout des points de vue et des expériences de la fondation pour le développement de l’Afrique (AFFORD) basée à Londres, il propose des moyens par lesquels la diaspora africaine peut soutenir les efforts d’intégration régionale de l’Afrique. Ces questions fondamentales sont au cœur des préoccupations d’AFFORD dont la mission est d’accroître et de promouvoir la contribution des Africains de la diaspora au développement du continent africain.

A la suite de la présente introduction, la deuxième section évoque brièvement l’histoire de la diaspora africaine et sa relation avec les idéaux panafricanistes. La troisième fournit quelques données sur les chiffres et la provenance des Africains installés au Royaume-Uni pour les situer dans le contexte de la diaspora africaine contemporaine. La quatrième section porte essentiellement sur les organisations de la diaspora africaine présentes au Royaume-Uni, cela une fois encore, pour permettre de comprendre leurs problèmes. Dans la cinquième section, les auteurs cherchent à mettre le sujet de l’étude en perspective, mettant l’accent sur les défis lancés à l’Afrique par la mondialisation ainsi que sur les échecs de la coopération actuelle en matière de développement. La sixième section présente un cadre pour l’étude de l’engagement de la diaspora au sein des instances de décision concernant le développement de l’Afrique -tant au Royaume-Uni qu’en Afrique- et les contradictions éventuelles à redresser. Enfin, le document conclut en soulignant quelques programmes d’action qui pourraient être mis en œuvre tandis que les informations de base sur AFFORD figurent en annexe.

En résumé, le présent document comporte les positions et points suivants :

 1. Malgré sa diversification, la diaspora africaine contemporaine est bien placée pour continuer à faire vivre une longue tradition et contribuer, de manière efficace, aux idéaux et aux luttes panafricanistes ainsi qu’à l’intégration régionale de l’Afrique;

2. Toutefois, il faudra continuer, au niveau politique, à sensibiliser d’urgence la diaspora africaine aux liens qui existent entre les problèmes locaux, régionaux et mondiaux;

3. La diaspora africaine basée au Royaume-Uni s’est considérablement diversifiée au cours des dernières années et elle s’est concentrée à Londres, un des centres majeurs de la puissance mondiale; cela lui permet d’avoir un impact plus grand que le nombre de ses membres ou ses ressources ne le laissaient espérer;

4. La diaspora africaine au Royaume-Uni est structurée sur des bases identitaires (l’ethnie, la terre d’origine, la région) mais ces organisations apparemment particularistes recèlent des connaissances très étendues et constituent des réseaux dynamiques de connaissances;

5. Bien que ces réseaux dynamiques de connaissances professionnelles aient, sans nul doute, un rôle majeur à jouer dans le développement et l’intégration régionale de l’Afrique, il ne faut pas négliger les organisations plus diffuses qui bénéficient d’un vaste soutien et d’une véritable légitimité auprès des membres de la diaspora africaine;

6. Les organisations de la diaspora africaine ont, en fait, prouvé leur capacité de travailler en réseau et de collaborer dans la poursuite de leurs objectifs spécifiques, de sorte qu’elles sont à même de soutenir l’intégration régionale de l’Afrique;

7. La mondialisation entraîne des défis tant techniques que politiques pour l’Afrique et exige de la diaspora africaine des réponses techniques -exploitation des connaissances et compétences techniques acquises par les groupes et acteurs concernés- et des réponses politiques -mise en place d’une société civile africaine mondiale – propres à amener les institutions et acteurs majeurs, qu’ils soient ou non Africains, à rendre des comptes;

8. Le sentiment de marginalisation et d’aliénation qu’éprouve sans doute la majorité de la population mondiale, élève les enjeux de la création de l’Union africaine dont le but doit être d’assurer que les intérêts, le bien-être et la participation de la majorité des Africains pauvres, sont pris en compte dans le processus de mondialisation;

9. En ayant une vision et des objectifs communs, nous devons déterminer comment la diaspora africaine peut soutenir un leadership africain éclairé et progressiste et l’amener à rendre compte de la mise en œuvre de programmes et d’activités convenus;

10. Des réseaux spécialisés et dynamiques dotés de connaissances et de compétences techniques requises doivent s’intéresser aux acteurs de l’Afrique et de la diaspora, en vue de renforcer leur connaissance des problèmes d’intégration régionale et leurs capacités en la matière;

11. En dépit des incertitudes et des contradictions qui existent, le cadre d’action du Royaume-Uni correspond bien aux ambitions de l’Afrique, dans le domaine de la mondialisation, du développement et de l’intégration régionale et il constitue une base permettant à la diaspora africaine de s’engager à œuvrer, avec et par le biais des institutions et mécanismes du Royaume-Uni, pour soutenir le développement de l’Afrique;

12. La diaspora africaine-organisations diverses, réseaux de connaissances spécifiques et individus- a un rôle à jouer aux niveaux national, sous-régional, régional et mondial pour soutenir les efforts d’intégration régionale de l’Afrique;

13. Un programme d’action doit comporter une vision africaine commune; la création de la diaspora de l’Union africaine; l’institutionnalisation de la participation de la diaspora; l’identification des acteurs de la diaspora; la création d’un observatoire pour l’intégration régionale; l’utilisation des résultats d’ADF 2001; la promotion de l’excellence; le pilotage des programmes à partir de l’Afrique; la recherche d’une solution à l’exode des compétences; la création de groupes de pression pour sensibiliser le Gouvernement du Royaume-Uni; la création d’un groupe de bénévoles; la formation de la prochaine génération d’Africains de la diaspora; la mise à contribution des retraités de la diaspora africaine.

 

La diaspora africaine et le panafricanisme

A tous ceux qui s’intéressent à l’intégration régionale de l’Afrique, un survol de l’histoire rappellera le rôle important que la diaspora africaine a joué dans l’élaboration du panafricanisme ainsi que dans les luttes panafricaines. Des Africains sont installés depuis plusieurs générations au Royaume-Uni et cela fait longtemps qu’ils se sont organisés pour aider au développement de l’Afrique. Deux exemples des grands moments de l’histoire de l’Afrique permettent d’illustrer ce point. Un esclave affranchi, Olaudah Equiano (connu également sous le nom de Gustavus Vassa), a été le premier dirigeant politique de la communauté noire de Grande-Bretagne et un anti-esclavagiste de premier plan qui a fait le tour de l’Angleterre, de l’Ecosse et de l’Irlande, au dix-huitième siècle, pour faire campagne en faveur de l’abolition de l’esclavage. En fait, ces activités ont, dans un certain sens, donné naissance au mouvement de la société civile moderne et à la création de la première organisation non-gouvernementale (ONG), la Société anti-esclavagiste. De même, au cours du vingtième siècle, l’organisation en 1941 à Manchester, du cinquième Congrès panafricain par des militants africains, a été un pas décisif dans l’histoire de la décolonisation. Ce Congrès a sonné le glas de la colonisation britannique en Afrique et aux Antilles anglaises et annoncé l’effondrement de cette partie de l’empire.

Par ailleurs, même si les problèmes actuels sont plus diffus, la volonté d’agir demeure. En effectuant des transferts de fonds par le biais de diverses organisations, les Africains de la diaspora sont en fait les donateurs les plus importants de l’Afrique contemporaine. Prenant la parole à l’occasion d’ADF 2000, le président Musevini a décrit les Ougandais de l’extérieur comme étant l’exportation la plus importante du pays. Les Ougandais de la diaspora envoient en effet en Ouganda quelque 400 millions de dollars chaque année, montant qui est supérieur aux recettes d’exportation du premier produit agricole de ce pays, à savoir le café. Un attaché auprès du Haut commissariat du Ghana à Londres a également indiqué récemment que les Ghanéens de l’étranger envoient entre 350 et 450 millions de dollars chaque année dans leur pays.

Ainsi donc, la question de l’attachement des nouveaux groupes de la diaspora africaine à l’Afrique et à son développement ne devrait pas se poser. Paradoxalement, la plupart des praticiens du développement intégré et maints décideurs sont surpris de l’importance accordée par la diaspora africaine au développement de l’Afrique. Dans ses structures et approches, le développement intégré est fondé sur une série d’hypothèses, en particulier l’incapacité, des Africains restés au pays et ceux de l’étranger, d’influer sur leur environnement pour se construire un avenir. Cela étant, une question vient tout de suite à l’esprit. Si les Africains de l’étranger sont si occupés à soutenir leurs proches parents et amis restés au pays, quel intérêt peuvent-ils avoir pour les efforts d’intégration régionale, processus qui semble, du moins, très loin de leurs micro-préoccupations aux niveaux des ménages, des communautés urbaines et villageoises ?

La distinction entre intégration régionale et panafricanisme, quelles qu’en soient les diverses variétés, est certes complexe et nous ne devons pas faire l’amalgame. Il semble néanmoins juste de dire que certains sympathisants panafricanistes verront, dans les politiques d’intégration régionale, des outils permettant de réaliser les objectifs fixés. La position vis-à-vis de l’intégration régionale de ceux qui sont neutres ou hostiles à l’égard du panafricanisme est plus discutable. Comme l’a dit Prah (2000) « On ne perçoit l’Afrique comme entité qu’après l’avoir quittée». En d’autres termes, on commence souvent à se sentir « africain » après avoir quitté sa maison, son village, sa ville et son pays, en Afrique, pour s’installer dans un pays du Nord, qui a en général une longue histoire de discrimination raciale institutionnalisée vis-à-vis des populations d’origine africaine. Depuis longtemps, des villes telles que Londres, New York ou Paris, ont servi de lieu de rencontre et de creuset pour les Africains venus d’horizons divers. Les nouvelles identités et sensibilités panafricaines ont été créées à travers le partage d’expériences et les luttes collectives.

Cependant, comme par le passé, le panafricanisme et le nationalisme (ou même le « villagisme ») ne sont pas nécessairement en contradiction totale et ne s’excluent pas mutuellement. Il est clair que certains militants y ont vu un cadre de lutte pour l’indépendance nationale. On peut également comprendre que de nombreux membres de la diaspora africaine qui soutiennent activement le développement de leur pays d’origine, considèrent l’intégration régionale comme le moyen le plus sûr d’atteindre les objectifs spécifiques de développement. En fait, une tâche politique importante est l’instauration d’un dialogue avec la diaspora africaine, au sujet des liens importants qui existent entre les questions d’ordre local, régional et mondial.

La diaspora africaine au Royaume-Uni en chiffres

Qui sont, aujourd’hui, les membres de la diaspora africaine ? Nous pourrions considérer simplement qu’il existe deux « diasporas », l’ancienne et la nouvelle. L’ancienne étant la diaspora africaine produite par le commerce atlantique d’esclaves – les Africains-Américains, les Brésiliens d’origine africaine, les populations provenant des Caraïbes et basées maintenant au Royaume-Uni, etc. La nouvelle diaspora est composée d’Africains qui sont partis d’Afrique après la deuxième guerre mondiale ou même vers la fin de la période post-coloniale pour s’installer dans les pays du Nord. Le présent document ne vise ni à analyser ni à défendre cette distinction conceptuelle. Le fait que des Africains de la diaspora soient en mesure d’identifier des points d’origine et des liens spécifiques en Afrique permet, certes, de penser à un modus operandi différent vis-à-vis du développement de l’Afrique. Sans perdre de vue les énormes contributions que la diaspora, dans son ensemble, apporte depuis longtemps au développement de l’Afrique, le présent document étudie surtout les groupes plus récents de la diaspora africaine.

Personne ne sait exactement combien d’Africains vivent aujourd’hui au Royaume-Uni. Le recensement effectué en 1991 reste la source de données la plus fiable et, généralement, les chercheurs croisent ces données avec celles des autorités chargées de l’immigration et des demandes d’asile (la présente section est basée sur les données produites par Carolyne Ndofor-Tah dans son évaluation des travaux d’AFFORD entre 1998 et 2001, publiée par AFFORD). En dépit de nouveaux paramètres utilisés en 1991 pour le recensement qui, pour la première fois, a pris en compte l’origine ethnique (par exemple, l’Africain noir), les problèmes d’interprétation et de corrélation de données ne nous permettent pas de déterminer, avec certitude, le nombre d’Africains vivant au Royaume-Uni.

Il ressort du recensement effectué en 1991 qu’un peu plus de 3 millions de personnes, soit 5,5% de la population du Royaume-Uni, pourraient appartenir à un groupe ethnique minoritaire. Numériquement parlant, les groupes majeurs identifiés en 1991 comportaient des Indiens (près de 28%), des Noirs des Caraïbes (près de 16%), des Pakistanais (près de 16%), des Africains noirs (7%), des Bangladais (5,5%) et des Chinois (tout juste un peu plus de 5%). En 1991, plus de la moitié (56,2%) des populations minoritaires était établie dans le Sud-Est, 44,6% dans le « Grand Londres » et 14,1% dans le West Midlands.

D’après les résultats du recensement de 1991, sur les 210 000 Africains noirs installés au Royaume-Uni, 172 100 vivaient à Londres. En d’autres termes, juste un peu plus de 80% des Africains noirs vivant au Royaume-Uni sont installés à Londres, où ils représentent jusqu’à 2,4% de la population. Une augmentation de 66% était prévue, qui devait porter le nombre de membres de cette communauté à 285 700 d’ici à l’an 2001 (LRC 1996). Ce taux de croissance est le plus rapide des dix groupes ethniques recensés. Les groupes africains basés au Royaume-Uni étaient composés de :

  • 36% d’Africains nés au Royaume-Uni;
  • 21% de Nigérians;
  • 16% de Ghanéens;
  • 14% de ressortissants de pays africains qui ne sont pas membres du Commonwealth, notamment des Éthiopiens, des Somaliens, des Érythréens, des Congolais (Brazzaville et Kinshasa), etc;
  • 8% d’Ougandais;
  • 3% de Sierra-léonais;
  • 1% de Kényens, Zambiens et Sud-Africains.

 

Un afflux de réfugiés/chercheurs d’asile provenant des zones de conflits ou de troubles politiques telles que l’Angola, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, l’Ethiopie, le Kenya, la Sierra Leone, la Somalie, l’Afrique du Sud, la Tanzanie, le Togo, l’Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe, a été observé au cours des années 80 et 90. Ces modèles de migrations plus récents contrastent avec ceux des années antérieures. En effet, d’après certaines études, jusqu’aux années 60 et probablement au-delà, les Africains basés au Royaume-Uni étaient, de manière générale, des élites africaines éduquées, originaires des colonies anglophones de l’Afrique de l’Ouest. La situation sociale et économique des Africains a commencé à changer par la suite, bien que continuant à provenir, pour la plupart, des pays africains anglophones.

A l’heure actuelle, avec l’arrivée des Africains francophones autour de 1989 et tout au long des années 90 (ces arrivées ayant été particulièrement nombreuses vers le milieu de la décennie), la provenance des Africains vivant à Londres s’est beaucoup diversifiée (Styan 2000).

La concentration d’un aussi grand nombre d’Africains à Londres donne l’impression qu’ils sont plus nombreux qu’ils ne le sont en réalité. En effet, cette concentration est élevée du fait que la plupart des Africains sont installés dans le sud de Londres.

Comme l’a noté Styan, les Africains originaires des pays anglophones d’Afrique de l’Ouest sont bien installés au Royaume-Uni et sont très qualifiés (ayant souvent des profils égaux ou supérieurs à d’autres groupes hautement qualifiés tels que certaines catégories de Blancs et d’Indiens). Ainsi, malgré la discrimination raciale qui se fait sentir un peu partout et qui continue à entraver le progrès des populations noires, beaucoup de ces Africains ont fait carrière dans les secteurs privé, public, dans les services de santé ainsi que dans le domaine des médias et des arts. A titre d’exemple, une enquête menée en 2000 sur la main-d’œuvre a révélé qu’à Londres, un travailleur sur sept n’est pas britannique, (soit 482 000 personnes étrangères, dont 35 484 Nigérians qui représentent jusqu’à 7,4% de la main-d’œuvre non-britannique).

D’autres groupes, notamment ceux qui sont arrivés plus récemment, se heurtent à une multitude de problèmes pour s’installer au Royaume-Uni. Ceux qui proviennent de pays africains non membres du Commonwealth (c’est-à-dire de pays non anglophones) ont des problèmes de langues et des difficultés à faire reconnaître leurs diplômes. Ils se heurtent à l’hostilité des autres groupes de quartiers défavorisés, où il y a foule, entrant souvent en compétition pour les mêmes maigres ressources et services locaux. Par ailleurs, beaucoup d’Africains venus récemment sont des immigrants clandestins ou ont un statut indéterminé qui ne facilite pas leur intégration au sein du pays d’accueil.

Puisque nous nous intéressons à la relation de la diaspora avec l’Afrique et pour ancrer la réflexion dans le long terme, il convient d’examiner la répartition des groupes d’âge de la population africaine au Royaume-Uni. La population africaine noire pour laquelle un accroissement de 66% avait été prévu au cours des dix dernières années est inégalement répartie entre les différents groupes d’âge.

 

Age (années) Augmentation en pourcentage
55 et plus 168 %
40 – 44 160 %
35 – 39 151 %
45 – 49 126 %
50 – 54 91 %
0 – 19 84 %
30 – 34 47 %
20 – 29 0 – négatif

 

Tableau 1 : Accroissement de la population africaine noire à Londres par groupes d’âge.

L’absence relative de naissance observée au cours des années 70 semble être la cause de la stagnation ou de la baisse de croissance du groupe d’âge des 20-29 ans. La tranche d’âge suivante a une croissance relativement rapide. Nous reviendrons sur cette croissance démographique plus tard. Qu’en est-il des chiffres absolus ? La population des Africains noirs de Londres est relativement jeune, étant donné que les personnes âgées de 0 – 19 ans comptent pour environ 40% de la population totale. La tranche des 20-49 ans représente 53% des Africains noirs londoniens, celle des plus de 50 ans constitue le reste et semble être minoritaire bien qu’enregistrant également une croissance rapide.

Tous ces facteurs s’ajoutent à la diversité de la diaspora africaine et des organisations qu’elle crée, et constituent les éléments qui nous permettront d’examiner, par la suite, la manière dont la diaspora peut soutenir l’intégration régionale en Afrique.

 

Les organisations de la diaspora africaine au Royaume-Uni

Maintenant que nous avons une idée des chiffres et de la composition des populations d’Africains qui résident au Royaume-Uni, que savons-nous de leur vie sociale? Comment les Africains vivent-ils en société ? Comment travaillent-ils en réseau ? Comment s’organisent-ils ? Nous nous intéressons essentiellement aux organisations de la diaspora africaine qui s’occupent de développement. Il convient toutefois de noter que de nombreuses organisations africaines contribuent tout autant au bien-être de leurs membres vivant au Royaume-Uni qu’au développement de leurs régions d’origine. Il est courant par exemple que, dès sa création, une organisation privilégie la satisfaction des besoins de ses membres vivant au Royaume-Uni, à savoir, la fourniture d’informations vitales sur les services disponibles, les droits juridiques, le logement, la santé, l’éducation etc. la fourniture d’un soutien culturel – un foyer loin du pays d’origine – et cherche surtout à encourager la circulation de l’information ainsi que de bonnes relations au sein de la communauté. Par la suite, lorsque les membres seront mieux installés et établis, ils pourront s’occuper du développement dans leur pays d’origine.

Le tableau ci-après montre la diversité des organisations de la diaspora africaine qui opèrent au Royaume-Uni aujourd’hui.

Type d’organisation Nouvelle diaspora Ancienne diaspora Exemple
Individuelle 3 Individus effectuant des transferts au pays (400 millions de dollars provenant des Ougandais de l’étranger – Président Musevini)
Association des originaires d’une même ville ou d’un même village d’origine 3 Association communautaire des originaires de Nnewi en Grande Bretagne et en Irlande du Nord
Association ethnique 3 Association pour le patrimoine Buganda Ebika bya Baganda
Association d’anciens élèves 3 SHESA UK (Association des anciennes élèves du Sacré Cœur au Royaume-Uni) Old Budonians Association
Association religieuse 3 3 Mourides Association Ausar Auset Mission Ensemble pour Christ
Association professionnelle 3 3 Black International Construction Organisation (BICO) Société des avocats noirs
ONG de développement 3 3 ABANTU pour le développement Akina Mama wa Afrika
Groupes d’investissement/sociétés 3 3 African Caribbean Finance Forum
Groupe politique 3 Mouvement pour la survie du peuple Ogoni
Groupes de développement national 3 Association nationale des organisations de la Sierra Leone Ghana Union
Groupe d’aide/réfugiés 3 Francophones africains Centre de ressources et d’information
Ecoles complémentaires 3 3 Sankofa
Organisations virtuelles 3 3 Somali Forum Ghana Cyber Group
Groupe de recherches/réflexion 3 3 ATTT (African Telecoms Think Tank) Institute for African Alternatives (IFAA)
Groupes artistiques/culturels 3 3 Tawakal, Heritage Ceramics
Groupe de femmes 3 3 Association des femmes Ogidi East London Black Women’s Organisation (ELBWO)
Centre d’éducation pour le développement 3 3 Inroads Africa/Anansi DEC

Tableau 2 : Typologie des groupes de la diaspora africaine

A la lumière de ce tableau, les préoccupations et le modus operandi de la plupart des organisations semblent bien éloignés des réseaux puissants de connaissances qui s’occupent de grands problèmes d’intégration régionale de l’Afrique. Cependant, c’est bien souvent à travers ces organisations que les Africains de la diaspora honorent leurs responsabilités civiques. S’ils ont des compétences professionnelles et une expérience, ils les mettront généralement au service de ces organisations. Par exemple, les membres de l’Association des anciens élèves du Sacré-Cœur au Royaume-Uni (SHESA) qui comptent, parmi eux, un cadre d’IBM et un professeur en ingénierie de l’Université de Londres, ont recours à leurs connaissances et compétences en matière de TIC pour organiser, au Cameroun, des séminaires sur l’importance stratégique des TIC pour le développement du pays. Un des membres influents de l’Association des femmes Ogidi – une organisation qui porte assistance au peuple de la région Ogidi, dans l’Est du Nigeria – utilise ses compétences pour mener des consultations dans le domaine de la santé en vue de la mise en œuvre des projets organisationnels dans sa région d’origine. De même, le Président d’une association d’originaires de l’Etat de l’Imo, au Nigéria, installés aux États-Unis, est un professeur de gestion d’une université américaine. Il met ses compétences au service de l’association de son village d’origine.

L’étude de l’Université d’Hargeisa (voir encadré 1 ci-après) illustre comment les organisations de la diaspora exploitent les différentes compétences et expériences des divers groupes géographiques dispersés de la diaspora. L’utilisation des TIC de même que la facilité relative et le faible coût des voyages à l’étranger ont été d’une importance capitale pour ce projet. Le Forum de Somaliland, en particulier, qui est une organisation virtuelle, a considérablement bénéficié des TIC. Dans une certaine mesure, ces organisations de la diaspora constituent des réseaux dynamiques de connaissances.

Par rapport aux universités américaines, les universités britanniques offrent aux intellectuels africains de la diaspora un environnement moins propice à l’appui au développement de l’Afrique. Au cours des dernières années, les grandes associations, telles que la Royal African Society, se sont plaintes de la baisse rapide du financement des études africaines au Royaume-Uni. Cette situation a entraîné un déclin du nombre de bourses de recherche sur l’Afrique dans diverses disciplines. Les étudiants africains qui étudient dans les universités britanniques et se spécialisent sur l’Afrique se trouvent ainsi marginalisés, puisque l’on juge la qualité des universités en fonction du nombre de livres et d’articles publiés ainsi que du succès qu’ils rencontrent auprès du public, et que ce critère détermine l’avancement des universitaires. Cette situation explique en partie pourquoi, au Royaume-Uni, les Africains n’ont pas crée l’équivalent britannique de l’African Finance and Economics Association (AFEA), basée en Amérique, dont les membres sont essentiellement des professeurs d’université nés en Afrique mais qui travaillent aux États-Unis. L’AFEA publie une revue spécialisée, organise des ateliers et des séminaires et recherche la collaboration de collègues d’Afrique. Toutefois, les facteurs qui ont mené à la création de l’AFEA, tels que l’isolement, la crainte que les recherches soient coupées des réalités africaines, « le sentiment de perdre le contact avec les réalités du pays d’origine … le désir de reprendre contact, et si possible, de commencer à s’attaquer aux problèmes de l’Afrique (AFEA 2001) », sont tous ressentis au Royaume-Uni. Toutefois, dans ce pays, les Africains enseignant dans les universités ne sont pas suffisamment nombreux pour soutenir de tels efforts en grand nombre.

Il n’en demeure pas moins que des organisations similaires existent au sein de la diaspora africaine au Royaume-Uni. Perinet (Peri-Urban Research Network), par exemple, offre un cadre de rencontre aux étudiants africains de Southbank University de Londres. A l’heure actuelle, cette organisation gère (à partir de Harare) un projet de recherche en matière de sécurité alimentaire dans trois pays d’Afrique australe. Black International Construction Organisation (BICO) a également été créée par des Africains qui travaillent tout en étudiant à Southbank University, même si cette organisation compte maintenant davantage de professionnels qui ne sont pas des étudiants. BICO met également l’accent sur le développement urbain et la protection de l’environnement dans le cadre de projets d’envergure au Royaume-Uni, au Ghana et au Cameroun.

Au cours des dernières années, les mauvaises conditions d’emploi des institutions universitaires britanniques ont, en quelque sorte, favorisé l’exode des Africains. Certains ont commencé à se joindre à des organisations de la société civile (OSC) ou à en créer. Le Centre pour la démocratie et le développement (CDD) illustre cette situation.

Au cours des années récentes, le CDD a axé ses travaux sur l’instauration de la paix et de la sécurité en Afrique, notamment dans la région de la CEDEAO.

Même si son Secrétariat est basé au Royaume-Uni, African Telecom Think Tank (ATTT) est davantage une « organisation virtuelle » qu’une organisation dotée d’une identité nationale claire. Elle rassemble des Africains d’Afrique et de la diaspora qui prodiguent conseils, informations et assistance aux responsables africains des télécommunications. ATTT pourrait également donner des conseils stratégiques en matière d’intégration et de coopération régionales aux organes africains de réglementation des télécommunications.

D’autres organisations de la diaspora basées au Royaume-Uni, tout en menant des recherches et en étudiant de grandes orientations, fournissent également des services directs. Parmi les organisations de cette catégorie figurent ABANTU pour le développement et Akina Mama wa Afrika (AMwA). Ces deux organisations envisagent le développement sous l’angle de l’intégration d’une perspective « genre ». ABANTU cherche à influencer les décideurs pour les amener à prendre en compte les préoccupations des femmes. AMwA vise quant à elle à renforcer les capacités de leadership des femmes africaines. Ces deux organisations effectuent un gros travail de soutien en faveur des femmes africaines au Royaume-Uni et en Afrique. De plus, dans le cadre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), les dirigeants africains se sont engagés à promouvoir le rôle des femmes dans le développement social et économique à travers une série de mécanismes, y compris le renforcement des capacités et la participation des femmes à la vie politique et économique des pays africains. La nature intersectorielle des questions de genre dans l’ensemble du processus de développement implique que des organisations telles que ABANTU et AMwA auront des rôles majeurs à jouer pour soutenir l’intégration régionale de l’Afrique.

La création de l’Union africaine et le grand enthousiasme avec lequel les dirigeants poursuivent le programme d’intégration de l’Afrique sont des développements relativement nouveaux. La mise en place ou l’orientation de structures de la société civile, dans la diaspora et en Afrique, pour assurer la liaison avec des processus et des structures politiques formels, ne vont pas nécessairement de soi et, quelles que soient les formes qui émergeront, elles seront dépassées par rapport aux processus politiques formels. Pour inciter les organisations de la diaspora au Royaume-Uni à soutenir les efforts d’intégration régionale, il faudra, entre autres, sensibiliser la diaspora à ces efforts et lui prouver qu’ils visent à remédier aux causes profondes des problèmes de développement de l’Afrique. La capacité des organisations de la diaspora et des individus ainsi que les efforts d’information de l’Afrique vers la diaspora entreront également en jeu.

Les réseaux spécialisés de connaissances et les organisations professionnelles africaines de la diaspora peuvent beaucoup contribuer aux efforts d’intégration régionale de l’Afrique. Nous ne devons toutefois pas perdre de vue les rôles majeurs que les organisations les moins intellectuelles de la diaspora africaine jouent dans les vies des Africains, au pays comme à l’étranger. Par le biais de telles organisation, a diaspora africaine peut participer massivement au développement de l’Afrique.

Encadré 1 : Université d’Hargeisa, étude de cas du Somaliland Le projet de création de l’Université d’Hargeisa, dans le Somaliland, a été mené par la communauté somali du Royaume-Uni. Avec beaucoup de difficultés, l’Université d’Hargeisa a ouvert en septembre 2000 ses portes au premier lot d’étudiants inscrits au cours d’orientation préparatoire. Cet événement a été salué au niveau national comme au niveau international. Les efforts initiés vers le milieu de 1997 ont renforcé les liens entre les Somaliens de Somaliland et ceux de la diaspora, qui vivent dans des pays aussi éloignés que l’Australie, la Suède, le Koweit, les États-Unis ou l’Angleterre.Ce projet a bénéficié de l’appui du gouvernement du Somaliland, territoire qui n’est toujours pas reconnu au niveau international. De plus, un comité directeur basé à Londres, qui a combiné les compétences techniques et le leadership somaliens au savoir faire et à l’expérience britanniques, a travaillé en étroite collaboration avec un conseil intérimaire en Somaliland. Sur place, des hommes d’affaires locaux se sont également engagés à prendre totalement en charge la reconstruction du bâtiment, une école en ruines offerte par l’État, qui abritait en fait plus de 500 réfugiés somaliens rapatriés. Les Somaliens de Suède ont offert 750 chaises et tables et ceux du Koweit ont envoyé des ordinateurs. Au cours de la deuxième année du projet, le Somaliland Forum, un réseau mondial virtuel de Somaliens, a créé des groupes de travail spéciaux et des groupes de discussion électronique et organisé des conférences électroniques en temps réel.

Des consultations ont eu lieu entre le comité directeur basé à Londres et le conseil intérimaire de Somaliland – composé d’anciens, de membres du gouvernement en leur qualité propre et officielle, d’hommes d’affaires et de maires locaux – en vue d’identifier les disciplines devant bénéficier d’une attention immédiate sur la base des besoins locaux. Le comité directeur a pu exploiter ses compétences techniques pour élaborer un programme, un organigramme ainsi qu’un plan d’activité pour l’Université. L’Université d’Hargeisa a permis de faire revenir bon nombre d’étudiants expatriés. Le tiers des étudiants inscrits pour les cours d’orientation sont revenus du Golfe, du Royaume-Uni et du Canada. Les élèves de l’enseignement secondaire qui auraient dû abandonner leurs études ou quitter le Somaliland pour les poursuivre peuvent maintenant suivre un enseignement supérieur dans leur pays. Le premier Vice-chancelier de l’université, un éminent scientifique somalien qui a travaillé au Canada pendant de nombreuses années, a accepté son poste à titre bénévole pour aider l’université dans la phase cruciale de démarrage.

 

« En termes concrets, les transferts de fonds effectués par les immigrants ont un impact plus visible lorsqu’ils sont concentrés sur une région. C’est le cas dans la région de Kayes au Mali, région d’origine de la grande majorité des émigrés maliens en France. Cette région bénéficie des activités des associations d’émigrés qui ont, en outre, réussi à dynamiser les villages bénéficiaires : 39 des 42 associations de développement présentes en France sont également représentées dans les villages. Ces émigrés ont pris conscience de la nécessité de se fédérer pour pouvoir agir à l’échelle des districts ou de la région. De nombreuses associations ont été créées, regroupant les 15 à 40 villages d’une commune. Elles contribuent, entre autres, au développement de réseaux hydrauliques en vue d’améliorer la production agricole. Soixante-dix pour cent des immigrants basés en France qui sont originaires de la région de Kayes sont également des membres actifs de leurs associations villageoises. Sur une dizaine d’années, ils ont financé 146 projets représentant un budget total de 19,4 millions de francs français, dont 16,6 millions de francs étaient financés sur leurs économies, les 2,8 millions restants ayant été offerts par des ONG avec l’aide des donateurs internationaux. C’est ainsi que la réalisation de 64% de l’infrastructure des villages de la région de Kayes est attribuée aux travailleurs migrants. »La section suivante portera sur les défis lancés à l’Afrique par la mondialisation et sur la réponse tant attendue de l’intégration régionale. Cela étant, et avant de poursuivre, il convient de se pencher brièvement sur la nature de la diaspora africaine dans d’autres régions d’Europe. Comme des chercheurs l’ont fait remarquer (voir Al-Ali, Black and Koser : 1999), les conditions d’accueil, dans lesquelles la diaspora se trouve, influencent sa capacité mais aussi son désir d’entreprendre des activités d’assistance à sa région d’origine. Les Etats plus centralisés qui découragent le bénévolat ainsi que l’enregistrement officiel ou le financement de groupes; les lois et règlements restrictifs concernant l’acquisition de la nationalité ; la dispersion des Africains ; l’adoption, en fonction de l’appartenance ethnique, de divers modes de lutte pour la justice sociale et le respect des droits, sont autant de facteurs qui entravent les activités de la diaspora africaine dans beaucoup de pays d’Europe. Néanmoins, à en juger par les partenariats qu’AFFORD a établis avec les organisations de la diaspora africaine dans cinq autre pays européens (Belgique, France, Italie, Pays-Bas et Portugal), les activités de soutien à l’Afrique de ces groupes sont nombreuses et dynamique. Libercier et Schneider (1996 : 38) ont mené une étude de cas intéressante sur les Maliens vivant en France:

 

Plus récemment, on a noté que des groupes de Sénégalais originaires de régions proches et vivant en France ont également reconnu la nécessité de collaborer pour que leurs régions puissent mieux profiter de leur travail à l’étranger. Les notions d’intégration régionale et de collaboration panafricaine ne sont donc pas étrangères aux petites organisations locales de la diaspora.

Mondialisation et développement de l’Afrique

Le présent document n’a pas la prétention d’étudier en profondeur cette question complexe et très controversée. Toutefois, quelques observations pourraient nous permettre d’examiner le cadre dans lequel la diaspora africaine pourrait appuyer l’intégration régionale de l’Afrique. Le point majeur à souligner ici est que la mondialisation rend plus complexe l’environnement dans lequel les décideurs africains doivent faire des choix, ce qui leur impose d’exploiter des connaissances qui doivent être générées et utilisées plus rapidement dans des domaines de plus en plus interdépendants. Mais nous devons nous méfier de mal interpréter ou d’envisager le défi en termes purement technocratiques, et de ne retenir que la nécessité d’adopter les politiques en connaissance de cause et l’obligation pour les décideurs d’effectuer de choix meilleurs. Nous devons également être conscients des défis politiques posés par la mondialisation, en particulier, la nécessité de mettre en place une société civile africaine mondiale qui soit en mesure de combler le fossé démocratique naissant.

Les positions à l’égard de la mondialisation sont nombreuses et nous ne les examinerons pas toutes ici. Le débat a généralement été axé sur « ce qui est nouveau » et sur ce que l’on peut en faire. Certains avancent que ce que nous appelons mondialisation à l’heure actuelle n’est que la dernière phase de l’expansion et de l’exploitation capitalistes mondiales qui ont, il y a longtemps, mangé l’Afrique et les Africains, pour les vomir ensuite faute de les avoir digérés. Un tel point de vue voudrait dire qu’une place marginale a plus ou moins été accordée à l’Afrique sur la scène mondiale. D’après cette théorie, les Africains ont été rejoints tout récemment par des populations et des régions qui appartiennent en fait au Nord lui-même mais ne répondent plus aux exigences de l’accumulation des capitaux. Ainsi donc, nous avons maintenant un « Sud » au sein du « Nord » et un « Nord » au sein du « Sud ». Cette position appelle souvent à résister contre les processus de mondialisation ou à les renverser en faveur d’un système mondial plus propice à un développement équilibré et juste.

Le point de vue de grands dirigeants, tels que l’ancien Premier Ministre britannique, Margaret Thatcher, selon laquelle « il n’y a pas d’autres alternatives » a cédé la place à une position plus nuancée. S’il n’existe toujours pas d’alternatives à un régime économique néolibéral, on estime désormais possible de pallier à certains des effets néfastes de la mondialisation. Il convient ainsi de noter, qu’à la suite des attaques du 11 septembre perpétrées contre les États-Unis d’Amérique, une série de mesures politiques et de contrôle a été adoptée pour encadrer le libre échange alors que de telles mesures étaient considérées auparavant comme indésirables ou non réalisables (Elliot 2001).

D’autres estiment que, malgré une indéniable continuité, il existe beaucoup de nouveaux développements dans le cadre de la mondialisation. La génération de richesses dépend davantage de l’utilisation de la technologie et des connaissances et même les plus puissants sont désormais subordonnés à la logique d’un système mondial aux interconnexions hypersensibles.

Il est également accepté que même les personnes relativement faibles et vulnérables peuvent bénéficier des avantages découlant des processus de mondialisation. Cependant, nous ne devons pas perdre de vue le fait que ces processus sont basés sur une polarisation socioéconomique sans précédent entre les nantis et les démunis. La pauvreté et l’injustice sociale continuent à dépendre de la couleur de la peau au Nord comme au Sud. Si, comme l’a déclaré en 1900, WEB Du Bois (un des pères fondateurs du panafricanisme) « le problème du 20ème siècle est un problème de couleur », quelle preuve avons-nous à ce début du 21ème siècle que ce problème a été résolu? Les défis lancés à l’Afrique et aux Africains par la globalisation nous amènent à envisager, en termes plus vastes, le rôle de la diaspora africaine dans l’intégration régionale de l’Afrique.

La crise mondiale actuelle suscitée par les attaques perpétrées à New York et à Washington est une indication de certains des défis que l’Afrique doit relever au cours de cette ère. Les dirigeants des puissances mondiales et certains commentateurs ont, tout au moins initialement, présenté les attaques du 11 septembre comme un conflit de civilisations. Le Président George Bush a parlé de coalition pour soutenir l’Amérique en tant que « pays de liberté ». Osama Bin Laden lui-même a décrit la situation dans des termes apparemment Huntingtoniens, affirmant qu’il s’agissait d’un conflit entre croyants et incroyants, même si, en des termes classiquement modernistes, il a revendiqué les droits, la dignité et la sécurité du peuple palestinien et des musulmans marginalisés à travers le monde.

Quoiqu’il en soit, c’est bien le système mondial qui a généré cette attaque. Pour de bonnes raisons, les commentateurs ont décrit Bin Laden comme un capitaliste de la Jihad, pratiquement un Jihadi.com. Tout en évitant initialement d’être découvert, le réseau Al-Qa’ida a eu recours à des techniques organisationnelles avancées pour mobiliser et déployer des partisans dans au moins 50 pays. Ces partisans se seraient communiqué des messages à travers des sites Web pornographiques. Le laxisme des contrôles sur la circulation des capitaux est tel qu’ils ont été en mesure de faire circuler de l’argent à travers le monde sans pratiquement laisser de traces. Ils se seraient même servis d’informations privilégiées sur les attaques, pour faire des transactions boursières avantageuses à la veille du 11 septembre. Certes, tout système peut être dangereux s’il tombe dans de mauvaises mains, mais un système qui, tout en étant entièrement interconnecté au niveau mondial, produit des inégalités, des désespérés, des frustrés et des personnes très dangereuses ainsi que des moyens de destruction redoutables, génère nécessairement une très grande instabilité.

Les attaques du 11 septembre ont été condamnées presque à l’unanimité, suscitant l’indignation à travers le monde, qui a exprimé ses condoléances aux victimes. Pourtant, cette crise ne départage pas les prétendus civilisés de ceux qui ne le sont pas. Beaucoup de « personnes éprises de liberté », dont des millions d’Africains, sont exclues des avantages du système mondial qui est supposé leur accorder non seulement la liberté mais aussi l’égalité, la justice, la sécurité, des possibilités d’épanouissement, le bien-être, voire des repas suffisants chaque jour. Ces déshérités (soit la majorité de la population mondiale) doutent du mandat de la « guerre contre la terreur ». En effet, beaucoup de gouvernements sont engagés dans la coalition contre la terreur malgré l’opposition de la majorité de leurs citoyens. Bref, l’ordre mondial est confronté à une crise de légitimité.

Puisque n’importe quel groupe peut disposer des moyens et des méthodes de ce nouveau terrorisme, s’il est déterminé à saper l’ordre mondial et dispose des ressources nécessaires, nous vivons des temps dangereux.

L’illégitimité de l’ordre mondial est due non seulement aux inégalités sociales et économiques mais également aux mesures politiques et institutionnelles qui ont transféré le pouvoir à une institution mondiale telle que l’Organisation mondiale du commerce (OMC), sans accroître concomitamment son obligation redditionnelle et sans donner un accès démocratique aux citoyens du monde, à plus forte raison aux Etats plus faibles. Les manifestations anti-mondialisation qui sont maintenant dépassées par des événements plus récents ont souvent été contradictoires et faussées dans leurs objectifs, ce qui a amené à se demander quels intérêts elles servaient et au nom de qui elles étaient organisées. Ces protestations sont néanmoins un autre signe du mécontentement croissant vis-à-vis de l’ordre mondial et de la nécessité d’un changement fondamental.

Comme l’affirme le cadre conceptuel d’ADF III, « l’ère du nationalisme économique est révolue et celle de la mondialisation est ouverte… la leçon majeure à retenir de ces efforts d’intégration économique est que l’intégration régionale est un processus politique fondé sur la reconnaissance du fait que les intérêts souverains sont mieux servis par des actions régionales. Par conséquent, une forte volonté politique est la première étape nécessaire pour soutenir l’intégration régionale ». Toutefois, si les dirigeants ont un rôle majeur et légitime à jouer dans ce processus d’intégration régionale, il importe qu’il ne soit pas imposé d’en haut, sans participation des populations. L’Union européenne (UE), qui a apparemment réussi une formation politique supra-nationale, offre de nombreuses leçons à l’Union africaine. Mais nous ne devons pas non plus oublier qu’à chaque occasion (la dernière étant le référendum effectué en Irlande), les Européens ont démontré leur hostilité à l’égard du progrès de l’intégration européenne telle qu’ils la perçoivent.

Les raisons de cette méfiance ou de l’hostilité des citoyens de l’Union européenne sont complexes et leur examen exhaustif n’entre pas dans le cadre du présent document. Cependant, la rapidité des changements, le sentiment de perte de contrôle et la crainte qu’une bureaucratie basée à Bruxelles, inaccessible et irresponsable, contrôle la vie des Européens, ainsi que la remise en question de leurs identités, sont autant de facteurs qui méritent attention. Une fois de plus, le déficit démocratique est clair.

En termes plus généraux, l’Afrique est confrontée, en cette ère de mondialisation, à des défis de deux ordres : politique et technique. En protégeant les intérêts des Africains et en favorisant leurs possibilités de bien-être et de prospérité, au moment où ils s’engagent à l’égard du NEPAD, les dirigeants et les décideurs africains doivent s’assurer que l’avancée vers l’intégration régionale produit des avantages tangibles attendus des Africains ordinaires en termes d’amélioration de leurs opportunités. Il conviendrait donc d’adopter des structures politiques garantissant l’obligation redditionnelle démocratique si l’on veut le succès à long terme de cette entreprise. Il faudra donc donner aux réalités locales une attention régionale et aux décisions régionales une traduction locale et établir une corrélation appropriée, articulée sur l’environnement mondial. Même si les structures de la société civile à l’échelle continentale sont élaborées et adaptées pour répondre au nouveau paysage politique de l’Afrique, comme nous pouvons l’espérer, le défi de l’adaptation politique ne sera pas relevé à l’intérieur des seules frontières de l’Afrique. Dans un certain sens, nous avons besoin aujourd’hui de voir la naissance d’une société civile africaine mondiale, ne serait-ce que parce que certaines des décisions majeures qui affecteront la transition et l’adaptation des institutions régionales africaines, sont prises par des instances mondiales telles que l’OMC.

La diaspora africaine a un rôle à jouer dans la mise en place de cette société civile africaine mondiale, en solidarité et en partenariat avec ses collègues d’Afrique. En termes politiques, dans le but d’améliorer les opportunités des Africains, la question est de savoir comment cette société civile africaine mondiale pourrait soutenir un leadership africain éclairé dans la mise en œuvre d’un programme d’intégration régionale. Le rôle d’une société civile africaine mondiale sera d’amener le leadership à rendre des comptes lorsqu’il s’éloigne de ces objectifs, notamment dans les instances internationales. De même, cette société civile devrait lancer un défi aux intérêts et institutions non africains, lorsque les intérêts de l’Afrique ne sont pas pris en compte.

Il n’est pas nécessaire, ici, d’envisager la création de nouvelles structures mais de faire en sorte, qu’ensemble, les OSC locales existantes (en Afrique comme) s’attachent à relever les défis auxquels l’Afrique est actuellement confrontée. A en juger par l’exemple des Sénégalais et des Maliens basés en France (voir plus haut), ainsi que par nos recherches limitées (Ndofor – Tah 2000), lorsqu’ils voient l’intérêt des activités de leurs organisations, les Africains de la diaspora collaborent avec efficacité et élargissent leurs réseaux pour atteindre leurs objectifs stratégiques. La diaspora africaine doit également canaliser ses efforts à travers les institutions et les mécanismes appropriés des pays hôtes dans lesquels elle est installée. C’est ainsi que la diaspora africaine basée au Royaume-Uni doit travailler, avec et par l’entreprise du gouvernement britannique ainsi qu’avec l’Union Européenne, en vue de soutenir l’intégration régionale de l’Afrique. De même, nous devons nous pencher davantage sur la création d’un environnement propice à la création d’institutions, parmi les Africains de la diaspora, pour soutenir l’intégration régionale de l’Afrique.

Cela étant, la société civile africaine mondiale ne doit pas se contenter d’organiser des groupes de pression et des activités de sensibilisation, en ce qui concerne les problèmes mondiaux qui touchent l’Afrique, elle doit également fournir un soutien technique visible et prodiguer des conseils aux gouvernements africains, aux institutions régionales et aux acteurs qui ont une influence sur la prise de décision et qui, dans certains cas, ont une volonté politique mais ne disposent pas de capacités techniques pour agir avec efficacité. En tout état de cause, une société civile africaine mondiale mal informée n’aura pas la crédibilité nécessaire pour agir sur la scène politique et constituera un handicap plutôt qu’un atout. Les réseaux de connaissances spécialisées et les compétences techniques de l’Afrique, au sein de la diaspora, ont un rôle considérable à jouer, dans le renforcement des capacités des dirigeants et des décideurs africains ainsi que de la société civile africaine mondiale naissante.

La section suivante examine le cadre dans lequel et par lequel la diaspora africaine pourrait canaliser son appui à l’intégration de l’Afrique. L’analyse se concentre principalement sur le Royaume Uni.

Cadre d’action de la diaspora

Le flux de migrations en provenance d’Afrique ne semble pas devoir s’arrêter dans un proche avenir (voir AFFORD 2000). Aussi, les mécanismes par lesquels la diaspora africaine maintient des relations transnationales avec l’Afrique et le reste de la diaspora deviendront plus importants avec le temps. En réfléchissant sur ces relations transnationales, Pires-Hester a proposé le concept de «l’ethnicité bilatérale de la diaspora», qu’il définit comme «l’utilisation stratégique de l’identification ethnique à une patrie d’origine, pour lui faire bénéficier des systèmes et des institutions de la patrie d’accueil» (1999 :486).

Nous avons déjà vu que la diaspora africaine s’identifiait fortement à ses régions d’origine, même si, particulièrement pour les nouvelles générations, cette identification s’opère au niveau micro. Comme cela a été déjà noté, la connexion des niveaux macro et micro – du village africain au continent africain – est une tâche importante mais non insurmontable. Mais qu’en est-il de l’environnement hôte, quel est le cadre régulateur et par quelles institutions la diaspora africaine pourrait-elle opérer au Royaume Uni par exemple ?

A ce sujet, la politique du Gouvernement britannique semble faire de ce pays un cadre favorable dont les initiatives d’appui au développement de l’Afrique peuvent être partagées par la diaspora africaine. Pour commencer, dans son Livre blanc sur le développement international « Eliminating World Poverty : A Challenge for the 21st Century » daté de novembre 1997, le Département pour le développement international (DFID) engage le Gouvernement britannique à « bâtir sur les compétences et les talents des immigrés et des autres membres des minorités ethniques résidant sur son territoire, pour promouvoir le développement de leurs pays d’origine ». Même si le DFID mène encore des consultations pour déterminer ce qu’implique réellement cet engagement, il constitue un point de départ pour une collaboration avec la diaspora africaine en ce qui concerne le développement de l’Afrique.

Deuxièmement, le Premier Ministre britannique, Tony Blair, a déclaré que le développement et la mutation de l’Afrique constitueraient la pierre angulaire de la politique étrangère et du développement de son deuxième mandat. Cela est plutôt exceptionnel, aucun Premier Ministre n’avait accordé la priorité à l’Afrique ces dernières années. S’adressant à l’Assemblée du Millénaire des Nations Unies qui s’est tenue en septembre 2000, le Premier Ministre a déclaré que :

  • « Il y a en Afrique un constat d’échec lamentable de la part du monde développé qui choque et fait honte à notre civilisation.
  • Nulle part ailleurs, les populations ne meurent inutilement de la faim, des maladies et des conflits. Des décès sont causés non par le destin mais par des actes de l’homme. Par la mauvaise gouvernance et les rivalités entre les groupes, l’Etat a consacré le vol et la corruption.
  • Nulle part ailleurs autant de gens ne sont laissés du mauvais côté du fossé numérique et éducationnel, les enfants se voyant refuser les opportunités qui transformeront les vies de leurs contemporains du reste du monde.
  • Il nous faut établir un nouveau partenariat, dirigé par l’Afrique, mais que le reste soit déterminé à mener à bien ; où on traite de tous les problèmes, non pas séparément, mais globalement, suivant un plan cohérent et unifié.
  • En Grande-Bretagne, nous sommes disposés à jouer notre rôle aux côtés du reste du monde et des dirigeants de l’Afrique en vue de formuler ce plan ».

 

Lors d’une réunion publique qui a eu lieu en janvier 2002 sur la politique africaine du Gouvernement britannique, la Baronne Valérie Amos, Ministre des affaires étrangères et du Commonwealth et porte-parole de la Chambre des Lords sur les questions de développement, a récemment exprimé un solide appui de son Gouvernement en ce qui concerne le NEPAD.

Troisièmement, comme nous l’avons vu, particulièrement en Sierra Leone, la politique étrangère du Royaume-Uni est devenue plus interventionniste, avec des interventions justifiées par un engagement en faveur de l’internationalisme, de la protection des droits de l’homme et des impératifs moraux.

Quatrièmement, au début de son mandat en 1997, le Gouvernement a créé un nouveau département d’Etat, le Département pour le développement international (DFID), dirigé par Clare Short, qui reste Secrétaire d’Etat au développement international, pour s’occuper spécifiquement du développement, retirant la responsabilité de l’information sur le développement au Ministère des affaires étrangères et du Commonwealth (FCO), qui avait le statut d’un département autonome avec son propre ministre. Pendant longtemps, le développement a été utilisé, par les pays plus nantis, comme un outil de réalisation des objectifs de leur politique étrangère et non comme une fin en soi. Le Gouvernement britannique a pris l’initiative, au niveau de ses partenaires de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), d’assouplir les liens entre l’aide et le commerce. (Cependant, l’accroissement de l’aide britannique à l’Afghanistan, à la suite de la campagne de bombardement menée par les Etats-Unis contre le régime Taliban et appuyée par la Grande-Bretagne, montre que l’aide reste liée à des objectifs politiques plus globaux de la Grande-Bretagne, ce qui vaut également pour les autres pays du Nord). Le nouveau Gouvernement avait aussi signalé que sa politique étrangère aurait une dimension éthique, ce qui a suscité beaucoup d’intérêt, mais qui s’est révélé être son talon d’Achille.

Le nouveau Gouvernement travailliste d’alors avait annoncé son intention d’instaurer une « gestion commune » (voir Ero 2000). L’objectif était d’introduire de nouvelles méthodes d’élaboration et de mise en oeuvre d’une politique plus cohérente, plus stratégique et moins fragmentée, compte tenu de la complexité croissante et de l’imbrication des problèmes que les gouvernements doivent actuellement résoudre. En termes pratiques, cette « gestion commune » signifiait une coopération accrue entre le DFID, le Ministère des affaires étrangères et du Commonwealth, le Ministère de la défense et le Ministère des finances. Elle entraînait aussi une coopération accrue avec les partenaires multilatéraux comme les Nations Unies et l’Union européenne. Curieusement, le Royaume-Uni travaille aussi en partenariat avec la France, en ce qui concerne la politique africaine. Ce partenariat, fondé sur les déclarations de Saint-Malo et de Cahors et basé sur un sens des responsabilités et des intérêts communs, a jusque-là pris la forme de deux visites ministérielles conjointes, du co-financement d’activités de maintien de la paix et d’accords de coopération en faveur du retour de la paix en République démocratique du Congo et en Sierra Leone.

Comme le note Ero (2001), l’Afrique est souvent considérée comme une zone non stratégique et non controversée, où des expériences telles que la «gestion commune» ont plus de chances de réussir, étant donné le faible niveau des intérêts en jeu. Mais, même dans ce cas, des tensions, des conflits et des contradictions ont éclaté au sein du Gouvernement, semble-t-il entre le FCO et le DFID, sur divers aspects de l’initiative en Sierra Leone, par exemple. Contrairement à l’esprit d’une « gestion commune », le Gouvernement s’est engagé en faveur de la prévention des conflits et du maintien de la paix, mais il reste un gros fournisseur d’armes.

De même, l’orientation de la politique africaine du Royaume Uni n’est pas encore très claire pour le moment. Des commentateurs pensent que la réussite ou l’échec (ou tout au moins l’impression qui se dégagera) en Sierra Leone seront déterminants. Même si l’intervention est populaire auprès de nombreux sierra-léonais, d’aucuns y voient une recolonisation de fait. Puisque le Royaume-Uni dirige actuellement la police et l’armée sierra-léonaise et qu’il a une grande influence sur les finances publiques, sur la lutte contre la corruption ainsi que sur les réformes du Gouvernement local et de la magistrature, il semble justifié d’affirmer que le Royaume-Uni s’est complètement empêtré en Sierra Leone. Toutefois, les leçons de cette aventure, dans le cadre de l’élargissement de la politique africaine du Gouvernement britannique, restent encore à déterminer. Pour l’heure, la Sierra Leone symbolise la détermination du Royaume-Uni à redresser la situation en Afrique. Le Gouvernement espère en tirer avantage, notamment une plus grande influence mondiale, pour justifier le maintien de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et probablement un regain de confiance de la part du public dans le système international après les fiascos du Rwanda et de la Somalie.

Du point de vue de la diaspora africaine et de sa vision du développement de l’Afrique, il existe un réel fossé entre, d’une part, la politique intérieure britannique sur l’immigration, les réfugiés et l’octroi d’asile, dirigée par le Ministère de l’intérieur et, d’autre part, les programmes de DFID/FCO. Commentant la politique du précédent Gouvernement conservateur, Styan (1996) avait déjà observé « une fausse dichotomie entre les préoccupations intérieures et la politique étrangère ». Par exemple, on ne sait pas si les lois et règlements restrictifs qui limitent, depuis les années 1980, l’entrée des Africains en Grande-Bretagne, ont été appliquées en tenant compte de leur effet éventuel à long terme sur les relations entre l’Afrique et la Grande-Bretagne.

Face à la pénurie actuelle et future de compétences au Royaume Uni, le Ministère de l’intérieur a assoupli sa position sur l’immigration des personnes qualifiées et non qualifiées (voir Glover et al, 2001) et intensifié la campagne de recrutement des enseignants, des infirmiers, et autre personnel qualifié à partir de l’Afrique et d’autres régions en développement. Par contre, dans son deuxième Livre blanc sur les politiques majeures : « Eliminating World Poverty : Making Globalisation work for the Poor » (2000 :43), le DFID s’est inquiété des effets préjudiciables de l’immigration, du Sud vers le Nord, de talents éduqués et formés à un coût très élevé.

On pourrait soutenir que les deux départements n’ont rien compris. DFID doit reconnaître l’importance cruciale des migrations dans l’histoire de l’humanité et les nombreux résultats, réels ou potentiels, des migrations. Étant donné que le flux migratoire a été important, le Ministère de l’intérieur devrait prendre des mesures pour mettre fin aux discriminations, aux souffrances et aux violations des droits de l’homme et légaliser la situation de la multitude d’immigrés, africains ou autres, qui n’ont pas de statut légalement reconnu au Royaume-Uni. Cela permettrait aux Africains instruits et bien formés de prétendre à des emplois correspondant à leurs qualifications. A long terme, cela viendrait enrichir le réservoir de ressources humaines de la diaspora africaine potentiellement disponible pour contribuer au développement de l’Afrique.

La régularisation de la situation de ceux que l’on appelle des immigrés clandestins ne serait qu’une première étape. L’objectif à plus long terme serait la liberté de mouvement de tous les citoyens du monde et l’abolition des contrôles d’immigration face au besoin et au désir croissant des populations, encouragées par la mondialisation, de se déplacer en quête d’emploi, de paix et de sécurité. Comme le note Harris (2001) «ce n’est qu’avec l’imposition des contrôles frontaliers au 20ème siècle que l’on s’est efforcé d’arrêter les travailleurs d’émigrer pour travailler, gagner de l’argent et rentrer chez eux, ce qui a forcé ceux qui voulaient travailler à s’installer définitivement pour éviter d’avoir des problèmes aux frontières. La plupart de gens n’ont aucune envie de s’exiler définitivement, ils veulent travailler pour améliorer leur situation chez eux ». Pour harmoniser les objectifs en matière d’immigration et de développement, il faudra absolument inciter le DFID et le Ministère de l’intérieur à rechercher ensemble un moyen de s’assurer que les migrations fonctionnent en faveur des pays d’origine comme des pays de destination, ainsi que pour les individus concernés et leurs familles.

Après avoir examiné l’environnement général de la politique du Royaume-Uni à l’égard de l’Afrique, prenons maintenant des exemples spécifiques qui peuvent être liés à l’intégration régionale de l’Afrique et à la contribution que peut apporter la diaspora. La présente section analyse spécifiquement les technologies de l’information et de la communication (TIC). La CEA a déjà identifié les politiques et les stratégies des TIC, aux niveaux national, sous-régional et régional, comme étant des éléments importants pour permettre à l’Afrique de répondre aux défis de la mondialisation et de faire son entrée dans l’ère de l’information.

L’encadré no. 2 ci-dessous reprend certains engagements politiques récents tirés du Livre blanc sur le développement, Eliminating World Poverty : Making Globalisation work for the Poor. Les critiques ne partagent pas la conviction du Gouvernement britannique, qui pense possible de mettre la mondialisation au service des pauvres au lieu d’aggraver leur misère et leur marginalisation. De même, beaucoup regrettent qu’au cœur de sa politique, le Royaume-Uni embrasse le paradigme économique néo-libéral. Néanmoins, le Livre blanc démontre la convergence de cette politique avec celle des décideurs africains. Par exemple, en examinant les leçons à tirer de l’échec des négociations commerciales de Seattle, le Gouvernement du Royaume-Uni tire deux enseignements. Premièrement, « les pays développés doivent accorder une plus grande importance aux besoins des pays en développement, de l’accord desquels dépend le lancement d’une nouvelle série de négociations. Deuxièmement, les pays en développement, qui constituent maintenant la majorité des 140 Etats membres de l’OMC, pourraient beaucoup profiter d’une nouvelle série de négociations s’ils pouvaient exercer plus efficacement leur influence ». Le Livre blanc explique en effet plus loin qu’il est urgent, si l’on veut mettre en place un régime commercial multilatéral plus équitable, de renforcer la capacité qu’ont des pays en développement de participer efficacement à l’OMC et au système commercial multilatéral. « Quelques 23 pays en développement membres de l’OMC n’ont pas de représentation à Genève, où il peut y avoir chaque semaine plus de 40 réunions touchant divers sujets ». Le document identifie aussi un besoin similaire de renforcement des capacités de négociation dans les instances environnementales internationales. Le document estime que les organisations régionales doivent plaider la cause des pays en développement, et tout particulièrement les plus petits d’entre eux.

Selon le Gouvernement britannique, la société civile, aussi bien au Sud qu’au Nord, a un rôle important à jouer dans le cadre de la mondialisation et du développement. Pour lui, la société civile ne se limite pas aux seules ONG, mais elle englobe des acteurs plus nombreux, y compris les organisations de défense des droits de l’homme et des femmes, les syndicats et les coopératives, auxquels on peut ajouter les organisations des minorités ethniques, et notamment les organisations de la diaspora africaine. En ce qui concerne les ONG et les organisations de la société civile du Nord, le Gouvernement souhaite améliorer la transparence et l’obligation redditionnelle à l’égard des populations du Sud qu’elles représentent.

Ce dernier point est particulièrement pertinent pour une diaspora africaine qui veut s’impliquer dans les questions de développement international. Un facteur clef de l’échec des mécanismes actuels de coopération pour le développement est la concentration du pouvoir entre les mains de quelques acteurs du Nord au détriment des populations du Sud confrontées à la souffrance. Si la diaspora s’impliquait juste pour reproduire les dysfonctionnements des paradigmes de coopération existants (et en profiter), nous aurions fait pire qu’un retour en arrière. En effet, l’expérience d’AFFORD montre que si la diaspora africaine veut apporter une contribution significative, durable et positive au développement de l’Afrique, elle doit absolument rompre avec les pratiques et les attitudes actuelles face au développement et entrer dans une nouvelle ère de développement dirigée par les Africains et appartenant aux Africains. Les éléments clefs de ce nouveau paradigme sont notamment la foi dans la capacité des Africains à résoudre leurs propres problèmes, le pouvoir réel entre les mains des peuples africains (non seulement des dirigeants installés dans les capitales), auxquels il revient de déterminer la nature des initiatives, leur rythme, les facteurs de succès, etc.; une mobilisation plus efficace des ressources, contrôlées et gérées par les Africains (Aidoo, non daté); et enfin l’appui aux institutions et mécanismes africains pour le développement de tout le continent.

Encadré 2 : Intégration régionale en Afrique, les mouvement de personnes et les TIC : Engagements politiques du Gouvernement du Royaume-Uni Le Gouvernement du Royaume-Uni s’engage à :· S’assurer qu’une perspective de développement est incluse dans les accords internationaux touchant aux télécommunications et aux nouvelles technologies et que les pays pauvres ont voix au chapitre en ce qui concerne l’élaboration de ces règles dans les institutions multilatérales;
· Veiller à ce que les règles et les politiques relatives à l’entrée et à l’octroi de permis de travail dans les pays développés, ne limitent pas injustement la capacité des fournisseurs de services des pays en développement de vendre sur les marchés des pays développés, tout en tenant compte de la nécessité de ne pas aggraver le problème de la pénurie des compétences dans les pays en développement;
· Appuyer l’incorporation d’accords sur l’investissement et la concurrence dans le cadre des futures négociations commerciales multilatérales de l’OMC et parallèlement, aider les pays en développement à renforcer leurs capacités et encourager une coopération plus étroite dans ces questions;
· Coopérer avec d’autres pour renforcer la capacité des pays en développement à participer aux négociations multilatérales et à profiter des nouvelles opportunités commerciales, y compris par l’amélioration des infrastructures et des liaisons de transport;
· Accroître l’assistance aux pays les moins avancés afin de leur permettre de participer plus efficacement à la négociation des accords environnementaux multilatéraux et de bénéficier de leur mise en œuvre;
· Introduire une nouvelle loi sur le développement international pour remplacer l’Overseas Development and Co-operation Act (1980) qui est dépassé, et élargir l’éventail d’activités que le gouvernement peut soutenir ;
· Coopérer avec la société civile pour renforcer la capacité des populations pauvres à exiger que les gouvernements et les institutions internationales rendent compte des progrès réalisés dans les programmes de lutte contre la pauvreté.

L’amélioration de la qualité de la vie de tout africain;Nous devons ensuite considérer la réalisation d’un consensus politique au niveau de l’Afrique elle-même, qui devrait définir ce qui se passe réellement sur le terrain. L’Initiative « Société de l’information en Afrique » (AISI) de la CEA constitue un cadre de mise en application des politiques et des mesures propres à assurer l’utilisation des TIC en vue de la réalisation des objectifs de développement tels que (CEA, non daté, a) :

  • L’intégration économique régionale africaine;
  • L’amélioration des liaisons commerciales et autres avec le reste du monde.

 

Sur le continent, un consensus s’est déjà dégagé sur la recherche de solutions aux défis suivants, qui sont tous interdépendant (CEA, non daté, b) :

  • Élargissement de l’accès;
  • Application des TIC à la recherche de solutions aux problèmes de développement;
  • Collaboration en vue d’élargir les marchés et de réaliser des économies d’échelle;
  • Promotion de la compréhension par le public des questions relatives à la Société de l’information;
  • Formulation d’une vision africaine pour les négociations internationales sur les questions relatives à la Société de l’information.

 

L’encadré 3 ci-dessous résume un certain nombre de recommandations issues du premier Forum pour le développement de l’Afrique organisé par la CEA en 1999 (ADF 99) (CEA, non daté, b).

Encadré 3 : Résumé des recommandations en vue de la réalisation des buts et des objectifs de l’Initiative «Société de l’information en Afrique»
Au niveau national,
initier le processus politique dans le cadre de l’Initiative « Société de l’information en Afrique » et mettre en place:
· Une équipe de travail sur l’accès des zones rurales à l’innovation des TIC pour essayer des méthodes expérimentales d’extension des réseaux aux zones rurales mal desservies;
· Un forum national de coopération entre la société civile et le gouvernement dans la gestion globale des TIC pour promouvoir un débat public informé et assurer l’efficacité des négociations; · Aux niveaux sous-régional et régional, maximiser les avantages des initiatives politiques nationales et renforcer les capacités africaines par :
o Une communauté de régulateurs nationaux en Afrique, en vue de renforcer les capacités et définir les modèles appropriés pour l’Afrique;
o Des recherches sur l’intégration du marché, afin d’identifier les voies et moyens de réaliser l’intégration sous-régionale et régionale;
o Un réseau régional d’échange de la Société de l’information, pour échanger les expériences et les meilleures pratiques nationales;
o Une équipe de travail régionale pour donner des avis politiques, juridiques et sur la réglementation, qui conseillerait les gouvernements africains sur l’exploitation des TIC pour le développement.

· Au niveau mondial, influencer les décisions prises à l’échelle internationale sur les TIC à travers :
o Une communauté africaine de pratiques de gestion mondiale des TIC, pour rendre plus effective la participation africaine dans les instances internationales.

· Au niveau mondial, il faudra surtout:
o Influencer la forme du futur système de taux comptables;
o Faire appliquer les cessions obligatoires de licence et supprimer les droits restrictifs de propriété intellectuelle;
o Elargir les dispositions de l’Accord général de l’OMC sur le commerce de services relatives aux télécommunications et aux services universels ;
o Participation à l’ICANN (the Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) et à la gouvernance d’Internet.

On peut envisager que la diaspora africaine -ses nombreuses organisations ou ses réseaux de connaissances professionnelles spécifiques- jouent un rôle dans l’appui et la mise en œuvre de ces recommandations.

Au niveau national :

 

Les activités du public devraient aussi cibler la diaspora africaine. Les réseaux de la diaspora qui ont des connaissances spécifiques devraient jouer un rôle dans cette sensibilisation et dans le renforcement des capacités. Il sera important d’aider les groupes de la diaspora à établir la relation entre les préoccupations locales et leurs dimensions nationales, sous-régionales et régionales. De même, il faudra veiller à ce que les groupes de la diaspora intègrent l’utilisation effective des TIC dans leurs programmes d’appui et aident leurs partenaires à bénéficier des TIC au niveau local en Afrique.

A mesure que les pays élaborent et mettent en oeuvre, individuellement, des plans relatifs à leur infrastructure nationale de l’information et de la communication, les membres de la diaspora qui ont les compétences requises devraient combler les lacunes sur le continent, pour exécuter les tâches spécifiques, mais aussi pour former leurs partenaires locaux, afin de réduire leur dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Cela se fera probablement tant sur une base volontaire que dans le cadre de contrats de consultation rémunérés.

 

Au niveau sous-régional :

Le manque d’expérience peut être comblé par les Africains de la diaspora qui ont les compétences et l’expérience nécessaires;

La réticence des gouvernements à renoncer à leur souveraineté est une question politique, au sujet de laquelle la diaspora, en collaboration avec ses partenaires, dans les régions et les pays concernés, peut exercer des pressions auprès des autorités compétentes.

 

Au niveau mondial:

Les membres de la diaspora qui ont l’expertise, les contacts et l’accès nécessaires doivent contribuer à la formulation de positions africaines sur les grands sujets de débat et sensibiliser la diaspora africaine à ces questions;

Les membres de la diaspora africaine ayant l’expertise technique nécessaire doivent appuyer les négociateurs et les participants aux réunions internationales pour qu’ils soient mieux à même de défendre les intérêts de l’Afrique dans les débats et dans la prise de décisions.

 

Le temps d’agir – Panafricanisme pour l’ère de l’information

Pour que des résultats concrets se fassent jour prochainement, il faut que les acteurs principaux œuvrant de concert à la réalisation d’objectifs convenus précis.

Associer tous les Africains

Les initiatives doivent venir de l’Afrique, aux niveaux communautaire, national, sous-régional et régional et être relayées par la diaspora africaine, qui pourra appuyer ses partenaires sur le terrain. Cette méthode a été définie par les dirigeants africains, qui aspirent à une nouvelle forme de panafricanisme pour l’ère de l’information. Il faut maintenant y faire adhérer les Africains de la diaspora. Il sera important de convenir, en termes généraux, des attributions des différents acteurs. Les principales parties prenantes (CEA, gouvernements africains, etc.) doivent collaborer avec les réseaux et les organisations de la diaspora africaine à sensibiliser les esprits à l’intégration régionale, à l’Initiative « Société de l’information en Afrique » et à certaines activités spécifiques visant au développement durable de l’Afrique. Les Africains de la diaspora ont un rôle crucial à jouer et les acteurs basés en Afrique (CEA, gouvernements, etc.) doivent le rappeler sans ambiguïté à leurs partenaires de coopération au développement. Cela permettra de créer un nouveau cadre de coopération pour le développement où les donateurs du Nord, les décideurs et les ONG cesseront de marginaliser la diaspora africaine et se mettront à la considérer comme une ressource stratégique prête à contribuer au développement de l’Afrique.

Définir et affiner les positions africaines

Il est beaucoup plus facile de dégager un consensus sur une vision globale que d’œuvrer patiemment à la réalisation d’objectifs précis. Il est nécessaire de convenir des principes fondamentaux qui sous-tendront les positions de l’Afrique lors des négociations internationales et, à cet égard, il faudra se baser sur la notion d’intérêt public. Il importe que les acteurs clefs soutiennent cette orientation et encouragent le débat à cet égard pour établir la base d’un plaidoyer que la diaspora africaine puisse appuyer. Ce processus devrait susciter un apprentissage et les positions devraient découler de notre profonde compréhension de la manière dont les Africains utilisent véritablement les TIC dans leur vie quotidienne – dans leurs affaires, leurs loisirs, leurs interactions avec les gouvernements, etc. Cela sera un sujet de recherche inépuisable pour les universités et les groupes de réflexion, qui devront chercher à étayer et influencer les politiques à venir.

Création de l’Union de la diaspora africaine

Tout en célébrant la diversité de la diaspora africaine, nous devrions tisser un riche réseau composé d’OSC africaines (sur le continent et dans la diaspora) passionnées par l’intégration régionale et prêtes à la soutenir. Nous devons créer des mécanismes de communication, de collaboration et de coopération au sein de la société civile africaine mondiale, ainsi qu’entre cette dernière et les autorités et les décideurs d’Afrique et d’ailleurs. Nous devons mettre en place des mécanismes d’obligation redditionnelle qui étendent la formulation des visions aux définitions du succès et à l’identification des indicateurs de progrès à court et à moyen termes.

Institutionnalisation de la participation de la diaspora

Il nous faut mettre en place des mécanismes institutionnels pour exploiter le talent, la résolution et les ressources de la diaspora africaine. Pour soutenir le développement national et appuyer les compétences et l’expertise des Nigérians de l’étranger, le Président du Nigéria a créé le bureau de l’Assistant spécial du Président pour la diaspora, qui est chargé des questions relatives aux Nigérians de la diaspora. En 2001, le Gouvernement ghanéen a réuni des Ghanéens de la diaspora qui rentraient au pays pour les encourager à s’impliquer et à soutenir le développement du pays. Ces signes encourageants montrent que les gouvernements africains reconnaissent enfin le rôle important que les diasporas peuvent jouer dans les pays en développement. La CEA a également beaucoup fait ces dernières années pour associer la diaspora au processus de développement de l’Afrique. Etant donné son rôle central dans la promotion d’un développement conduit par l’Afrique et lui appartenant en propre, ainsi que dans l’intégration régionale, la CEA devrait envisager sérieusement de mettre en place des mécanismes institutionnels stratégiques propres à faciliter la participation durable et efficace de la diaspora africaine à tous les aspects de son travail. Du point de vue de la diaspora, il serait utile de pouvoir collaborer avec un partenaire unique ayant des responsabilités intersectorielles, qui serait son principal interlocuteur.

Identification des acteurs de la diaspora

Suite à la Conférence régionale sur l’exode des compétences et le développement des capacités en Afrique tenue à Addis-Abeba en 2000, la CEA et ses partenaires avaient jugé nécessaire de créer une base de données sur les ressources humaines de la diaspora. Cette base est en cours de création par la CEA, en collaboration avec AFFORD et d’autres agences. Elle devra être dynamique, orientée vers la demande et les besoins, ainsi que vers l’utilisateur et les tâches à accomplir. Nous devons d’abord identifier les utilisateurs potentiels de la base de données et préciser minutieusement leurs besoins. Dans un premier temps, les efforts doivent viser les besoins prioritaires, par exemple, le renforcement des capacités des institutions régionales ou des négociateurs dans les instances internationales. Se cantonner à répertorier des noms et des renseignements dans une base de données, sans stratégie d’utilisation précise, risque de produire un dossier statique qui sera vite périmé, et de décevoir les enthousiastes qui auront communiqué leurs coordonnées. L’anéantissement de ces espoirs risque aussi de compromettre la crédibilité de l’initiative et de rendre le suivi très difficile. La sensibilisation à l’intégration régionale et à l’AISI devrait faire partie intégrante du processus d’élaboration de la base de données afin de créer une synergie entre les activités et tirer le maximum de gains de l’investissement. La diaspora étant perpétuellement en construction, nous devrions maintenir en permanence des contact avec les secteurs clés comme par exemple les étudiants africains poursuivant leurs études dans des pays du Nord. AFFORD a déjà commencé à explorer le moyen de dialoguer avec les étudiants africains poursuivant des études de développement au Royaume-Uni pour exploiter leur connaissance de l’Afrique et faciliter leur contribution continue à son développement.

Création d’un observatoire des TIC et de l’intégration régionale

L’existence d’une diaspora africaine dans les pays du Nord représente pour l’Afrique un avantage dont elle doit profiter. Comme nous l’avons vu, les politiques adoptées au Nord peuvent avoir une incidence directe sur l’Afrique. De même, il y a des questions soulevées au niveau des instances internationales qui nécessitent une action positive de la part des Africains pour préserver les intérêts du continent. Les réseaux de la diaspora doivent se montrer vigilants, rassembler l’information, la digérer et la transmettre aux principaux décideurs en Afrique. L’observatoire proposé analyserait aussi les expériences africaines passées, aussi bien de réussite que d’échec, en ce qui concerne les stratégies adoptées au niveau international pour promouvoir les intérêts de l’Afrique. Les enseignements tirés devraient être largement diffusés, discutés et servir de base aux campagnes futures. L’observatoire serait tout d’abord un réseau informel des réseaux de connaissances existants ayant une expertise dans des domaines spécifiques ou s’y intéressant. Il comporterait également d’autres organisations présentant des avantages comparatifs et travaillerait en partenariat avec une institution semblable en Afrique pour s’assurer que les idées sont véritablement pertinentes pour les acteurs ciblés.

Promouvoir l’excellence

Nous devons faire davantage pour accroître la visibilité des activités de la diaspora africaine dans le contexte de l’intégration régionale et de la société de l’information en Afrique. Cela stimulerait le processus dans la mesure où le succès appelle le succès. Il faudrait peut-être envisager un système de remise annuelle de prix, pour faire connaître, célébrer et récompenser les efforts menés au niveau du continent, à l’échelle régionale, nationale et locale, par les divers acteurs de la société civile, les petites et moyennes entreprises, etc. Les critères d’identification des cas d’excellence incluraient la visibilité, la crédibilité, l’innovation, le leadership, l’influence, les avantages en chaîne, la durabilité et l’impact.

Diriger le programme à partir d’Afrique

Nous devons au sein de la diaspora africaine développer un réseau d’avocats qui amèneraient les donateurs à mieux rendre compte, à leurs sièges au Nord, de leurs activités avec les autorités et les agences africaines en ce qui concerne le développement du continent. L’objectif devrait être d’accroître la transparence et l’obligation redditionnelle pour s’assurer que l’Afrique est le véritable propriétaire et le gestionnaire de son développement, avec l’appui de l’étranger. Nous devrions commencer par une ou deux questions sur lesquelles la mobilisation de la diaspora est possible, tirer des leçons et partir de là.

Régler le problème de l’exode des compétences

Face au problème de l’exode des compétences, les autorités africaines doivent adopter la stratégie dite des «3 R ». Elles doivent d’abord chercher à Retenir les Africains qualifiés en appliquant les réformes institutionnelles nécessaires pour les valoriser, les rémunérer, les faire progresser et les stimuler. Deuxièmement, elles doivent chercher à Renverser la situation en encourageant les Africains de la diaspora qui le désirent et en sont capables à retourner dans un court terme, en ayant notamment recours aux programmes de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) etc. La troisième stratégie est la Récupération par laquelle les autorités africaines peuvent puiser dans les connaissances, les ressources, les contacts, les réseaux et les idées des Africains de la diaspora incapables ou non désireux de retourner définitivement en Afrique. Les gouvernements africains doivent continuer à lutter contre l’exode des compétences dans le cadre des négociations avec leurs partenaires de coopération au développement. Ils doivent plaider pour des plans spécifiques susceptibles de permettre à la diaspora africaine de participer plus activement et plus efficacement au développement du continent. L’harmonisation des politiques d’immigration et de développement, par exemple, est un élément essentiel qui devrait tendre vers l’assouplissement plutôt que vers une plus grande restriction du mouvement des personnes. En même temps, les gouvernements africains ne devraient pas être nationalistes à l’excès en ce qui concerne le problème de l’exode des compétences. L’intégration régionale signifie que tout Africain de la diaspora devrait être considéré comme un élément important de l’ensemble des ressources disponibles pour contribuer au développement de l’Afrique. Etant donné l’incapacité continue des ONG du Nord à collaborer stratégiquement et efficacement avec la diaspora africaine, les gouvernements africains devraient aussi poursuivre des négociations avec les ONG et les agences multilatérales pour explorer le meilleur moyen d’utiliser plus efficacement les ressources humaines de la diaspora africaine. Là où les ONG ont des raisons valables d’affecter un personnel expatrié en Afrique – ce qui devrait être très rare de nos jours – elles devraient prendre plus au sérieux leurs responsabilités et aider à renforcer les capacités africaines en cherchant à reconnecter la diaspora africaine vivant dans leurs pays au développement de l’Afrique.

Sensibilisation du gouvernement du Royaume uni

Le Gouvernement britannique, qui accorde une attention inhabituelle à l’Afrique, a déclaré avoir l’intention de présenter au Parlement un nouveau projet de loi sur le développement international. C’est pour les responsables africains une occasion de travailler de concert avec la diaspora africaine basée au Royaume-Uni pour faire avancer les principales préoccupation du continent en termes d’intégration régionale. Ces travaux législatifs semblent imminents et une collaboration entre la diaspora africaine et les responsables compétents basés en Afrique constituerait un bon départ pour la concrétisation des bonnes intentions. En outre, une activité initiale dans un domaine comme celui-ci serait source d’enseignements importants qui pourraient inspirer la collaboration future entre l’Afrique et la diaspora.

Création d’une force de volontaires

Conscientes de leurs responsabilités citoyennes, beaucoup d’entreprises mettent en place des plans qui permettent à leurs employés de travailler auprès des communautés défavorisées pour partager leurs compétences et leur savoir-faire. Beaucoup d’Africains de la diaspora travaillent dans divers domaines des TIC et nous devrions travailler avec les gouvernements du Nord (le Gouvernement britannique, par exemple) à un plan qui inciterait les entreprises à encourager leur personnel africain à se porter volontaire pour les projets et les affectations concernant l’intégration régionale de l’Afrique et la mise en œuvre de l’Initiative « Société de l’information en Afrique ».

Formation de la nouvelle génération des Africains de la diaspora

Comme nous l’ont montré les données sur les tendances démographiques au niveau de la diaspora africaine vivant au Royaume-Uni, les Africains de la diaspora qui ont vécu une expérience directe de l’Afrique disparaîtront progressivement et laisseront place à des générations sans expérience directe de l’Afrique, qui ne seront pas nécessairement aussi attachées à son développement. Il est crucial d’enseigner les questions de développement pour former, au sein des plus jeunes générations d’Africains de la diaspora, des citoyens du monde, à même de comprendre et de relever les défis du développement de l’Afrique. Avec le temps, ces nouvelles générations s’identifieront non pas à telle ou telle ville africaine, tel ou tel village africain ou tel ou tel groupe ethnique, mais avec le continent dans son ensemble, ce qui justifie l’importance cruciale des messages sur l’intégration régionale dans les programmes d’enseignement sur développement.

Puiser dans les ressources humaines des retraités de la diaspora

Les données démographiques du Royaume-Uni révèlent qu’une génération d’Africains de la diaspora ayant une bonne expérience est actuellement disponible ou part bientôt à la retraite et cherche à continuer une vie productive, probablement au service de l’Afrique. On peut dire que beaucoup de ces Africains de l’ancienne génération ont la mémoire et l’expérience des efforts antérieurs de promotion de l’intégration régionale et du panafricanisme. Pleins de sagesse, ils ont d’importantes leçons à transmettre aux générations plus jeunes. Il nous faut des plans qui puisent dans cette base de connaissances et qui mettent au point des programmes auxquels peuvent contribuer les retraités de la diaspora africaine.

 

Par Chukwu-emeka Chikezie, AFFORD

Document présenté au troisième Forum pour le développement de l’Afrique (ADF III) « Définir les priorités de l’intégration régionale » – Centre de conférence des Nations Unies, Addis-Abeba (Ethiopie) – 3 – 8 mars 2002

Source :

African Foundation for Development

AFFORD (2002)
54 Camberwell Road
London SE5 0EN
Tel : 44 (0)20 7703 0653
Fax : 44 (0)20 7701 2552
Courier électronique : info@afford-uk.org
Internet : http://www.afford-uk.org 


Références

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Appendice A : Présentation de AFFORD

AFFORD est une petite association sans but lucratif, fondée en 1994 par un groupe d’Africains basés à Londres. Elle est née du constat que les décideurs clefs du développement, les praticiens et les donateurs négligeaient les efforts considérables et diversifiés fournis par les Africains pour contribuer au développement de l’Afrique et qu’ils ne cherchaient pas à les exploiter ou les maximiser. AFFORD a donc pour mission d’étendre et de renforcer la contribution des Africains de la diaspora au développement de l’Afrique.

L’organisation s’acquitte de sa mission à travers trois programmes de fond. Premièrement, l’appui aux OSC africaines basées au Royaume-Uni qui s’intéressent d’une manière ou d’une autre au développement de l’Afrique. Ensuite, la promotion de la contribution des Africains de la diaspora en vue de l’intégration de la pensée et de la pratique du développement – en Afrique et au Nord. Troisièmement, la promotion et la facilitation des relations entre la diaspora africaine et ses partenaires en Afrique. En ce qui concerne la première Etude sur les organisations africaines de Londres, réalisée par AFFORD, des recherches concrètes se poursuivent pour soutenir le travail et les interventions de l’organisation.

Ces dernières années, AFFORD a appuyé plus de 100 OSC africaines basées à Londres, leur prodiguant des conseils sur la recherche de financements; leur facilitant l’accès aux donateurs; les aidant pour les formalités de création; renforçant la visibilité des efforts de développement déployés par les Africains de la diaspora; mettant ces organisations en contact avec leurs homologues de la diaspora et d’Afrique. Par la recherche, le plaidoyer et la participation aux conférences, AFFORD a contribué à la réflexion de grandes institutions telles que le DFID ( voir le Livre blanc de 2000 sur la mondialisation et le développement, Globalisation and development : A diaspora dimension au site : http://www.afford-uk.org) ou la CEA (stratégies de conversion de l’exode des compétences en acquisition des compétences). Récemment, AFFORD s’est embarquée dans un programme pilote pour faciliter les liaisons et le partenariat entre les Ghanéens, les Nigérians et les Sierra-Léonais de la diaspora et leurs partenaires dans ces trois pays. Pour toutes ces activités, les technologies d’information et de communication (TIC) sont des outils important qui permettent d’améliorer la communication et la collaboration entre l’Afrique et la diaspora. Les TIC sont également d’importants domaines pour les politiques et les activités propres à faciliter le développement global de l’Afrique à l’ère de l’information.