LES DOSSIERS

Le racisme d’Etat ou racisme institutionnalisé en Belgique

Hypocrisie d’Etat ou tabou de classe?

Des incidents récurrents qualifiés un peu trop souvent de dysfonctionnement institutionnel interpellent, tant ils sont occultés par la plupart des organismes de défense des droits de l’homme. Il y a 20 ans exactement, les corps sans vie de Yaguine et Fodé, deux Guinéens de 14 et 15 ans, ont été retrouvés dans un avion de la Sabena à Zaventem [1]. Des années de larmes et lignes sur le sujet n’ont rien changé au contexte.

Une rapide recherche sur le net nous confirme le black out sur le sujet du racisme d’Etat ou “racisme structurel rampant”. Selon l’encyclopédie partisanne Wikipedia « L’expression de « racisme d’État » désigne historiquement les États ayant appliqué des politiques ségrégationnistes, affichant une idéologie officielle explicitement raciste et institutionnalisée… » Cette définition partielle ne tient pas compte de l’organisation inégalitaire et très souvent non thérorisée des structures de la société. Qu’il soit de droite, de gauche ou d’un extrême, aucun gouvernement n’a tenté de repenser les structures d’encadrement des étrangers. La seule expression admise est celle de l’intégration de ces derniers.

Mais comment est-il possible d’intégrer si la structuration ou le mode d’administration n’autorise pas le mélange ou la proximité ni même l’égalité des droits? Comment rapprocher un étranger lorsqu’il est cantonné dans son ghetto social? On parle souvent du racisme comme une action individuelle mais quid des structures de l’Etat, censées organisées à cette fin ?

Confronté à divers signalements, Afrology souhaite lancer le débat en tirant exemple de faits en Belgique et en France.

Propos racistes classés sans suite

En 2009, alors qu’il est accroché au carrefour Louise à Bruxelles par un véhicule à bord duquel se trouvaient deux passagers, un citoyen belge d’origine africaine est pris à partie par la passagère et l’auteur de l’accident en se faisant insulter: “retourne dans ta brousse..espèce de singe…”. La victime filme la passagère et le conducteur. La passagère lui indique qu’elle est de la Police, qui justement appelée est intervenue après la fuite des contrevenants. Les faits avec les videos sont portés à la connaissance du Bourgmestre (Maire en Belgique) de la Ville en sa qualité de Chef de la zone de Police; le juge classe la plainte sans suite. Après un an de silence, l’avocat de la victime décide de saisir un nouveau juge qui finit par lui donner raison et condamner la passagère.

Pourtant en Belgique, les organisations de défense des droits humains ou de lutte contre le racisme et la xénophobie sont légions… Nul n’est intervenu et encore moins la Police. Le carrefour Louise mène au Palais de Justice de Bruxelles…mais la Police n’est-elle pas intervenue, parce que les faits opposaient un noir et une passagère d’apparence caucasienne?

Nous retiendrons que ces faits graves dans une Région dirigée par des socialistes ont entravé la circulation durant plus de 30 mn… sans réaction de la Police. Des agents sont passés en voiture et se sont déclarés non compétents dans la localisation.

Gestion des logements

Dans nos recherches, nous sommes tombés sur un excellent article de Nicolas Rousseau sur le sujet [2]. Il y développe une analyse intéressante sur les HLM de Paris pour lesquels, les critères « traditionnels » d’octroi comme le statut socio-économique des candidats, sont postérieurs à toute une série de conditions liées à une nécessité dite de bonne gestion financière. Et face à cet ensemble de critères, les responsables de la décision d’octroi d’un HLM disposent d’une belle marge d’interprétation.

On débouche toujours, finalement, sur une obligation de procéder au cas par cas via une « attribution fine » afin de parvenir à faire la différence entre un bon et un mauvais candidat via une analyse de risques potentiels, de problèmes susceptibles de se produire. L’institution ouvre donc le champ pour laisser l’individu étaler sa com-passion. On crée ainsi rapidement des catégories, comme le groupe des Comorien(ne)s alors perçu comme à risque, non pas au niveau du paiement ni des relations de voisinage mais bien en ce qui concerne la capacité à habiter normalement son logement. Il semblerait que leur « culture de solidarité » impliquerait qu’une famille avec deux enfants induirait en pratique une dizaine de personnes dans le logement. Ceci n’est pas loin d’une expérience vécue en Belgique où un logement a été refusé par crainte d’invasion congolaise; “Nous savons que vous, Congolais, avez de grandes familles, mais l’appartement est prévu pour 3 personnes…”. C’est le seul secteur où la présomption d’innocence est prohibée.

Ainsi en Belgique on se retrouve avec des maisons sociales typées et colorées, réservées à des étrangers auxquels on reprochera ensuite l’absence ou l’insuffisance d’intégration (sic).

Le racisme dans l’enseignement et la police en Belgique

Dans le domaine de l’enseignement, dans un récent baromètre de la Diversité au niveau de l’enseignement, UNIA est revenu sur les discriminations dans le système scolaire vis-à-vis des élèves issus de l’immigration [4]. La participation de ces derniers au système scolaire est en effet désavantageuse par rapport aux élèves « Belgo-belges ». Ils risquent, par exemple, davantage d’être maintenus en 3ème maternelle et sont largement surreprésentés dans l’enseignement technique et professionnel.

Dans le même registre, le Groupe d’études sur l’Ethnicité, le Racisme, les Migrations et l’Exclusion de l’Université Libre de Bruxelles, en collaboration avec l’Institut d’encouragement de la Recherche Scientifique et de l’Innovation de Bruxelles, a mené une enquête au printemps 2007 auprès de jeunes en dernière année de l’enseignement secondaire dans la Région de Bruxelles Capitale [5].

Une police orientée? Dans la même enquête, à la question de savoir «Si quelque chose va mal quelque part, est-ce les jeunes d’origine étrangère ou les jeunes belges ‘de souche’ qui seront contrôlés en premier lieu par la police ? ».

83% des  élèves  répondent  probablement  ou  sûrement  les  jeunes  d’origine  étrangère.  A peine  15% répond « il n’y aura pas de différence ». On peut donc dire ici que les jeunes sont quasi unanimes face à une possible discrimination de la police envers les jeunes d’origine immigrée.


Fig 1. Discrimination par la police

Organisation de l’administration

Afin de coordonner ces groupes d’allochtones, il est souvent mis en place une administration parallèle avec des différences de traitement. Ainsi, pour demander un certicficat d’hébergement pour un étranger, même le Belge de souche doit se rendre à un guichet spécial de l’administration confié à et géré exclusivement par le « service des étrangers ». Et pour ce faire, il doit faire la file au guichet des étrangers, comme pour introduire une demande de séjour pour sa propre famille.

Mais encore une fois, l’administration publique va réserver un petit espace pour l’expression subjective du fonctionnaire. On retrouve dans la brochure belge, ces lignes assez étranges: « L’autorité compétente peut également  prendre  en  considération  des  circonstances  particulières,  telles  que  les  conditions  d’hébergement,  ou  l’existence  d’autres  prises  en  charge  qui  engagent  encore  la  responsabilité  du  garant. »

Ainsi, l’Autorité administrative prend plaisir à confier le sort d’individus, parce que allochtones, à des jugements subjectifs d’un ou de plusieurs fonctionnaires souvent frustrés et en quête de pouvoir.

Pour finir d’enfoncer le clou, l’espace réservé pour traiter les demandes de ces minorités est souvent à l’écart des cadres ordinaires. C’est le cas mentionné plus haut, de la salle réservée aux étrangers dans les locaux de l’administration de la ville de Bruxelles où les distributeurs de tickets sont souvent en panne et la masse des visiteurs toujours difficile à contenir.

Gestion des visas

Par extension à la question du logement ou simple mimétisme, un critère de base pour un certificat d’hébergement sera la taille ou la superficie du logement, même si la question n’est pas officiellement reprise sur le formulaire de demande.

Le plus étrange est que le pays d’accueil pose comme postulat l’insolvabilité du visiteur. En Belgique il est demandé, depuis quelques années, à tout visiteur de produire l’attestation d’un garant; « Si vous n’avez pas de moyens de subsistance personnels suffisants ou si vous ne pouvez pas présenter des documents attestant que vous avez des moyens de subsistance suffisants pour couvrir les frais de votre voyage, vous pouvez faire appel à un garant et présenter un engagement de prise en charge (annexe 3bis à l’arrêté royal du 08/10/1981). » Au passage toute l’organisation sociale est brisée; le demandeur, se voit promu « garant » de son père, la période d’une demande de séjour…

Sur une période de 3 ans, nous nous sommes livrés à une expérience: introduire auprès de l’Administration communale une demande de prise en charge. De 2016 à 2018, trois demandes sont introduites. Aucune réponse n’est donnée. Interrogé en 2018, l’Office des Etrangers, pourtant sous la tutelle de la NVA, explique avoir donné un avis positif dans les 3 dossiers et ne comprend pas pour quelle raison l’Administration communale sous la tutelle socialiste refuse de délivrer les prises en charge… L’Office des Etrangers conseille à l’ASBL à qui le dossier est confié d’exiger désormais de l’Administration communale la communication de la date d’envoi de tout dossier de prise en charge l’Office, afin que ce dernier puisse informer directement l’ASBL.

En Janvier 2019, deux nouveaux dossiers de prise en charge sont introduits auprès de l’Administration communale. Au bout de trois mois, le demandeur est informé (en insistant pour une réponse) que les documents ont été égarés pour les deux invitées. L’exercice est repris au mois de mai 2019 pour une des deux personnes, la première ayant purement décliné toute nouvelle invitation en Belgique. Trois mois plus tard, aucune réponse n’est communiquée au demandeur. Plus surprenant encore, aucune réaction n’a suivi les emails envoyés à l’Administration à l’adresse indiquée à cette fin. Il est vrai, dit-on, que l’africain n’a pas la notion du temps…

Conclusion

Tous ces mécanismes ont pour effet immédiat de produire des discriminations raciales. Ce comportement ne repose donc pas uniquement sur les stéréotypes individuels mais lève le voile sur une face du racisme institutionnel. Alors, que reproche-t-on à D.Trump?

Il est plus simple de gémir sur les morts de la Méditerranée et surtout condamner la politique anti-migratoire de l’Italie. Et pourtant, nous savons tous que le racisme institutionnel favorise les voies illégales de l’immigration. Si Yaguine et Fodé on embarqué sur le train de l’avion pour la Belgique, c’est bien parce qu’il y a une institution qui les rejette.

Et si la situation, connue de tous, arrangeait l’occidental dit de souche? Dans une société de type féodal, nous avons du mal à imaginer le Seigneur renier sa position dominante. Dans ce dernier cas, l’Africain ne peut s’en prendre à lui-même, et Trump aura raison de lui demander de retourner dans son trou. Si seulement Obama et Kofi Anan avaient su utiliser leur position pour faire construire une “école” digne de ce nom dans leurs pays d’origine respectif, si les dirigeants africains commençaient à envisager le bien public autrement qu’une épargne familiale ou une caisse d’assurance maladie pour se soigner en Occident, alors peut-être pourrions nous envisager une révolution à grande échelle.

Bruxelles, le 12 août 2019

Gustav Ahadji et Spero N. Houmey

(A suivre…): Après la mise en ligne de cet article, le demandeur a été convoqué le 30 août 2019 pour retirer le certificat de prise en charge, huit mois après la première demande…


Références:

1. https://www.ptb.be/20_ans_apr_s_le_message_de_yaguine_et_fod_est_toujours_vivant

2. http://www.bepax.org/publications/analyses/le-racisme-institutionnel-un-concept-mal-connu,0000956.html

3. SALA PALA V. (2005), « Le racisme institutionnel dans la politique du logement social ». Sciences de la Société, Presses Universitaires du Midi, 2005, pp.87-102

4. UNIA, Baromètre de la diversité – Enseignement, 2018. UNIA est le service public indépendant de lutte contre la discrimination et de promotion de l’égalité des chances. L’étude est disponible à l’adresse suivante: https://www.unia.be/files/Documenten/Publicaties_docs/1210_UNIA_Barometer_2017_-_FR_AS.pdf

Glossaire

RBC: Région Bruxelles Capitale. Le Royaume de Belgique est un Etat fédéral composé de 3 Régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles Capitale) et de 3 Communautés linguistiques (Flamande, Francophone, Germanophone).

N-VA: la Nieuw-Vlaamse Alliantie est un parti nationalisme flamand démocratique.

ASBL: Association Sans But Lucratif.