LES DOSSIERS

Dialogue-facilitation au Togo

Arrangement politique partiel et réductionnisme démocratique

Le 12e dialogue inter-togolais, ouvert le 21 avril 2006 à Lomé a essuyé un sérieux blocage car aucun des véritables sujets sensibles n’ont trouvé de solutions. Il s’agit entre autres de nouvelles élections présidentielles à deux tours, de la réforme de la constitution et des institutions, de la représentation et du vote de la Diaspora et surtout de la refonte du mandat des forces armées togolaises, anti-chambre du pouvoir. Pour sortir d’une crise qui perdure depuis plus de 16 ans, les protagonistes du 12e dialogue ont alors unanimement accepté comme solution intérimaire pour relancer un débat franc, la désignation d’un facilitateur africain et la poursuite d’un 13e dialogue à Ouagadougou entre le 7 et 19 août 2006.

Nul ne doit pourtant être dupe de la technique consistant d’une part, pour le pouvoir de faire sur papier d’énormes concessions pour obtenir une avancée sur d’autres sujets d’intérêt national et d’autre part, de renoncer graduellement à mettre en œuvre des engagements acceptés parfois dans une atmosphère parfois secrète, souvent conviviale. Cette technique a été utilisée dans ce dialogue-facilitation pour obtenir la levée de l’embargo de l’Union européenne et par ricochet, le dégel des activités avec les principaux bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux. L’opposition, avec tous ses courants, membres ou non-membres de la mouvance présidentielle, ne pouvait s’y opposer compte tenu des possibilités de perdre définitivement les fonds « réservés » pour le Togo depuis parfois 1994. Il faut pourtant s’interroger sur les arbitrages qui vont se faire et si la qualité de la gouvernance actuelle est une garantie que les fonds profiteront à l’ensemble de la population togolaise. Il convient donc de relever le défi et de suivre, avec beaucoup de vigilance, la capacité du gouvernement à respecter ses engagements ou à les trahir à des fins de blocage de l’alternance politique et pacifique au Togo. Au lieu d’une refondation démocratique, et sur la base d’un arrangement politique partiel, le Togo vient d’inaugurer une nouvelle catégorie dans la démocratie à l’africaine : le réductionnisme démocratique.

1. « Accord politique global » ou arrangement pour « solde de tout compte »

Le 13e dialogue inter-togolais qui a démarré le 8 août 2006 à Ouagadougou sous l’égide du Président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, doit nécessairement être revisité à l’aune des principes démocratiques. Il ne faut pas oublier que le choix du facilitateur s’est fait pour beaucoup par défaut, pour certains par dépit, pour d’autres enfin parce que les pressions extérieures, africaines et européennes se faisaient de plus en plus pressantes. S’il faut se réjouir que tous les protagonistes ont accepté à l’unanimité de porter la négociation devant le Président du pays des hommes et femmes intègres, il faut se rendre à l’évidence que les difficultés de communication avec l’extérieur de certaines délégations présentes à Ouagadougou, la distillation de l’information à certains médias politiquement corrects qui versent rapidement dans un optimisme béat, le départ de Gilchrist Olympio après son audition qui a préféré suivre les débats de loin, évitant au passage de manger sur place, sont des signes avant-coureurs de la difficulté à vouloir faire du réductionnisme démocratique au lieu de jouer clairement le jeu de la transparence et de la démocratie.

En effet, le fond du problème sur lequel l’autocensure étend ses ailes envahissantes avec beaucoup de jalousie, reste l’usurpation des résultats des élections présidentielles d’avril 2005 et les répressions dans le sang de la population qui s’en sont suivies. Malgré des protestations formelles, celles-ci ont été de fait « cautionnées par défaut » par une communauté internationale qui dit sous-traiter ses décisions à la Communauté économique de développement des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), elle-même aux ordres des Présidents de la sous-région, eux-mêmes s’assurant de ne pas faire obstruction aux alliances secrètes entre Pairs, ce qui a permis de neutraliser la commission de l’Union africaine lorsqu’elle s’est proposée, conformément à ses statuts et en toute transparence, de rappeler les principes les plus élémentaires en démocratie. Plus grave, c’est que tout cet échafaudage politique fait fi tout simplement de la volonté du peuple togolais y compris ceux de la Diaspora en s’arrogeant le droit de décider à leur place sans les associer. Dans ces conditions, il faut être adepte d’une forme perverse de la foi qu’est la crédulité qui consiste, pour beaucoup de Togolais d’ici et d’ailleurs, de croire à une solution facile dont les termes seront respectés par ceux qui organisent des dialogues pour mieux perdurer au pouvoir tout en laissant l’armée en embuscade, bloquant ainsi les nouvelles initiatives, les nouvelles personnalités et les nouvelles idées pour une refondation démocratique du Togo.

A ce propos, même le titre du document à la signature n’est pas neutre. En effet, un « accord politique global » est un euphémisme pour un arrangement d’un « solde de tout compte ». Dans le solde de tout compte, il est question :

  • d’oublier le rôle d’une partie de l’armée sur l’usurpation des résultats des dernières élections présidentielles (annonces unilatérales par les forces armées togolaises de la victoire de leur candidat ; le Togo fait voter ses militaires avant le peuple…),
  • de faire preuve d’amnésie sur la répression de la population avec pour conséquences des morts, des blessés et des réfugiés laissés-pour-compte, et
  • d’empêcher par tous les moyens la tenue d’élections présidentielles.

Heureusement, une partie sensée de la communauté internationale a refusé d’avaliser cet état de fait, mais n’arrive pas à obtenir un consensus au sein de l’Union européenne (UE) sur le Togo justement parce qu’un des pays-membres de l’UE, et non des moindres, tient absolument à respecter uniquement les formes de la démocratie et non l’esprit. Le solde de tout compte permet de transformer tout le combat des organisations de la société civile sur les respect des droits humains et des réfugiés togolais en un accord global sur l’impunité où il faut oublier de poursuivre ceux qui, par lâcheté, refusent de rendre des comptes tant à la population par le vote sécurisé et transparent qu’aux autorités judiciaires. Les difficultés grandissantes pour expliquer l’utilisation effective des recettes de l’État, des fonds obtenus de la communauté internationale, ou encore les recettes du football auraient dû convaincre de véritables démocrates à la démission sans fanfares, ni vengeance. Il n’est jamais trop tard…

2. De la démocratie formelle à la démocratie de la convivialité

Ainsi, ceux qui dirigent sans partage et en catimini le Togo depuis 1963, ont réussi à tromper la communauté internationale et n’apparaissent que rarement sur le devant de la scène togolaise afin d’organiser, en toute non-transparence, une nouvelle forme de gouvernance de l’Etat basée sur la démocratie formelle. Ceci est possible grâce à l’appui de personnalités souvent non grata en France, mais spécialisées en droit constitutionnel, en influence auprès de l’Union européenne et surtout dans le commerce des armes de répression de la population, et des appuis politiques divers. Cette nouvelle gouvernance, qui favorise la défaillance de l’État, consiste à travestir les textes fondamentaux du pays, les institutions, le droit, les personnes en manipulant un parlement monocolore dont les membres ne peuvent souvent survivre que grâce à l’autocensure. C’est ainsi que la constitution de 1992 acceptée par référendum par la population a été violée légalement à plusieurs reprises sous forme d’amendements unilatéralement décidés par la partie de l’armée non républicaine qui contrôle le pays et qui d’ailleurs a placé l’actuel Président au sommet de l’État. Il n’est nullement question pour le moment de démissionner pour corriger le tir.

Alors, il ne reste que des élections transparentes et sécurisées pour refonder le Togo avec la vérité et en finir avec la fraude et l’usurpation du pouvoir. Les partis de l’alternance ne demandent qu’à revenir à une démocratie réelle pour le Togo, ce que refusent obstinément le parti au pouvoir et les forces armées togolaises. Mais ces partis restent divisés et se refusent à aller chercher un consensus avec une nouvelle génération de talents et d’expertises togolaises au Togo comme dans la Diaspora. Pour le pouvoir en place, il est question de neutraliser ou d’asservir cette nouvelle force montante, disposant de réseaux nouveaux et, pour les principaux partis d’opposition, il est question de venir y piocher quelques idées innovatrices de manière ad hoc. Tout ceci relève quelque part de l’amateurisme politique, ce qui a conduit à un ralentissement dans le processus de refondation démocratique du Togo.

Dès lors, l’astuce pour mieux conserver le pouvoir au Togo, avec la bénédiction d’un pays de l’Union européenne gardienne de la démocratie formelle en Afrique, consiste à accepter d’ouvrir un dialogue pour discuter de tous les sujets sensibles. Dans les faits, il est question de réussir le tour de force de réduire tous les sujets fondateurs d’une démocratie et une confiance retrouvée à un seul : le choix d’un Premier ministre consensuel et d’une équipe où la diaspora retrouvera son droit, soit un sixième des postes. C’est ce changement effectif dans un délai raisonnable qui permettra de croire à un « changement » véritable. Mais il semble pour le moment que l’un des premiers écueils du dit « accord » consiste justement à revenir sur l’esprit et le contenu en ne procédant pas un changement rapide du gouvernement et surtout en ne partageant pas une feuille de route précise avec des dates butoirs avec la population togolaise.

Une autre astuce permettant de ralentir la refondation démocratique du Togo consiste à prouver aux Togolais et à la communauté internationale qu’il y a une opposition radicale qui ne veut pas du dialogue… Après 12 « rounds » de dialogues sans succès, les principaux partis qui souhaitent une réelle alternance, notamment l’UFC de Gilchrist Olympio et le CDPA de Léopold Gnininvi sans oublier malgré tout certains partis de l’opposition qui ont choisi de se joindre à la mouvance présidentielle, ont fini par comprendre le piège. Sous la pression de la commission de l’Union européenne et de certains pays européens intéressés, ils ont choisi de laisser le dialogue-facilitation avoir lieu en acceptant un facilitateur extérieur ayant fait l’unanimité, malgré des résultats moins probants lors des dialogues précédents de la crise togolaise. Cette fois-ci, ce fut le bon !

D’autres partis d’opposition dits plus modérés et des personnalités indépendantes tentent tant bien que mal d’essayer de se frayer une troisième voie sans être cannibalisés par le parti au pouvoir. La réalité est que de compromis en « compromissions alimentaires », certains se sont laissés piégés par le pouvoir qui a un urgent besoin d’élargir sa base et ses alliances. Aujourd’hui, il est question d’aller vers une forme de rassemblement élargi prenant la forme d’une démocratie de la convivialité comme au Gabon où grâce à la manne pétrolière et l’appui extérieur, il est difficile de soutenir une quelconque unité durable de l’opposition. Pourtant, lorsque le Facilitateur va rendre compte directement au doyen des chefs d’État africains de la zone francophone, le Président du Gabon, et non pas au Président en exercice de l’Union africaine, c’est bien de cette démocratie de la convivialité qu’il est question de structurer. Hélas, la plupart des capacités productives du Togo sont contrôlées par la même famille qui rencontre d’énormes difficultés à procéder à des distributions en dehors du cercle familial et de ceux qui lui ont fait allégeance. Il n’empêche que certains, proches du pouvoir, voient dans ce dialogue-facilitation, les possibilités d’un changement-surprise et préfèrent se rapprocher de quelques chefs d’État et des Généraux de la sous-région pour obtenir des garanties sur un futur droit d’asile, on ne sait jamais.

3. Réductionnisme démocratique

Aussi, le réductionnisme démocratique au Togo consiste donc :

1. à partir d’élections contestées et le refus de procéder à des élections présidentielles nouvelles, d’ouvrir des dialogues en plusieurs cycles où officiellement il est question de discuter de tous les sujets sans nécessairement s’organiser pour trouver des solutions, ceci en choisissant unilatéralement les participants au dialogue ;

2. à faire passer si possible en priorité le point de vue du pouvoir consistant à n’accepter que des élections législatives (les accords ne s’appliquent pas pour le moment aux élections présidentielles) précédées par un changement éventuel de gouvernement que l’on veut se garder de nommer « gouvernement de transition d’une durée variant entre 2 et 5 ans » et dont le chef ne doit surtout pas ressembler à un Premier ministre qui aurait les pouvoirs d’un chancelier autrichien ou allemand ;

3. à préparer un gouvernement qui sera accepté par l’armée tout en tentant de garder l’esprit sous-jacent aux amendements intempestifs de la constitution togolaise en refusant de procéder à des élections présidentielles à deux tours permettant des alliances objectives se réaliser au deuxième tour, comme au Bénin ;

4. à repousser dans le futur et souvent à des commissions les décisions prioritaires ;

5. à faire croire que tous les sujets seront traités par le nouveau chef de gouvernement et éviter ainsi de les traiter sur le fond au cours du dialogue-facilitation ; et enfin

6. à ne pas faire représenter officiellement la Diaspora togolaise alors que les chefs d’État Africains ont adopté le principe que la Diaspora africaine constitue la 6e région d’Afrique. Plus d’un million de Togolais composent la Diaspora et se sont vus régulièrement refuser le droit de vote aux élections présidentielles, législatives et communales au Togo, alors pourquoi des représentants de la Diaspora, y compris les dissidents du parti au pouvoir, n’ont pas été officiellement invités pour apporter leurs contributions à des fins de réconciliation ? Les apports en catimini, sollicités ou non sollicités, ne peuvent remplacer des invitations officielles.

Bref, le réductionnisme démocratique au Togo est une forme perverse de la démocratie à l’africaine où tous les sujets sont censés être traités par un nouveau futur gouvernement alors que les modalités pratiques d’organisation de gouvernement sont floues et relèvent de fait et unilatéralement de la présidence de la République. Le dialogue-facilitation, présenté comme une avancée, a servi en premier lieu à ouvrir la voie à un déblocage rapide des fonds de l’Union européenne, et en second lieu à faire accepter le plan du pouvoir en place consistant à adopter le principe des élections législatives sans remettre en cause les termes et le mandat du Président. C’est donc bien les partis d’opposition qui ont accepté de faire avancer le dossier faisant confiance à une communauté internationale pour sécuriser la tenue d’élections libres et démocratiques. La communauté internationale ne doit pas faillir en acceptant le principe du « solde de tout compte » puisque ce n’est que maintenant que les vraies difficultés commencent.

La fin à l’embargo européen sur le Togo est à portée de main. Cela va donner bonne conscience aux responsables européens en charge du dossier. Le principe de la sous-traitance et non de subsidiarité consistant à suivre « religieusement » l’avis de la CEDEAO à l’écoute des chefs d’Etat de la région, permet à l’Union européenne de reprendre ainsi une coopération avec un État défaillant dont les créanciers sont en train de faire la queue pour se faire enregistrer auprès du cabinet KPMG-auditeurs Associés, une société d’audit qui risque d’être surprise pas la longue liste des impayés sans pouvoir expliquer la redirection des fonds reçus lesquels ne sont pas nécessairement allés vers la partie de la population togolaise qui en a le plus besoin. Dans la pratique, il s’agit de procéder, sur mandat du gouvernement togolais, notamment le ministre de l’économie, des finances et des privatisations, Boukpéssi Payadowa, à l’audit de la dette intérieure du pays arrêtée le 31 décembre 2005. Toutes personnes physiques ou morales disposant d’un titre de créance sur l’État togolais doivent produire des justifications de leurs créances avant le 6 septembre 2006. De là à voir un jeu de vases communicants entre l’argent frais provenant de l’UE sur les reliquats de l’embargo et le « solde de tout compte » à venir de certaines des créances n’est pas déraisonnable. La dette intérieure du Togo est passée d’environ un milliard de FCFA en 1990 à une estimation de 267,1 milliards en avril 2005 qui s’explique surtout par des surfacturation, des fausses factures et des dépassements de budgets. L’assainissement est un préalable à la relance d’une croissance économique partagée. En comparaison, la dette extérieure à partir des mêmes sources est estimée à 818,2 et la dette totale s’élève à 1085,3 milliards de FCFA (source : Commission de l’UEMOA, Comité de convergence et BCEAO, Principaux indicateurs économiques et financiers du Togo, voir sur la toile Internet : http://www.izf.net/izf/Guide/TableauDeBord/Avril2005/togo.htm).

En parallèle, il est recommandé que des contrôles plus serrés se fassent aussi sur les documents qui sont transmis par la commission de l’Union européenne et celle qu’adopte la Présidence de l’Union européenne sur le Togo… Des versions différentes sont souvent à l’origine de quiproquos et de confusions qui ont contribué à retarder la refondation démocratique du Togo et à diviser les partis de l’alternance. Il y a donc bien un problème de fond et un jeu subtil entre la Présidence et la commission de l’Union européenne sur le cas du Togo, surtout que les documents transmis lors du 12e dialogue togolais et relatifs à la Troïka (réunion annuelle entre l’Union européenne, CEDEAO et les Nations Unies) n’émanaient pas toujours de la Présidence de l’Union européenne. Pour le moment, ce jeu se fait au détriment des pauvres, du peuple togolais, de la démocratie et surtout du respect des droits humains contrairement à ce que prône pourtant l’Union européenne.

4. Vers un Premier ministre de consensus

Le Premier ministre devra nécessairement être choisi sur une base consensuelle y compris avec un accord signé de l’armée togolaise qui acceptera de faire allégeance et de mettre en œuvre les décisions du chef du gouvernement. Si aux termes du dialogue-facilitation, il est question de « mettre en place un Gouvernement d’Union nationale… ayant pour mission d’organiser des élections législatives justes, transparentes et acceptables par tous », il convient de rester vigilant compte tenu de la pratique du pouvoir de faire acte d’amnésie sur les pratiques des militaires et des parlementaires quant au non-respect de la constitution et des institutions et surtout de « reculer » en oubliant de mettre en œuvre ses propres engagements.

On peut s’interroger sur le paragraphe IV.4.1 alinéa 2 de « l’Accord politique global » (voir www.republicoftogo.com) où les participants se sont mis d’accord pour que ce soit le Président de la République qui forme un « gouvernement d’Union nationale ouvert aux partis politiques et aux organisations de la société civile, dans un esprit de réconciliation nationale et de confiance mutuelle pour la consolidation du processus d’apaisement ». Ce point risque d’être litigieux en référence à la pratique du pouvoir. En fait, il aurait fallu consolider directement le point IV.4.2 qui précise que « l’action du Gouvernement d’Union Nationale se mènera dans le cadre d’une feuille de route dont les points fondamentaux sont définis dans l’annexe II », pour le moment bien peu clair. Donc tout va se jouer sur le contenu et l’acceptation de l’annexe II.

Il est fortement conseillé de :

• faire précéder la rédaction de cette annexe par un forum d’éminentes personnalités indépendantes afin d’assurer une plus grande ouverture et appropriation par le peuple des attributions du chef du Gouvernement et de son équipe ; et
• de s’assurer que la composition du Gouvernement d’Union Nationale soit promulguée par le Président de la République, mais que ce soit le Premier ministre aux pouvoirs étendus, à l’instar des chanceliers des pays germanophones, qui puisse librement et sans pression former son gouvernement lequel sera alors avalisé ou pas par le Gouvernement. Ce point de litige risque de briser la confiance en émergence s’il n’est pas rapidement discuté et si un accord consensuel accepté par la population n’est pas trouvé sur le rôle du Premier ministre et ses prérogatives par rapport au Chef de l’Etat et les forces armées togolaises. Le travail du Facilitateur n’est donc pas encore terminé.

La feuille de route doit porter sur la refondation démocratique du Togo. Cela correspondrait à l’esprit du dialogue-facilitation qui prône dans ses dispositions finales, la création d’un cadre permanent de dialogue et de concertation sur les sujets d’intérêts national.

Face à une telle quadrature du cercle, le Premier ministre devrait :

• posséder une culture internationale et nationale et disposer d’une réputation sans faille en termes d’éthique, de respect des droits humains et surtout d’une diplomatie permettant au Togo de regagner rapidement le temps perdu au plan international en termes de crédibilité et d’image, et de mobilisation de ressources comme d’effacement de la dette du Togo engagées sous la dictature ;

• bénéficier d’un réseau solide au niveau international et africain non seulement sur le plan militaire, mais aussi sur le plan économique afin de servir de contrepouvoir en cas de non-respect des engagements pris par l’un ou l’autre des participants à l’accord définitif ;

• compter sur l’appui politique, militaire, économique et financier d’une partie de la communauté internationale qui ne se contente pas des formes de la démocratie mais souhaite réellement mettre en œuvre les objectifs du millénaire pour le développement de Kofi Annan, consistant à organiser la création de richesses à des fins de réduction de la pauvreté ;

• répondre en priorité et graduellement, par la voie de la transparence de l’information et de l’éducation de masse, aux demandes collectives de la population togolaise en respectant l’équité et sans esprit revanchard ;

• accepter immédiatement d’adhérer à la gouvernance politique, économique et sociale prônée par le nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) afin de bénéficier des conseils officiels des Pairs et des experts africains indépendants ;

• organiser systématiquement des consultations-fora sur les sujets de société et du dialogue afin d’assurer une réelle appropriation des problèmes par la population et recevoir en retour les points de vue de l’ensemble de la société afin de retrouver le principe démocratique africain du terroir qui a disparu avec l’arrivée de la colonisation, il y a quelques 500 ans ;

• s’engager à permettre à la Diaspora togolaise, aujourd’hui de plus de 1 million d’âmes de voter librement et de faire une discrimination positive vis-à-vis des candidatures féminines en acceptant qu’au moins 33% des postes aillent aux femmes, et ce pas uniquement au parlement composé de 81 députés mais aussi dans le gouvernement, les élections municipales et les diverses ambassades et autres structures dépendant de l’État.

Le mimétisme d’une certaine démocratie occidentale qui finit par n’accoucher que d’une démocratie réductionniste doit être réformée avec le peuple togolais. L’alternance en construction ne peut que passer par une refondation démocratique où démission, alternance, pacification et appui des communautés africaine et internationale peuvent retrouver un sens.

Le réductionnisme démocratique consiste donc à choisir un nouveau Premier ministre sans une feuille de route précise, comportant des dates butoirs et des autorisations budgétaires. La feuille de route gagnerait à être précédée d’un forum sur la refondation démocratique du Togo à laquelle d’éminentes personnalités indépendantes devraient être conviées pour offrir des alternatives opérationnelles à la saisine du pouvoir par des agents militaires non visibles, soutenus indirectement de l’extérieur. Ainsi, si par défaut, les Togolais y compris la Diaspora doivent accepter le principe du réductionnisme démocratique au Togo, alors il faut que les conditions mentionnées (liste non exhaustive) soient respectées pour qu’un Premier-Ministre togolais, nouvelle formule, puisse faire un travail sérieux, en toute indépendance, au service du peuple et de la démocratie au Togo au cours d’une période de transition permettant une refondation des institutions et des textes fondamentaux du pays.

5. Avancées sur papier : mode de scrutin à deux tours pour les législatives

En réalité, il y a eu un changement notable par rapport au travail de médiation du Président Obasanjo du Nigeria, avant les élections contestées d’avril 2005. S’il était déjà question d’une recomposition de la commission électorale nationale indépendante (CENI) et de la formation d’un gouvernement d’union nationale, l’ambiance conviviale, malgré des espaces très houleux, ne doit pas cacher les zones grises et d’ombres encore bien nombreuses pour un accord politique dit global. Il y a assurément un progrès par rapport à l’accord paraphé à Lomé le 6 juillet dernier, et que deux partis d’opposition ayant opté pour l’alternance (UFC et CDPA) avaient refusé de signer. Le changement de taille tient dans le fait que le pouvoir togolais a accepté, uniquement pour les législatives, un retour à un mode de scrutin à deux tours avec le choix entre :

• « un scrutin uninominal majoritaire à deux tours », ou
• « un scrutin proportionnel de liste à la plus forte moyenne ou au plus fort reste avec la préfecture comme circonscription électorale ».

Les alliances sont donc possibles pour constituer une majorité réelle de gouvernement, puis au parlement et demain peut-être à la présidence de la République où tous les acteurs y compris la Diaspora et des personnalités dissidentes pourront être représentées.

Pour éviter que se reproduise la situation d’avril 2005, les participants au dialogue-facilitation ont communément accepté la mise en place d’un programme de délivrance des cartes d’identité, l’institution d’une carte d’électeur infalsifiable, la présence d’observateurs à toutes les étapes du processus électoral, la mise en place d’une structure d’alerte pour sécuriser le processus, un accès équitable des partis politiques aux médias d’Etat. Tous ces points devront rapidement être refondus dans une feuille de route de la refondation démocratique du Togo avec des dates butoirs afin de permettre de contrôler effectivement le processus et la mise en œuvre de l’accord de Ouagadougou.

6. CENI, CELI et contrôle du système informatique électoral

Sans vouloir rentrer dans le débat des concessions unilatérales du pouvoir togolais sur la CENI qui avait proposé de s’approprier la part du lion en termes de nombre de représentants, il importe plutôt de contrôler le système informatique ou carrément de proposer un autre système qui ne soit pas contrôlé par un seul pays européen. En effet, dans les élections au Togo et certains pays francophones africains, il est possible avant certaines élections en Afrique de déterminer à l’avance le poids politique fictif d’un candidat ou d’un parti… Si l’on présente des résultats erronés à une CENI disposant d’une composition équilibrée (ce qui n’est pas encore le cas) et avec une présidence indépendante, cela n’empêchera pas des tentatives d’usurpation-modification sur les résultats d’élections futures.

Pour les prochaines élections législatives et d’après les discussions, la CENI devrait être composée de 19 membres dont cinq de la mouvance présidentielle, deux issus de chacun des cinq partis d’opposition, deux de la société civile et deux du gouvernement qui seront de fait des observateurs puisqu’ils n’auront pas de voix délibératives. On se demande alors s’il y a des observateurs du gouvernement, pourquoi est-ce que les partis non représentés et la Diaspora ne sont pas invités à envoyer des observateurs pour siéger à la CENI ? Le consensus a été privilégié mais il serait judicieux de le faire précéder d’un système de vote à bulletin secret dans les prises de décisions de la nouvelle CENI, ce qui devrait permettre d’éviter des tractations interminables sur l’issue d’élections législatives si elles venaient à ne pas être transparentes.

Il va de soi que les commissions électorales locales indépendantes (CELI) choisies sur une base paritaire et élues par leurs pairs devront s’assurer que, par « mégarde », certains soldats incontrôlables et non identifiés ne viennent s’approprier dolosivement, le contenu et le contenant des urnes par excès de zèle. Le Président du CELI, en tant que magistrat devrait pouvoir rendre compte fidèlement de ces « parenthèses » fâcheuses dans les voies sinueuses de la refondation démocratique au Togo.

En définitive, il faudrait s’assurer de pas mettre toute une infrastructure en place et oublier de rappeler qu’avec les systèmes informatisés d’aujourd’hui et contrôlés souvent par des experts non togolais, il est toujours possible de falsifier les résultats des élections… Des experts informaticiens et des téléphones portables doivent être distribués dans les CELI et dans la CENI et dans le quartier-général de chaque parti pour que les résultats soient transmis en temps réel et que le comptage se fasse aussi manuellement au niveau des partis. Ceci devrait permettre de diminuer les risques de fraude et limiter les interférences intempestives de puissances étrangères, aptes à venir se mêler de ce qui ne les regardent pas sans d’ailleurs accepter la réciproque par les Africains.

7. Refondation de l’armée et de la sécurité au Togo

Comme la réforme de l’armée et de la sécurité sont des sujets tabous qui semblent soulever plus de difficultés et ouvrir le champ à des débats plus que houleux, ce travail sera laissé au nouveau « Premier ministre de consensus » mais les protagonistes du dialogue-facilitation se sont accordés sur le fait que l’armée et les forces de sécurité devront s’abstenir désormais de toute interférence dans le débat politique. Rien n’est prévu pour en contrôler l’application effective.

8. Impunité et droits humains

Il en est de même pour le dossier impunité et toutes les questions relatives aux droits humains. Le sujet a été « évacué » par la création de plusieurs ènièmes commissions qui devraient :

• faire la lumière sur « les actes de violence à caractère politique commis par le passé et d’étudier les modalités d’apaisement des victimes »,
• soutenir le Haut Commissariat aux Réfugiés pour faciliter le retour des réfugiés togolais, et
• proposer des mesures susceptibles d’accélérer le retour des réfugiés.

9. Retour à la raison : respect de la double nationalité

Mais le nouveau gouvernement issu de ce système de réduction démocratique ou de démocratie au rabais ne pourra en réalité s’atteler principalement qu’à l’organisation d’élections législatives puisque le mandat du parlement monocolore actuel s’achève en octobre 2007 et que rien n’empêche le système d’autolégitimation des textes fondamentaux de s’auto-prolonger. Les délais de résidence pour les candidats aux élections et la présentation de l’acte de renonciation à une nationalité étrangère sont supprimés pour les prochaines élections législatives, ce qui ne veut pas dire que cela ne reviendra pas sur le tapis lors des élections présidentielles. Les conditions d’éligibilité ont fait l’objet de débat houleux lors du dialogue-facilitation et les restrictions introduites par le pouvoir sont été supprimées pour les prochaines législatives telles que « l’exigence de présenter une copie légalisée de l’acte de renonciation à toute nationalité étrangère, dont le candidat pourrait être titulaire ». Concrètement, les candidats disposant d’une double nationalité pourront se présenter aux élections législatives…

Rien n’est moins sûr pour les élections présidentielles. Me Agboyibor, en sa qualité de Président de Président du Bureau du Dialogue, a officiellement confirmé (20/08/06 sur Radio France Internationale) le fait que les décisions prises lors du dialogue-facilitation de Ouagadougou ne sont pas en principe applicables à des futures et éventuelles élections présidentielles qui, semble-t-il, ne devraient intervenir qu’au terme du mandat présidentiel actuel de la présidence togolaise, ceci malgré les contestations, à moins que les résultats des élections législatives n’en décident autrement. Ces élections ne doivent pas se passer encore sans le vote du million de Togolais de la Diaspora, actuellement exclu du processus d’autodétermination de leur avenir collectif au Togo.

Ce dialogue-facilitation constitue de fait une porte de sortie pour la Commission de l’Union européenne, le véritable gagnant de cette facilitation, et qui pourra alors se prévaloir d’une avancée sur les engagements souscrits par le Togo envers l’UE en avril 2004 à Bruxelles. En filigrane, ce sont les créanciers du Togo qui bénéficieront de la manne européenne, si la présidence européenne adhère à cette forme de démocratie par défaut et sans feuille de route précise. Alors que dans les faits, les reliquats des fonds STABEX de 90-94 en faveur du Togo, d’un montant de 15,8 millions d’euro, ont été déjà transférés au Gouvernement togolais, la commission de l’Union européenne pourra alors procéder à une reprise officielle de la coopération rompue depuis 1993 pour « déficit démocratique ». L’Union européenne n’exercera donc pas son droit d’ingérence pour améliorer la démocratie au Togo mais plutôt pour ouvrir un nouvel espace juridique et politique qui fera jurisprudence. Cette démocratie réductionniste risque de légitimer des régimes africains qui réussissent, par la force et le sang, à imposer à la communauté africaine et internationale l’usurpation du vote des populations laissées sans défense et abandonnées à leur sort. Dans la pratique, l’embargo européen n’a pas empêché les dirigeants et les forces armées togolaises de dormir. La reprise rapide de la coopération avec l’Union européenne et par extension avec les autres bailleurs de fonds aura lieu alors que le « déficit démocratique » risque de ne prendre fin que dans un laps de temps bien incertain.

10. le Togo a besoin des troupes militaires de l’Union européenne

S’il y a reprise de la coopération économique et financière avec l’UE, il faut nécessairement que le Togo accepte une nouvelle forme de coopération militaire où une partie des forces de l’UE en association avec des forces de l’UA pourront servir de tampon au cours des élections difficiles comme au demeurant au Congo démocratique. Il s’agit bien des armées de la démocratie et c’est tout à l’honneur de pays germaniques de montrer que l’armée peut permettre de pacifier des pays et contribuer au retour de la démocratie. Donc, moins que l’UE n’accepte d’envoyer les troupes militaires actuellement stationnées au Congo démocratique pour sécuriser des élections législatives à deux tours et protéger le futur Premier ministre et son équipe, les solutions de la démocratie réductionniste du Togo continueront à faire la part belle à des militaires qui se cachent derrière une famille qui s’approprie l’essentiel des recettes de l’État togolais. La communauté internationale devrait éviter d’être responsable de transferts de fonds de la communauté internationale vers des personnalités manquant d’éthique et adeptes du déficit démocratique. Le régime actuel au Togo doit se faire violence pour s’écarter des pratiques anciennes consistant à ne respecter que les formes de la démocratie au lieu de la mettre en œuvre afin de perdurer au pouvoir.

En laissant une opposition continuer à témoigner de sa capacité à ne pas s’entendre collectivement sur l’essentiel pour faciliter l’alternance politique, il y a encore des risques de voir cette opposition togolaise « imploser » et voire la refondation démocratique du Togo lui passer sous le nez. Peut-être que le Premier ministre, s’il ne sort pas des rangs de l’opposition, devrait au moins sortir des rangs d’une Diaspora et de la société civile, cette partie du Togo qui a pour l’essentiel été largement marginalisée. Cette transition-alternance ne peut réussir que si le Togo prend conscience qu’il est nécessaire d’inviter des troupes militaires extérieures notamment celles de l’Union européenne actuellement en fin de mission au Congo démocratique, afin de contribuer à faciliter la pacification de la transition, une sécurisation des élections libres et transparentes et surtout une période de transition permettant de réaliser des réformes constitutionnelles et institutionnelles fondées sur une vision d’un Togo, pôle de compétitivité dans un marché mondial segmenté.

Conclusion : Merci aux Facilitateurs

Face à la pression extérieure, un sursaut a eu lieu et ouvre le champ à un espoir modéré. L’opposition togolaise, et plus particulièrement le parti de Gilchrist Olympio, a démontré grâce à une vigilance tous azimuts qu’il fallait d’abord poser les conditions d’élections législatives libres et sécurisées, ceci par la voix d’un gouvernement de transition dont les termes et la feuille de route sera à rediscuter dans les détails.

Il faut se réjouir de la création d’un comité de suivi, qui sera présidé par le facilitateur Blaise Compaoré qui ne sera plus seul et se fera assister par des représentants de l’Union européenne et de la CEDEAO. Il faut espérer que le respect des accords sera maintenu dans la pratique afin d’éviter d’arriver à des points de non-retours qui nuiront à la refondation de la confiance entre les partis et le peuple.

Merci tout de même au Président Compaoré et au Président Bongo Odimba d’avoir permis au pouvoir togolais de prendre conscience un peu plus de la nécessité d’appliquer et de respecter les critères universels de la démocratie ! A charge de revanche ! Pourvu que la mise en œuvre ne soit pas conçue sur la base de dérapages contrôlés, ou plutôt non contrôlés…

A ce titre, il ne faut pas s’étonner du devoir de vigilance des partis et des associations d’appui à la démocratie et à la bonne gouvernance qui continueront à organiser des manifestations pacifiques au Togo et en dehors du Togo pour sensibiliser les dirigeants africains et occidentaux sur l’urgence de laisser l’Afrique mûrir sa démocratie, le Togo en particulier. Le gouvernement d’union nationale est une étape nécessaire au retour de la confiance d’un peuple. Nul ne peut s’y opposer ! Par contre, les conditions de mise en œuvre ne peuvent être laissées à la discrétion d’un régime souffrant de déficit démocratique et de légitimité. D’ailleurs, un proverbe togolais le rappelle : « Trop de viandes ne gâtent pas la sauce »… Encore faut-il trouver le bon cuisinier ou la bonne cuisinière… Il en est de même pour le futur Premier ministre.

Lire aussi: L’APG (Accord Politique Global).

22 août 2006

Yves Ekoué Amaïzo

Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology »
Economiste à l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI).
Il s’exprime ici à titre personnel.