LES DOSSIERS

Éviter la fuite des cerveaux en Afrique subsaharienne

Rôle des institutions sous-régionales de formation et de recherche

Au début des indépendances, les pays d’Afrique au sud du Sahara voyaient leur avenir avec optimisme. Ils misèrent sur le développement rapide pour  » sans tarder » venir à bout de l’ignorance, de la pauvreté, de la maladie et de l’insécurité alimentaire. Cette tendance tablait sur la croissance continue de l’économie mondiale dont il semblait que l’Afrique subsaharienne devait bénéficier de façon prioritaire (Banque Mondiale, 1995). La communauté des bailleurs de fonds partageant ce sentiment, n’a pas manqué de fournir l’aide nécessaire.

Dans cette dynamique de modernisation de l’administration, des sciences et technologie, de nombreux pays africains ne possédant pas d’institutions de formations et de recherche, ont envoyé leurs étudiants se perfectionner dans les universités et centres de recherche des pays du Nord afin d’accélérer la formation des ressources humaines. Mais plusieurs d’entre eux ont choisi d’y rester une fois leur formation terminée. Le même phénomène touche les professionnels qui, n’étant pas parvenus à se réintégrer totalement dans leur pays d’origine, décident de retourner dans celui où ils ont fait leurs études (Guadilla, 1996). Selon l’UNESCO, plus de 30 000 africains titulaires d’un diplôme de 3ème cycle universitaire vivraient en dehors du continent et 25 000 boursiers africains venus faire leurs études dans les pays de l’Union Européenne n’ont pas regagné leurs pays d’origine. La Banque Mondiale estime dans son rapport de 1995, que l’Afrique a perdu un tiers de ses cadres entre 1960 et 1987, partis vers les pays industrialisés et que 23 000 universitaires et 50 000 cadres de direction quittent encore le continent chaque année (Banque Mondiale, 1995 ; Kriks, 1997). Les études de Carrington W.J. et Detragiache E. (1999) soulignent que les immigrants africains vers les États-unis sont principalement des diplômés de l’enseignement supérieur.

Le phénomène de « fuite de cerveaux » n’est pas nouveau et remonte aux années 1950 (Carrington et Detragiache, 1999), à l’époque du départ massif des scientifiques et ingénieurs britanniques vers les États-unis. Depuis, il est réservé aux migrations scientifiques du Sud vers le Nord et plus récemment, à celles des scientifiques de l’Est vers l’Europe et les États-unis. La migration est favorisée par la politique de séduction que mène les pays développés vis-à-vis de ceux qu’ils ont formés (bien souvent aux frais de leurs pays d’origine). Avec évidence, il existe une corrélation étroite entre le lieu de formation et les flux migratoires des intellectuels.

Afin de contribuer au développement humain dans le contexte national ou sous-régional et à la réduction de la rétention des diplômés par les pays du Nord, de nombreux pays d’Afrique se sont engagés dans un processus de création (parfois de revitalisation) des universités, des institutions régionales de formation professionnelle, et des centres nationaux et régionaux de recherches. Ces institutions sont potentiellement les plus compétentes des pays d’Afrique subsaharienne (i) pour mener des recherches qui enrichissent le savoir par des connaissances nouvelles ou qui acquièrent et adaptent les savoirs aux conditions locales, (ii) pour favoriser l’assimilation et l’utilisation des connaissances qui renforcent les moyens humains et (iii) pour s’investir dans les nouvelles technologies qui produisent des biens et des services.

Malgré son expansion quantitative, l’enseignement supérieur africain reste l’un des moins développés au monde. Cependant, il a contribué à la formation de cadres pour la fonction publique, pour les entreprises privées et pour l’enseignement. La croissance rapide des effectifs et la crise économique des années 1980, ont entraîné l’enseignement supérieur dans une crise profonde et complexe qui a eu pour conséquences la dégradation des infrastructures et des équipements, la baisse sensible de la qualité de la formation et de la recherche, l’aggravation du chômage des diplômés, la course aux diplômes acquis à l’étranger et surtout la fuite des cerveaux favorisée par les conditions internes déplorables (dégradation des conditions économiques et sociales, mauvaise gouvernance, etc.) (De Carvalho, 1995 ; UNESCO , 1998c ; Association des Universités Africaines, 1999).

Face aux défis engendrés par la crise des universités africaines, et l’incapacité des pays africains de concurrencer ceux du Nord pour attirer et conserver les cerveaux, les gouvernements africains devront entreprendre une politique plus vigoureuse pour développer des structures dynamiques de formation et de recherche, pour favoriser l’insertion positive des cadres formés et pour encourager les compétences. Sinon la fuite des cerveaux hors des pays africains risque de s’accroître dans un avenir très proche en raison de la mondialisation des économies qui va de pair avec l’évolution rapide des connaissances et des technologies (Guadilla, 1996).

La 4e édition d’Afristech 99 tenue à Dakar (Mbodj, 1999), traitant du sujet, a fait plusieurs propositions : la conciliation de la science et de la technologie avec le développement (à l’exemple des pays d’Asie), la création de centre d’excellence (formation de 3e cycle) où seront mis en commun les ressources humaines, matérielles et financières, la transformation des fuites de cerveau en gain de cerveaux par des échanges périodiques inter-universitaires d’enseignants-chercheurs et par l’enracinement des chercheurs dans les laboratoires nationaux qui devront être correctement équipés. Selon son Excellence Mr Abdou DIOUF, Président de la République du Sénégal, les gouvernements ont un rôle à jouer dans la création et la consolidation des capacités scientifiques et technologiques nationales, en mettant en place « une politique vigoureuse de la Science, qui fasse toute sa place à la coopération régionale et internationale, un préalable nécessaire pour arrêter la fuite des cerveaux dont l’Afrique est victime ». Pour que cette coopération soit plus judicieuse, Mr Cheikh Modibo Diarra (1999) disait que « les pays devraient mettre en commun leurs maigres moyens pour créer des institutions sous-régionales de formation et de recherche afin de contribuer à la lutte contre la fuite des cerveaux africains ». Les institutions sous-régionales d’enseignement supérieur constitueraient alors un dispositif clé dans le plan stratégique de lutte contre la fuite des cerveaux et de l’utilisation des cerveaux là où ils sont.

C’est pourquoi, le rôle de développement des capacités en santé et production animales que joue l’École Inter-Etats des sciences et Médecine vétérinaires (EISMV) de Dakar sera pris en exemple, avant d’analyser les facteurs qui peuvent influencer l’exode des compétence et les perspectives pour le renversement de la tendance.

I- Développement des capacités à l’Ecole Inter-Etats Des Sciences Et Médecine Vétérinaires (EISMV) de Dakar

L’Ecole Inter-Etats des Sciences et médecine Vétérinaires (EISMV) de Dakar (Sénégal) est un établissement d’enseignement supérieur, de recherche, et de formation professionnelle, créé en 1968 par 13 états africains francophones au sud du Sahara. Elle a fonctionné d’abord comme Institut de l’Université de Dakar de 1968-1976, avant de prendre son autonomie complète en 1976. Dès lors, les états membres ont décidé d’en faire une institution sous-régionale et de prendre totalement en charge son fonctionnement. L’EISMV est alors devenue un outil de coopération et d’intégration sous-régionale et internationale.

Sa mission première et principale est (i) de mettre à la disposition des pays africains des Docteurs vétérinaires entièrement formés avec et dans les réalités de leurs régions, (ii) d’appuyer et de stimuler la recherche qui permet de résoudre les problèmes dans la filières de l’élevage au niveau des états.

De 1968 au 31 décembre 2 000, l’EISMV a formé 738 docteurs vétérinaires dont 52 filles (tableau I). Les effectifs d’étudiants ont connus une fluctuation au cours des années avec une baisse entre 1993 à 1998 à cause de l’arrêt du recrutement dans les fonctions publiques des états.

Les programmes de recherche ont également évolué pour s’engager dans le processus de développement durable de l’élevage : amélioration de la santé et des productions animales, gestion pastorale dans le cadre de la lutte contre la désertification.

Tableau I : Docteurs vétérinaires formés de 1968 à la fin de l’an 2000 par pays AFRIQUE DE L’OUEST 537

AFRIQUE DE L’OUEST 537
Bénin 59 (8 filles)
Burkina 71 (4 filles)
Côte D’Ivoire 17 (2 filles)
Mauritanie 07
Niger 69 (2 filles)
Sénégal 238 (29 filles)
Togo 76 (2 filles)
AFRIQUE CENTRALE 192
Cameroun 83 (1 fille)
Rép.Centrafrique 17 (1 fille)
Congo 16
Gabon 09
Rwanda 39 (1 fille)
Tchad 28
AUTRES 9
Djibouti 01
France 03 (1 fille)
Ethiopie 02
Madagascar 01 (fille)
Rép. Démocratique du Congo 1
Burundi 1
TOTAL 738 (52 filles)

Source : Rapport Conseil d’Établissement EISMV, 2001

 

Mais, à l’instar des autres institutions de l’enseignement supérieur des pays africains, l’évolution de l’EISMV, au début des années 1990, a été caractérisée par une forte réduction des ressources financières qui ne suffisent plus pour répondre aux exigences engendrées par le fonctionnement de l’établissement et par l’augmentation brutale des effectifs. Plusieurs pays membres accumulent des arriérés de frais de scolarité qui s’élèvent au 10 juin 2001 à 1,745 milliards de Francs CFA (EISMV, 2001). Peut-on former des cadres gratuitement ou à crédit?

Pour faire face à ces défis, l’EISMV a entrepris depuis 1994, de définir de nouvelles orientations, de revoir le profil du docteur vétérinaire formé à travers une professionnalisation accrue de l’enseignement, une diversification de la formation, et un suivi de l’insertion des diplômés de manière à être en phase avec la nouvelle donne de l’emploi et du contexte socio-économique difficile. Cette réforme est contenue dans le projet d’établissement né à la suite de l’audit international de 1992. Le Projet a pour objectif principal de faire de l’Ecole un pôle régional de compétences pour la formation et la recherche en médecine vétérinaire et en productions animales tropicales.
Le plan stratégique est articulé autour de la pertinence et la qualité de l’enseignement, le financement et la coopération. Avec la décision prise en 1995 (EISMV, 1995), l’EISMV s’est vue confiée, en complémentarité de son mandat premier, qui est la formation initiale des docteurs vétérinaires, de nouvelles missions , à savoir :

o la formation continue et les recyclages des cadres, des agents et des organisations professionnelles de l’élevage;
o la formation post-universitaire avec la création d’un 3ème cycle en production animale qui a ouvert ses portes en 2 000 avec 16 cadres africains et qui est considéré par la Conférence des recteurs des Universités francophones d’Afrique et de l’Océan Indien (CRUFAOCI) comme un centre d’Excellence ;
o l’ingénierie et l’expertise, à travers la création d’un Bureau d’Etudes pour permettre à l’EISMV de mettre ses compétences au service des Etats et des Organisations Professionnelles d’Eleveurs (OPE), aux enseignants de pratiquer des activités concrètes de terrain pour une meilleure qualité de l’enseignement et une harmonisation du contenu des programmes de formations avec les problèmes réels africains, aux stagiaires diplômés de l’EISMV de disposer d’un cadre opérationnel de pratique professionnelle;
o l’Observatoire des Métiers de l’Elevage (OME) qui permet à l’Ecole d’avoir un système de réseautage avec les diplômés vétérinaires sortis de l’EISMV, avec les Organisations professionnelles d’Eleveurs (OPE), les bailleurs de fonds, destiné à mesurer l’évolution des qualifications, à favoriser l’insertion professionnelle des diplômés et à gérer des informations sur le développement des filières de productions animales dans le but – de prendre en compte la relation formation-qualification-emploi – de créer un répertoire sur les vétérinaires africains spécialisés et d’avoir les données statistiques sur l’évolution du taux d’insertion des diplômés vétérinaires dans les états membres (meilleures intégration des diplômés) afin de développer des échanges de compétences – de recueillir des données statistiques sur l’évolution du cheptel de manière à élaborer les indicateurs de production et de santé – de promouvoir les organisations Professionnelle d’Eleveurs pour renforcer leur capacités. A cet effet, l’EISMV a contribué à la création à Nouakchott en 1999, de l’Union Inter-Africaines des organisations professionnels d’Eleveur dont le siège provisoire est installé à l’EISMV;
o la recherche-développement autour de projets fédérateurs axés sur les préoccupations des états membres en matière de médecine vétérinaire et de développement durable des productions animales.

Dans la mise en oeuvre de toutes ces activités, l’Ecole a développé un important réseau de coopération internationale et de partenariat avec les chercheurs des institutions du Nord (France, Belgique, Italie, Canada), celles du Sud (Tunisie, Maroc, Burkina Faso, Bénin…), les organisations régionales et sous-régionales (CEDEAO, CILSS, UEMOA) et les partenaires au développement conformément à la décision numéro 3 du Conseil d’Administration (CA) de 1995 (EISMV, 1995), pour pallier sa faible masse critique quantitative et qualitative dans certains domaines de l’enseignement et de la recherche . Cette collaboration étroite permet à l’EISMV d’utiliser les compétences africaines présentes en Afrique ou dans les pays du Nord pour sortir de l’isolement scientifique et pour développer sa capacité scientifique et technique. Par ailleurs, l’EISMV anime plusieurs fois par an (2 à 3 fois) des rencontres, ateliers et séminaires réunissant des experts africains et étrangers ou des producteurs sur des thèmes liés à la santé, à la production animale ou à l’organisation des professionnels de l’élevage.

Elle a également bénéficié du financement de partenaires importants comme la France. Elle s’est dotée d’un cadre et de structures dont le fonctionnement est régi par des textes qui ont été adoptés par le Conseil d’administration de l’institution Parmi ces moyens mis en place, citons :

  • les instances de l’EISMV représentées par le Conseil d’Administration, le Conseil d’Établissement, le Conseil du corps enseignant et d’autres organes tels que le Conseil scientifique, le conseil pédagogique, le conseil de discipline, le comité de concertation pour ne citer que ceux là
  • l’organisation administrative et pédagogique allégée qui comporte un directeur assisté de 3 coordonnateurs, de deux chefs de départements d’enseignements (Département santé Publique et Environnement, Département sciences biologiques et productions animales) et d’un département d’appui (département de communication);
  • l’équipement et le renforcement des capacités fonctionnelles des laboratoires;
  • la création d’une commission interne de formation, de suivi et d’évaluation pédagogique des enseignants dont la promotion se fait dans le cadre du Conseil Africain et Malgache de l’Enseignement (CAMES);
  • la création d’un Bureau d’Études destiné à la réalisation des prestations de services pour garantir les apports pédagogiques indispensables à la professionnalisation de la formation;
  • le développement d’un partenariat et d’une coopération inter-universitaire avec certaines institutions du Nord, notamment en France, en Belgique, en Italie, au Canada, mais aussi avec des institutions du Sud particulièrement avec la Tunisie, le Maroc, le Burkina Faso, le Mali , le Bénin, etc. dans le but d’utiliser les compétences africaines ou d’ailleurs et aussi de sortir l’école de l’isolement scientifique et technique;
  • le développement d’une collaboration étroite avec les partenaires au développement, les institutions internationales et les organisations régionales et sous-régionales africaines tels que la Communauté Économique Des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Comité Permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS), l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) et l’OUA, conformément à la décision numéro 3 du CA de 1995;
  • l’amélioration des ressources financières provenant des contributions de solidarité des états membres, des frais de scolarités et d’inscription des étudiants , des fonds spéciaux et des fonds de recherches, des ressources propres générées par le fonctionnement des laboratoires, la formation continue et post-universitaires et les expertises.

Au résultat, le processus en cours à l’EISMV de Dakar, veut (1)- créer au sein de l’établissement une paix sociale, et avec l’extérieur un rayonnement de confiance quant à la capacité de l’institution à donner une formation de qualité et à mener des expertises ou des actions de recherches pertinentes pour le développement des ressources animales, pour la lutte contre la désertification, pour la lutte contre la pauvreté rurale et pour la sécurité alimentaire (2)- former dans le contexte local et sous-régional des docteurs vétérinaires compétents qui repartent dans leur pays d’origine pour renforcer les capacités des institutions nationales (3)- utiliser les compétences extérieures à travers un réseau d’échange inter-universitaire (maillage électronique et missions de courte durée) avec les institutions du Nord pour l’enseignement et la recherche dans le cadre de la formation des formateurs et étudiants (4)- établir une bases de données des compétences de vétérinaires diplômés de l’EISMV installés dans les pays membres ou ailleurs pour un réseautage permettant de formuler des politiques de développement de l’élevage (5)- faciliter l’insertion des diplômés dans le monde du travail et tenter de les maintenir là où ils sont pour le renforcement des capacités de développement des États. En 1996, les résultats analysés à partir d’une enquête réalisée au Sénégal et au Bénin montrent que les vétérinaires ont tous un emploi 3 ans après l’obtention de leur diplôme et seulement 0,6% ont migré à l’étranger (EISMV, 1997) (6)- créer des opportunités de formations spécialisées pour les professionnels.
Au total, l’EISMV bénéficie d’une expérience dans les programmes de développement des capacités concernant la production et santé animales et dans les programmes d’insertion et de rétention des diplômés au niveau des pays. Toutefois, cette situation financière encourageante reste cependant très fragile et ne pourra se consolider de manière durable que si les Etats assument leur responsabilité en investissant dans la formation de leurs cadres vétérinaires : leur seul devoir étant de s’acquitter de leur contribution de solidarité et des frais de scolarité de leurs étudiants respectifs. Comme aime le dire le Directeur de notre Ecole, aucune formation n’est gratuite (Kaboret, 2001).

II- Les facteurs d’influence dans la stratégie de L’EISMV

Le processus en cours à l’EISMV, caractérisé par la rénovation du contenu et la réforme de la méthode d’enseignement, la formation de diplômés « non chômeurs », l’appui aux structures ou organisations spécialisées dans les pays membres pour la rétention des cerveaux, se veut le renforcement de l’intégration régionale, l’amélioration de la pertinence et de la qualité de l’éducation, celui de la formation et recherche pour préparer les compétences africaines à non seulement résister à l’influence de la mondialisation, mais à contribuer au développement de l’Afrique marginalisée économiquement (Kaboret, 2001).

Cependant, pour garantir l’expérience en cours, qui se veut être un programme d’insertion, de rétention des cadres supérieurs africains et d’inversion de la tendance à la migration des cerveaux africains, les états membres devraient d’un côté assurer la responsabilité du financement des institutions et la mise à leur disposition de moyens matériels et humains, et de l’autre offrir aux diplômés des situations qui répondent aux aspirations profondes de ceux qui ont acquis un haut niveau de qualification. Le retour des diplômés ou des professionnels dans leurs pays, doit être encouragé et facilité par la mise en place d’un cadre de travail propice à l’épanouissement humain et de procédures bureaucratiques assouplies.

Par ailleurs, il ne faut favoriser l’envoi des étudiants ou professionnels à l’étranger que seulement dans les domaines prioritaires dont la filière de formation n’existe pas en Afrique et où les Etats souhaitent avoir des compétences qui renforcent les institutions, plutôt que de faciliter le perfectionnement d’individus qui faute d’attaches professionnelles risqueraient de ne pas revenir (Guadilla, 1996).

Un des facteurs les plus sérieux incitant les étudiants et les professionnels à quitter leurs pays d’origine réside dans la mauvaise qualité et la « pauvreté » des institutions d’éducation supérieure et des universités sur le continent. De multiples problèmes (Association des Universites Africaines, 1999 ; Banque Mondiale, 1999 ; UNESCO 1998a), du reste complexes, minent le système éducatif africain au niveau national ou sous-régional d’une part et constituent une entrave au retour des cadres d’autre part: ce sont :

– (i) le nivellement des modèles économique, politique, social et culturel des pays en développement sur des exemples et des tendances qui émanent des pays industrialisés
– (ii) le préjugé favorable de compétence et de prestige de faire appel et de payer à prix fort des experts ou des assistants techniques étrangers, généralement des pays du Nord pour des fonctions dans un environnement de travail africain
– (iii) la mauvaise performance des économies nationales, les politiques nationales déficientes, les systèmes éducatifs et structures hiérarchiques inadaptées aux réalités locales, l’ingérence politique dans les travaux des universités et des institutions, l’inertie bureaucratique et l’incapacité de l’économie nationale à répondre aux aspirations de ceux qui ont acquis un haut niveau de qualification et leur offrir des situations d’emploi en conséquence (Guadilla, 1996)
– (iv) les conflits et pays en guerre
– (v) le non respect de l’indépendance des enseignants-chercheurs
– (vi) le mandarinat qui renforce l’emploi précaire
– (vii) les situations conflictuelles et le lobbying dans les institutions
– (vii) le renforcement de la hiérarchie en situation de monopole étouffant toute concurrence.

Enfin, selon Pierre Adjété (Adjété, 1997) d’Afrique Tribune, pour éviter la fuite des intellectuels de haut niveau vers d’autres horizons plus attractif, il est surtout question de la reconnaissance des compétences africaines et de leur rémunération à leur juste valeur. Cette situation met les pays du Nord en bien meilleure posture que les pays africains pour attirer et conserver les intellectuels hautement qualifiés. Des études récentes prévoient que les pays développés vont avoir besoin d’un nombre croissant de professionnels (environ deux fois plus que n’en pourront produire leurs systèmes éducatifs). Il est par conséquent urgent que les pays d’Afrique entreprennent des reformes tendant à donner plus de responsabilité aux africains dans la définition de leur besoin de développement, au renforcement des institutions universitaires nationales et régionales (UNESCO 1998a).

III- Les perspectives africaines pour le renversement de la tendance à l’exode des compétences

La continuité du phénomène des fuites des cerveaux africains met en péril l’avenir du continent et accentue encore les disparités de niveau de développement entre l’Afrique et le reste du monde. En dépit d’une assistance technique au développement, l’Afrique continue de souffrir d’un manque de ressources humaines qualifiées. Les politiques d’ajustement structurel proposées par les institutions de Bretton Woods et les programmes de formation du capital humain entrepris par les états africains ont donné des résultats loin d’être éclatants. Les tendances montrent que, l’Afrique ne compte que 0.36% des scientifiques du monde et sa production scientifique mondiale a été de 0.3% en 1990 (ONU, 1999 ; Thalif Deen, 1999), pendant que l’Amérique du Nord en fournit 38.4%, les dépenses dans le secteur de la Recherche-Développement représentent environ 0,3% du PIB comparées à l’Amérique du nord qui en dépense 2,5% de son PIB (UNESCO, 1998b), la part des dépenses publiques consacrée à l’Education est en baisse dans plusieurs pays comme au Cameroun passant de 16% à 10.25% entre 1985 et 1995, au Burkina de 17.5% à 13% de 1990 à 1995 (UNESCO, 1997), les effectifs scolaires, particulièrement ceux dans l’Enseignement Supérieur, ont été multipliés par près de huit et les élèves sont devenus de plus en plus exigeants (Banque Mondiale, 1999), le taux de croissance de l’emploi officiel est en chute libre passant de 2.8 % dans les années 1980 à 1% au cours des années 1990, l’indice de la pauvreté s’est accru de 4 à 10 points de pourcentage selon les pays (Mkandawire et Soludo, 1999).

De plus, la dette extérieure de l’Afrique Subsaharienne a plus que doublé pour atteindre aujourd’hui plus de 200 milliards de dollars U.S soit 120% du PIB et 234% des recettes d’exportation, Afrique du Sud exclue, la croissance démographique de l’ordre de 2,9% prend le dessus sur la croissance de la production (Mkandawire et Soludo, 1999 ; PNUD, 1999).

Cependant, une analyse rapide des grandes tendances du développement en ce début du 3e millénaire, donne l’espoir que l’Afrique sera marquée par plus de démocratie avec une bonne gouvernance, par la mondialisation des économies et du développement des nouvelles technologies, par l’utilisation du savoir pour le développement grâce à des politiques favorisant l’acquisition, l’assimilation et la transmission des connaissances (Banque Mondiale, 1999). Au delà des motifs, des volontés s’expriment ouvertement au niveau des gouvernements africains pour renverser la tendance du déplacement des intellectuels. Le Sénégal qui veut promouvoir la Science dans la coopération pour le développement a initié la création d’un Technopole où pourront se croiser enseignants, chercheurs, banquiers et industriels. L’Académie des Sciences du Tiers Monde apporte sa contribution à la lutte contre la fuite des cerveaux africains en mettant à la disposition des scientifiques des pays en développement des moyens matériels adéquats et en favorisant les échanges et la collaboration entre chercheurs et entre les institutions de recherches.

La stratégie à mettre en oeuvre pour éviter la fuite des compétences africaines, favoriser leur retour ou les utiliser dans leur lieu de migration impose une conjugaison d’effort entre les gouvernements, les bailleurs de fonds, les institutions internationales, régionales et sous-régionales en charge de la migration et du développement des compétences et des capacités. Les actions concrètes consisteront à :

  • Donner la priorité aux études doctorales et post-doctorales à travers la création de centre d’Excellence où seront mis à contribution les cadres et professionnels installés à l’étranger;
  • Créer un répertoire des cadres supérieurs en migration à l’étranger;
  • Favoriser les échanges et la collaboration entre professionnels spécialisés restés aux pays et ceux en migration à l’étranger grâce à la création d’un système de réseautage utilisant les nouvelles technologies de l’information et communication (NTIC).

L’Ecole Inter-Etats des Sciences et Médecine vétérinaires (EISMV) est un Centre d’Excellence sous-régional en production et santé animales. Elle bénéficie d’une expérience dans les activités de développement des ressources humaines, dans les activités d’échange avec des personnes ressources des universités et institutions de recherche du Nord et d’Afrique, et dans l’établissement d’une base de données des compétences pour la filière production et santé animales. Elle pourra valablement contribuer au niveau régional Afrique de l’Ouest et du Centre, à la mise en oeuvre d’un programme de développement des capacités et de rétention des compétences ou de l’utilisation et la valorisation de celles, notamment dans le domaine du développement rural qui vivent à l’étranger.

Conclusion

L’Afrique est arrivée à une charnière où elle doit faire des choix cruciaux afin de prendre la responsabilité de son développement dans un monde de plus en plus interconnecté et désormais soumis à une compétition économique, politique et technologique sans merci. La fuite des cerveaux n’est qu’un symptôme d’une maladie beaucoup plus grave qui affecte le continent ; le mal développement. L’Afrique en voulant copier le système éducatif du Nord a accentué les défauts. Il est par conséquent nécessaire de recentrer la politique de formation et de recherche sur les capacités locales et les besoins réels. Les faibles moyens de l’Afrique militent en faveur du regroupement en pôle d’excellence sous-régionale dont les capacités devront être renforcées pour qu’il contribue à « fixer » dans leur pays, les intellectuels de haut niveau en favorisant des échanges et des collaborations. L’EISMV de Dakar se veut être un exemple à travers son programme de développement des compétences, de développement des capacités d’insertion et de rétention de ses diplômés dans la filière élevage.

Y. Kaboret

 

Yalacé Y. Kaboret
Ecole Inter-Etats des Sciences et Médecine Vétérinaires
Dakar

 

 

 

 

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Yalacé KABORET est professeur, docteur vétérinaire et agrégé de pathologie. Il est chef du service de pathologie médicale, anatomie pathologie et cliniques ambulantes, et chef du département communication de l’Ecole Inter-Etats des Sciences et Médecine Vétérinaires (EISMV) de Dakar. Il est enseignant de pathologie vétérinaire à l’EISMV de Dakar et enseignant visiteur de pathologie tropicale à l’Institut Vétérinaire tropical (IVT) de l’Université de Liège. Ses activités de recherche-développement antérieures concernent l’épidémiologie et l’analyse des facteurs étiologiques des maladies des animaux d’élevage (ruminants domestiques, volailles ). Ses activités en cours portent sur l’amélioration des capacités de communication et d’information des communautés pastorales pour une utilisation raisonnée des ressources pastorales disponibles. Mettant son expertise à la disposition des Etats et des Organisations nationales ou sous-régionales, il a beaucoup voyagé en Afrique et il a participé à de nombreuses Conférences et ateliers sous-régionaux ou régionaux. Au nombre de ses articles, on relèvera: « Impact des maladies animales sur la compétitivité du bétail en Afrique de l’Ouest » Rapport atelier, Abidjan du 17-18 sept. 2001; « Mondialisation et formation des cadres en Afrique » Discours de rentrée solennelle, EISMV, févier 2001; « Gestion rationnelle des espaces pastoraux et développement des cultures fourragères en Afrique » Proceeding in Workshop on « A network for the promotion of rational use of rangelangs and the development of fodder crops in the context of regional action programme to combat desertification in Africa. » Addis-Ababa (Ethiopia), 4-7 Août 1998.

Source: http://www.arts.uwa.edu.au/Motspluriels/MP2002index.html