L’accord de la dernière chance pour le Togo
Arraché, en fait, à Gilchrist Olympio, président de l’Union des Forces de Changement (UFC), sous les pressions incessantes du ghanéen Kofi Annan, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), d’Olusegun Obasanjo, président du Nigeria, et de Blaise Compaoré (président du Burkina Faso et Facilitateur en chef mais en contact permanent avec Jacques Chirac), le président français et principal soutien du régime militaire togolais qu’il ne cessait, ces derniers temps, de presser d’accepter l’inévitable changement mais en douceur, étant lui-même sous les pressions insistantes de l’Union européenne (UE), l’Accord politique global (APG), paraphé solennellement, le 20 août dernier, à Lomé, peut être considéré comme le énième accord électoral.
Mais, cette fois-ci, doublé des promesses de réformes constitutionnelles et institutionnelles par la voie parlementaire, il est souscrit au nom des Togolais comme une nouvelle tentative de résoudre l’inextricable crise de démocratisation d’un pays pris en otage par un des plus vieux régimes militaires établis sur le continent africain.
En effet, difficilement acceptable car, dans son for intérieur, le président de l’UFC savait, d’accord avec tout son état-major, qu’en la matière, il ne pouvait faire confiance aux tenants d’un régime qui ont passé tout le temps à les rouler : en fait foi le sort réservé à l’Accord-cadre de Lomé de 1999, en quelque sorte garanti par le président français Jacques Chirac, venu à Lomé, obtenir du président Gnassingbè Eyadema sa parole d’officier promettant qu’il respectera le nombre de deux mandats prescrits à tout président de la République par la Constitution de 1992 ainsi que, de son vivant, aux 22 engagements signés par le gouvernement togolais et l’UE, en 2004.
Surtout que le nouvel Accord est appelé à consacrer pour la troisième fois, après 1998 et 2003, une élection présidentielle, celle de 2005, aux résultats non seulement frauduleux mais qui fut suivie de l’écrasement par des moyens démesurés et d’une rare brutalité de la contestation qui avait suivi.
Dès lors, l’opinion togolaise est en droit de connaître les péripéties de ce Dialogue inter-togolais, entamé du 21 avril et terminé le 6 juillet 2006, en conformité avec les 22 engagements appelés à combler « le déficit démocratique », au nom duquel l’UE a coupé ses relations de coopération avec le Togo, en 1993, et poursuivi, du 8 au 18 août, à Ougadougou, sous la férule du Facilitateur, le président Blaise Compaoré, choisi d’un commun accord par les protagonistes du Dialogue.
1. AUX SOURCES DU DIALOGUE
La communauté internationale à géométrie variable a beau, au vu de la complexité des réalités politiques togolaises, se complaire des résultats frauduleux des élections législatives de 1994 et présidentielles de 1998, 2003 et 2005 !
Connues de l’opinion internationale toute entière avec des images de soldats en treillis emportant les urnes dans les bureaux de vote, les brutalités inouïes et les violations flagrantes qui ont accompagné la présidentielle de 2005, avaient terni définitivement l’image du régime militaire togolais dans le monde, même auprès de ses soutiens extérieurs : il était devenu manifestement infréquentable presque partout sur la Terre sauf, bien sûr, en Afrique et en Asie pour des gouvernants peu regardants sur les malheurs des peuples.
Tout ceci n’est pas acceptable pour les pays donneurs de leçons en démocratie et en respect des droits de l’homme, tout particulièrement la France, et cela ne fut pas fait pour amener l’Union européenne à reprendre sa coopération avec le pays.
2. DE L’ACTION PERSONNELLE DU PRESIDENT JACQUES CHIRAC
Monsieur Jacques Chirac, le président français, soutien constant du régime militaire togolais au nom des intérêts nationaux français et pour des raisons personnelles insoupçonnées, ne le sait que trop. Lui qui, durant la terrible crise consécutive à la mort de son ami personnel, le président Gnassingbè Eyadema, le 5 février 2005, avait remué ciel et terre pour maintenir les choses en l’état, au Togo.
En effet, atterré par la perspective de voir les couches populaires togolaises, excédées par quarante années de despotisme et incontrôlables par les partis de l’opposition dite démocratique, se mettre à étriper tous ceux qui, de près ou de loin, ont flirté avec le régime abhorré au risque de provoquer un nouveau Rwanda, le président français s’était décidé à en finir avec la sempiternelle crise togolaise avant son départ du palais de l’Elysée en mai 2007: contre l’avis de ses adversaires au sein de l’Union pour le majorité présidentielle (UMP), le parti au pouvoir, il fit le siège du président nord-américain George Walker Bush, du premier ministre britannique Antony Blair et de la chancelière allemand Angela Merkel pour qu’ils lui laissent le soin de la régler au mieux.
Du reste, pour les stratèges étrangers peu soucieux des droits de l’homme, la façon expéditive dont les Forces armées et de sécurité togolaises ont étouffé la contestation violente est un modèle désormais donné en exemple dans les écoles de guerre et de formation policière en matière de maintien efficace de l’ordre et de la sécurité publique.
Une fois les dirigeants des pays africains sous influence française, conseillés fermement de faire preuve de circonspection en la matière et Alpha Oumar Konaré, l’ancien président malien et président actuelle de la Commission de l’Union Africaine (UA), rappelé à l’ordre en tant que fonctionnaire international sous l’autorité des chefs d’Etat et de gouvernement en fonction, le président Olusegun Obasanjo était obligé d’avaler les couleuvres suite aux appels téléphoniques répétés du président français lui enjoignant de se garder de se mêler des affaires intérieures du pays indépendant et souverain qu’est le Togo et aux conseils avisés d’Antony Blair : après que les parlementaires nigérians, représentants et sénateurs, eurent autorisé, en février 2005, le gouvernement nigérian à user de la force pour renverser le gouvernement illégitime de Faure Gnassingbè, intronisé de force par des militaires, le 5 février 2005 au soir, puis légalisé par une Assemblée Nationale et, enfin, solennellement installé par une Cour constitutionnelle aux ordres, seules les fermes mises en garde du président Jacques Chirac, brandissant les accords de coopération militaire entre le Togo et la France et appuyées par les conseils discrets d’Antony Blair, dissuadèrent les Nigérians d’une intervention militaire hasardeuse au Togo.
Après la campagne présidentielle calamiteuse du mois d’avril et les résultats frauduleux qui l’ont clôturée, le chef de l’Etat français, principal ordonnateur de la politique africaine de son pays, assisté de Louis Michel, le volubile Commissaire européen à la Coopération et à l’Action humanitaire, plutôt conciliant avec les autorités de Lomé, usa de tout le poids de la France pour faire comprendre aux dirigeants des autres pays européens la complexité déroutante des réalités politique togolaises : l’Italien Romano Prodi, l’ancien président de la Commission de l’UE, retiré chez lui et en réserve du gouvernement, fut un des premiers convertis surtout qu’il est originaire d’un pays, l’Italie, qui abrite la Communauté San Egidio, censée, depuis 2004, rapprocher les tenants du régime militaire togolais dont la famille du général Gnassingbè Eyadema et le RPT d’une part, et le président de l’UFC et son parti, de l’autre ; après le pape Benoît XVI, il fut un des premières hautes personnalités extra-africaines à avoir reçu la visite du nouveau chef de l’Etat.
Ainsi, malgré tous les efforts faits au niveau de l’Union européenne notamment par les Allemands et les Autrichiens pour suggérer une solution conforme aux principes démocratiques universellement reconnus mais manifestement peu favorables aux tenants du régime militaire en place, le locataire du palais de l’Elysée a maintenu ses positions, n’entendant pas faire perdre la face aux gouvernants togolais.
La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), appelée, sous la présidence du Nigérien Mamadou Tandja, à monopoliser le dossier togolais au nom du principe de la compétence sous-régionale d’abord, permit d’en écarter l’Union Africaine et même l’ONU : avec la bienveillance plutôt manifeste de son secrétaire général Kofi Annan, cette dernière n’étant que toute heureuse de ne pas se mêler d’un dossier que John Kuffuor, le président du Ghana, grand ami, voire obligé du père de nouveau chef de l’Etat togolais, trouvait très délicat.
Sans entrer dans les détails des voyages discrets entre Lomé et Paris et des conciliabules et rencontres secrets à plusieurs niveaux entre gouvernants togolais et émissaires du chef du palais de l’Elysée, assistés par les meilleurs spécialistes civils et militaires français des questions togolaises, entre gouvernants togolais et certains de leurs collègues en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, entre des chefs de l’Opposition dite démocratique et des dirigeants de l’Afrique occidentale et centrale, entre les gouvernants togolais et les dirigeants de l’Opposition jugés responsables voire compréhensifs, il revient au président Jacques Chirac, convaincu que le Togo est un volcan qu’il n’est pas question de laisser se réveiller mais éteindre intelligemment avant son éruption, d’avoir pris sur lui la responsabilité de travailler d’arrache-pied et patiemment pour arriver à un nouvel accord politique au Togo.
3. DES DISPOSITIONS FAVORABLES DE PART ET D’AUTRE
La relance, le 21 avril dernier, du Dialogue qui avait en fait commencé en novembre 2004 de façon dilatoire sous feu le président Gnassingbè Eyadema, n’a pas pu se faire sans que les dirigeants de l’Opposition dite traditionnelle voire radicale ne fussent intellectuellement préparés à cet effet.
De plus, des opérations de charme furent lancées en direction des certains de ses responsables, vieillis sous le harnais, et prêts à tout pour satisfaire, peut-être à juste titre, avant qu’il ne soit tard, leurs ambitions personnelles légitimes de promotion sociale.
A ce titre, il suffit de brandir devant eux l’opportunité qu’à défaut de la présidence de la République, solidement occupée à la pointe des baïonnettes, le poste de premier ministre échouerait à l’un des leurs pour que la compréhension fût.
Le premier à mordre à l’appât fut Maître Yawovi Agboyibo, le chef du Comité d’action pour le renouveau (CAR) : tendu avec le concours efficace de El Hadj Omar Bongo Odimba, le président du Gabon, retors et spécialiste du retournement des caractères les plus trempés, l’appât accrocha le président du CAR qui ne cessait de ruminer son amertume pour avoir raté de près, en mai-juin 2005, le poste de premier ministre, au grand dam de ses partisans qui en avaient assez de continuer à tirer le diable par le queue.
La Convention démocratique des peuples africains (CDPA) dont les dirigeants ne cessaient d’ânonner qu’il est temps de cesser de laisser le régime gouverner seul le pays à sa guise, était, elle-aussi, préparée à aller au Dialogue en vue, en fin de compte, de participer à la gestion gouvernementale pour, semble-t-il, limiter les dégâts mais aussi, quoi de normal, pour qu’ils cessent de tirer le singe par la langue.
Par contre, au sein de l’UFC, les avis étaient partagés : quoique tous les dirigeants soient convaincus que les tenants du régime en place ne sont pas disposés à un changement allant dans le sens de la promotion du développement, de la démocratie et d’une répartition équitable des revenus nationaux entre tous les enfants du Togo, certains d’entre eux faisaient le même raisonnement que les responsables de la CDPA ; d’autres avaient même déjà baissé les bras attendant que le Dialogue débouche, enfin, sur un compromis acceptable afin qu’ils soufflent un peu. Toutefois, tous étaient tenus à l’œil par une base exceptionnellement exigeante et toujours prête à en découdre avec un régime dont elle n’est pas prête à pardonner la férocité et la cruauté.
Du côté du régime même, l’évolution vers le changement n’était pas de mise. Le socle militaire reste ferme : du moment que le rapport de forces reste pour le moment en faveur des porteurs des baïonnettes, autant se maintenir au pouvoir et continuer de s’en servir en vue de préserver l’Etat patrimonial et l’accaparement de la grande partie des revenus nationaux ; mais, pour les jeunes officiers et les soldats du rang, le temps est venu pour que les anciens, suffisamment enrichis, passent la main.
Du côté des civils, au Rassemblement du peuple togolais (RPT), le raisonnement est le même : si changement il y a, il doit se faire dans la continuité et, là aussi, les jeunes loups tentent de bousculer les anciens souhaitant qu’ils leur cèdent la place pour qu’ils puissent, eux-aussi, faire rapidement fortune.
Le chef de l’Etat se sachant mal élu et non aimé de la population, cherchait manifestement à consolider son pouvoir par une ouverture, se retrouvait tiraillé de tous les côtés par des forces hostiles à une évolution considérée comme le début de la fin du régime avec tous les privilèges qui lui sont attachés.
Enfin, les responsables des partis de l’Opposition dite constructive ou modérée qui ont rejoint le régime ont tout à gagner à ce que leurs anciens compagnons de route des autres formations politiques de l’opposition traditionnelle leur emboîtent le pas à condition qu’ils ne soient pas les perdants de l’accord à conclure : le premier ministre qui se sait lui-aussi mal aimé voire rejeté par l’opinion se démenait, de son côté, pour faire pencher la balance du côté de l’ouverture tout en cherchant à sauver sa place, même s’il n’était pas attentivement écouté dans le sérail présidentiel.
Ainsi, avec des intentions cachées, arrière-pensées et des pensées-arrière des ses participants, triés sur le volet, que sont le gouvernement, le RPT, les cinq partis de l’Opposition traditionnelle (CAR, CDPA, CPP, PDR, et UFC), selon les termes consacrés par les 22 engagements conclus avec l’UE et les deux organisations féminines de la société civile (GF2D et REFAMP/T), le Dialogue inter-togolais put redémarrer, le 21 avril, et se terminer, le 6 juillet, à Lomé, avec un projet d’Accord politique global (APG) non signé par la CDPA et l’UFC.
4. A LOME DU 21 AVRIL AU 6 JUILLET 2006
En un peu plus de deux semaines, l’essentiel en matière de négociation pour la conclusion d’un accord plus électoral que politique fut terminé. Et il ne restait plus aux participants qu’à approuver les propositions arrêtées par le directoire du Dialogue.
Le refus de la CDPA et de l’UFC de le faire obligeait le président du directoire du Dialogue à se résigner à demander à tous les participants de faire des remarques appropriées et, en séance plénière, le 6 juillet, la décision fut prise de recourir à un facilitateur.
Dans la réalité, les divergences, profondes, portaient sur la composition et les compétences de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et le mode de prise de décision en son sein, le rôle de la Cour constitutionnelle notamment en matière de contentieux électoral, les conditions d’éligibilité particulièrement la nationalité et le temps de résidence sur le territoire national requis pour les candidats aux élections législatives et au scrutin présidentiel, le mode de scrutin, le sort de la Cour constitutionnelle, la réforme de l’armée, la question des droits de l’homme et de l’impunité et, enfin, le problème du garant de l’Accord, à qui les signataires doivent faire recours au cas de non-respect ou de violation des engagements souscrits.
La CDPA et l’UFC ont tenu qu’au stade où en était le Dialogue, le recours à un facilitateur était indispensable pour peaufiner le projet d’Accord politique global proposé pour la raison très importante que, forts des leçons du passé, les dirigeants des deux partis doutaient de la sincérité des gouvernants togolais et surtout de la bonne foi de leurs commanditaires des Forces armées et de sécurité : seules à refuser de signer l’APG tel que le président du directoire du Dialogue l’avait proposé, ils entendaient d’une personnalité étrangère de grande envergure qu’elle serve, en définitive, de caution pour l’application stricte du nouvel Accord.
Mais, lorsqu’il s’agit d’indiquer, impérativement, avant le 21 juillet à 17 Heures locales, les noms des éventuels facilitateurs, il y eut un nombre total de onze personnalités indiquées et présentées, en plus des deux partis demandeurs, par des parties déjà signataires de l’Accord.
Blaise Compaoré, prétorien de son état et président du Burkina Faso, contacté bien longtemps et discrètement par des gouvernants français et togolais voire la CDPA, mais officiellement proposé par cette dernière et pêché comme l’oiseau rare chargé de piloter la nouvelle facilitation en vue de tenter une nouvelle fois d’aider les Togolais à résoudre leur exténuante crise politique, se voit remettre par le président du directoire du Dialogue, lors d’une mission à Ouagadougou, au Burkina Faso, le 26 juillet, le projet d’Accord politique global ainsi que les points de désaccords présentés par le CAR, La CDPA, Le GF2D, le PDR, le RPT et l’UFC.
5. DES PREPARATIFS DE LA FACILITATION
Mais, avant l’ouverture officielle de la facilitation le 7 août, la préparation du terrain fut des plus minutieuses.
En plus des observateurs de la CEDEAO et de l’UE qui suivaient attentivement les travaux du Dialogue, M. Djibril Bassolé, ministre burkinabé, chargé de la Sécurité y était également comme représentant personnel de son président : une présence qui n’a pas manqué d’intriguer bien des observateurs mais qui prouvait que le chef de l’Etat burkinabé était assuré à l’avance d’être le prochain Facilitateur.
Du reste, selon nos informations, bien apprécié au palais de l’Elysée, le futur Facilitateur, durant sa visite de travail, en France, début juin 2006, discuta de long en large de la crise togolaise avec Jacques Chirac, son homologue français. Ce dernier n’avait pas manqué de lui donner des indications et de l’assurer que la France et lui-même personnellement se tiennent à ses côtés pour faire fléchir les gouvernants togolais.
C’est fort de ce soutien ferme du palais de l’Elysée que le président Blaise Compaoré consultait les protagonistes de la crise politique togolaise bien avant d’être désigné comme le Facilitateur.
Au moment de la tenue du Dialogue à Lomé et où les délégués de la CDPA et de l’UFC posaient le problème de la nécessité d’un facilitateur, le gouvernement, le RPT et le président du directoire du Dialogue, tout en jugeant cette revendication pour l’heure inopportune, s’abouchaient déjà avec le futur facilitateur burkinabé.
Le premier ministre en la personne de Kodjo Edem fit le déplacement de Ouagadougou pour rencontrer en « grand frère », le « petit frère » Blaise.
Les caciques du RPT qui ne doutaient pas que le chef de l’Etat burkinabé avait toutes les chances d’être choisi comme facilitateur et en étaient hautement heureux, n’ont hésité, eux-aussi, à aller à Ouagadougou pour sonder les dispositions et intentions de l’intéressé.
Les dirigeants de la CDPA, habitués du palais de la Présidence à Ouagadougou, n’avaient pas à faire le déplacement : leurs positions y sont connues ainsi que les ambitions de leur chef de file.
Par contre, les dirigeants de l’UFC étant plutôt très méfiants à l’endroit du président burkinabé Blaise Compaoré, Gilchrist Olympio son chef charismatique se rendit en personne, en avril, à Ouagadougou pour signifier à ce dernier qu’il était trop occupé comme chef d’Etat pour faire le Facilitateur indiqué qui, à ses yeux, devrait être disponible à tous les instants, avant de le rencontrer de nouveau, le 5 juin 2005, à Paris, sur invitation expresse du futur Facilitateur alors en visite en France et à Bruxelles en vue de s’informer de plus près des intentions des Français et de l’Union européenne; pour répondre à l’invitation de l’hôte du président Jacques Chirac, le chef historique de l’opposition togolaise dut se résigner à ne conduire la délégation de l’UFC, appelée à aller rencontrer, à Bruxelles, ce même jour, le Commissaire européen Louis Michel. Du reste, le 27 juillet, le lendemain de la remise du projet d’APG au Facilitateur officiellement désigné, une délégation de deux membres de l’UFC se rendit à Ouagadougou pour informer de vive voix ce dernier de la position de leur parti et des points de désaccords.
6. DE LA FACILITATION EN MARCHE
Le projet d’Accord politique global ainsi que la liste des points de désaccords entre ses mains, le Facilitateur mit au travail son équipe composée notamment de Yusuf Ouedraogo, ministre d’Etat et ministre des Affaires étrangères, Djibril Bassolé, ministre de la Sécurité et son représentant personnel et observateur au Dialogue, Jean de Dieu Sonda, ministre de la Coopération régionale et de l’Intégration africaine et Monsieur Sow Lamine, son conseiller spécial : le dossier fut épluché minutieusement et dans tous les détails avec l’assistance des spécialistes de tous bords : à ce sujet, il faut noter que beaucoup de ces Burkinabé connaissaient bien le Togo pour avoir fait leurs études supérieures à l’Université du Bénin, à Lomé, et retrouvèrent même certains de leurs professeurs ou collègues d’université dans les délégations togolaises.
Du 7 août 2006, date de lancement officiel de la facilitation, au 14 août, se tint un véritable marathon des consultations des délégations séparément par le Facilitateur.
Le jour même du lancement furent reçues, à tour de rôle, les délégations du CAR, du PDR, du REFAMP/T, le lendemain 8 août, celles de la CDPA, du GF2D, de la CPP et du RPT, et, le 11 août, celle de l’UFC sans Monsieur Gilchrist Olympio, arrivé le 11 au soir de Paris et reçut en tête à tête, le lendemain 12, par le Facilitateur : celui-ci s’enquit de ses dispositions devant le choix de sa personne et s’assura de sa position personnelle par rapport au projet d’APG et des points de désaccords qui sont totalement identiques, aux dires du président de l’UFC, à la position de la délégation du parti qu’il avait reçue la veille; mais le chef historique de l’opposition togolaise rassura le Facilitateur que la position de son parti est susceptible d’évoluer vers son acceptation à condition que les points de désaccords soient surmontés et que le Facilitateur s’engage à garantir personnellement le respect par tous des engagements souscrits et de leur application scrupuleuse.
Le dimanche 13, les discussions étaient suffisamment avancées pour que le président burkinabé décide de recevoir des délégations des chefs traditionnels et religieux du Togo, convoyés par avion spécial mis à leur disposition par le gouvernement le même jour : ces derniers ne purent que féliciter le Facilitateur des responsabilités qu’il assumait et lui souhaiter beaucoup de persévérance pour arriver à aider le Togo à en finir avec la crise.
Après avoir entendu les uns et les autres, le Facilitateur en chef reçoit, le 15 août, Faure Gnassingbè, le chef de l’Etat togolais, puis, le 16 août, Edem Kodjo, le premier ministre togolais, il put alors réunir, en plénière, toutes les délégations participantes au Dialogue et leur remettre pour examen avec l’assistance du ministre Yusuf Ouedraogo son projet de nouvel Accord politique global finalisé avant de s’envoler pour Libreville, au Gabon, assister aux festivités du quarante-sixième anniversaire de l’indépendance du pays : en présence du chef de l’Etat togolais, il informa les autres présidents présents du bon déroulement de la facilitation notamment le président Denis Sassou Nguesso, du Congo/Brazzaville et président en exercice de l’Union Africaine et El hadj Omar Bongo Odimba, le doyen des chefs d’Etat africains.
A son retour, le 17, les discussions se poursuivirent d’arrache-pied jusqu’au 18 avec, entre autres, des blocages sur la composition de la CENI et le mode de prise de décision en son sein, les conditions d’éligibilité aux législatives et à la présidentielle, le garant de l’Accord voire le cas de la Cour constitutionnelle : selon des informations confidentielles, distillées parvenues à la presse burkinabé, les solutions arrêtées à la dernière minute par le Facilitateur furent négociées discrètement, tard la nuit du 18 août, avec seulement les membres des délégations de l’UFC et du RPT au grand dam des délégations des autres partis qui en prirent ombrage.
L’Accord politique global, enfin prêt, fut signé en plénière, puis, bras dessus et bras dessous, toutes les délégations ainsi que leurs hôtes burkinabé se rendirent à la réception offerte par le Facilitateur en chef. Puis, rendez-vous fut pris pour le paraphe solennel, le dimanche 20 août à Lomé.
7. UNE CEREMONIE DE PARAPHE BIEN BIZARRE
Annoncée à grand battage médiatique sur les media d’Etat, la signature de l’Accord politique global fut sablée au champagne par les gouvernants. Ils pouvaient se réjouir d’avoir obtenu la reconnaissance du chef de l’Etat comme président de la République et aussi d’avoir imposé une approche graduelle et progressive du changement, suspendue, d’ailleurs, au respect d’un accord électoral.
Pour l’opinion togolaise générale quelque peu soulagée mais dubitative, le sort généralement réservé aux accords électoraux dans le pays suscite des réserves et la majorité des Togolais préfèrent attendre pour voir.
Ils attendaient aussi que d’autres chefs d’Etat de la sous-région, voire des pays limitrophes du Bénin et du Ghana et le Nigeria et le Niger dont l’arrivée semblait acquise, viennent de leur présence à la cérémonie solennelle de paraphe, cautionner l’Accord politique global, arraché par leur homologue burkinabé Blaise Compaoré : leur absence, motivée selon des indiscrétions parvenues à la presse par des considérations ayant trait à leur prudence face à l’extrême volatilité de la question togolaise, au rôle prépondérant mais équivoque joué discrètement par la France et, last but not the least, pour des raisons de rivalités entre chefs d’Etat, semble manifestement démontrer que le peuple togolais est encore loin d’être du bout du tunnel des ses malheurs.
Mais, à défaut de perdre le pouvoir d’Etat avec le risque de se faire étriper par une population aux yeux rouges de revanche et de vengeance, il faut que les gouvernants togolais sachent le partager pour éviter la catastrophe qui, généralement, emporte tout sur son passage : le peuple est tenu durant les quatorze prochains mois de tenir souffle en espérant des tenants du despotisme de le laisser saisir la dernière chance à lui offerte par l’APG de s’engager sans détour dans la voie du progrès politique et de la construction d’une société industrielle, moderne et prospère dans l’intérêt de tous ses enfants sans discrimination aucune.
ANNEXE n. 1
AMENER LES DURS DU RÉGIME MILITAIRE TOGOLAIS A JOUER LE JEU DU CHANGEMENT GRADUEL
Tel qu’il se présente, l’accord électoral conclu sous l’appellation d’Accord politique global par la quasi-totalité de la classe togolaise doit être jugé à l’aune de la capacité des parties signataires à respecter l’engagement pris « de créer les conditions qui garantiront des élections libres, ouvertes et transparentes ».
Comme, aux yeux de tout observateur averti des réalités togolaises et du Togolais tant soi peu clairvoyant, le régime militaire en place au Togo depuis quatre décennies ne peut organiser des élections générales, libres, équitables et transparentes et les gagner, la question se pose de savoir si, cette fois-ci, il est disposé, sans perdre le pouvoir, d’accepter au moins de le partager pour que le changement tant souhaité par le peuple togolais se fasse graduellement et sans violences.
Bien sûr que, désireux de le conserver de force avec tous les avantages subséquents, les tenants du régime despotique n’avaient daigné respecter l’Accord-cadre de Lomé de 1999, appelé à régler le contentieux de la présidentielle de 1998 et, jusqu’à la disparition du président Gnassingbé Eyadéma, ils firent le dilatoire pour ne pas appliquer pleinement les Vingt-deux engagements souscrits entre le gouvernement togolais et l’Union Européenne (UE), le 14 avril 2004, en vue de régler le nouveau contentieux né de la présidentielle de 2003.
On peut penser que sous la pression d’une opinion internationale scandalisée par les tueries qui ont émaillé le processus de l’élection présidentielle du 24 avril 2005 et les tient désormais à l’œil sous la vigilance de la Cour Pénale Internationale (CPI) et conseillés par les forces et puissances étrangères dominatrices qui tirent les ficelles de la politique togolaise, ils ont décidé d’amorcer le tournant d’un changement en douceur en profitant des dispositions favorables de certains chefs de l’opposition fatigués par des années de lutte et, enfin, convaincus qu’ils n’ont pas le moyen de venir à bout d’un vieux régime militaire solidement enraciné dans le pays avec l’appui constant et les soutiens multiformes insoupçonnés de l’étranger dominateur et conquérant.
Toutefois, il n’est que normal de se demander si les chefs du régime militaire qui, en réalité, continue par le RPT interposé, de gouverner le Togo, ont fait leur aggiornamento pour s’adapter au changement démocratique vivement souhaité par le peuple togolais dans une monde en pleine évolution et pour saisir résolument la chance qui s’offre à tous les Togolais y compris eux-mêmes, de s’engager de manière graduelle dans la voie des réformes progressistes.
Que beaucoup des suppôts du régime, manifestement accrochés à leurs privilèges et rentes de situation, brandissent l’argument de « bradage des acquis du président Gnassingbé Eyadema » pour tenter d’empêcher le nouveau cours de s’enclencher, cela se conçoit aisément.
Et, il faut s’attendre que le chemin menant aux prochaines élections législatives soit un dur et rude parcours du combattant, semé de d’écueils de toutes sortes et de combats d’arrière-garde.
Après la signature de l’Accord politique global, il tout aussi normal que l’opinion togolaise reste dans l’expectative : comme Saint Thomas du Nouveau Testament, elle attend pour voir.
L’appui officiel que les Forces armées togolaises (FAT), par la voie du chef d’état-major général (voir aussi l’annexe 1), a donné, le 28 août, dernier, à l’Accord politique global, en félicitant le président de la République, chef de l’Etat, pour avoir œuvré à sa conclusion est un bon signe.
Le faire en oubliant que l’APG n’est pas un don du président de la République au peuple togolais mais plutôt le fruit de négociations ardues dont le mérite revient aussi bien au président, au gouvernement, au RPT et aux dirigeants de l’opposition, montre bien évidemment que les chefs militaires togolais n’ont pas réellement compris le sens du nouveau cours politique : il exige des forces armées et de sécurité, tenues, mises dans les meilleures conditions de travail, à elles, créées par un gouvernement civil librement et démocratiquement élu, pour assurer la défense et la sécurité du pays, qu’elles libèrent le pouvoir d’Etat qu’elles ont confisqué depuis des lustres et qu’elles se gardent désormais de se mêler de la politique. Celle est réservé à des citoyens tous égaux en droits et en devoirs y compris d’anciens militaires mais excepté des prétoriens en exercice et disposant des armes de la force et de la force des armes.
Ainsi, comme l’a si bien dit le Facilitateur, le président Blaise Compaoré, du Burkina Faso, le succès de la démarche suggérée exige une vaste campagne d’explication de la part des élites dirigeantes togolaises, conscientes, clairvoyantes et responsables en direction de toutes les ethnies, classes et couches sociales ainsi que les catégories socioprofessionnelles du pays tout entier : le processus de changement qui s’opérera dans le cadre de la prochaine Assemblée Nationale pluraliste ira dans l’intérêt du peuple togolais tout entier sans distinction aucune; il se fera sans règlement de compte ni chasse au sorcières, sans vengeance ni revanche; il doit se réaliser sous l’égide du noble objet de la politique qui commande d’assurer le développement et la prospérité du pays et d’y réduire les inégalités entre tous les citoyens dans la liberté et la justice et non, comme cela est souvent le cas, jusqu’à ce jour, de se presser, à l’ombre des forces et puissances étrangères dominatrices et conquérantes, rien qu’à assouvir ses seules et uniques ambitions personnelles si légitimes soient-elles au détriment de la promotion des ambitions collectives du peuple laissé à l’abandon.
A défaut que la totalité des chefs du régime militaire soient déjà convertis au nouveau cours politique proposé, qu’elle le soit vite pour que le Togo ne rate pas de la chance qui lui est aujourd’hui offerte de sortir de la crise sans violence.
Il revient également aux partis de l’Opposition vraie et crédible ayant la confiance de la majorité du peuple togolais, toujours fidèle au nationalisme salvateur, de s’atteler dès à présent à la formation politique de leurs militants et à la conscientisation de leurs sympathisants et des populations pour éviter qu’ils répondent par des actes irréfléchis, à des provocations susceptibles d’être montées de toutes parts pour torpiller l’application de l’Accord politique global.
Heureusement que la communauté internationale et surtout l’opinion internationale veillent avec des « yeux poursuivant le crime » comme l’œil de Dieu poursuivant Caïn après avoir assassiné son frère Abel, que sont le nouveau Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le Haut-commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme, les organisations internationales de promotion et de défense des droits de l’homme et la Cour pénale international (CPI) sont là pour veiller à ce que le peuple togolais puissent vivre sous le soleil de la liberté et connaître la prospérité à laquelle il a droit au vu de sa légendaire ardeur au travail bien fait.
Atsutsè Kokouvi AGBOBLI,
ancien chef de la Division des Affaires politiques générales, de la Défense et de la Sécurité au secrétariat général de l’OUA.